Jean Madiran - Présent - 14 novembre 2001
Le cardinal Paul Poupard, «une des personnalités les plus influentes du Vatican», parlait apparemment sous le coup de l’émotion. Il est allé jusqu’à dire, dans Le Figaro de samedi 10 novembre 2001 : «C’est invraisemblable! Où sommes-nous? Jamais un État marxiste, léniniste et persécuteur n’a osé une telle atteinte!»
L’atteinte fut en effet odieuse : la saisie policière, à l’Officialité de Lyon, au mois d’août 2001, des demandes de nullité de mariage, et des confidences les plus intimes faites sous serment et garantie du secret. Mais les États marxistes, que l’on sache, ne se sont pas privés d’en faire autant et d’en faire davantage, jusqu’à imposer comme évêques, dans l’Église russe, des agents du KGB. L’essentiel, toutefois, n’est pas dans le lapsus oratoire du Cardinal. Il entend défendre «les lois internes de l'Église, que la République se doit de respecter». Pourquoi donc la République «se» devrait-elle de les respecter? Les lois internes de l’Église ne sont pas les lois de la République, qui ne reconnaissent qu’un principe: «La loi est l’expression de la volonté générale» (article 6 de la Déclaration des droits).
Le journal La Croix du lundi 12 novembre 2001 reprend à son compte l’argumentation aventurée selon laquelle le respect du «secret professionnel» de l’Église est «indispensable au fonctionnement même de la démocratie»; en défendant ce secret, les évêques de France «veillent à la santé de la démocratie». Ah !
Depuis la seconde moitié du XXème siècle, l’Église s’est mise à parler de la démocratie et des droits de l’homme comme si c’était elle qui les avait introduits dans le monde, alors qu’ils y ont été introduits contre elle. Non pas d’ailleurs la démocratie classique, qui consistait simplement à élire des dirigeants politiques : l’Église en tant que telle n’a jamais rien eu contre un tel régime, elle n’est ni pour ni contre, pas plus que pour ou contre la monarchie héréditaire ou la république aristocratique. Mais la démocratie moderne, la démocratie des droits de l’homme, la démocratie moralement obligatoire, exclusive et dominatrice, telle qu’elle est depuis la Révolution française, et telle qu’elle évolue selon sa loi propre, est celle du droit à l’avortement, du droit au divorce par consentement mutuel, du droit au mariage homosexuel, du droit à l’euthanasie, du droit de l’État à l’éducation des enfants.
Les hommes d’Église vont-ils continuer à se poser en défenseurs des « droits de l’homme » tels qu’ils sont devenus ? Ils sont devenus ce qu’ils étaient en puissance, et que l’Église avait dès le début exactement discerné : la charte de l’athéisme.
Le droit propre des tribunaux ecclésiastiques sur le mariage religieux, l’Église ne le tient pas des droits de l’homme ni des convenances démocratiques. Elle le tient de Dieu.
L’institution naturelle du mariage a été élevée par Jésus-Christ à la dignité et à la réalité d’un sacrement. Il me semble que c'est cela que la pastorale de Église aurait dû affirmer, développer, expliquer à cette occasion. L’expliquer, l’enseigner d’abord aux catholiques pratiquants, dont la plupart sont en train de le méconnaître ou de l’oublier.
L’institution naturelle du mariage a été élevée par Jésus-Christ à la dignité et à la réalité d’un sacrement. Il me semble que c'est cela que la pastorale de Église aurait dû affirmer, développer, expliquer à cette occasion. L’expliquer, l’enseigner d’abord aux catholiques pratiquants, dont la plupart sont en train de le méconnaître ou de l’oublier.
On comprend bien que l’Église a voulu parler au monde de l’athéisme un langage que le monde de l’athéisme puisse comprendre. Mais le langage de l’athéisme n’a pas converti les athées, il a déconverti les chrétiens. L’Église telle qu’on la parle, l’Église telle qu’elle se parle dans les médias, voile le véritable visage de l’Église telle qu’elle est, et telle qu’elle restera jusqu’à la fin des siècles : messagère non pas d’un humanisme, non pas du fonctionnement de la démocratie, non pas de la déclaration française ni de la déclaration universelle des droits de l’homme, mais de la double et unique loi de Dieu : celle du Décalogue, celle de l’Évangile. L’Église telle qu’elle est n’a jamais pu et ne pourra jamais admettre vraiment que la loi soit «l’expression de la volonté générale , sa mission est d’inviter les consciences personnelles, et la volonté générale elle-même, à reconnaître, honorer, respecter, aimer et appliquer la loi de Dieu. Avant de chercher à en convaincre les incroyants, et justement pour avoir une chance de les en convaincre, il faudrait peut-être commencer par le réapprendre aux catholiques pratiquants. Certes l’Église n’a point enseigné que la démocratie et les déclarations modernes des droits de l’homme étaient devenus des articles de foi. Mais elle l’a laissé croire. Sa pastorale, jouant sur l’équivoque, a souvent parlé comme si elle le croyait. Le démentir clairement sera l’effet d’une révision déchirante : on ne voit pas comment elle serait indéfiniment évitable.