SOURCE - Abbé Grégoire Celier, fsspx - date non précisée
La Fraternité Saint-Pie X, malgré ses grandes qualités, n’est évidemment pas dénuée de faiblesses, voire de défauts. Dans une présentation honnête et nuancée de sa réalité objective, il est impossible de ne pas s’arrêter, ne fût-ce que quelques instants, à considérer ces faiblesses, car elles représentent, bon gré mal gré, un obstacle à la pleine expansion de l’apostolat.
La Fraternité Saint-Pie X, malgré ses grandes qualités, n’est évidemment pas dénuée de faiblesses, voire de défauts. Dans une présentation honnête et nuancée de sa réalité objective, il est impossible de ne pas s’arrêter, ne fût-ce que quelques instants, à considérer ces faiblesses, car elles représentent, bon gré mal gré, un obstacle à la pleine expansion de l’apostolat.
Qualités et défauts
Nous parlons volontiers (et ce n’est ni illogique ni scandaleux) de nos succès, de nos réussites, de nos mérites : qu’il s’agisse de nous personnellement, ou des sociétés auxquelles nous pouvons appartenir à divers titres.
Moins volontiers nous parlons de nos fautes, de nos insuccès. On se souvient à ce propos de la fable d’Ésope montrant les hommes avec deux besaces, l’une devant pour les bonnes actions, l’autre derrière, loin des regards, pour les mauvaises.
Toutefois, lorsque nous nous examinons en vérité, il convient de ne pas nous arrêter à l’actif, mais de savoir regarder honnêtement le passif.
Essayant de présenter la Fraternité Saint-Pie X au-delà des caricatures dont elle est la victime, mais aussi au-delà des images d’Épinal qui ne correspondent pas à la réalité, il nous paraît opportun, et même nécessaire, d’examiner quelques-uns des points qui font obstacle à un meilleur développement de l’oeuvre.
Il ne nous a pas semblé utile, dans cette optique, de nous arrêter aux faiblesses qui touchent à l’humaine nature et qui sont de tous les temps et de tous les lieux. Que la Fraternité, composée d’hommes pécheurs, renferme quelques paresseux, quelques gourmands, quelques vaniteux, quelques colériques, n’est pas un secret, sauf à croire que le caractère sacerdotal mettrait par lui même dans une sainteté consommée, ce qui est inexact. Comme l’écrivait Montaigne, «là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie».
Contre ces défauts tenant aux péchés de ses membres, la Fraternité lutte chaque jour par les moyens spirituels qu’elle met à leur disposition.
Oppositions ecclésiastiques et sociales
Il existe aussi des défauts, parmi les membres, qui ont une certaine répercussion publique, notamment en augmentant les oppositions.
Il est clair que la Fraternité rencontre de (très) fortes oppositions ecclésiastiques. On ne compte plus les sanctions, les mises en garde, les dénonciations de la Fraternité venant de Rome, des évêques et même de simples prêtres.
Les articles hostiles à la Fraternité dans les médias, les mises en cause dans diverses assemblées politiques, voire des manifestations agressives contre nous, ne manquent pas non plus depuis trente ans.
L’hostilité du monde envers les disciples de Jésus-Christ étant annoncée dans l’Évangile, nous n’avons pas spécialement à nous en étonner.
Plus spécifiquement, le combat (nécessaire et légitime) de la Fraternité contre les erreurs conciliaires ne peut qu’agacer, voire exaspérer un certain clergé massivement acquis à ces erreurs. Il ne faut donc pas s’étonner que ce dernier réagisse avec agressivité.
Du côté politique et social, bien que ne faisant pas de politique politicienne, nous prêchons les droits de Dieu et le Règne du Christ, qui s’opposent frontalement aux faux droits de l’homme comme à la démocratie rousseauiste et révolutionnaire.
Il est donc logique qu’une société imbue de ces erreurs rejette nos prédications sur ces thèmes.
Erreurs et maladresses?
Cependant, cette hostilité ne provient pas toujours et exclusivement de notre attachement inconditionnel au Christ et à ses droits souverains : pour partie, les oppositions ont comme origine nos propres erreurs et maladresses.
Par exemple, il peut nous arriver de manquer aux convenances élémentaires, et ainsi blesser nos interlocuteurs, en négligeant de répondre à un courrier, en ne remerciant pas après une faveur, en ne demandant pas une permission logiquement requise, etc.
Il peut nous arriver de ne pas respecter des lois justes, en matière d’urbanisme, d’hygiène, de sécurité, etc., et d’en recevoir la légitime sanction : cela ne signifie pas en soi que les autorités policières et judiciaires soient «inféodées aux francs-maçons».
Il peut nous arriver, lorsque nous nous exprimons, et tout en défendant la vérité objective, d’être inutilement agressifs, discourtois, arrogants, désinvoltes, raides, etc. Que nos interlocuteurs soient indignés n’est pas, à tous les coups, le signe que nous serions vraiment fidèles à l’Évangile : ce peut être quelquefois la conséquence de nos bévues.
L’auteur de ces lignes a connu pareille mésaventure. Ayant écrit une «Lettre ouverte» à un ecclésiastique, lettre bardée des arguments les plus percutants, il a simplement omis, par négligence et hâte, de l’expédier à son destinataire avant de la publier.
Ledit ecclésiastique en fut (légitimement) blessé. La faute n’était pas du côté de l’interlocuteur, conciliaire ou Ecclesia Dei, elle était du côté du «traditionaliste» et de son manque de savoirvivre.
«Je n’en ai pas d’autres!»
Mgr Lefebvre avait conscience des imperfections de ses prêtres. Il écrivait en 1981 : «Nous entendons parfois, de-ci de-là, des critiques plus ou moins vives de la part de nos amis : “Les membres de la Fraternité se prennent pour des privilégiés, se prennent pour l’Église, et ainsi manquent d’égards pour les autres ; ils cherchent à tout avoir, tout contrôler, etc.” Il est possible que la jeunesse et l’inexpérience de l’apostolat aient parfois provoqué des maladresses et causé des malentendus».
A ceux qui lui disaient : «Monseigneur, vos prêtres sont trop jeunes, ils font des erreurs!», il répondait en levant les bras au ciel (et avec un petit éclat malicieux dans l’oeil) : «Mon Dieu, mais c’est que je n’en ai pas d’autres!»
Ces défauts des membres de la Fraternité font encore partie de «l’hommerie» et sont imputables pour une bonne part, au témoignage de Mgr Lefebvre, à la jeunesse de notre société.
Au-delà de ces défauts proprement humains, il existe en revanche dans notre Fraternité des obstacles, des limites, des faiblesses (appelons cela comme on voudra), qui ne sont pas spécialement des fautes morales, mais qui méritent, en revanche, d’attirer notre réflexion. Nous allons en présenter trois particulièrement significatifs, en essayant de les replacer dans une juste perspective.
Insuffisance (relative) des vocations
Premièrement, la Fraternité Saint-Pie X, fondée essentiellement pour la formation des prêtres, a accompli un travail important pour préparer, accueillir et former les vocations sacerdotales. Elle possède désormais des séminaires dans chaque grande région du monde, dotés d’un corps professoral compétent, des éléments matériels (bibliothèque, etc.) convenables, d’une règle sage et équilibrée.
Mais il subsiste une difficulté préoccupante : une certaine insuffisance des vocations. En effet, la Fraternité est passée, entre 1982 et 2006, de 100 prêtres dans 50 maisons à 460 prêtres dans 155 maisons. Or, le nombre global des séminaristes est bien loin d’avoir grossi en proportion.
Si la proportion de vocations dans la Fraternité est incomparablement supérieure à celle qui existe partout ailleurs, elle ne nous permet pas de faire face aux souhaits et aux besoins de développement.
On peut opposer à cette constatation attristante plusieurs arguments, sans doute. D’abord, Notre-Seigneur n’a jamais «promis» des vocations, à aucune société : il nous a laissé comme consigne à ce propos de «prier le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson», se réservant dans sa sagesse d’en accorder ou pas, d’en accorder plus ou d’en accorder moins. La Fraternité répond à cette injonction par sa «croisade de prière pour les vocations».
Ensuite, il a existé à la fin des années 70 un «effet de rattrapage» : des vocations qui ne s’étaient pas manifestées en raison de la crise des séminaires sont entrées à Écône lorsqu’elles ont connu son existence. Or, cet effet de rattrapage s’est naturellement tari au milieu des années 80.
La crise s’est aussi aggravée et, désormais, les vocations «naturelles» ou «spontanées» (naissant dans un milieu au moins sain sur le plan humain, mais loin de la Fraternité, et qui viennent à la Fraternité guidées par la grâce), se raréfient : en fait, la plupart des séminaristes, quand ce n’est pas la totalité, viennent des chapelles de la Fraternité, et même de ses écoles.
Manque de disponibilité
Il ne faut pas négliger non plus l’aggravation des sanctions ecclésiastiques (apparentes) en 1988, qui effraient les âmes, ni la concurrence évidente, surtout en matière de recrutement sacerdotal, des sociétés Ecclesia Dei ou assimilées.
Enfin, l’expérience montre que les prêtres des prieurés, parce qu’ils sont très chargés eux-mêmes, et parce qu’ils ont affaire à des familles peu disponibles en raison des distances, ont de réelles difficultés à suivre efficacement sur le plan spirituel les âmes attirées par la vocation, au premier rang desquelles les servants de messe. Il y a certainement là des vocations en friche qui peuvent se perdre.
Toutes ces raisons (et d’autres : la crise de civilisation, qui touche premièrement la jeunesse, etc.) sont vraies, elles donnent des principes d’explication (c’est un prêtre impliqué dans le ministère qui en témoigne ici, notamment en ce qui concerne la difficulté à trouver le temps de cultiver les vocations parmi les petits clercs), mais elles ne résolvent pas la question.
Quelles que soient les bonnes raisons qui l’expliquent, ce problème reste préoccupant, eu égard notamment aux besoins des fidèles, et au fait que nous souhaitons faire devant Rome la preuve de la fécondité de la Tradition.
Difficultés pour l’étude
Deuxièmement, parce que la crise actuelle est d’abord une crise de la foi, elle a besoin d’être combattue par des travaux théologiques de qualité.
La Fraternité Saint-Pie X n’a pas manqué de remplir son devoir, et de façon honorable, sur ce créneau-là. Trois documents de bonne tenue ont été remis à Rome au cours des vingt dernières années: les Dubia sur la liberté religieuse, Le problème de la réforme liturgique et De l’oecuménisme à l’apostasie silencieuse. Par ailleurs, les quatre symposiums sur Vatican II, les congrès Sì sì No no et d’autres études de qualité manifestent une capacité de production théologique tout à fait significative.
Mais, eu égard au nombre actuel de membres, eu égard à l’urgence de ce combat de la foi, la production théologique de la Fraternité reste encore insuffisante.
Selon le cardinal Journet, environ 10 % des étudiants ecclésiastiques sont capables d’études proprement universitaires et scientifiques (les futurs professeurs). En appliquant ce ratio, cela ferait environ 45 prêtres de la Fraternité qui devraient produire régulièrement des études théologiques. Malheureusement, c’est loin d’être le cas.
Cette insuffisance était logique au début de l’oeuvre : des prêtres jeunes, en petit nombre et chargés d’un ministère disproportionné en raison de l’urgence pastorale, ne pouvaient, en même temps, se consacrer facilement à l’étude.
Aujourd’hui, même si la charge pastorale reste grande, l’urgence a baissé, en raison du nombre des prêtres disponibles.
Or le travail théologique, pour le moment, n’a pas suivi en proportion.
Des prêtres trop sollicités
On peut opposer à ce constat des remarques intéressantes. Le monde moderne, notamment avec le développement du téléphone, rend beaucoup plus difficile qu’autrefois l’effort persévérant de concentration intellectuelle que réclament les fortes études théologiques. Un prêtre en ministère, même avec la protection du prieuré et une discipline personnelle, est (trop) fréquemment dérangé par la sonnerie du téléphone, qui brise l’élan de l’esprit.
Les longues heures de tranquillité qu’un curé de paroisse rurale connaissait autrefois se réduisent comme peau de chagrin dans un prieuré.
L’Histoire nous apprend également que l’Église de France mit près de soixante-dix ans à rebâtir une haute science ecclésiastique après la Révolution française. Il n’est donc pas étonnant que, seulement quarante ans après les débuts de la révolution conciliaire, la Fraternité ne soit pas encore parvenue à restaurer une haute science catholique.
Ces réponses sont certes justifiées. Cependant, étant donné l’enjeu de la crise actuelle, étant donné la nécessité d’études théologiques sur les principaux points en litige, il est dommageable (quand bien même personne n’en serait coupable) que la Fraternité ne dispose pas encore d’une pléiade de théologiens bien formés et productifs.
Les pays où la Fraternité ne perce pas
Troisièmement, il existe de nombreux pays où la Fraternité s’est développée de façon tout à fait satisfaisante. Citons par exemple notre pays la France, mais aussi l’Allemagne, les Philippines, les États-Unis, la Suisse, le Gabon, etc.
Il est d’autres pays où des distances immenses parcourues par des prêtres peu nombreux rendent en soi difficile, pour le moment, un développement rapide : citons l’Amérique du Sud, l’Australie, l’Europe de l’Est, l’Inde, etc.
Mais il est aussi des pays où la Fraternité est implantée depuis longtemps, possède des prêtres en nombre suffisant pour les lieux desservis, et où pourtant le développement de l’apostolat est extrêmement difficile ; des pays où la Fraternité n’arrive pas vraiment à percer, malgré les moyens mis en oeuvre : citons par exemple l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande, etc.
A ce constat, on peut sans aucun doute opposer des justifications et des réflexions sages. D’abord, beaucoup de ces pays difficiles sont de forte tradition catholique, avec un clergé d’apparence traditionnelle, qui a pris soin d’appliquer plus en douceur la révolution conciliaire. En sorte que les âmes, comme endormies, ne voient pas le danger et la crise.
Les Ecclesia Dei n’y percent pas non plus
Ensuite, on ne peut accuser d’inertie ou d’incompétence les hommes qui ont réalisé ou réalisent actuellement l’apostolat dans ces pays : au cours des années, ces prêtres ont été de différents tempéraments, ont abordé les problèmes avec divers points de vue et des méthodes apostoliques variées, ont travaillé avec courage, avec persévérance, et le plus souvent avec habileté et intelligence. Pourtant, aucun d’eux n’a réellement réussi à percer le mur de l’apathie.
Enfin, il faut remarquer que, depuis 1988, les sociétés Ecclesia Dei ne se sont pas développées non plus dans ces pays «réfractaires à la Tradition». Ces sociétés existent dans les pays où la Fraternité s’est bien développée, même si pas dans tous, mais n’existent pas, ou à l’état de traces infimes, dans les pays où la Fraternité a du mal à percer. Ceci montre que cette difficulté ne tient pas (exclusivement) à un tempérament «légaliste».
Mais là aussi, même si nous n’en trouvons pas l’explication dernière, même si aucun reproche ne peut être fait aux prêtres qui missionnent en ces pays (au contraire, leur courage et leur abnégation sont à saluer, car ils se dépensent avec un zèle ardent sans obtenir de résultats en proportion), cette situation de blocage ne manque pas d’être un peu préoccupante, dans la mesure où la Fraternité souhaite faire la démonstration devant Rome de l’universelle pertinence de la Tradition dans l’Église.
Un mystère?
Que penser alors de ces obstacles à l’expansion de l’apostolat? Sans aucun doute, il convient d’examiner si, en quelque manière, ils n’ont pas pour origines nos propres insuffisances et fautes. Et, si c’est le cas, il convient évidemment de s’en corriger.
Mais au-delà de ces faiblesses humaines, ne doit-on pas y voir le mystère même de Dieu? Peut-être le Seigneur, dans sa grande sagesse, ne veut-il pas que nous réussissions absolument dans toutes les parties de notre apostolat, et ce en dépit de notre bonne volonté? Peut-être veut-il nous maintenir ainsi dans l’humilité? Peut-être veut-il, par ces limites, nous rappeler que c’est lui qui sauvera l’Église, et non pas nous? Peut-être veut-il laisser à d’autres sociétés ou hommes, actuels ou à venir, la grâce de «moissonner dans la joie» là où nous aurons «semé dans les larmes»?
Après tout, un plus grand missionnaire que nous, et d’une sainteté parfaite, n’obtint pas du Seigneur tous les éléments qu’il jugeait utiles au «succès» apostolique : «C’est pourquoi, trois fois j’ai prié le Seigneur d’éloigner de moi cet aiguillon dans ma chair ; et il m’a dit : “Ma grâce te suffit ; car la force s’accomplit dans la faiblesse”« (2 Co 12, 8-9).
Grégoire Celier