SOURCE - Abbé Claude Barthe - Le Forum Catholique - 11 février 2007
QUESTION de Réginald
M. l'abbé, je me permets de vous reposer les deux questions que j'avais soumises à l'abbé Ribeton. Indépendamment de toute problématique spécifiquement canonique, cette position me semble appeler les questions théologiques suivantes :
1. si vous jugez impossible en toute circonstance, pour un prêtre, la célébration de la messe selon les livres de 1969, ce ne peut être que parce qu’une telle célébration comporte une déficience objective, quoi qu’il en soit des intentions subjectives du célébrant. Parfois, on entend dire que les prêtres de la F.S.S.P. revendiquent simplement le droit à une sorte de « témoignage » contre les abus liturgiques ; mais vous conviendrez avec moi qu’une telle justification est bien imprécise, et surtout insuffisante, surtout lorsqu’il s’agit du culte que l’Église rend à son Époux. Pouvez-vous, par conséquent, dire clairement si une célébration selon le N.O.M., conforme en tous points aux rubriques, et même, si cela peut clarifier le débat, en langue latine et versus Deum, constitue oui ou non un désordre moral objectif, et, dans l’affirmative, quelles vertus sont alors blessées ? S’agit-il de la vertu théologale de foi, de la religion, de la prudence, d’autres vertus encore ? Et de quelle manière théologiquement précise se réalise le manquement aux vertus concernées ? Pensez-vous que la messe célébrée quotidiennement par le Saint Père est affectée, oui ou non, de ce désordre ou manquement objectif ? Et si vous pensez, en revanche, que la célébration du N.O.M. ne constitue, de soi, aucune faute matérielle, comment justifiez-vous alors votre choix de ne jamais utiliser ce rite ?
2. Du côté du rite lui-même, en quoi consiste précisément et formellement le defectus qui, à vos yeux, en exclut la célébration ou concélébration ? Cette déficience est-elle d’ordre strictement dogmatique, ou théologique, ou simplement culturelle ? Si elle est dogmatique, comment est-elle conciliable avec l’indéfectibilité de l’Église ? Si elle est théologique, à quel degré et de quelle manière vicie-t-elle la célébration ? Et si elle est seulement culturelle, pourquoi implique-t-elle la nécessité de ne jamais utiliser ce rite ?
Je vous remercie très vivement de répondre à ces deux questions, qui, par delà toutes les querelles de personnes, sont au cœur des controverses qui divisent le monde Ecclesia Dei.
Réginald
REPONSE de l'abbé Claude Barthe
Le NOM : une liturgie molle pour un magistère incertain
Cher Réginald,
Vous excuserez mon retard, mais voici enfin un petit moment pour répondre à vos deux questions. Je pense le faire en substance, même si je suis un peu bref :
1°/ Comme vous le savez, Léon XIII, dans Apostolicae curae, a distingué, à l’intérieur d’une liturgie sacramentelle, entre la « partie cérémoniale » (l'ensemble de la cérémonie) et la « partie essentielle » (forme et matière). (Il a déclaré nulles les ordinations anglicanes, au motif que la « partie cérémoniale » hérétique de l’ordinal anglican faisait perdre à la « partie essentielle » sa signification sacramentelle).
ans le NOM, la « partie cérémoniale » est suffisante pour assurer la validité (dès lors que sont, en gros, respectées les indications – plutôt que les « rubriques » – du missel de Paul VI), mais elle est, en revanche, déficiente par rapport à celle du rite traditionnel. Cette déficience de l’ensemble de la cérémonie se trouve, selon moi, dans la « valeur ajoutée », ou plus exactement dans la « valeur retranchée ». Plus précisément encore, il n’y a pas, dans le NOM (je parle toujours d’une messe célébrée grosso modo comme dans le livre), un défaut de signification de l’action du Christ (au sens où le rite signifie la grâce qu’il produit), mais il y a un défaut d’explicitation de l’action du Christ, à savoir de la reproduction non sanglante du sacrifice de la Croix. Et de ce fait, je placerais la déficience du NOM en premier lieu du côté de la confession de foi (en ajoutant que la vertu de religion est moins servie, la vertu de justice, moins remplie). Une déficience dans la confession de la foi se juge, moralement, du côté du contenu de la confession et, plus délicatement, du côté de celui qui est tenu à faire cette confession.
a) Sur le contenu du NOM, et pour faire bref, j’estime pour ma part que, dans les innombrables variantes de sa célébration (sinon en soi, en tout cas comme remplaçant le rite antérieur, dans le contexte contemporain de sécularisation, dans le cadre d’une pastorale œcuménique, etc.), il a une valeur concrète d’immanantisation du message liturgique. Spécialement, par rapport au rite romain tridentin et aux différents rites catholiques orientaux, la doctrine du sacrifice propitiatoire, l’adoration de la présence réelle du Christ, la spécificité du sacerdoce hiérarchique et généralement le caractère sacré de la célébration eucharistique s’y trouvent exprimés de manière nettement plus faible que dans le rite traditionnel. Le premier point (la moindre explicitation par le NOM du caractère de sacrifice propitiatoire de la messe), y compris, pour rejoindre les termes de votre question, dans une célébration en latin, digne, etc., est le défaut le plus saillant. Les moines de telle abbaye qui ont célébré pendant un temps le NOM, en latin, vers le Seigneur, sans concélébration, etc., avant de revenir au rite traditionnel vous le confirmeront.
Ces carences du NOM relèvent de l’évidence. Dernier témoignage en date, celui du cardinal Castrillon, dans le bulletin diocésain de Bogota, témoignage auquel il ne faut pas faire dire plus qu’il ne dit, mais qui dit tout de même ceci : « La nouvelle liturgie a-t-elle été un remède? Avant, nos églises étaient-elles pleines ou vides ? Elles ont été dépeuplées ! Il est évident que ce n’est pas seulement à cause de cela, mais la messe a été transformée en un rite du monde parmi d’autres et brutaliser le sacré est une chose grave. On a oublié le sens du “Sacrifice”. L’Eucharistie mène à la Résurrection, mais en passant par la Passion et la Mort ».
b) Du côté de la personne, le prêtre célébrant le NOM à la place du rite traditionnel, la déficience dans la confession de la foi est relative à bien des éléments (spécialement sa connaissance de la défaillance du rite), aux fidèles auxquels il s’adresse, et plus globalement aux circonstances (par exemple, pays où s’est publiquement posé le problème).
Bien qu’il n’y ait pas un rapport comme mathématique entre la liturgie et la foi, il est évident que la teneur « démagogique » du nouveau rite (démagogique dans le gommage d’éléments déplaisants pour les hommes d’aujourd’hui ; démagogique dans l’anti-ritualisme de sa forme, multiple et remultipliée par des options à l’infini, des traductions innombrables) est en rapport étroit avec la visée « démagogique » des éléments de Vatican II les plus modernes (dans le contenu : présentation ambiguë de la doctrine de l’Église dans les domaines où l’on veut ne pas nier une certaine légitimité d’autres croyances ; dans la forme : mode « pastoral », c’est-à-dire s’abstenant, au moins sur ces points, de faire obligation de croire). Autrement dit, tant le NOM en soi (s’il existe un NOM en soi…), que la célébration du NOM (pour qui remplit les conditions morales de devoir ne pas le célébrer), représentent une adhésion à ce qui dans Vatican II constitue un fléchissement devant le monde moderne.
2°/ Ma réponse à votre deuxième question vous est déjà implicitement donnée. Si le NOM était à strictement parler lex orandi, loi de la prière, l’existence de cette déficience dans son contenu serait une véritable régression dans cette lex orandi, aussi impensable qu’une régression dans la lex credendi, dans le magistère comme tel. La déficience en question n’est justement compatible avec l’indéfectibilité de l’Église que parce que le NOM n’est pas présenté, au sens plein du terme, comme une loi de prière, comme une lex orandi.
De même que la multiplicité des lectures possibles du Concile, pratiquement contradictoires, découle de son caractère « pastoral », toutes choses égales, la nouvelle liturgie, qui n’a plus l’armature rituelle correspondant dans le culte à l’armature dogmatique dans le magistère comme tel, ne veut pas s’exprimer à la manière d’une loi de prière correspondant à une loi de la foi. Dit autrement : à un enseignement qui se veut « seulement pastoral » et non obligatoire, correspond une liturgie qui ne prétend pas être une borne infrangible de la foi. À magistère flou, liturgie inconsistante.
Ce qui pose un problème, comme je l’ai dit en répondant à Candidus à propos du Concile, beaucoup plus complexe que le syllogisme sédévacantiste (et beaucoup plus intéressant pour le développement de la réflexion, spécialement à propos de la nature exacte du magistère ordinaire et universel et de son articulation avec la discipline universelle de l’Église, canonique, liturgique, etc.). Lequel problème est actuellement – et peut-être, d’une certaine manière, depuis l’origine – en train d’être dépassé, dans la mesure où l’autorisation du rite romain en deux états successifs (la forme ancienne étant déclarée n’avoir jamais été abolie, situation historiquement inouïe), est bien le signe que les novations n’engagent pas l’autorité de la foi.
Ce fait que la messe traditionnelle retrouve ainsi progressivement « droit de cité », est analogiquement aussi important que le fait que les points discutables du Concile soient progressivement considérés officiellement comme discutables (selon les déclarations successives demandées par la Commission Ecclesia Dei : hier, discutables « sans polémique » ; aujourd’hui, discutables « de manière constructive » ; demain, tranquillement et officiellement discutables).