2 juin 2001

[Élie Maréchal - Le Figaro] "Traditionalistes: le test de la Pentecôte"

Élie Maréchal - Le Figaro - 2 juin 2001

Chaque année, la fête chrétienne est célébrée par deux pèlerinages importants. Le premier, sous l'égide du cardinal Lustiger, part de Paris vers Chartres. Le second, se réclamant de Mgr Lefebvre, fait le chemin inverse. En même temps que les bannières, deux visions de la religion vont se croiser.

Jamais les deux pèlerinages traditionalistes de Pentecôte n'auront autant «marché sur des œufs». Et pourtant, le décor de ce chassé-croisé pédestre reste le même que les années précédentes: le trajet Paris-Chartres pour les uns, le sens inverse pour les autres, les aléas de la météo, les bannières, les cantiques anciens, le chapelet, les prêtres en soutane noire, la messe en latin, une centaine de kilomètres parcourus en trois jours.
 
Avec la bénédiction du père Jean Mariot qui représente le cardinal Jean-Marie Lustiger, le premier cortège (pèlerinage Notre-Dame de chrétienté), le plus nombreux et le plus jeune, part ce matin de Notre-Dame de Paris. Son thème sera «Chrétienté, source de vie». Ce sont les «ralliés», désignés ainsi parce que restés unis au Pape et à l'Église catholique au moment du schisme lefebvriste en 1988. Le départ de l'autre pèlerinage (pèlerinage de Tradition) sera donné ce matin aussi aux abords de la cathédrale de Chartres et le thème en sera «la reconquête» pour que, expliquent les organisateurs, «rayonne la Tradition» catholique. Il s'agit là de fidèles restés liés à la pensée de Mgr Marcel Lefebvre qui, en juin 1988, avait ordonné quatre évêques sans l'accord de Rome. Aujourd'hui, ils dénoncent les dérives «modernistes» issues du concile Vatican II, notamment sur la messe. Cette année, ces deux pèlerinages se trouvent, l'un et l'autre, dans une situation délicate. La longue marche sera pour chacun un test.

Le pèlerinage de Notre-Dame de chrétienté a besoin de signes d'encouragement pour sa fidélité à l'égard de Rome et du concile. Il va en recevoir un, grâce à la venue du cardinal Dario Castrillon Hoyos, à la fois préfet de la Congrégation du clergé et président de la commission Ecclesia Dei, créée au lendemain des sacres épiscopaux de Mgr Lefèbvre pour ceux qui, vu leur attachement à la messe en latin, se sentent les mal-aimés de l'Église catholique.

Selon un sondage que vient d'effectuer l'association Oremus, seulement 5,4 % des catholiques sont opposés à la libre autorisation de la messe traditionnelle en latin, et 60,9% d'entre eux assisteraient certainement ou probablement à la messe traditionnelle en latin s'ils en avaient la possibilité, alors qu'à peine 9,8% refuseraient d'y participer.

Mais l'épiscopat français, dans sa grande majorité, ne l'entend pas de cette oreille. Il se méfie des exigences parfois un peu abruptes de ces traditionalistes, et surtout d'arrière-pensées politiques, proches de l'extrême droite. D'autre part, il considère cette revendication de la messe en latin comme un résidu du passé, appelé à disparaître. Donc, pas de biritualisme établi (messe en français ou en latin), mais des concessions locales et parcimonieuses. Néanmoins, Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, évêque de Chartres, fera bon accueil dans sa cathédrale au pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté, ce qu'il refuse à leurs «cousins» du pèlerinage de Tradition.

Lundi après-midi, c'est le cardinal Dario Castrillon Hoyos qui célébrera la messe tridentine (en latin). Outre Mgr Aubertin, il devrait être entouré de trois autres évêques, manifestant qu'une pluralité de rites existe dans l'Église catholique. Il s'agit de Mgr George Alencherry, évêque de Thuckalay (Inde), de rite syro-malabar; de Mgr Grégoire Ghabroyan, évêque de l'éparchie de Sainte-Croix de Paris pour les Arméniens catholiques en France; et de Mgr Michel Hrynchyshyn, exarque des Ukrainiens catholiques en France. Pour un épiscopat français qui veut assurer la communion de ses fidèles mais qui, au premier abord, ne s'est pas montré ravi de la venue du cardinal Castrillon Hoyos, voilà une bonne occasion à saisir, à moins que ce soit un fâcheux signe d'éparpillement et de dissension.

Le test est là, mais aussi dans la discipline des «troupes» qui trépignent d'impatience pour une reconnaissance pleine et entière. «Nous sommes dans la situation des uniates, affirme l'abbé François Pozzetto, aumônier du pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté. Nous attendons de Rome un signe fort, et la venue du cardinal Castrillon Hoyos en sera un, assurément. Car nous sommes marginalisés. Il faut, pour nos communautés, des statuts canoniques, une juridiction. Nous ne demandons qu'à être reconnus à notre place, sans vouloir toute la place.» Pour certains de ces pèlerins, en effet, la lassitude gagne; elle pourrait les incliner à la dissidence. On pourrait alors les retrouver dans l'autre pèlerinage où l'on pense que les «ralliés» sont dans une impasse depuis bientôt treize ans.

Car, chez les purs et durs de la Tradition - ceux du pèlerinage du même nom -, l'attitude est plus opposée à toute «l'Église conciliaire», à l'épiscopat français, à maints faits et gestes de Jean-Paul II. Depuis le début de l'année, le contact officiel a néanmoins été renoué avec Rome, en particulier entre la Fraternité Saint-Pie X et le cardinal Castrillon Hoyos, à charge pour celui-ci de donner des gages aux fidèles «ralliés». Or, dans le ton des diverses publications de cette branche traditionaliste, rien n'a changé, sauf la stratégie de communication, y compris par Internet, qui se veut aimable et ouverte pour laisser à Rome tous les torts d'une éventuelle fermeture. La Fraternité Saint-Pie X adresse une lettre à tout le clergé français. Elle s'explique sur ses griefs à propos de la «nouvelle messe» dans un opuscule (Le problème de la réforme liturgique, éd. Clovis). Elle met les formes avec Mgr Aubertin. Missives, envoyés spéciaux, conciliabules, rencontres à Rome se succèdent. Le fil du dialogue est mince, mais il tient, parce que le Pape lui-même y tient.

Dans cette mouvance qui ira de Chartres à Paris, l'unanimité ne règne pas non plus et la route du pèlerinage sera aussi un test. Tout le monde est-il d'accord pour un rapprochement avec Rome qui tente, bon gré mal gré du côté de l'épiscopat français, de ne pas creuser l'écart avec les traditionalistes, ce microcosme bien compliqué? Ça bouge chez les «tradi».