SOURCE - Bernadette Sauvaget - Libération - 16 janvier 2017
Les travaux en vue de la démolition de l'édifice occupé jusqu'en août 2016 par des traditionalistes devraient bientôt démarrer. Mais la mairie du XVe arrondissement de Paris s'y oppose et cherche un repreneur.
Eglise Sainte-Rita : bientôt la fin du sursis ?
L’abbé est du genre tenace. Et même teigneux. Car il n’en démord pas. Figure des milieux tradis, électron libre flirtant avec l’extrême droite, Guillaume de Tanouärn espère toujours sauver «son» église Sainte-Rita, dans le XVe arrondissement de Paris, promise prochainement à la démolition. Et pour marquer son territoire, l’abbé, volontiers grande gueule, n’hésite pas à s’adonner aux prières de rue. «Pour Noël, on a célébré une messe aux flambeaux», raconte-t-il à Libération. Une bonne centaine de fidèles, selon lui, avaient répondu présent. «Pour une fois, il n’y avait pas de CRS», poursuit le curé autoproclamé de Sainte-Rita.
Jouxtant des bâtiments de l’Unesco, le lieu de culte, dans ce style néogothique qu’affectionnait le XIXe siècle, est muré depuis son évacuation mouvementée – et soigneusement instrumentalisée – en plein cœur de l’été, le 3 août. Un peu ébréchée, la rosace de la façade est devenue le refuge des pigeons. A Sainte-Rita, ce sont eux désormais les squatteurs et la rue François-Bonvin a retrouvé son calme bourgeois. L’abbé, lui, fait la quête. Pour rassembler quelques millions d’euros (le promoteur, la société Garibaldi, garde jalousement secret le prix auquel elle serait prête à transiger) qui lui permettraient de racheter le bâtiment. D’après ce que le prêtre accepte lui aussi d’en dire, il aurait déjà en poche de quoi être confiant.
Orthodoxes
Suffisant ? Rien n’est moins sûr. Le feuilleton Sainte-Rita, qui dure depuis cinq ans, risque bien de rebondir. Car, chez le promoteur, ce n’est pas tout à fait le même son de cloche. Par l’intermédiaire de son porte-parole, Johann Fourmond, la société Garibaldi affiche une certaine impatience et promet d’engager prochainement le travail de désamiantage du bâtiment, prélude à sa démolition. «Pour le moment, nous n’avons pas reçu de projet concret de reprise du site», déclare Johann Fourmond.
Après la polémique qu’avait suscitée l’évacuation, le maire du XVearrondissement, Philippe Goujon (LR), avait obtenu une sorte de sursis. «Je suis opposé à la démolition de Sainte-Rita et je mettrai tout en œuvre pour que cela n’arrive pas, explique-t-il à Libération. En tant que maire, je me dois de défendre le patrimoine de mon arrondissement.» Donc Goujon a fait le go-between entre d’éventuels repreneurs et le promoteur. Reçu deux fois par le maire, l’abbé de Tanouärn, en fait, n’est pas le seul sur les rangs. Quelques communautés chrétiennes orthodoxes se seraient, elles aussi, intéressées au dossier. Mais pas le diocèse de Paris… «Le cardinal Vingt-Trois m’a fait savoir qu’il n’avait pas les moyens financiers de racheter Sainte-Rita», affirme Philippe Goujon. L’Eglise catholique est surtout déjà très bien pourvue en lieux de cultes dans ce coin de la capitale.
Bénédictions d’animaux
Si l’histoire de Sainte-Rita est aussi mouvementée, c’est bien parce qu’elle n’a jamais été officiellement un lieu de culte catholique. L’édifice a toujours été occupé et géré par des groupes dissidents. Depuis les années 90 s’y était installée une obscure «Eglise catholique gallicane», célèbre surtout pour les bénédictions d’animaux auxquelles se livrait son chef, un certain Mgr Dominique Philippe. Au printemps 2015, la petite troupe avait abandonné les lieux, vendus par son propriétaire depuis plusieurs années au groupe immobilier Lamotte (Garibaldi est une de ses filiales).
C’est à ce moment-là qu’est entré en scène l’impétueux abbé de Tanouärn et ses affidés, plus ou moins fréquentables. Les uns et les autres ont trouvé des alliés. Et pas que politiques ! Sans qu’ils ne soient des fidèles de l’église, une majorité d’habitants du quartier s’oppose, semble-t-il, à la disparition du lieu de culte. «Nous avons la loi pour nous», répond-on chez Garibaldi. L’affaire est remontée, l’été dernier, jusqu’au Conseil d’Etat, qui a tranché en faveur du promoteur. «La préfecture de police a profité que je sois en vacances pour procéder à l’évacuation», s’insurge encore aujourd’hui Philippe Goujon. Le choix de la date, le 3 août, était, de fait, assez malencontreux. L’évacuation est intervenue une semaine à peine après l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. De la droite à l’extrême droite, les identitaires ont battu le fer, chantant le refrain : «En France, on construit des mosquées mais on détruit des églises.» L’argument pourrait bientôt ressurgir…