Les «tradis» se croisent sur la route de Chartres |
05 juin 2006 - Le Figaro - Sophie de Ravinel |
Les lefebvristes marchent vers Paris tandis que les traditionalistes assisteront cet après-midi à Chartres à une messe célébrée en latin, selon le rite tridentin. Un petit scout d'une douzaine d'années, sourire aux lèvres et chapelet en main, traîne ses rangers sur la route, un sac militaire plus grand que lui sur le dos. Des abbés en soutane conversent avec quelques jeunes, et le service de sécurité tente de canaliser la foule des pèlerins qui se dirigent vers le campement du premier soir. Une odeur de soupe se répand. Avec près de 30 kilomètres dans les jambes, la fatigue se lit sur le visage des derniers arrivants. Ce sont les pèlerins de «Notre-Dame de Chrétienté», fidèles à Rome, en route vers Chartres. Ils y sont attendus aujourd'hui pour une messe qui sera célébrée en milieu d'après-midi par Mgr Philippe Breton. Évêque du diocèse d'Aire-et-Dax, il est aussi en mission officielle depuis 2003 au sein du Grec, un «groupe de réflexion entre catholiques» qui facilite le dialogue entre les minorités traditionalistes et «le commun» de l'église. Mgr Breton a profité de son voyage vers Chartres pour réviser ce rite latin qu'il n'avait célébré que «quelques semaines, il y a quarante ans». «Je compte bien, dit-il, encourager les fidèles à la mission mais aussi les inviter à aimer l'Église telle qu'elle est et non telle qu'ils la rêvent.» Hier, il s'est joint aux 6 500 pèlerins pour une veillée d'adoration eucharistique. «Le seul véritable rite» Parmi eux, Thierry et Nathalie – 5 enfants, de 7 ans à 8 mois – espèrent que leurs pairs puissent être prochainement «considérés comme de véritables catholiques au sein de leurs diocèses». «C'est vrai qu'à Lille, nous n'avons aucun problème, nous sommes plutôt gâtés. Mais ailleurs, ce n'est pas toujours le cas.» Chez les «tradis», on aime bien se raconter l'histoire de la cousine du frère des amis des parents qui n'a pu obtenir un mariage, un baptême ou des funérailles selon «le seul véritable rite auquel un chrétien digne de ce nom puisse se fier» : le rite tridentin. Le président du pèlerinage, Hubert de Gestas, commence d'ailleurs déjà à se demander si les évêques appliqueront les directives de libéralisation de la messe tridentine qui pourraient venir de la Congrégation pour le culte divin. «Nous avons été sensibles, dit-il, à l'intérêt que les évêques manifestent à notre égard. Mais nous les sentons encore très prudents, et surtout réticents, par rapport à ce que Rome propose.» Le président espère tout de même que, l'an prochain, les festivités des 25 ans du pèlerinage «seront éclipsées par la joie de ce que Rome aura rendu possible : la libéralisation de l'usage du rite tridentin ou, pourquoi pas, le retour des lefebvristes dans le giron de l'Église». A quelques kilomètres de là, chez ces lefebvristes justement, on reste prudent. Supérieur de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Bernard Fellay est venu célébrer la messe hier pour les quelque 3 500 pèlerins – dont plus de 1 000 enfants – qui marchent vers Paris et la basilique du Sacré-Coeur. «Mon impression, explique-t-il, est que l'élan de réconciliation voulu par le Pape a été freiné, au Vatican ou ailleurs.» Mais il reconnaît aussi que, de toute manière, «rien ne viendra sans doute avant [leur] chapitre général». Les responsables de la Fraternité renouvelleront son mandat à cette occasion ou éliront un successeur. Rome attend de connaître son interlocuteur. Dans son homélie, Mgr Fellay accusait hier l'Église de se «suicider» par son «renoncement à être missionnaire». Mais dans l'assemblée, Hervé – 9 enfants et bientôt 10 – évoquait pour sa part un «espoir fabuleux de réconciliation». «Tout le monde, soutient-il, souhaite ardemment que les malentendus soient effacés.» |