SOURCE - Generation FA8 - 7 juin 2010
Cette semaine nous recevons Monsieur l’abbé Paul AULAGNIER. Ordonné par Monseigneur LEFEBVRE, il fut l’un des premiers membres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Il en fut exclu en 2004 et est désormais membre de l’Institut du Bon Pasteur, de droit pontifical.
Nous le remercions d’avoir répondu à nos questions.
GENERATION FA8 : Bonjour Monsieur l’abbé. Tout d’abord serait-il possible que vous vous présentiez à nos lecteurs ne vous connaissant pas encore ?
Oui ! Je fus le deuxième prêtre ordonné par Mgr Lefebvre dans le cadre de la FSSPX – après un prêtre anglais, Peter Morgan - au titre de mon diocèse d’origine, le diocèse de Clermont. Mgr de La Chanonie, évêque de Clermont à cette époque, - nous étions en 1971 - donna à Mgr Lefebvre, qui ne pouvait pas encore incardiner dans la Fraternité, bien qu’elle soit reconnue de droit diocésain, les lettres « démissoriales » nécessaires pour une ordination sacerdotale et accepta que je reste au service exclusif de Mgr Lefebvre et de son oeuvre. Cet accord s’est fait par courrier. Je suis resté alors trois ans au séminaire d’Econe, de 1973 à 1976 Là, j’assistais à toutes les conférences spirituelles données par Mgr Lefebvre, le soir, aux séminaristes cherchant à m’imprégner de son esprit et à bien comprendre les raisons de son attitude dans l’Eglise suite au Concile Vatican II. Déjà en 1969, à Fribourg en Suisse, nous avions, comme séminaristes, le bonheur de l’entendre souvent, non seulement en conférences mais de le voir dans le quotidien de la vie, à table pour les repas, en récréation qu’il prenait avec nous, dans les promenades que nous faisions ensemble. Que d’échanges possibles, d’autant qu’il n’était nullement « taiseux » comme disent les belges mais, au contraire, très « gai » et « communicatif ». Nous apprenions beaucoup à son contact. Il aimait la simplicité, - il était simple lui-même – il aimait la cordialité. Il était très indisposé par la vulgarité ou même l’indiscrétion. Après 1976, il me nomma supérieur du District de France qu’il fondait, pour trois ans renouvelables. Que donnerais-je sans expérience ? Il était « prudent et pragmatique ». Je me suis installé avec plusieurs confrères et le noviciat des frères au prieuré de Notre Dame du Pointet. Ce fut de belles années, deux belles années. Avec le frère Dominique, un belge, nous avons parcouru les villes de France pour faire connaître l’œuvre de Mgr Lefebvre. Nous nous sommes initiés aux premières relations publiques avec les nombreuses associations saint Pie V, saint Pie X qui avaient vu le jour pour la défense de la messe suite à la promulgation de la Nouvelle Messe de Paul VI, le 3 avril 1969. Nous étudions auprès des anciens, M l’abbé Dulac, M l’abbé Coache, le Père André, le Père Barbara et bien d’autres, comme le père Calmel, le Père Guérard des Lauriers, les raisons de notre « combat liturgique ». Nous étions admiratifs des études que publiait Jean Madiran dans Itinéraires. Les articles de Melle Luce Quenette dans cette revue nous enchantaient. J’ai pu lire le livre de Xavier Da Silva : « La Nouvelle Messe de Paul VI : qu’en penser » publié par la diffusion de la Pensée Française mystérieusement retiré de la circulation. Je n’ai jamais su pourquoi. Il était pourtant fameux. Il fallait « s’armer », le combat allait être dur et long. Au sujet de ces contacts avec les associations saint Pie V saint Pie X, j’aime à saluer aujourd’hui encore M Saclier de La Battie. Avec lui, au milieu des représentants de ces associations, je me rappelle avoir prononcé à Poitiers, le serment anti-moderniste. Avec quelle conviction ! Avec quelle joie ! L’union des cœurs était profonde.
Après avoir suivi les travaux de restauration d’une grande partie du prieuré, alors presque en ruine, disons, sans grand confort ! Mgr Lefebvre me demanda de m’installer à Paris. Nous étions en 1978. Là, avec mon confrère, M l’abbé Groche, économe, nous avons structuré administrativement et juridiquement le district. Ce n’était pas une mince affaire, d’autant que Mgr Lefebvre faisait une totale confiance et intervenait peu. La Providence me permit de rencontrer les personnes « ad hoc », d’abord Maître Le Griel, M Lacoste Laremondie, aujourd’hui décédé puis Maître Hardy, aujourd’hui à la retraite, Maître Roissard, notre avocat. Car nous étions lancé, à cette époque, dans l’aventure de la fondation des écoles catholiques hors contrat. Les difficultés juridiques, administratives furent nombreuses. Tout cela me passionnait, m’enchantait. J’aimais les difficultés. J’étais servi ! Avec les écoles secondaires à créer, il fallait penser à fonder les prieurés pour accueillir les prêtres qui, chaque année, sortaient nombreux du Séminaire. « Cadriller la France au plus menu » était notre « politique ». Certains en étaient énervés. Je n’en comprenais pas les raisons. Ce travail était fait pour le bien de la Tradition.
Ce temps fut aussi le temps des grandes années des réunions d’Amitiés françaises, à la « Mutualité » à Paris, les années des beaux pèlerinages de Chartres, lancés par Romain Marie. Je dois confesser que j’étais un peu en retrait de ces « Mutualités », de ces pèlerinages qui ne cessaient de grandir. J’en comprenais le bien mais j’étais inquiet. Je trouvais qu’il y avait un risque de confusion du « politique » et du « religieux ». Romain Marie étant très politique. Quel était le rôle du « politique » ? Quel était le rôle du religieux ? Quel était le rôle des laïcs, des prêtres ? Rien ne paraissait clair. N’y avait-il pas un risque d’amalgame d’avec un mouvement politique qu’on ne pouvait contrôler. L’attitude de Romain Marie me paraissait « équivoque ». L’Eglise catholique a une doctrine politique. Le mouvement de Jean Ousset, « la Cité Catholique », l’avait dans les années précédentes « vulgarisée » en France et ailleurs. Mais je pense que l’Eglise n’a pas à « s’accoquiner » à un parti politique. Elle veut créer une civilisation catholique, la Cité catholique. La messe en est le cœur et le principe. Mais elle doit rester au-delà des parties me semble-t-il, sans s’affilier à quiconque. L’allusion, en 1976, au général Pinochet, faite par Mgr Lefebvre lors de son homélie en la fameuse messe de 1976 à Lille, n’eut pas le meilleur des effets. Ce n’était pas clair dans le cas du pèlerinage. C’était la raison de ma réserve. Elle me fut reprochée et par Dom Gérard et par Romain Marie et par certains de mes confrères assez influents. Je pensais même que mon temps était compté à la tête du district de France. Non point que Mgr Lefebvre m’aurait immédiatement changé de son propre chef. Non ! Mais les influences sont grandes et font sentir souvent leur poids. Et puis j’aurais peut-être été obligé de donner ma démission, moi-même. J’y pensais à l’époque comme j’y ai pensé en 1976 lors de la « cabale » du corps professoral à Ecône, s’opposant à la déclaration de Mgr Lefebvre du 21 novembre 1974. Je reste convaincu que les sacres faits par Mgr Lefebvre en 1988 arrêtèrent tout dans l’œuf. Toutefois je pense que le conflit perdura avec les problèmes rencontrés ensuite avec « Renaissance Catholique » qui fut une suite des mouvements de Romain Marie, même après le décès de Mgr Lefebvre, le 25 mars 1991. Mon souhait pourtant était bien de chercher à m’entendre avec ces laïcs dévoués, mais dans la clarté et hors de toute influence libérale. Si M l’abbé Boivin devenu l’aumônier du mouvement, en remplacement de M l’abbé du Chalard, qui, n’étant pas du district de France, ne pouvait exercer ce rôle, avait pu tenir malgré le surcroît de travail, mais sa santé le trahit, il lui manqua peut-être aussi l’énergie nécessaire, le coup de rein qui fait remporter la victoire, les relations, je pense, se seraient améliorées. Les membres du mouvement de « Renaissance catholique » me faisaient porter moralement le poids des difficultés. Ils n’avaient pas ainsi à s’opposer à Mgr Lefebvre. C’était plus simple. Je connaissais pourtant la pensée de Mgr Lefebvre sur les hommes et le mouvement. Je peux vous dire que Mgr Lefebvre était bien plus rigide que moi en cette affaire. Il disait même à certains qu’il ne me comprenait plus. Il me trouvait moi-même libéral. C’était du moins ce qu’on me rapportait. Je ne l’ai jamais bien cru ! L’autorité doit ou se taire ou parler à l’intéressé. C’est une affaire de justice. Autrement c’est le désordre. Mgr Lefebvre aimait l’ordre. Il savait bien dire ce qu’il pensait et n’avait pas besoin d’intermédiaire. Quoi qu’il en soit, le « clan » de mes opposants passa de l’autre côté de la « rivière » avec les sacres. L’air devenait plus pur. Je pourrais même écrire « l’aire ». Aujourd’hui, je dois dire que les raisons des difficultés, jadis rencontrées, ne me semblent plus exister. Les choses sont devenues claires et du côté de Romain Marie qui mène un combat exemplaire dans ces différentes associations qu’il dirige et du côté de « Renaissance catholique ».
Il me restait encore quelques années à faire, mon troisième mandat de six ans ne se terminant qu’en 1994. Dans ces dernières années, j’ai eu la joie d’organiser pour l’honneur de nos martyrs de la Révolution Française, la « manifestation du 15 août 1989, avec M Brigneau. L’initiative en revenait à M l’abbé Coache. Pour le seconder, il voulait prendre des personnalités de renom, comme M Michel de Saint Pierre, que le Bon Dieu rappela à Lui. Ce fut M François Brigneau qui accepta de le remplacer. Monsieur l’abbé Coache me confia l’affaire. Ce que Mgr Lefebvre craignait « Cette opposition directe et frontale à la République n’est pas la meilleure des choses, me dit-il un jour. Ce n’est pas ma manière de faire… ». Cette réflexion m’étonna d’abord mais resta dans mon cœur. Qu’a-t-il fait, lui, me disais-je, avec Paul VI ? L’affaire était lancée, alors avec Brigneau, lui surtout ; nous avons parcouru la France, deux ans durant et parlé de nos martyrs, de la philosophie des Droits de l’Homme sans Dieu. Philippe Hedui, M Triomphe, Melle Emily me secondèrent fortement. C’est Philippe Hédui qui composa le beau texte relatant l’histoire de France, qui fut lu l’après midi du 15 août juste avant la procession. Malheureusement le bruit du vent n’en facilita pas l’audition. C’était bien dommage. Ce fut une aventure extraordinaire. Un journal « L’anti 89 » fut publié et animé, comme vous le savez, par la plume vive et passionnante de Brigneau. Les fidèles furent au rendez-vous, le 15 août 1989. Quel monde ! « Renaissance catholique » me donna in extremis un bon coup de mains. Heureusement !
En 1992, M l’abbé Schmitberger me signifia qu’il ne renouvellerait pas mon mandat en 1994. Pour la petite histoire, le sien devait aussi prendre fin à la même date. Les douze ans de son mandat « étant accomplis ». Un chapitre général électif devait être convoqué à cette date, en 1994. Il devait penser, lui, qu’il serait reconduit dans ses fonctions puisqu’il pensa pouvoir me signifier la fin de mon mandat, sinon il imposait sa volonté à son successeur. Ce qui n’est pas très élégant. Ce que son successeur pouvait ne pas suivre. Quand son successeur fut connu, je savais qu’il n’en ferait rien, malgré la demande instante que M l’abbé Bonneterre lui adressa à cette fin et dont il prit connaissance juste avant la tenue du nouveau conseil général – je pourrais lui dire même l’endroit - où se trouvait réunis comme assistants, Monsieur l’abbé Schmitberger et votre serviteur, tous deux nouvellement élus par le chapitre général, pour procéder aux nouvelles nominations. Si mon mandat de supérieur de district de France prenait fin, je démarrais mon troisième mandat d’assistant général pour 12 ans. Qui devait me conduire jusqu’en 2007.
Je m’installais alors à Mulhouse sans plus grande responsabilité devant apprendre l’anglais ! Peine perdue. J’ai pu alors demander, un an plus tard, mon installation comme prieur à Gavrus en Normandie, le poste se libérant. Là, la Providence me permit de vivre les plus belles années de mon apostolat sacerdotale avec les beaux combats du Chamblac et de Lisieux, combats que je raconte dans mes livres. Pèlerinages qui malheureusement furent combattus par le nouveau supérieur de District ainsi que par la Maison Générale.
C’est aussi à cette époque, un peu avant, un peu après, que le Cardinal Ratzinger, le cardinal Stickler parlaient nettement en faveur de la messe tridentine. C’est alors que je conseillais, en tant qu’assistant, de reprendre des contacts avec Rome pour « normaliser » notre situation canonique. J’insistais fortement. Je souhaitais que la Fraternité suive l’exemple de nos amis de Campos au Brésil qui, en janvier 2001, acceptaient la création d’une administration apostolique, où étaient affirmés et l’usage exclusif de la messe tridentine et l’exemption vis-à-vis de l’autorité locale. Ces conditions auraient été acceptées, j’en étais convaincu, par Mgr Lefebvre. Je le faisais savoir. Je n’ai pas pu ne pas aller assister à la « normalisation » de la situation canonique de nos amis de Campos avec Rome. Je garde dans mon cœur cette cérémonie de « réconciliation ». Un geste inoubliable. Je revois le cardinal Castrillon Hoyos lisant solennellement le décret de la « normalisation ». Comment mes confrères n’ont-ils pas vu l’importance de la chose ? La messe, l’exemption : une situation en or pour l’apostolat. J’ai fait comprendre ma déception. Il me restait juste le temps de créer l’agence de Presse « DICI » et le Bulletin « Nouvelle de Chrétienté » m’inspirant de la revue créée par Dom Guillou qui publiait les documents romains et de partir à Bruxelles où je passais un an plein au cours duquel j’ai donné ma démission « d’assistant du Supérieur général », en 2002, ne voulant pas cautionner une « politique » qui, pour moi, si elle devait se poursuivre, aurait les pires conséquences. Je n’étais plus rien dans la FSSPX. On me demanda de prendre une année sabbatique au Canada. Ce que je fis. Et comme j’ai eu la « témérité » de donner une communication à un journal américain où j’exposais clairement ma position sur la nécessaire « normalisation » avec Rome, on me signifia mon exclusion de la FSSPX. Je suis revenu en France. J’ai contesté l’irrégularité de la procédure, et me considère toujours membre de la FSSPX. J’ai essayé de faire valoir mon droit lors du chapitre général de 2007. Je fus de nouveau éconduit. Comment pouvoir faire recours à Rome qui ne reconnaît pas la FSSPX ?
GENERATION FA8 : Pourquoi avoir fondé l’Institut du Bon Pasteur ? Quels sont ses moyens et ses activités ? Regrettez-vous d’avoir participé à sa fondation ?
Je suis resté deux ans à Vichy, chez des amis, de 2003 à 2005, date à laquelle M l’abbé de Tanouärn fondait le Centre saint Paul à Paris. Il me demanda mes services, ce que j’acceptais volontiers. Du 1er mai 2005 jusqu’à la fin de l’été 2006, je crois, je suis resté à Paris. Je résidais dans un petit appartement à Courbevoie. Durant cette période, mes confrères, M les abbés Laguérie, Heris et de Tanoüarn furent, eux aussi éloignés de la FSSPX. Ils ne pouvaient rester longtemps dans cette absence de situation canonique. C’’est alors que M l’abbé Laguérie se mit à écrire les statuts de l’Institut du Bon Pasteur ; Connaissant le cardinal Castrillon Hoyos et certains membres de son « staff », un rendez-vous fut pris au printemps 2006. Les statuts lui plurent. Nous retournons à Rome en septembre 2006 et le 8 septembre, les statuts sont approuvés par Rome. L’Institut était reconnu de droit pontifical avec l’usage exclusif de la messe tridentine et la possibilité de « discuter » le concile. Tout le monde était heureux. Un cadre juridique était clairement donné permettant à mes confrères d’exercer tout leur savoir faire. Un séminaire était crée en France. Le premier séminaire « traditionnel » était reconnu par un évêque, l’évêque de Chartes, Mgr Pansard, disons, il ne put le refuser. La Providence a permis d’agir tranquillement. Voilà trois ans qu’il tourne. Et tourne bien. C’est un bon gage pour l’avenir. Vous avez enfin le Centre saint Paul qu’il n’est plus besoin de présenter ainsi qu’une belle paroisse personnelle à Bordeaux, la paroisse saint Eloi. Des ordinations sacerdotales vont encore avoir lieu le 10 juillet avec la présence du cardinal, Préfet de la Congrégation de la Liturgie à Rome, ce qui est très important, surtout après les incidents qui ont suivi la diffusion de l’émission « les infiltrés » sur F2, le 24 avril. Rome ne recule pas devant des « agitations » ni les « agitateurs révolutionnaires ». Ce qui est très important. Nous avons enfin un bon confrère en Amérique du Sud qui fait du bon travail. C’est un vrai agent recruteur de vocations. Il envoie de nombreuse et intelligentes vocations à Courtalain, le lieu du séminaire. Il faut enfin noter la fondation de l’Angelus. L’abbé responsable de cette œuvre, M l’abbé Spinosa, s’y prend très bien pour la faire connaître. Il y a toutes chances que ça marche . Il ouvre son école dès septembre prochain. Enfin l’Institut du Bon Pasteur a pu « négocier » avec Mgr Eric Aumonier un apostolat à l’extrémité du diocèse dans la belle petite église de Rolleboise pour « un groupe » de traditionalistes attachés à la Messe tridentine. La foi et la joie y règnent, aussi l’apostolat s’étend. Il m’est confié. Je ne regrette pas d’avoir contribué à la fondation de l’Institut. Mais je n’en suis pas membre canoniquement parlant, du moins, pas pour l’instant. Je veux rester dans le cadre de ma situation antérieure : être du diocèse de Clermont mis à la disposition de la FSSPX. Je ne suis pas une girouette. Mais mon « retour » dans la FSSPX me semble aujourd’hui encore assez problématique. C’est une grande peine pour moi. La seule ombre au tableau de l’Institut : il eut fallu que nous ayons « l’exemption juridique », ce que demandait Mgr Lefebvre dans sa lettre remise au cardinal Gagnon en novembre 1987, après sa visite canonique des œuvres de la FSSPX et des œuvres proches. C’est ce qu’a pu obtenir Mgr Rangel pour la trentaine de prêtres de Mgr de Catro Mayer à Campos au Brésil. M l’abbé Laguérie, en rien canoniste, n’en comprenait pas l’importance. Il le regrette aujourd’hui devant les difficultés qu’il rencontre devant les évêques diocésains. Il nous faut leur accord explicite pour fonder. Mais les choses changeront peut-être plus tôt qu’on ne le pense. Le problème du nombre de prêtres va se faire terriblement sentir d’ici peu d’années.
GENERATION FA8 : Aujourd’hui, comment jugez-vous le pontificat de Benoît XVI ? Avez-vous été marqué par le discours de Ratisbonne lors duquel le Souverain Pontife a déployé sa haute intelligence ?
Votre question est d’une certaine manière étonnante. Je n’ai pas à juger le pape ni son pontificat. Ce n’est pas de ma compétence. Ce serait outrecuidant de le faire. Qui suis-je ? Personne ne peut juger le pape. Personne est au dessus du pape. Il est le vicaire du Christ. Il est l’autorité suprême. Aussi dois-je le vénérer et prier pour lui afin qu’il soit fort pour faire face aux « loups » - les « médias » et autres - qui hurlent contre lui et voudraient l’impressionner pour qu’il cesse de proclamer iterum et iterum la parole de vérité qu’il a pour mission de transmettre. « Pierre confirme tes frères dans la foi ». Cette précision importante étant faite, je dois dire que c’est avec beaucoup de joie et de contentement que je constate le travail lent et patient mais déterminé que mènent le pape, et ses collaborateurs, pour la restauration de la liturgie dans l’Eglise. La liturgie est capitale pour la vie de l’Eglise. La liturgie est liée à la Tradition, aux dogmes de la foi. « Lex orandi, lex credendi » C’est par la liturgie restaurée que l’Eglise et ses prêtres retrouveront l’amour de la Tradition, ce trésor. C’est en unissant liturgie et tradition que cesseront dans l’Eglise toutes ces « improvisations » qui ont fait tant de mal aux célébrations liturgiques. Et qui, pour beaucoup, sont cause du vide de bien de nos églises. Aussi quand je vois le pape célébrer la messe, dans la chapelle Sixtine face au tabernacle, retrouvant une tradition millénaire, quand je vois le pape distribuer la sainte Eucharistie, place des Invalides en France, non plus dans la main, mais les fidèles a genou, en signe d’adoration, je suis heureux. L’adoration de l’Eucharistie est très importante ! C’est du reste un point qu’il rappelait dans son fameux discours du 22 décembre 2005. Il citait saint Augustin disant « Que personne ne mange cette chair sans auparavant l'adorer;... nous pécherions si nous ne l'adorions pas" Il y a des gestes qui le permettent, des gestes qui l’empêchent. Et il expliquait très heureusement : « De fait, dans l'Eucharistie nous ne recevons pas simplement une chose quelconque. Celle-ci est la rencontre et l'unification de personnes; cependant, la personne qui vient à notre rencontre et qui désire s'unir à nous est le Fils de Dieu. Une telle unification ne peut se réaliser que selon la modalité de l'adoration. Recevoir l'Eucharistie signifie adorer Celui que nous recevons ». On ne peut parler plus clairement. Quand je vois qu’il restaure également la messe tridentine dans son Motu Proprio « Summorum Pontifcum » et qu’il lui donne même le qualificatif « d’extraordinaire », je suis très heureux. Voilà si longtemps que nous réclamions cette restauration de la part du Vicaire du Christ. Seul, il pouvait nous la redonner, il l’a fait. Ce Motu Proprio portera peut-être lentement tous ces fruits. Peut-être faudra-t-il plusieurs générations, mais le mouvement est lancé, il est inéluctable. On ne reviendra pas en arrière. Quand j’entends le pape dénoncer, discours après discours, le relativisme de la pensée moderne, et affirmer en opposition que l’intelligence est faite pour le vrai et que le vrai – Dieu est la vérité - est seul la source de l’équilibre moral, quand je l’entends demander que l’on revienne à l’étude de l’être, qui est la noblesse de la raison et source de réalisme qui seul permet de fuir le subjectivisme et la pensée cartésienne, comme dans son discours qu’il prononça à Ratisbonne, je me réjouis. Quand, dans ce même discours, je l’entends dire, face à tous les agnostiques présents ou absents qu’ « une raison qui est sourde au divin et repousse les religions dans le domaine des sous-cultures, est inapte au dialogue des cultures », je m’en réjouis. Ne condamne-t-il pas ainsi tout le laïcisme contemporain qui inspire si fort nos hommes politiques ? C’est là un aspect essentiel de la modernité. Ne condamne-t-il pas aussi par ses propos cette édification de l’Europe dont les responsables refusent de mettre Dieu et la religion chrétienne, si essentielle à l’Europe, au cœur de la constitution européenne ? Quand je vois que toutes ces idées ont un écho si fort dans l’église orthodoxe de Moscou et que les relations sont en train de s’améliorer au point que l’on entend parler d’une rencontre probable et même imminente entre Benoît XVI et le patriarche de Moscou, je m’en réjouis. Je comprends combien les critiques d’Hans Küng contre Benoît XVI sont injustes et misérables. La rencontre prochaine de Rome et de Moscou montrera le peu de fondement de sa critique. Il se déshonore. Quand je l’entends condamner si courageusement tout avortement et parler si hautement en faveur de la vie de la naissance à la mort naturelle, je m’en réjouis. Tout cela me fait comprendre pourquoi le « monde « est si déchaîné contre lui. Comme le disait un penseur, récemment : je comprends cette opposition, parce qu’il est peut être, le seul « contestataire » de la « modernité », non point du progrès matériel, mais du relativisme contemporain.
GENERATION FA8 : Récemment, des anglicans sont revenus dans le sein de la maison mère. Qu’en pensez-vous ? Certains dirent que ce retour justifie, d’une certaine manière, l’hérésie. Quelle est votre analyse sur ce point précis ?
Ce retour des anglicans, du moins de certains, est également pour moi une source de joie. Voilà, enfin un bon œcuménisme pratiqué, le retour dans l’Eglise, mère et maîtresse de toutes les églises, de ceux qui se sont éloignés. Hans Küng s’est honteusement levé contre, dans un article publié dans le Monde. Dans ce retour, moi, j’y ai vu un signe de bienveillance non seulement à l’égard de ces familles anglicanes qui refusent de suivre les dérives aberrantes de leur « confession », mais également à l’égard de la FSSPX. C’est juste au moment où débutaient les conversations entre Rome et la FSSPX que ce retour a été annoncé, que la forme canonique proposée a été révélée par Rome, comme pour dire : « voilà ce que le Vatican est prêt à vous proposer aussi, à vous ». Qu’est-ce que Rome demande aux anglicans, qu’ils confessent le Credo de Nicée et reconnaissent le pouvoir du Souverain Pontife. Ceci fait, ils pourront garder leur liturgie, jouir d’une exemption vis-à-vis de la juridiction des évêques locaux, résidents. Tout cela, encore une fois, était l’objet des demandes instantes de Mgr Lefebvre dans sa lettre du 8 novembre 1987 dont je parlais plus haut.
GENERATION FA8 : De la même manière, des discussions doctrinales ont été entamées entre Rome et la FSSPX. Ces discussions aboutiront-elles à quelque chose de positif pour l’Eglise ? Est-ce que le retour de la FSSPX dans le giron de Rome lui sera bénéfique ?
Je ne suis pas opposé, en soi, à des conversations théologiques. Lorsque j’étais encore supérieur du District de France, avec Dom de Lesquin, père abbé de Randol et dom Forgot, père abbé de Fontgombault, nous en avons organisées pendant trois ans. Quelques confrères de la FSSPX participaient à ces conversations, Les bénédictins avaient fait appel aux dominicains de Toulouse, le père de la Soujol, le père Bonino. Nous nous sommes retrouvés, je crois, une douzaine de fois, de 1992 à 1995, à différents endroits de France et nous parlions des sujets « qui font mal aujourd’hui dans l’Eglise ». La Maison Générale, à l’époque, ne semblait pas tout à fait d’accord, ainsi que plusieurs de mes confrères. Par ces entretiens, je voulais surtout éviter notre « isolement » il n’est pas bon, à la longue, de réfléchir toujours en surcuit fermé. Nous pouvions nous « scléroser ». Ce n’est donc pas le principe des discutions que je conteste. Mais je trouve, comme je l’ai dit plus haut, qu’elles pouvaient se mener une fois la « normalisation canonique » obtenue, d’autant que le Vatican voulait cette « normalisation » et était prêt à reconnaître « nos évêques » comme le Vatican le fit pour Mgr Rangel, en 2001, au diocèse de Campos, au Brésil. Cette présence de nos évêques était la nécessaire protection de la FSSPX. Ce qu’il fallait absolument obtenir de Rome. Je pense que la chose était possible. Mais aujourd’hui, ces conversations telles qu’elles sont menées, risquent soit d’être très longues soit même de ne pas aboutir à un accord. C’est à craindre. Je voudrais bien me tromper. Mais je ne vois pas comment ils pourront s’entendre sur « Nostra aetate », principalement sur la déclaration sur les Juifs, le chapitre 4 du document. Quand ils aborderont le § relatif à la « cause efficiente de la Passion » de NSJC, je ne vois pas de consensus possible. La FSSPX soutiendra la position de saint Thomas d’Aquin de laquelle s’éloignèrent un petit peu les pères conciliaires. C’est un exemple. Sur la liberté religieuse, le désaccord sera total. A moins que Rome accepte la solution proposée par M l’abbé Celier, exposée dans son livre « Benoît XVI et les traditionalistes ». Personnellement, je pense que la FFSPX pouvait se satisfaire des clauses proposées par Rome aux anglicans : la confession du credo, la reconnaissance du pontife suprême, en échange de la reconnaissance d’une administration apostolique avec droit exclusif de la messe tridentine et l’exemption par rapport à l’ordinaire du lieu. Ainsi, dans le « giron de l’Eglise », la FSSPX aurait pu donner toute sa mesure pour le bien de l’Eglise et pour son bien à elle. Rester seuls aussi longtemps, se croyant les seuls détenteurs de la vérité, et un peu comme les censeurs de tout le monde, en opposition voulue à tout ce qui porte le nom de chrétien, cela peut vous « figer » une personne et vous faire tomber dans le schisme. Et si, en plus vous êtes « adulé » par un certain nombre de fidèles, le risque est grand. C’est mon avis. Je l’ai donné. Je le donne.
GENERATION FA8 : D’une manière générale il y a de grosses tensions dans le monde de la TRADITION. Comment l’expliquez-vous ? Est-il possible à terme que l’entente règne à nouveau entre les différentes chapelles ?
Vous parlez de « grosses tensions dans le monde de la tradition ». Moi, je ne les vois pas. Regardez le déroulement du pèlerinage de Chartres, des deux côtés, ils font preuve d’unité. Il y a, oui, opposition de deux gros blocs. Mais il n’y a pas de tensions. Il y a une opposition radicale, mieux une ignorance des uns et des autres. Je rêve de voir les deux pèlerinages, un jour, se réunir pour la messe de la Pentecôte. Pourquoi ne pas le souhaiter, y travailler. Quelles sont les différences entre les uns et les autres. Ils ont la même messe, le même idéal de chrétienté, le même amour des Pontifes romains, Pie IX, Saint Pie X, Léon XIII, Pie XII, les mêmes chants, le même amour de la langue latine, de la liturgie romaine. Il y a vraiment plus de choses qui les unissent que de choses qui les divisent. Le démon a tout intérêt de maintenir cette « opposition des deux blocs ». Raison de plus pour travailler à sens contraire. C’est une consigne ignacienne. Et beaucoup, dans les deux camps sont très favorables aux Exercices de saint Ignace. Il faut être logique. J’avais le désir, alors en fonction dans la FSSPX, de favoriser tout rapprochement. Ils seront bien obligés d’aller dans ce sens…
GENERATION FA8 : D’un côté, les catholiques français sont amorphes (30000 personnes pour la Marche pour la Vie, plus d’un million en Espagne), d’un autre la France se trouve être le plus fort bastion du traditionalisme. Comment l’expliquez-vous ?
Les Espagnols se déplacent par milliers pour la défense de la vie parce qu’ils ont leurs évêques à la tête. Les évêques savent les mobiliser. L’autorité donne l’exemple et entraîne, encourage. En France, les évêques, sur ce sujet, sont timides, peu convaincus de l’opportunité de telles manifestations. Ils restent dans leur évêché ou, aujourd’hui organisent des veillées de prières dans leurs cathédrales. Mais cela ne peut déplacer les foules. Les laïcs sont seuls et là encore divisés en mille tendances. Tout pour nous affaiblir. Mais regardez, vous dites juste : « la France se trouve être le plus fort bastion du traditionalisme » parce qu’un évêque s’est mis à sa tête : Mgr Lefebvre et qu’il eut un courage formidable et qu’il eut longtemps une autorité morale considérable. Il était estimé parce qu’estimable, aimé parce qu’aimable. Il sut respecter les autorités intellectuelles, morales qui apportaient leur pierre à l’édifice du traditionalisme : je veux parler surtout de Jean Madiran, d’un Louis Salleron, d’un professeur de Corte et de nombreux autres prêtres. Il ne s’isolait pas. Il aimait s’entourer des compétences. Et puis c’est le rôle de la France, « le bastion du traditionalisme ». La France est « la fille aînée » de l’Eglise. Elle doit montrer l’exemple comme fille aînée. Le combat est doctrinal. La France aime.
GENERATION FA8 : Le monde musulman est-il une menace pour l’Europe ? L’islamisation de la France se présente-t-elle comme une réalité ou est-elle agitée par certains pour de sombres intérêts ?
Oui ! L’islamisation est un danger pour la France. J’ai même l’impression qu’une confrontation n’est pas très éloignée. Notre armée sera peut-être obligée de revenir vite sous peu, d’Afghanistan pour maintenir l’ordre, à moins qu’on capitule avant, devant l’horreur du sang qui coulera. Je termine le livre merveilleux mais éprouvant : « Le prix à payer ». Le fanatisme musulman est odieux. Mais dites moi ? Comment le bassin méditerranéen, de chrétien qu’il fut, est aujourd’hui musulman ? Un berbère m’expliqua un jour où je prenais de l’essence à sa station service, comment ça s’est passé là bas.
GENERATION FA8 : Que vous inspirent les déferlements de mensonges, de haine contre le Saint Père ? Sont-ils destinés à déstabiliser l’Eglise ? Devons-nous prier pour ces gens méchants ?
Juste un mot ! Le Saint Père est le Vicaire du Christ. Le Christ fut l’objet d’un traitement exécrable durant sa Passion, un traitement injuste, mauvais et méchant. Le disciple n’est pas au dessus du maître. La raison la plus parfaite de cette haine du monde contre le Saint Père se trouve dans le parole du Christ dans l’évangile de saint Jean : « Je leur ai donné votre parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde…Père juste, le monde ne vous a pas connu et ceux-ci ont connu que c’est vous qui m’avez envoyé. Je leur ai fait connaître votre nom, et je le leur ferai connaître, fin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que je sois moi-même en eux » (Jn 17 14,26)
GENERATION FA8 : Quel sera votre mot de la fin ?
Le mot de la fin ! Aimez Dieu ! Aimez Notre Dame ! Aimez le prochain ! Aimez l’Eglise !
Propos recueillis en juin 2010.
Oui ! Je fus le deuxième prêtre ordonné par Mgr Lefebvre dans le cadre de la FSSPX – après un prêtre anglais, Peter Morgan - au titre de mon diocèse d’origine, le diocèse de Clermont. Mgr de La Chanonie, évêque de Clermont à cette époque, - nous étions en 1971 - donna à Mgr Lefebvre, qui ne pouvait pas encore incardiner dans la Fraternité, bien qu’elle soit reconnue de droit diocésain, les lettres « démissoriales » nécessaires pour une ordination sacerdotale et accepta que je reste au service exclusif de Mgr Lefebvre et de son oeuvre. Cet accord s’est fait par courrier. Je suis resté alors trois ans au séminaire d’Econe, de 1973 à 1976 Là, j’assistais à toutes les conférences spirituelles données par Mgr Lefebvre, le soir, aux séminaristes cherchant à m’imprégner de son esprit et à bien comprendre les raisons de son attitude dans l’Eglise suite au Concile Vatican II. Déjà en 1969, à Fribourg en Suisse, nous avions, comme séminaristes, le bonheur de l’entendre souvent, non seulement en conférences mais de le voir dans le quotidien de la vie, à table pour les repas, en récréation qu’il prenait avec nous, dans les promenades que nous faisions ensemble. Que d’échanges possibles, d’autant qu’il n’était nullement « taiseux » comme disent les belges mais, au contraire, très « gai » et « communicatif ». Nous apprenions beaucoup à son contact. Il aimait la simplicité, - il était simple lui-même – il aimait la cordialité. Il était très indisposé par la vulgarité ou même l’indiscrétion. Après 1976, il me nomma supérieur du District de France qu’il fondait, pour trois ans renouvelables. Que donnerais-je sans expérience ? Il était « prudent et pragmatique ». Je me suis installé avec plusieurs confrères et le noviciat des frères au prieuré de Notre Dame du Pointet. Ce fut de belles années, deux belles années. Avec le frère Dominique, un belge, nous avons parcouru les villes de France pour faire connaître l’œuvre de Mgr Lefebvre. Nous nous sommes initiés aux premières relations publiques avec les nombreuses associations saint Pie V, saint Pie X qui avaient vu le jour pour la défense de la messe suite à la promulgation de la Nouvelle Messe de Paul VI, le 3 avril 1969. Nous étudions auprès des anciens, M l’abbé Dulac, M l’abbé Coache, le Père André, le Père Barbara et bien d’autres, comme le père Calmel, le Père Guérard des Lauriers, les raisons de notre « combat liturgique ». Nous étions admiratifs des études que publiait Jean Madiran dans Itinéraires. Les articles de Melle Luce Quenette dans cette revue nous enchantaient. J’ai pu lire le livre de Xavier Da Silva : « La Nouvelle Messe de Paul VI : qu’en penser » publié par la diffusion de la Pensée Française mystérieusement retiré de la circulation. Je n’ai jamais su pourquoi. Il était pourtant fameux. Il fallait « s’armer », le combat allait être dur et long. Au sujet de ces contacts avec les associations saint Pie V saint Pie X, j’aime à saluer aujourd’hui encore M Saclier de La Battie. Avec lui, au milieu des représentants de ces associations, je me rappelle avoir prononcé à Poitiers, le serment anti-moderniste. Avec quelle conviction ! Avec quelle joie ! L’union des cœurs était profonde.
Après avoir suivi les travaux de restauration d’une grande partie du prieuré, alors presque en ruine, disons, sans grand confort ! Mgr Lefebvre me demanda de m’installer à Paris. Nous étions en 1978. Là, avec mon confrère, M l’abbé Groche, économe, nous avons structuré administrativement et juridiquement le district. Ce n’était pas une mince affaire, d’autant que Mgr Lefebvre faisait une totale confiance et intervenait peu. La Providence me permit de rencontrer les personnes « ad hoc », d’abord Maître Le Griel, M Lacoste Laremondie, aujourd’hui décédé puis Maître Hardy, aujourd’hui à la retraite, Maître Roissard, notre avocat. Car nous étions lancé, à cette époque, dans l’aventure de la fondation des écoles catholiques hors contrat. Les difficultés juridiques, administratives furent nombreuses. Tout cela me passionnait, m’enchantait. J’aimais les difficultés. J’étais servi ! Avec les écoles secondaires à créer, il fallait penser à fonder les prieurés pour accueillir les prêtres qui, chaque année, sortaient nombreux du Séminaire. « Cadriller la France au plus menu » était notre « politique ». Certains en étaient énervés. Je n’en comprenais pas les raisons. Ce travail était fait pour le bien de la Tradition.
Ce temps fut aussi le temps des grandes années des réunions d’Amitiés françaises, à la « Mutualité » à Paris, les années des beaux pèlerinages de Chartres, lancés par Romain Marie. Je dois confesser que j’étais un peu en retrait de ces « Mutualités », de ces pèlerinages qui ne cessaient de grandir. J’en comprenais le bien mais j’étais inquiet. Je trouvais qu’il y avait un risque de confusion du « politique » et du « religieux ». Romain Marie étant très politique. Quel était le rôle du « politique » ? Quel était le rôle du religieux ? Quel était le rôle des laïcs, des prêtres ? Rien ne paraissait clair. N’y avait-il pas un risque d’amalgame d’avec un mouvement politique qu’on ne pouvait contrôler. L’attitude de Romain Marie me paraissait « équivoque ». L’Eglise catholique a une doctrine politique. Le mouvement de Jean Ousset, « la Cité Catholique », l’avait dans les années précédentes « vulgarisée » en France et ailleurs. Mais je pense que l’Eglise n’a pas à « s’accoquiner » à un parti politique. Elle veut créer une civilisation catholique, la Cité catholique. La messe en est le cœur et le principe. Mais elle doit rester au-delà des parties me semble-t-il, sans s’affilier à quiconque. L’allusion, en 1976, au général Pinochet, faite par Mgr Lefebvre lors de son homélie en la fameuse messe de 1976 à Lille, n’eut pas le meilleur des effets. Ce n’était pas clair dans le cas du pèlerinage. C’était la raison de ma réserve. Elle me fut reprochée et par Dom Gérard et par Romain Marie et par certains de mes confrères assez influents. Je pensais même que mon temps était compté à la tête du district de France. Non point que Mgr Lefebvre m’aurait immédiatement changé de son propre chef. Non ! Mais les influences sont grandes et font sentir souvent leur poids. Et puis j’aurais peut-être été obligé de donner ma démission, moi-même. J’y pensais à l’époque comme j’y ai pensé en 1976 lors de la « cabale » du corps professoral à Ecône, s’opposant à la déclaration de Mgr Lefebvre du 21 novembre 1974. Je reste convaincu que les sacres faits par Mgr Lefebvre en 1988 arrêtèrent tout dans l’œuf. Toutefois je pense que le conflit perdura avec les problèmes rencontrés ensuite avec « Renaissance Catholique » qui fut une suite des mouvements de Romain Marie, même après le décès de Mgr Lefebvre, le 25 mars 1991. Mon souhait pourtant était bien de chercher à m’entendre avec ces laïcs dévoués, mais dans la clarté et hors de toute influence libérale. Si M l’abbé Boivin devenu l’aumônier du mouvement, en remplacement de M l’abbé du Chalard, qui, n’étant pas du district de France, ne pouvait exercer ce rôle, avait pu tenir malgré le surcroît de travail, mais sa santé le trahit, il lui manqua peut-être aussi l’énergie nécessaire, le coup de rein qui fait remporter la victoire, les relations, je pense, se seraient améliorées. Les membres du mouvement de « Renaissance catholique » me faisaient porter moralement le poids des difficultés. Ils n’avaient pas ainsi à s’opposer à Mgr Lefebvre. C’était plus simple. Je connaissais pourtant la pensée de Mgr Lefebvre sur les hommes et le mouvement. Je peux vous dire que Mgr Lefebvre était bien plus rigide que moi en cette affaire. Il disait même à certains qu’il ne me comprenait plus. Il me trouvait moi-même libéral. C’était du moins ce qu’on me rapportait. Je ne l’ai jamais bien cru ! L’autorité doit ou se taire ou parler à l’intéressé. C’est une affaire de justice. Autrement c’est le désordre. Mgr Lefebvre aimait l’ordre. Il savait bien dire ce qu’il pensait et n’avait pas besoin d’intermédiaire. Quoi qu’il en soit, le « clan » de mes opposants passa de l’autre côté de la « rivière » avec les sacres. L’air devenait plus pur. Je pourrais même écrire « l’aire ». Aujourd’hui, je dois dire que les raisons des difficultés, jadis rencontrées, ne me semblent plus exister. Les choses sont devenues claires et du côté de Romain Marie qui mène un combat exemplaire dans ces différentes associations qu’il dirige et du côté de « Renaissance catholique ».
Il me restait encore quelques années à faire, mon troisième mandat de six ans ne se terminant qu’en 1994. Dans ces dernières années, j’ai eu la joie d’organiser pour l’honneur de nos martyrs de la Révolution Française, la « manifestation du 15 août 1989, avec M Brigneau. L’initiative en revenait à M l’abbé Coache. Pour le seconder, il voulait prendre des personnalités de renom, comme M Michel de Saint Pierre, que le Bon Dieu rappela à Lui. Ce fut M François Brigneau qui accepta de le remplacer. Monsieur l’abbé Coache me confia l’affaire. Ce que Mgr Lefebvre craignait « Cette opposition directe et frontale à la République n’est pas la meilleure des choses, me dit-il un jour. Ce n’est pas ma manière de faire… ». Cette réflexion m’étonna d’abord mais resta dans mon cœur. Qu’a-t-il fait, lui, me disais-je, avec Paul VI ? L’affaire était lancée, alors avec Brigneau, lui surtout ; nous avons parcouru la France, deux ans durant et parlé de nos martyrs, de la philosophie des Droits de l’Homme sans Dieu. Philippe Hedui, M Triomphe, Melle Emily me secondèrent fortement. C’est Philippe Hédui qui composa le beau texte relatant l’histoire de France, qui fut lu l’après midi du 15 août juste avant la procession. Malheureusement le bruit du vent n’en facilita pas l’audition. C’était bien dommage. Ce fut une aventure extraordinaire. Un journal « L’anti 89 » fut publié et animé, comme vous le savez, par la plume vive et passionnante de Brigneau. Les fidèles furent au rendez-vous, le 15 août 1989. Quel monde ! « Renaissance catholique » me donna in extremis un bon coup de mains. Heureusement !
En 1992, M l’abbé Schmitberger me signifia qu’il ne renouvellerait pas mon mandat en 1994. Pour la petite histoire, le sien devait aussi prendre fin à la même date. Les douze ans de son mandat « étant accomplis ». Un chapitre général électif devait être convoqué à cette date, en 1994. Il devait penser, lui, qu’il serait reconduit dans ses fonctions puisqu’il pensa pouvoir me signifier la fin de mon mandat, sinon il imposait sa volonté à son successeur. Ce qui n’est pas très élégant. Ce que son successeur pouvait ne pas suivre. Quand son successeur fut connu, je savais qu’il n’en ferait rien, malgré la demande instante que M l’abbé Bonneterre lui adressa à cette fin et dont il prit connaissance juste avant la tenue du nouveau conseil général – je pourrais lui dire même l’endroit - où se trouvait réunis comme assistants, Monsieur l’abbé Schmitberger et votre serviteur, tous deux nouvellement élus par le chapitre général, pour procéder aux nouvelles nominations. Si mon mandat de supérieur de district de France prenait fin, je démarrais mon troisième mandat d’assistant général pour 12 ans. Qui devait me conduire jusqu’en 2007.
Je m’installais alors à Mulhouse sans plus grande responsabilité devant apprendre l’anglais ! Peine perdue. J’ai pu alors demander, un an plus tard, mon installation comme prieur à Gavrus en Normandie, le poste se libérant. Là, la Providence me permit de vivre les plus belles années de mon apostolat sacerdotale avec les beaux combats du Chamblac et de Lisieux, combats que je raconte dans mes livres. Pèlerinages qui malheureusement furent combattus par le nouveau supérieur de District ainsi que par la Maison Générale.
C’est aussi à cette époque, un peu avant, un peu après, que le Cardinal Ratzinger, le cardinal Stickler parlaient nettement en faveur de la messe tridentine. C’est alors que je conseillais, en tant qu’assistant, de reprendre des contacts avec Rome pour « normaliser » notre situation canonique. J’insistais fortement. Je souhaitais que la Fraternité suive l’exemple de nos amis de Campos au Brésil qui, en janvier 2001, acceptaient la création d’une administration apostolique, où étaient affirmés et l’usage exclusif de la messe tridentine et l’exemption vis-à-vis de l’autorité locale. Ces conditions auraient été acceptées, j’en étais convaincu, par Mgr Lefebvre. Je le faisais savoir. Je n’ai pas pu ne pas aller assister à la « normalisation » de la situation canonique de nos amis de Campos avec Rome. Je garde dans mon cœur cette cérémonie de « réconciliation ». Un geste inoubliable. Je revois le cardinal Castrillon Hoyos lisant solennellement le décret de la « normalisation ». Comment mes confrères n’ont-ils pas vu l’importance de la chose ? La messe, l’exemption : une situation en or pour l’apostolat. J’ai fait comprendre ma déception. Il me restait juste le temps de créer l’agence de Presse « DICI » et le Bulletin « Nouvelle de Chrétienté » m’inspirant de la revue créée par Dom Guillou qui publiait les documents romains et de partir à Bruxelles où je passais un an plein au cours duquel j’ai donné ma démission « d’assistant du Supérieur général », en 2002, ne voulant pas cautionner une « politique » qui, pour moi, si elle devait se poursuivre, aurait les pires conséquences. Je n’étais plus rien dans la FSSPX. On me demanda de prendre une année sabbatique au Canada. Ce que je fis. Et comme j’ai eu la « témérité » de donner une communication à un journal américain où j’exposais clairement ma position sur la nécessaire « normalisation » avec Rome, on me signifia mon exclusion de la FSSPX. Je suis revenu en France. J’ai contesté l’irrégularité de la procédure, et me considère toujours membre de la FSSPX. J’ai essayé de faire valoir mon droit lors du chapitre général de 2007. Je fus de nouveau éconduit. Comment pouvoir faire recours à Rome qui ne reconnaît pas la FSSPX ?
GENERATION FA8 : Pourquoi avoir fondé l’Institut du Bon Pasteur ? Quels sont ses moyens et ses activités ? Regrettez-vous d’avoir participé à sa fondation ?
Je suis resté deux ans à Vichy, chez des amis, de 2003 à 2005, date à laquelle M l’abbé de Tanouärn fondait le Centre saint Paul à Paris. Il me demanda mes services, ce que j’acceptais volontiers. Du 1er mai 2005 jusqu’à la fin de l’été 2006, je crois, je suis resté à Paris. Je résidais dans un petit appartement à Courbevoie. Durant cette période, mes confrères, M les abbés Laguérie, Heris et de Tanoüarn furent, eux aussi éloignés de la FSSPX. Ils ne pouvaient rester longtemps dans cette absence de situation canonique. C’’est alors que M l’abbé Laguérie se mit à écrire les statuts de l’Institut du Bon Pasteur ; Connaissant le cardinal Castrillon Hoyos et certains membres de son « staff », un rendez-vous fut pris au printemps 2006. Les statuts lui plurent. Nous retournons à Rome en septembre 2006 et le 8 septembre, les statuts sont approuvés par Rome. L’Institut était reconnu de droit pontifical avec l’usage exclusif de la messe tridentine et la possibilité de « discuter » le concile. Tout le monde était heureux. Un cadre juridique était clairement donné permettant à mes confrères d’exercer tout leur savoir faire. Un séminaire était crée en France. Le premier séminaire « traditionnel » était reconnu par un évêque, l’évêque de Chartes, Mgr Pansard, disons, il ne put le refuser. La Providence a permis d’agir tranquillement. Voilà trois ans qu’il tourne. Et tourne bien. C’est un bon gage pour l’avenir. Vous avez enfin le Centre saint Paul qu’il n’est plus besoin de présenter ainsi qu’une belle paroisse personnelle à Bordeaux, la paroisse saint Eloi. Des ordinations sacerdotales vont encore avoir lieu le 10 juillet avec la présence du cardinal, Préfet de la Congrégation de la Liturgie à Rome, ce qui est très important, surtout après les incidents qui ont suivi la diffusion de l’émission « les infiltrés » sur F2, le 24 avril. Rome ne recule pas devant des « agitations » ni les « agitateurs révolutionnaires ». Ce qui est très important. Nous avons enfin un bon confrère en Amérique du Sud qui fait du bon travail. C’est un vrai agent recruteur de vocations. Il envoie de nombreuse et intelligentes vocations à Courtalain, le lieu du séminaire. Il faut enfin noter la fondation de l’Angelus. L’abbé responsable de cette œuvre, M l’abbé Spinosa, s’y prend très bien pour la faire connaître. Il y a toutes chances que ça marche . Il ouvre son école dès septembre prochain. Enfin l’Institut du Bon Pasteur a pu « négocier » avec Mgr Eric Aumonier un apostolat à l’extrémité du diocèse dans la belle petite église de Rolleboise pour « un groupe » de traditionalistes attachés à la Messe tridentine. La foi et la joie y règnent, aussi l’apostolat s’étend. Il m’est confié. Je ne regrette pas d’avoir contribué à la fondation de l’Institut. Mais je n’en suis pas membre canoniquement parlant, du moins, pas pour l’instant. Je veux rester dans le cadre de ma situation antérieure : être du diocèse de Clermont mis à la disposition de la FSSPX. Je ne suis pas une girouette. Mais mon « retour » dans la FSSPX me semble aujourd’hui encore assez problématique. C’est une grande peine pour moi. La seule ombre au tableau de l’Institut : il eut fallu que nous ayons « l’exemption juridique », ce que demandait Mgr Lefebvre dans sa lettre remise au cardinal Gagnon en novembre 1987, après sa visite canonique des œuvres de la FSSPX et des œuvres proches. C’est ce qu’a pu obtenir Mgr Rangel pour la trentaine de prêtres de Mgr de Catro Mayer à Campos au Brésil. M l’abbé Laguérie, en rien canoniste, n’en comprenait pas l’importance. Il le regrette aujourd’hui devant les difficultés qu’il rencontre devant les évêques diocésains. Il nous faut leur accord explicite pour fonder. Mais les choses changeront peut-être plus tôt qu’on ne le pense. Le problème du nombre de prêtres va se faire terriblement sentir d’ici peu d’années.
GENERATION FA8 : Aujourd’hui, comment jugez-vous le pontificat de Benoît XVI ? Avez-vous été marqué par le discours de Ratisbonne lors duquel le Souverain Pontife a déployé sa haute intelligence ?
Votre question est d’une certaine manière étonnante. Je n’ai pas à juger le pape ni son pontificat. Ce n’est pas de ma compétence. Ce serait outrecuidant de le faire. Qui suis-je ? Personne ne peut juger le pape. Personne est au dessus du pape. Il est le vicaire du Christ. Il est l’autorité suprême. Aussi dois-je le vénérer et prier pour lui afin qu’il soit fort pour faire face aux « loups » - les « médias » et autres - qui hurlent contre lui et voudraient l’impressionner pour qu’il cesse de proclamer iterum et iterum la parole de vérité qu’il a pour mission de transmettre. « Pierre confirme tes frères dans la foi ». Cette précision importante étant faite, je dois dire que c’est avec beaucoup de joie et de contentement que je constate le travail lent et patient mais déterminé que mènent le pape, et ses collaborateurs, pour la restauration de la liturgie dans l’Eglise. La liturgie est capitale pour la vie de l’Eglise. La liturgie est liée à la Tradition, aux dogmes de la foi. « Lex orandi, lex credendi » C’est par la liturgie restaurée que l’Eglise et ses prêtres retrouveront l’amour de la Tradition, ce trésor. C’est en unissant liturgie et tradition que cesseront dans l’Eglise toutes ces « improvisations » qui ont fait tant de mal aux célébrations liturgiques. Et qui, pour beaucoup, sont cause du vide de bien de nos églises. Aussi quand je vois le pape célébrer la messe, dans la chapelle Sixtine face au tabernacle, retrouvant une tradition millénaire, quand je vois le pape distribuer la sainte Eucharistie, place des Invalides en France, non plus dans la main, mais les fidèles a genou, en signe d’adoration, je suis heureux. L’adoration de l’Eucharistie est très importante ! C’est du reste un point qu’il rappelait dans son fameux discours du 22 décembre 2005. Il citait saint Augustin disant « Que personne ne mange cette chair sans auparavant l'adorer;... nous pécherions si nous ne l'adorions pas" Il y a des gestes qui le permettent, des gestes qui l’empêchent. Et il expliquait très heureusement : « De fait, dans l'Eucharistie nous ne recevons pas simplement une chose quelconque. Celle-ci est la rencontre et l'unification de personnes; cependant, la personne qui vient à notre rencontre et qui désire s'unir à nous est le Fils de Dieu. Une telle unification ne peut se réaliser que selon la modalité de l'adoration. Recevoir l'Eucharistie signifie adorer Celui que nous recevons ». On ne peut parler plus clairement. Quand je vois qu’il restaure également la messe tridentine dans son Motu Proprio « Summorum Pontifcum » et qu’il lui donne même le qualificatif « d’extraordinaire », je suis très heureux. Voilà si longtemps que nous réclamions cette restauration de la part du Vicaire du Christ. Seul, il pouvait nous la redonner, il l’a fait. Ce Motu Proprio portera peut-être lentement tous ces fruits. Peut-être faudra-t-il plusieurs générations, mais le mouvement est lancé, il est inéluctable. On ne reviendra pas en arrière. Quand j’entends le pape dénoncer, discours après discours, le relativisme de la pensée moderne, et affirmer en opposition que l’intelligence est faite pour le vrai et que le vrai – Dieu est la vérité - est seul la source de l’équilibre moral, quand je l’entends demander que l’on revienne à l’étude de l’être, qui est la noblesse de la raison et source de réalisme qui seul permet de fuir le subjectivisme et la pensée cartésienne, comme dans son discours qu’il prononça à Ratisbonne, je me réjouis. Quand, dans ce même discours, je l’entends dire, face à tous les agnostiques présents ou absents qu’ « une raison qui est sourde au divin et repousse les religions dans le domaine des sous-cultures, est inapte au dialogue des cultures », je m’en réjouis. Ne condamne-t-il pas ainsi tout le laïcisme contemporain qui inspire si fort nos hommes politiques ? C’est là un aspect essentiel de la modernité. Ne condamne-t-il pas aussi par ses propos cette édification de l’Europe dont les responsables refusent de mettre Dieu et la religion chrétienne, si essentielle à l’Europe, au cœur de la constitution européenne ? Quand je vois que toutes ces idées ont un écho si fort dans l’église orthodoxe de Moscou et que les relations sont en train de s’améliorer au point que l’on entend parler d’une rencontre probable et même imminente entre Benoît XVI et le patriarche de Moscou, je m’en réjouis. Je comprends combien les critiques d’Hans Küng contre Benoît XVI sont injustes et misérables. La rencontre prochaine de Rome et de Moscou montrera le peu de fondement de sa critique. Il se déshonore. Quand je l’entends condamner si courageusement tout avortement et parler si hautement en faveur de la vie de la naissance à la mort naturelle, je m’en réjouis. Tout cela me fait comprendre pourquoi le « monde « est si déchaîné contre lui. Comme le disait un penseur, récemment : je comprends cette opposition, parce qu’il est peut être, le seul « contestataire » de la « modernité », non point du progrès matériel, mais du relativisme contemporain.
GENERATION FA8 : Récemment, des anglicans sont revenus dans le sein de la maison mère. Qu’en pensez-vous ? Certains dirent que ce retour justifie, d’une certaine manière, l’hérésie. Quelle est votre analyse sur ce point précis ?
Ce retour des anglicans, du moins de certains, est également pour moi une source de joie. Voilà, enfin un bon œcuménisme pratiqué, le retour dans l’Eglise, mère et maîtresse de toutes les églises, de ceux qui se sont éloignés. Hans Küng s’est honteusement levé contre, dans un article publié dans le Monde. Dans ce retour, moi, j’y ai vu un signe de bienveillance non seulement à l’égard de ces familles anglicanes qui refusent de suivre les dérives aberrantes de leur « confession », mais également à l’égard de la FSSPX. C’est juste au moment où débutaient les conversations entre Rome et la FSSPX que ce retour a été annoncé, que la forme canonique proposée a été révélée par Rome, comme pour dire : « voilà ce que le Vatican est prêt à vous proposer aussi, à vous ». Qu’est-ce que Rome demande aux anglicans, qu’ils confessent le Credo de Nicée et reconnaissent le pouvoir du Souverain Pontife. Ceci fait, ils pourront garder leur liturgie, jouir d’une exemption vis-à-vis de la juridiction des évêques locaux, résidents. Tout cela, encore une fois, était l’objet des demandes instantes de Mgr Lefebvre dans sa lettre du 8 novembre 1987 dont je parlais plus haut.
GENERATION FA8 : De la même manière, des discussions doctrinales ont été entamées entre Rome et la FSSPX. Ces discussions aboutiront-elles à quelque chose de positif pour l’Eglise ? Est-ce que le retour de la FSSPX dans le giron de Rome lui sera bénéfique ?
Je ne suis pas opposé, en soi, à des conversations théologiques. Lorsque j’étais encore supérieur du District de France, avec Dom de Lesquin, père abbé de Randol et dom Forgot, père abbé de Fontgombault, nous en avons organisées pendant trois ans. Quelques confrères de la FSSPX participaient à ces conversations, Les bénédictins avaient fait appel aux dominicains de Toulouse, le père de la Soujol, le père Bonino. Nous nous sommes retrouvés, je crois, une douzaine de fois, de 1992 à 1995, à différents endroits de France et nous parlions des sujets « qui font mal aujourd’hui dans l’Eglise ». La Maison Générale, à l’époque, ne semblait pas tout à fait d’accord, ainsi que plusieurs de mes confrères. Par ces entretiens, je voulais surtout éviter notre « isolement » il n’est pas bon, à la longue, de réfléchir toujours en surcuit fermé. Nous pouvions nous « scléroser ». Ce n’est donc pas le principe des discutions que je conteste. Mais je trouve, comme je l’ai dit plus haut, qu’elles pouvaient se mener une fois la « normalisation canonique » obtenue, d’autant que le Vatican voulait cette « normalisation » et était prêt à reconnaître « nos évêques » comme le Vatican le fit pour Mgr Rangel, en 2001, au diocèse de Campos, au Brésil. Cette présence de nos évêques était la nécessaire protection de la FSSPX. Ce qu’il fallait absolument obtenir de Rome. Je pense que la chose était possible. Mais aujourd’hui, ces conversations telles qu’elles sont menées, risquent soit d’être très longues soit même de ne pas aboutir à un accord. C’est à craindre. Je voudrais bien me tromper. Mais je ne vois pas comment ils pourront s’entendre sur « Nostra aetate », principalement sur la déclaration sur les Juifs, le chapitre 4 du document. Quand ils aborderont le § relatif à la « cause efficiente de la Passion » de NSJC, je ne vois pas de consensus possible. La FSSPX soutiendra la position de saint Thomas d’Aquin de laquelle s’éloignèrent un petit peu les pères conciliaires. C’est un exemple. Sur la liberté religieuse, le désaccord sera total. A moins que Rome accepte la solution proposée par M l’abbé Celier, exposée dans son livre « Benoît XVI et les traditionalistes ». Personnellement, je pense que la FFSPX pouvait se satisfaire des clauses proposées par Rome aux anglicans : la confession du credo, la reconnaissance du pontife suprême, en échange de la reconnaissance d’une administration apostolique avec droit exclusif de la messe tridentine et l’exemption par rapport à l’ordinaire du lieu. Ainsi, dans le « giron de l’Eglise », la FSSPX aurait pu donner toute sa mesure pour le bien de l’Eglise et pour son bien à elle. Rester seuls aussi longtemps, se croyant les seuls détenteurs de la vérité, et un peu comme les censeurs de tout le monde, en opposition voulue à tout ce qui porte le nom de chrétien, cela peut vous « figer » une personne et vous faire tomber dans le schisme. Et si, en plus vous êtes « adulé » par un certain nombre de fidèles, le risque est grand. C’est mon avis. Je l’ai donné. Je le donne.
GENERATION FA8 : D’une manière générale il y a de grosses tensions dans le monde de la TRADITION. Comment l’expliquez-vous ? Est-il possible à terme que l’entente règne à nouveau entre les différentes chapelles ?
Vous parlez de « grosses tensions dans le monde de la tradition ». Moi, je ne les vois pas. Regardez le déroulement du pèlerinage de Chartres, des deux côtés, ils font preuve d’unité. Il y a, oui, opposition de deux gros blocs. Mais il n’y a pas de tensions. Il y a une opposition radicale, mieux une ignorance des uns et des autres. Je rêve de voir les deux pèlerinages, un jour, se réunir pour la messe de la Pentecôte. Pourquoi ne pas le souhaiter, y travailler. Quelles sont les différences entre les uns et les autres. Ils ont la même messe, le même idéal de chrétienté, le même amour des Pontifes romains, Pie IX, Saint Pie X, Léon XIII, Pie XII, les mêmes chants, le même amour de la langue latine, de la liturgie romaine. Il y a vraiment plus de choses qui les unissent que de choses qui les divisent. Le démon a tout intérêt de maintenir cette « opposition des deux blocs ». Raison de plus pour travailler à sens contraire. C’est une consigne ignacienne. Et beaucoup, dans les deux camps sont très favorables aux Exercices de saint Ignace. Il faut être logique. J’avais le désir, alors en fonction dans la FSSPX, de favoriser tout rapprochement. Ils seront bien obligés d’aller dans ce sens…
GENERATION FA8 : D’un côté, les catholiques français sont amorphes (30000 personnes pour la Marche pour la Vie, plus d’un million en Espagne), d’un autre la France se trouve être le plus fort bastion du traditionalisme. Comment l’expliquez-vous ?
Les Espagnols se déplacent par milliers pour la défense de la vie parce qu’ils ont leurs évêques à la tête. Les évêques savent les mobiliser. L’autorité donne l’exemple et entraîne, encourage. En France, les évêques, sur ce sujet, sont timides, peu convaincus de l’opportunité de telles manifestations. Ils restent dans leur évêché ou, aujourd’hui organisent des veillées de prières dans leurs cathédrales. Mais cela ne peut déplacer les foules. Les laïcs sont seuls et là encore divisés en mille tendances. Tout pour nous affaiblir. Mais regardez, vous dites juste : « la France se trouve être le plus fort bastion du traditionalisme » parce qu’un évêque s’est mis à sa tête : Mgr Lefebvre et qu’il eut un courage formidable et qu’il eut longtemps une autorité morale considérable. Il était estimé parce qu’estimable, aimé parce qu’aimable. Il sut respecter les autorités intellectuelles, morales qui apportaient leur pierre à l’édifice du traditionalisme : je veux parler surtout de Jean Madiran, d’un Louis Salleron, d’un professeur de Corte et de nombreux autres prêtres. Il ne s’isolait pas. Il aimait s’entourer des compétences. Et puis c’est le rôle de la France, « le bastion du traditionalisme ». La France est « la fille aînée » de l’Eglise. Elle doit montrer l’exemple comme fille aînée. Le combat est doctrinal. La France aime.
GENERATION FA8 : Le monde musulman est-il une menace pour l’Europe ? L’islamisation de la France se présente-t-elle comme une réalité ou est-elle agitée par certains pour de sombres intérêts ?
Oui ! L’islamisation est un danger pour la France. J’ai même l’impression qu’une confrontation n’est pas très éloignée. Notre armée sera peut-être obligée de revenir vite sous peu, d’Afghanistan pour maintenir l’ordre, à moins qu’on capitule avant, devant l’horreur du sang qui coulera. Je termine le livre merveilleux mais éprouvant : « Le prix à payer ». Le fanatisme musulman est odieux. Mais dites moi ? Comment le bassin méditerranéen, de chrétien qu’il fut, est aujourd’hui musulman ? Un berbère m’expliqua un jour où je prenais de l’essence à sa station service, comment ça s’est passé là bas.
GENERATION FA8 : Que vous inspirent les déferlements de mensonges, de haine contre le Saint Père ? Sont-ils destinés à déstabiliser l’Eglise ? Devons-nous prier pour ces gens méchants ?
Juste un mot ! Le Saint Père est le Vicaire du Christ. Le Christ fut l’objet d’un traitement exécrable durant sa Passion, un traitement injuste, mauvais et méchant. Le disciple n’est pas au dessus du maître. La raison la plus parfaite de cette haine du monde contre le Saint Père se trouve dans le parole du Christ dans l’évangile de saint Jean : « Je leur ai donné votre parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde…Père juste, le monde ne vous a pas connu et ceux-ci ont connu que c’est vous qui m’avez envoyé. Je leur ai fait connaître votre nom, et je le leur ferai connaître, fin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que je sois moi-même en eux » (Jn 17 14,26)
GENERATION FA8 : Quel sera votre mot de la fin ?
Le mot de la fin ! Aimez Dieu ! Aimez Notre Dame ! Aimez le prochain ! Aimez l’Eglise !
Propos recueillis en juin 2010.