SOURCE - The Remnant - DICI - 16 avril 2011
The Remnant est une revue catholique américaine, dirigée par Michaël J. Matt. Indépendante de la Fraternité Saint-Pie X, elle a fait paraître un « Exposé des réserves sur la prochaine béatification de Jean-Paul II », le 21 mars 2011, qui dresse un constat accablant de la situation de l’Eglise après le Concile Vatican II. L’analyse de l’ensemble du pontificat de Jean-Paul II rejoint celle de la Fraternité Saint-Pie X, même si quelques jugements témoignent d’une certaine indulgence. On pourra lire ici le texte intégral de ce document, traduit en français par nos soins.
La béatification prochaine de Jean-Paul II, prévue le 1er mai 2011, a soulevé de sérieuses préoccupations chez un grand nombre de catholiques dans le monde entier, qui s’inquiètent de la situation de l’Eglise et des scandales qui l’ont accablée ces dernières années, scandales qui ont incité le Pape Benoît XVI à déclarer le jour du Vendredi Saint de l’année 2005 : « Que de souillures dans l’Eglise, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement. »
C’est notre propre inquiétude que nous exprimons par ce moyen public, restant fidèles à la loi de l’Eglise qui déclare : « Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, les fidèles ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes. » [CIC (1983), Can. 212, § 3]
Ce que nous croyons en conscience être le bien de l’Eglise nous oblige à exprimer nos réserves concernant cette béatification. Nous le faisons pour les raisons suivantes, même si d’autres raisons pourraient encore être avancées.
La vraie question
Précisons, pour commencer, que nous ne présentons pas ces considérations comme des arguments contre la piété ou l’intégrité personnelles de Jean-Paul II, que nous devons présupposer. Il ne s’agit pas de considérer sa piété ou son intégrité personnelles en tant que telles, mais plutôt de savoir s’il y a un fondement objectif à proclamer que Jean-Paul II a fait preuve de vertus héroïques dans l’exercice de ses fonctions élevées de pape, de telle sorte qu’il doive être mis immédiatement sur la voie de la canonisation et donné en modèle de pontife à tous ses successeurs.
L’Eglise a toujours reconnu que la question des vertus héroïques dans un procès en béatification était inextricablement liée à l’exercice héroïque par le candidat des devoirs de son état de vie. Comme l’a expliqué le pape Benoît XIV (1675-1758) dans son enseignement sur la béatification, l’accomplissement héroïque du devoir d’état se traduit par des actes si difficiles qu’ils sont « au-dessus des forces communes des hommes« , qu’ils « sont accomplis promptement, facilement« , « avec une joie sainte » et « assez fréquemment, lorsque l’occasion s’en présente« . [Cf. De servorum Dei beatificatione, Livre III, chap. 21 in Reginald Garrigou-Lagrange, Les Trois Ages de la Vie Intérieure, Vol. 2, p. 443].
Supposons qu’un père de famille nombreuse ait été présenté comme candidat à la béatification. On n’aurait pas grand espoir de voir avancer sa cause s’il se trouvait que, quoique pieux, il avait constamment échoué à corriger et à éduquer correctement ses enfants qui lui désobéissaient sans cesse et suscitaient le désordre dans sa maison, au point de combattre ouvertement la Foi alors même qu’ils vivaient sous son toit ; ou bien si, quoiqu’attentif à ses prières et à ses devoirs spirituels, il avait négligé de subvenir aux besoins de sa famille par son travail, et laissé ainsi son foyer courir à la ruine.
Lorsque le candidat à la béatification est un pape – Père de l’Eglise universelle – la question ne porte pas seulement sur sa piété et sa sainteté personnelles, mais aussi sur le soin qu’il a eu de l’immense domaine de la Foi que Dieu lui a confié, et pour lequel Dieu accorde au pape des grâces d’état extraordinaires. Voilà quelle est la vraie question : Jean-Paul II a-t-il accompli héroïquement ses devoirs de Souverain Pontife à la manière de ses prédécesseurs canonisés, ses devoirs que l’on peut énumérer ainsi : en combattant l’erreur, en défendant avec courage et promptitude son troupeau contre les loups féroces qui la propagent, et en protégeant l’intégrité de la doctrine et du culte divin de l’Eglise ? Nous craignons que, dans les circonstances de cette béatification « expresse », cette question de fond n’ait pas reçu toute la considération patiente et attentive qu’elle mérite.
Une pression populaire disproportionnée
Parmi les circonstances qui nous inquiètent, on peut citer la pression inopportune de la « demande populaire » de béatification, manifestée par le slogan « Santo subito ! » ( »Saint tout de suite ! »). C’est précisément dans le but d’éviter l’influence d’une émotion populaire éphémère et de permettre les conditions d’un jugement historique dépassionné, que la loi de l’Eglise prescrit sagement d’attendre un délai de cinq ans avant même d’entamer un procès de béatification. Pourtant, dans cette affaire, on s’est dispensé de ce délai prudent. C’est ainsi qu’un procès qui devrait avoir à peine commencé, se trouve maintenant presque à son terme, comme s’il s’agissait de satisfaire immédiatement à la volonté populaire, même si ce n’en est pas l’intention.
Nous sommes conscients du rôle de l’acclamation populaire, même dans la canonisation des saints, dans certains cas exceptionnels. Le pape saint Grégoire le Grand, par exemple, a été canonisé par acclamation populaire presque immédiatement après sa mort. Mais ce pontife romain hors du commun a été, ni plus ni moins, le fondateur de la civilisation chrétienne, posant les bases à la fois spirituelles et structurelles de l’Eglise et de la Chrétienté, qui ont perduré de siècle en siècle.
De même, le pape saint Nicolas Ier, le dernier pape honoré par l’Eglise du titre de « grand », a joué un rôle déterminant dans la réforme de l’Eglise lors d’une grande crise de la Foi et de la discipline touchant en particulier le haut de la hiérarchie ecclésiastique, dont il a affronté les membres corrompus avec courage, et c’est à juste titre qu’il est considéré comme le véritable sauveur de la civilisation chrétienne, au temps où sa survie même était mise en doute.
En outre, l’acclamation populaire des bienheureux et des saints nous vient d’un temps où l’écrasante majorité des gens demeurait fidèle et soumise à l’Eglise. La question se pose aujourd’hui : Quelle est la valeur d’une demande populaire pour cette béatification, à une époque où l’immense majorité de ceux qui se disent catholiques rejette purement et simplement tout enseignement en matière de Foi ou de morale, considéré par eux comme inacceptable – et en particulier l’enseignement infaillible du Magistère sur le mariage et la procréation ?
Un héritage encombrant
En toute sincérité, nous sommes contraints d’observer en comparaison que, étant donné la situation de l’Eglise telle qu’il l’a laissée, le pontificat de Jean-Paul II ne peut objectivement justifier une béatification par acclamation populaire, encore moins la canonisation immédiate que les foules ont réclamée à grands cris. Une honnête estimation des faits oblige à conclure que le pontificat de Jean-Paul II a été marqué, non par le renouvellement et la restauration que nous observons durant les pontificats de ses plus éminents prédécesseurs, mais plutôt, pour reprendre la célèbre remarque de l’ancien cardinal Ratzinger [Cf. L’Osservatore Romano, 9 novembre 1984], par l’accélération du « processus continu de décadence« , en particulier dans les nations de tradition chrétienne d’Europe occidentale, des Amériques et du Pacifique.
Cette réalité objective apparaît encore plus lorsque l’on considère que le défunt pape lui-même, à la toute fin de son pontificat, se lamentait de « l’apostasie silencieuse » d’une Europe autrefois chrétienne [Cf. Ecclesia In Europa (2003), n. 9]. De plus, son successeur a depuis publiquement décrié le « processus de sécularisation » qui « a produit une grave crise du sens de la foi chrétienne et de l’appartenance à l’Eglise. » En cette occasion, le pape Benoît XVI a annoncé la création d’un nouveau Conseil Pontifical dont la mission spécifique sera de « promouvoir une évangélisation renouvelée dans les pays où a déjà retenti la première annonce de la foi [...], mais qui vivent une sécularisation progressive de la société et une sorte d’« éclipse du sens de Dieu » [...] » [Cf. Homélie des Vêpres du 28 juin 2010].
La pénétration de cette « apostasie silencieuse » parmi les membres de l’Eglise elle-même est apparue encore plus évidente après le Second Concile du Vatican. Avant le Concile, le monde dans son ensemble subissait un déclin vertigineux et chaque pape le mettait en garde, mais à l’intérieur de l’Eglise, la Foi restait ferme, la liturgie était intacte, les vocations abondantes, les familles nombreuses – jusqu’à la grande « ouverture au monde » conciliaire.
Le Souverain Pontife actuel, écrivant en tant que cardinal Ratzinger, au milieu du pontificat de 27 ans de son prédécesseur, a établi une partie du diagnostic de l’apparition soudaine d’une crise postconciliaire sans précédent dans l’Eglise : « Je suis convaincu que la crise ecclésiastique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est due en grande partie à l’effondrement de la liturgie… » [La Mia Vita (1997), p. 113: “Sono convinto che la crisi ecclesiale in cui oggi ci troviamo dipende in gran parte dal crollo della liturgia...”]
L’idée que l’Eglise n’a subi absolument aucun « effondrement de la liturgie » avant Vatican II et les « réformes » entreprises en son nom, nécessite à peine une démonstration. Quinze ans seulement après le Concile, dans la deuxième année de son pontificat, Jean-Paul II lui-même a publiquement demandé pardon pour la perte soudaine et dramatique de la foi et du respect eucharistiques, à la suite des « réformes liturgiques » approuvées par Paul VI : « En arrivant au terme de ces considérations, je voudrais demander pardon – en mon nom et en votre nom à tous, vénérés et chers Frères dans l’épiscopat – pour tout ce qui, en raison de quelque faiblesse humaine, impatience, négligence que ce soit, par suite également d’une application parfois partielle, unilatérale, erronée des prescriptions du Concile Vatican II, peut avoir suscité scandale et malaise au sujet de l’interprétation de la doctrine et de la vénération qui est due à ce grand sacrement. Et je prie le Seigneur Jésus afin que désormais, dans notre façon de traiter ce mystère sacré, soit évité ce qui peut affaiblir ou désorienter d’une manière quelconque le sens du respect et de l’amour chez nos fidèles. » [Dominicae Cenae (1980), §12]
Mais cette repentance étonnante de Jean-Paul II n’a jamais été suivie d’aucune action décisive pour enrayer l’effondrement complet de la liturgie tout au long des vingt-cinq années suivantes de son règne. Bien au contraire, en 1988, année du vingt-cinquième anniversaire de la constitution Sacrosanctum Concilium, le pape a salué « les réformes qu’elle a permis de réaliser » comme étant « le fruit le plus apparent de toute l’œuvre conciliaire« , notant que « pour beaucoup, le message du Deuxième Concile du Vatican a été perçu avant tout à travers la réforme liturgique« . De fait ! En ce qui concerne l’effondrement manifeste de la liturgie, le pape s’est contenté de remarquer divers abus se produisant « parfois », en insistant néanmoins sur le fait que « les pasteurs et le peuple chrétien, dans leur immense majorité, ont accueilli la réforme liturgique dans un esprit d’obéissance et même de ferveur joyeuse. » [Vicesimus Quintus Annus (1988), § 12]
Pourtant aujourd’hui la majorité des chrétiens ne croient même pas à la Présence réelle du Christ dans la Sainte Eucharistie, qu’ils reçoivent dans la main, des mains non consacrées de ministres laïcs, comme s’il s’agissait d’un banal morceau de pain, ce qui est exactement la façon dont ils la traitent. De plus, allant de pair avec l’attitude quasi universelle d’obéissance sélective au Magistère, l’usage des moyens contraceptifs est largement répandu parmi les catholiques, dont la vision de la contraception diffère peu de celle des protestants, selon d’innombrables sondages et études. Ceci est également rendu visible par la chute vertigineuse des taux de natalité et leur niveau misérable aujourd’hui parmi les populations catholiques d’Occident, qui n’ont même pas assez d’enfants pour se renouveler. C’est pourquoi Jean-Paul II lui-même a mentionné « la peur partout répandue de donner vie à de nouveaux enfants » au sein de « l’apostasie silencieuse » qu’il déplore dans Ecclesia in Europa. En fait, on ne peut contester que le taux de natalité le plus haut dans les milieux catholiques se trouve chez les « traditionalistes » qui ne participent pas à la liturgie réformée ou qui, n’ayant pas d’autre choix, l’endurent sans la moindre trace de « ferveur joyeuse ».
De plus, il est manifeste que Jean-Paul II a lui-même contribué à l’effondrement liturgique par ses actes. Pour la première fois de son histoire, l’Eglise a vu sous son pontificat la nouveauté scandaleuse des « servantes d’autel », au sujet desquelles le pape est revenu sur sa décision première qui proscrivait cette innovation comme étant incompatible avec la tradition bimillénaire de l’Eglise. Puis, il y a eu les liturgies papales « inculturées » incluant de la musique rock et des éléments franchement païens, comme le spectacle effarant de la lecture de l’épître par une femme aux seins nus en Nouvelle-Guinée, de danseurs aztèques tournoyants et emplumés agitant des crécelles, ainsi que d’un « rite de purification » au Mexique, et d’une « cérémonie de la fumée » aborigène en lieu et place du rite pénitentiel en Australie. L’excuse selon laquelle le pape n’aurait rien su à l’avance de ces aberrations liturgiques est démentie par le choix (qu’il a fait lui-même) et le maintien de leur auteur et orchestrateur : Piero Marini, Maître des célébrations liturgiques pontificales de Jean-Paul II pendant près de vingt ans, en dépit de protestations universelles contre ses déformations grotesques de la liturgie romaine. Marini a finalement été remplacé en 2007 par le pape Benoît XVI, qui a fait preuve d’une grande clémence.
On est honnêtement forcé d’admettre que, si les grands papes d’avant le Concile avaient été témoins des liturgies papales de Jean-Paul II, ou simplement de l’état général du rite romain tout au long de son pontificat, ils en auraient éprouvé un mélange d’indignation et d’incrédulité horrifiée.
Mais la liturgie n’était pas la seule à s’être effondrée à la fin du dernier pontificat. Comme nous l’avons rappelé au début de cet exposé, le jour du Vendredi Saint 2005, juste avant de monter à son tour sur le Trône de Saint Pierre, l’ancien cardinal Ratzinger observait : « Que de souillures dans l’Eglise, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement. » [Cf. Homélie de la messe du Vendredi Saint, 2005]. Ces « souillures » auxquelles le cardinal faisait référence étaient bien évidemment le nombre incroyable de scandales sexuels mettant en cause des actes inqualifiables de la part de prêtres catholiques, sur toute la surface du globe – récolte de décennies de « renouveau conciliaire » dans les séminaires.
Au lieu de sanctionner les évêques qui entretenaient cette immoralité dans les séminaires, la dissimulaient en mutant les prédateurs sexuels de place en place, puis ruinaient leurs diocèses en dommages et intérêts à verser aux victimes, Jean-Paul II a offert un refuge à plusieurs des prélats les plus scandaleusement laxistes. L’exemple le plus remarquable est peut-être celui du cardinal Bernard Law. Obligé de répondre devant un grand jury de sa négligence coupable à éradiquer la prédation homosexuelle galopante de prêtres du diocèse de Boston sur des jeunes garçons, ce qui a abouti au versement de 100 millions de dollars de dommages et intérêts répartis entre plus de 500 victimes, la « punition » administrée à Law par le pape, après sa démission d’archevêque en disgrâce, a été de le faire venir à Rome et de le gratifier de l’une des quatre splendides basiliques majeures, avec la fonction d’archiprêtre.
Et que dire de Mgr Weakland, ce théologien dissident notoire qui a admis dans une déposition avoir délibérément remis des prédateurs homosexuels dans le ministère actif, au sein du diocèse de Milwaukee, sans en avertir leurs paroissiens ni faire part à la police de leurs crimes ? Ayant conduit le diocèse au dépôt de bilan par le paiement des dommages et intérêts consécutifs, Weakland n’a achevé sa longue carrière de démolition de l’intégrité de la foi et de la morale – avec une publicité mondiale – qu’après la révélation de son détournement de 450.000 dollars de fonds diocésains pour acheter le silence d’un homme avec qui il avait eu une relation homosexuelle. Jean-Paul II a autorisé ce loup épiscopal à prendre sa retraite avec toute la dignité due à sa haute charge dans l’Eglise, après quoi une maison d’édition protestante a publié ses mémoires : Pilgrim in a Pilgrim Church : Memoirs of a Catholic Archbishop (Pèlerin dans une Eglise en pèlerinage : Mémoires d’un archevêque catholique). Et un critique admiratif a écrit que le livre « fait le portrait d’un homme imprégné des valeurs du Concile Vatican II, qui a eu le courage de les mettre en avant à la fois en tant que Père Abbé bénédictin et en tant qu’archevêque de Milwaukee« .
Les « souillures » qui ont accablé l’Eglise au cours du dernier pontificat incluent la longue histoire de prédation sexuelle du P. Marcial Maciel Degollado, fondateur des Légionnaires du Christ, présenté comme le véritable exemple du « renouveau » en action. Jean-Paul II a refusé d’entreprendre la moindre enquête sur les agissements de Maciel en dépit de l’accumumlation de preuves de ses crimes abominables qui, grâce à une publicité mondiale, sont désormais les plus célèbres jamais commis par un clerc catholique. Ne tenant aucun compte des procès canoniques bien connus et engagés de longue date par huit séminaristes des Légionnaires que Maciel avait sexuellement agressés, Jean-Paul II l’a couvert d’honneurs lors d’une cérémonie publique au Vatican en novembre 2004. Quelques jours après cependant, le cardinal Ratzinger « a pris sur lui d’autoriser une enquête sur Maciel. » [Jason Berry, Money Paved the Way for Maciel’s Influence in the Vatican (L'argent a pavé la route de l'influence de Maciel au Vatican), National Catholic Reporter, 6 avril 2010]
Il a littéralement fallu attendre la mort de Jean-Paul II pour que Maciel puisse être sanctionné. Il a finalement été écarté du ministère actif et exilé dans un monastère dès que le cardinal Ratzinger est devenu le pape Benoît XVI. Mais tout cela ne représente qu’une part du tableau dépeint par un commentateur catholique de renom : « Jean-Paul II, le pape de haut vol, a laissé les scandales se répandre sous ses pieds, et il a échu au peu charismatique Ratzinger de les nettoyer. Ce modèle s’étend à d’autres problèmes épineux que le dernier pape avait tendance à éviter, comme la démolition de la liturgie catholique ou la montée de l’islam dans une Europe autrefois chrétienne. » [Ross Douthat, The Better Pope (Le meilleur pape), New York Times, 11 avril 2010]
Une autre raison d’avoir des réserves sur cette béatification est que, tout au long du pontificat de Jean-Paul II, les fidèles catholiques ont été stupéfaits et scandalisés par une quantité de déclarations et de gestes imprudents du pape, tels que l’Eglise n’en avait jamais connus en 2000 ans. Pour rappeler quelques-uns des exemples les plus connus :
L’impression qu’a inévitablement laissée l’événement d’Assise, en particulier à travers le prisme des media séculiers, a été que toutes les religions plaisent plus ou moins à Dieu – ce qui est précisément la théorie rejetée comme fausse par le pape Pie XI dans son encyclique Mortalium Animos en 1928. Sinon, pourquoi le pape aurait-il convoqué tous leurs « représentants » à Assise pour offrir leurs « prières pour la paix » ? Est-il honnêtement possible de nier que chacun des prédécesseurs préconciliaires du pape aurait condamné ces exhibitions ?
Peu après son retour à Rome, le pape a exprimé sa satisfaction d’avoir participé publiquement à la prière et au rituel des animistes. « La rencontre de prière au sanctuaire du Lac Togo fut particulièrement marquante. Là-bas, j’ai prié pour la première fois avec des animistes. » [La Croix, 23 août 1985] On pourrait penser que ce seul cas lui-même – non seulement sans repentir, mais vanté en public – devrait être suffisant pour anéantir la cause de Jean-Paul II au procès de canonisation. Car selon le propre aveu du pape, il a « prié… avec des animistes ». Et ce type d’action – participation directe et formelle à un culte païen – est une chose que l’Eglise a toujours jugée comme étant objectivement gravement peccamineuse. Ainsi que l’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique, il n’y a pas seulement idolâtrie dans l’adoration de faux dieux ou d’idoles en tant que tels, mais également lorsque l’on « honore et révère une créature à la place de Dieu, qu’il s’agisse des dieux ou des démons (par exemple le satanisme), de pouvoir, de plaisir, de la race, des ancêtres, de l’Etat , de l’argent, etc. (…) L’idolâtrie récuse l’unique Seigneurie de Dieu ; elle est donc incompatible avec la communion divine. » [CEC § 2113]
Mais ce n’est là que le plus scandaleux, sans doute, parmi de nombreux incidents similaires sous le pontificat de Jean-Paul II. Il est intéressant d’observer quel a été le verdict de l’Eglise au IVe siècle au sujet du pape Libère, premier évêque de Rome à ne pas être proclamé saint. Libère a hérité de cette « distinction » douteuse pour avoir, alors qu’il était en exil et sous l’oppression tyrannique d’un empereur persécuteur, souscrit à une doctrine ambiguë favorable à l’arianisme et pour avoir excommunié Athanase, le champion de l’orthodoxie trinitaire. Même si après sa libération et son retour à Rome, il a promptement rétracté ces actes lamentables et soutenu de nouveau la doctrine orthodoxe jusqu’à la fin de son pontificat, la canonisation lui a pourtant été refusée.
En somme, tout examen objectif des faits montre que Jean-Paul II a gouverné et laissé derrière lui une Eglise demeurée en crise après le bouleversement qui a immédiatement suivi le Concile Vatican II. Il est vrai que son pontificat a comporté des réalisations véritablement positives, comme la défense admirable et sans compromis de la vie humaine face à une « culture de mort » grandissante, un enseignement de grande valeur dans plusieurs encycliques sociales importantes, une déclaration infaillible sur l’impossibilité de l’ordination des femmes, et le motu proprio (Ecclesia Dei) qui a au moins préparé le terrain à la « libération » de la messe latine traditionnelle par le pape Benoît XVI. Nous ne mettons pas non plus en doute sa piété personnelle ni sa vie intérieure, évidentes pour ceux qui l’ont côtoyé, et que nous avons reconnues au début de cet exposé.
On ne peut nier cependant que tous les prédécesseurs de Jean-Paul II auraient été abasourdis et consternés par la désobéissance désastreusement répandue, la dégradation liturgique, la confusion doctrinale, les affaires de mœurs, et le déclin de l’assistance à la messe qui a perduré jusqu’à la fin de son pontificat – tout cela renforcé par des nominations épiscopales souvent peu judicieuses et par ces déclarations et actes pontificaux extrêmement discutables que nous avons rappelés plus haut. Même Paul VI, le pape de la réforme, dont les initiatives œcuméniques et interreligieuses sont restées beaucoup plus prudentes que celles de Jean-Paul II, aurait été effaré de l’état de l’Eglise à la fin du long règne de Jean-Paul II. Et c’est le pape Paul VI lui-même qui a décrit la débâcle postconciliaire déjà galopante, avec les mots les plus durs jamais entendus de la bouche d’un Souverain Pontife : « Par quelque fissure la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu : nous voyons le doute, l’incertitude, les problèmes, l’inquiétude, l’insatisfaction, l’affrontement.(…) Le doute est entré dans nos consciences, et il est entré par des fenêtres qui devraient être ouvertes à la lumière.(…) Cet état d’incertitude règne jusque dans l’Eglise. On espérait qu’après le Concile une journée de soleil aurait brillé sur l’histoire de l’Eglise. Au lieu de cela, c’est un jour de nuages, de tempête, de ténèbres, de tâtonnement, d’incertitude qui est venu.(…) Comment cela s’est-il produit ? Nous allons vous confier ce que nous pensons : une puissance adverse est intervenue dont le nom est le démon… » [Paul VI, Insegnamenti, Ed. Vaticana, Vol. X, 1972, p. 707]
Comme Jean-Paul II après lui, Paul VI n’a pris aucune mesure efficace pour faire face à une débacle que seul le pape, et uniquement le pape, aurait pu empêcher, ou tout au moins étroitement circonscrire.
Et c’est bien Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission pontificale Ecclesia Dei, qui a repris ces aveux désastreux du pape Paul VI dans son discours aux prêtres européens de la Fraternité Saint-Pierre, le 2 juillet 2010, à Wigratzbad. Mgr Pozzo l’a reconnu à cette occasion : « Malheureusement, les effets décrits par Paul VI n’ont pas disparu. Une pensée étrangère est entrée dans le monde catholique, jetant la confusion, séduisant beaucoup d’esprits et désorientant les fidèles. Il y a un ‘esprit de démolition’ imprégné de modernisme… » La crise postconciliaire, a-t-il observé, comprend une « idéologie para-conciliaire » qui « reprend en substance l’idée du modernisme, condamné au début du XXe siècle par saint Pie X. » »
Mais qui, sinon le dernier pape, et son prédécesseur, porte une part de responsabilité dans l’extension de cette idéologie para-conciliaire hétérodoxe dans tout le monde catholique ? Certes Jean-Paul II, comme Paul VI, a promulgué un grand nombre de documents magistériels dans la ligne de la doctrine traditionnelle qui étaient dirigés contre cette hétérodoxie. Mais la question qui se pose maintenant est celle-ci : son témoignage a-t-il été assez fort et assez consistant pour qu’il puisse être lui-même qualifié de défenseur héroïque de la foi et de la morale orthodoxes ? Ou plutôt, ses propres innovations discutables en paroles et en actes, ainsi que ses omissions et son manque de fermeté dans le gouvernement de l’Eglise, ont-ils eu pour effet global de reprendre de la main gauche ce qu’il donnait de la main droite ?
A ce propos, nous remarquons cette ironie suprême : alors qu’une résurgence de l’hérésie moderniste engendrait le chaos dans toute l’Eglise, Jean-Paul II n’a jugé opportun d’annoncer personnellement l’excommunication que de cinq personnes en vingt-sept années de pontificat : celles de feu l’archevêque Marcel Lefebvre et des quatre évêques qu’il a consacrés en 1988 pour la Fraternité Saint-Pie X[1], dont le but est précisément (que l’on soit d’accord ou non avec leur approche) de lutter contre « l’idéologie para-conciliaire » mentionnée par Mgr Pozzo, selon le programme du pape saint Pie X dont leur société porte le nom. (NB : Jean-Paul II n’a pas annoncé personnellement l’excommunication de Tissa Balasuriya[2], qui de toute façon a été « désexcommunié » un an plus tard).
Comme tout le monde le sait, le pape Benoît XVI a levé au début de l’année 2009 les excommunications qui frappaient les quatre évêques de la Fraternité. Il a déclaré depuis « qu’avec la reconnaissance de la primauté du pape, ces évêques, du point de vue juridique, devaient être libérés de l’excommunication« . [Lumière du monde, p. 42] Mais ils avaient toujours reconnu la primauté du pape, contrairement à ces multitudes de catholiques – laïques, prêtres, religieuses, théologiens, et même certains évêques – qui l’ont niée de fait en s’écartant ouvertement des enseignement les plus fondamentaux du Magistère, pendant que le Vatican n’a rien fait ou presque pendant plus d’un quart de siècle contre eux.
De même, l’infortuné Paul VI, au beau milieu de « l’auto-démolition » croissante de l’Eglise qu’il dénonçait lui-même, a réservé ses mesures disciplinaires les plus dures à la Fraternité et à Mgr Lefebvre, qu’il a réprimandé nominalement et en public, avant d’ordonner qu’il fût suspens a divinis, tandis que des rebelles à la théologie et à la liturgie mettaient l’Eglise à sac en toute impunité dans le monde entier.
Bien peu aujourd’hui proposent sérieusement la béatification de Paul VI, qui a précipité la débâcle à laquelle il présidait, sans même faire le minimum nécessaire pour la circonscrire. En fait, il n’y a pas eu de procès en béatification du pape Paul VI avant que Jean-Paul II le fasse ouvrir au niveau diocésain, en 1993. Il n’a pas progressé depuis, ayant, semble-t-il, subi un coup d’arrêt en raison d’objections graves qui ne sont pas sans rappeler quelques-unes de celles que nous avons suggérées ici. Et ainsi nous devons poser cette question : pourquoi une telle précipitation à béatifier Jean-Paul II, alors qu’il a poursuivi sans dévier le même programme imprudent de réformes que celui de son prédécesseur, y ajoutant toute une série d’innovations que même le pape Paul VI, ce personnage hautement tragique, n’aurait pas osé hasarder ? Au moins Paul VI a-t-il eu l’honnêteté d’admettre qu’il avait vu la fumée de Satan entrer dans l’Eglise, et non un « nouveau printemps de vie chrétienne qui devra être révélé par le grand Jubilé si les chrétiens savent suivre l’action de l’Esprit Saint. » [Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente (1994) § 18]
Pour l’amour de la vérité, nous devons tirer franchement la conclusion qui s’impose : aucun pape béatifié ni canonisé dans l’histoire de l’Eglise n’a laissé un héritage aussi trouble que celui de Jean-Paul II, et probablement aucun pape du tout à l’exception de Paul VI.
Un miracle douteux
Enfin, nous ne pouvons manquer de noter que le seul miracle sur lequel la béatification toute entière repose – la prétendue guérison d’une religieuse française, Sœur Marie Simon-Pierre, déclarée atteinte de la maladie de Parkinson –, laisse songeur.
D’une part, le diagnostic même de la maladie de Parkinson laisse place au doute ; il manque le seul test définitif reconnu par la science médicale : l’autopsie du cerveau. Il peut aussi s’agir de symptômes d’autres désordres, susceptibles d’une rémission spontanée et très semblables à ceux de la maladie de Parkinson. D’autre part, le lien entre la guérison présumée de la religieuse et la « nuit de prières à Jean-Paul II » semble douteux. Les prières faites ont-elles exclu l’invocation de tout autre saint et de tous les saints reconnus ?
En comparaison, considérons les deux miracles – c’est Jean-Paul II lui-même qui en a réduit l’exigence à un seul – que Pie XII a jugé suffisants pour béatifier Pie X. Le premier concerne une religieuse qui, ayant un cancer des os, a été guérie instantanément après l’application d’une relique de Pie X sur sa poitrine. Le second concerne une religieuse dont le cancer a disparu quand elle a touché une statue reliquaire de Pie X. Dans le cas présent, on ne trouve pas une telle connexion indiscutable entre la prétendue guérison et une relique putative de Jean-Paul II.
Il n’est pas question ici du magistère infaillible de l’Eglise ; l’évaluation de ce seul miracle est un jugement d’ordre médical susceptible d’erreur. Imaginez les dommages pour la crédibilité de l’Eglise si cette religieuse devait voir un jour la réapparition de ses symptômes. De fait, en mars de l’année dernière, le quotidien Rzeczpospolita, l’un des journaux polonais les plus sérieux, a rapporté qu’il y avait eu un certain retour des symptômes et que l’un des deux médecins-conseils avait exprimé des doutes sur le miracle présumé. Cet article a amené l’ancien préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le cardinal José Saraiva Martins, à divulguer à la presse qu’« il se pourrait que l’un des deux médecins-conseils puisse avoir quelques doutes. Et cela a malheureusement transpiré. » Le cardinal a révélé en outre que « les doutes devraient appeler une enquête plus approfondie. Dans de tels cas, a-t-il dit, la Congrégation demande à d’autres médecins de se saisir du cas et de donner leur avis. » [Nicole Winfield, Associated Press, Le « miracle » de Jean-Paul II examiné plus à fond, 28 mars 2010]
Un médecin a mis en doute le miracle, et quand ses doutes « ont filtré » de façon imprévue, d’autres médecins ont été saisis du cas, – et ce, il y a moins d’un an ! Avons-nous vraiment vu ce genre de guérisons miraculeuses indubitablement reconnues par Pie XII pour la béatification de Pie X ?
Les conséquences probables de cette béatification
Encore une fois, la vraie question concernant cette béatification n’est pas de savoir si Jean-Paul II fut un homme bon ou un saint, mais plutôt ce que sa béatification signifierait pour les gens qui ne prêtent aucune attention à la distinction entre béatification et canonisation. Cela signifierait que l’Eglise considère comme un saint, et même un grand saint parmi les pontifes romains, un pape dont le gouvernement de l’Eglise ne peut pas supporter la moindre comparaison avec les exemples de ses prédécesseurs saints et bienheureux.
Prenons, par exemple, l’avant-dernier Pontife romain canonisé, saint Pie V, modèle de courage dans sa réforme du clergé selon les décrets du Concile de Trente, dans ses mesures énergiques contre la propagation des erreurs dans l’Eglise, et dans sa défense de l’ensemble de la Chrétienté contre la menace de l’Islam pour lequel Jean-Paul II implorait la protection de saint Jean-Baptiste !
Considérons aussi le dernier pape à avoir été élevé sur les autels, saint Pie X, également connu pour son courageux gouvernement de l’Eglise dans la répression de l’hérésie moderniste, précisément celle qui a éclaté à nouveau après le Concile Vatican II et a été propagée à travers le monde catholique pendant le pontificat de Jean-Paul II, comme Mgr Pozzo l’a si candidement observé il y a juste quelques mois (mais sans considérer du tout, semble-t-il, la responsabilité du chef de l’Eglise dans cette catastrophe).
Cette béatification, par conséquent, ne fait-elle pas courir le risque de réduire la notion de béatification et même de canonisation au niveau d’un témoignage d’estime populaire attribué à une figure bien-aimée dans l’Eglise, à une sorte d’Oscar ecclésiastique ? Notons ici que, parmi l’une de ses nombreuses innovations, Jean-Paul II a « simplifié » les procès pour la béatification et la canonisation, ce qui lui a permis d’arriver aux chiffres incroyables de 1.338 béatifications et de 482 canonisations, plus que tous ses prédécesseurs réunis. Est-il prudent de juger, selon ces normes assouplies, le pape qui a lui-même, mis en service cette « usine à saints » (développement largement déprécié dans la presse) ?
Nous devons également exprimer notre profonde préoccupation face à l’exploitation prévisible de cette béatification par ceux qui forgent habilement l’opinion publique. Nous remarquons qu’ils observent un silence curieux là où l’on s’attendrait à une opposition bruyante si cette béatification représentait vraiment une attaque à l’esprit libéral dominant du temps – comme la béatification de Pie XII dont l’annonce fut accueillie par une incessante campagne de publicité destinée à l’arrêter à tout prix. Il semblerait que l’opinion publique mondiale perçoive la béatification de Jean-Paul II avec complaisance dans la mesure où elle sert à valider les « réformes de Vatican II » que le monde a saluées comme un compromis avec le « monde moderne », la « liberté » et les « droits de l’homme », compromis attendu depuis longtemps d’une Eglise sclérosée.
Pourtant, nous sommes bien certains que, si la béatification a lieu comme prévu, de puissants secteurs dans les médias de masse ne perdront pas un instant pour brandir, comme un exemple de « l’hypocrisie » de l’Eglise, l’ineptie et le népotisme manifestés par l’honneur rendu au pape qui a présidé au scandale de la pédophilie et refusé de sanctionner le sinistre fondateur des Légionnaires du Christ. Sur ce dernier point, il existe déjà un exposé sous forme de livre et de film, « Les vœux du silence : l’abus de pouvoir dans le pontificat de Jean-Paul II », qui raconte la façon dont Maciel a été protégé par les principaux conseillers du pape, dont le cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Martínez, Préfet de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de vie apostolique, et le cardinal Dziwisz, aujourd’hui archevêque de Cracovie, secrétaire de Jean-Paul II et son plus proche confident.
Conclusion
Au milieu de ce que Sœur Lucie de Fatima a appelé à juste titre, la « désorientation diabolique » dans l’Eglise, nous sommes bien conscients que cette béatification n’est pas du tout garantie par le charisme de l’infaillibilité. Elle n’établit pas un culte obligatoire, mais autorise seulement à vénérer le Bienheureux, si on le désire. Dans ce cas donc, nous sommes confrontés à la réelle possibilité d’une grave erreur de jugement prudentiel provoqué par des circonstances contingentes, y compris la popularité et l’affection, qui ne devraient pas influencer le processus essentiel d’une enquête approfondie et d’une délibération, dans le cas de cette béatification en particulier, avec toutes ses implications pour l’Eglise universelle.
Encore une fois, nous demandons : pourquoi cette hâte ? Craint-on peut-être qu’à ne pas procéder à cette béatification immédiatement, un verdict plus posé de l’histoire pourrait l’empêcher, comme ce fut certainement le cas pour Paul VI ? Si oui, pourquoi ne pas se conformer pour ce verdict à la vision à long terme que l’Eglise adopte généralement en matière de béatification ou de canonisation ? Si même un géant comme saint Pie V n’a été canonisé que 140 ans après sa mort, ne peut-on pas attendre au moins encore quelques années afin d’évaluer l’héritage du pontificat qui devrait figurer en bonne place dans la décision de béatifier Jean-Paul II ? L’Eglise ne peut-elle pas attendre au moins les 37 ans qui se sont écoulés entre la mort de Pie X et sa béatification par le pape Pie XII en 1951 (suivie de sa canonisation de 1954) ? En effet, est-il prudent de béatifier maintenant – sans évaluation supplémentaire et sur la base d’un seul miracle dont l’authenticité est mise en doute – un pape dont l’héritage est reconnu comme marqué par la propagation galopante du mal même auquel saint Pie X s’est héroïquement opposé et qu’il a vaincu en son temps ?
Pour toutes ces raisons, nous croyons qu’il est juste et approprié de prier le Saint Père de différer la béatification de Jean-Paul II à une époque où les motifs pour cet acte solennel pourront être évalués, objectivement et sans passion, à la lumière de l’histoire. Un retard prudent ne peut que servir au bien de l’Eglise, mis en danger au contraire par un procès précipité, non-exempt d’erreur et ne jouissant pas du charisme du Magistère infaillible de l’Eglise.
Notre-Dame, Reine de la Sagesse, Vierge très prudente, priez pour nous !
Cet exposé doit être remis, le 25 avril 2011, au cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints. Il sera accompagné d’une liste de signataires du monde entier : Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, France, Pays-Bas, Pologne, Argentine, Norvège, Allemagne, Irlande, Danemark, République tchèque, Malaisie, Malte, Slovénie, Mexique, Canada, Espagne, Nouvelle-Zélande, Japon, Suède, Pérou, Portugal, Indonésie, Porto-Rico, Autriche, Ouganda…
(Source : The Remnant – Traduction FSSPX-USA/MG – DICI en ligne n°233 du 16/04/11)
[1] Il convient d’ajouter ici le nom de l’évêque co-consécrateur, Mgr Antonio de Castro-Mayer, ancien évêque de Campos au Brésil (NDLR de DICI) [2] Le prêtre sri-lankais Tissa Balasuriya fut excommunié le 2 janvier 1997 pour son livre Marie ou la libération humaine, dans lequel il mettait sur un pied d’égalité toutes les religions et leurs fondateurs, faisait de la doctrine du péché originel une hypothèse et un mythe, semait le doute sur la naissance virginale du Christ… Cette excommunication fut levée le 15 janvier 1998. (NDLR de DICI)
The Remnant est une revue catholique américaine, dirigée par Michaël J. Matt. Indépendante de la Fraternité Saint-Pie X, elle a fait paraître un « Exposé des réserves sur la prochaine béatification de Jean-Paul II », le 21 mars 2011, qui dresse un constat accablant de la situation de l’Eglise après le Concile Vatican II. L’analyse de l’ensemble du pontificat de Jean-Paul II rejoint celle de la Fraternité Saint-Pie X, même si quelques jugements témoignent d’une certaine indulgence. On pourra lire ici le texte intégral de ce document, traduit en français par nos soins.
La béatification prochaine de Jean-Paul II, prévue le 1er mai 2011, a soulevé de sérieuses préoccupations chez un grand nombre de catholiques dans le monde entier, qui s’inquiètent de la situation de l’Eglise et des scandales qui l’ont accablée ces dernières années, scandales qui ont incité le Pape Benoît XVI à déclarer le jour du Vendredi Saint de l’année 2005 : « Que de souillures dans l’Eglise, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement. »
C’est notre propre inquiétude que nous exprimons par ce moyen public, restant fidèles à la loi de l’Eglise qui déclare : « Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, les fidèles ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes. » [CIC (1983), Can. 212, § 3]
Ce que nous croyons en conscience être le bien de l’Eglise nous oblige à exprimer nos réserves concernant cette béatification. Nous le faisons pour les raisons suivantes, même si d’autres raisons pourraient encore être avancées.
La vraie question
Précisons, pour commencer, que nous ne présentons pas ces considérations comme des arguments contre la piété ou l’intégrité personnelles de Jean-Paul II, que nous devons présupposer. Il ne s’agit pas de considérer sa piété ou son intégrité personnelles en tant que telles, mais plutôt de savoir s’il y a un fondement objectif à proclamer que Jean-Paul II a fait preuve de vertus héroïques dans l’exercice de ses fonctions élevées de pape, de telle sorte qu’il doive être mis immédiatement sur la voie de la canonisation et donné en modèle de pontife à tous ses successeurs.
L’Eglise a toujours reconnu que la question des vertus héroïques dans un procès en béatification était inextricablement liée à l’exercice héroïque par le candidat des devoirs de son état de vie. Comme l’a expliqué le pape Benoît XIV (1675-1758) dans son enseignement sur la béatification, l’accomplissement héroïque du devoir d’état se traduit par des actes si difficiles qu’ils sont « au-dessus des forces communes des hommes« , qu’ils « sont accomplis promptement, facilement« , « avec une joie sainte » et « assez fréquemment, lorsque l’occasion s’en présente« . [Cf. De servorum Dei beatificatione, Livre III, chap. 21 in Reginald Garrigou-Lagrange, Les Trois Ages de la Vie Intérieure, Vol. 2, p. 443].
Supposons qu’un père de famille nombreuse ait été présenté comme candidat à la béatification. On n’aurait pas grand espoir de voir avancer sa cause s’il se trouvait que, quoique pieux, il avait constamment échoué à corriger et à éduquer correctement ses enfants qui lui désobéissaient sans cesse et suscitaient le désordre dans sa maison, au point de combattre ouvertement la Foi alors même qu’ils vivaient sous son toit ; ou bien si, quoiqu’attentif à ses prières et à ses devoirs spirituels, il avait négligé de subvenir aux besoins de sa famille par son travail, et laissé ainsi son foyer courir à la ruine.
Lorsque le candidat à la béatification est un pape – Père de l’Eglise universelle – la question ne porte pas seulement sur sa piété et sa sainteté personnelles, mais aussi sur le soin qu’il a eu de l’immense domaine de la Foi que Dieu lui a confié, et pour lequel Dieu accorde au pape des grâces d’état extraordinaires. Voilà quelle est la vraie question : Jean-Paul II a-t-il accompli héroïquement ses devoirs de Souverain Pontife à la manière de ses prédécesseurs canonisés, ses devoirs que l’on peut énumérer ainsi : en combattant l’erreur, en défendant avec courage et promptitude son troupeau contre les loups féroces qui la propagent, et en protégeant l’intégrité de la doctrine et du culte divin de l’Eglise ? Nous craignons que, dans les circonstances de cette béatification « expresse », cette question de fond n’ait pas reçu toute la considération patiente et attentive qu’elle mérite.
Une pression populaire disproportionnée
Parmi les circonstances qui nous inquiètent, on peut citer la pression inopportune de la « demande populaire » de béatification, manifestée par le slogan « Santo subito ! » ( »Saint tout de suite ! »). C’est précisément dans le but d’éviter l’influence d’une émotion populaire éphémère et de permettre les conditions d’un jugement historique dépassionné, que la loi de l’Eglise prescrit sagement d’attendre un délai de cinq ans avant même d’entamer un procès de béatification. Pourtant, dans cette affaire, on s’est dispensé de ce délai prudent. C’est ainsi qu’un procès qui devrait avoir à peine commencé, se trouve maintenant presque à son terme, comme s’il s’agissait de satisfaire immédiatement à la volonté populaire, même si ce n’en est pas l’intention.
Nous sommes conscients du rôle de l’acclamation populaire, même dans la canonisation des saints, dans certains cas exceptionnels. Le pape saint Grégoire le Grand, par exemple, a été canonisé par acclamation populaire presque immédiatement après sa mort. Mais ce pontife romain hors du commun a été, ni plus ni moins, le fondateur de la civilisation chrétienne, posant les bases à la fois spirituelles et structurelles de l’Eglise et de la Chrétienté, qui ont perduré de siècle en siècle.
De même, le pape saint Nicolas Ier, le dernier pape honoré par l’Eglise du titre de « grand », a joué un rôle déterminant dans la réforme de l’Eglise lors d’une grande crise de la Foi et de la discipline touchant en particulier le haut de la hiérarchie ecclésiastique, dont il a affronté les membres corrompus avec courage, et c’est à juste titre qu’il est considéré comme le véritable sauveur de la civilisation chrétienne, au temps où sa survie même était mise en doute.
En outre, l’acclamation populaire des bienheureux et des saints nous vient d’un temps où l’écrasante majorité des gens demeurait fidèle et soumise à l’Eglise. La question se pose aujourd’hui : Quelle est la valeur d’une demande populaire pour cette béatification, à une époque où l’immense majorité de ceux qui se disent catholiques rejette purement et simplement tout enseignement en matière de Foi ou de morale, considéré par eux comme inacceptable – et en particulier l’enseignement infaillible du Magistère sur le mariage et la procréation ?
Un héritage encombrant
En toute sincérité, nous sommes contraints d’observer en comparaison que, étant donné la situation de l’Eglise telle qu’il l’a laissée, le pontificat de Jean-Paul II ne peut objectivement justifier une béatification par acclamation populaire, encore moins la canonisation immédiate que les foules ont réclamée à grands cris. Une honnête estimation des faits oblige à conclure que le pontificat de Jean-Paul II a été marqué, non par le renouvellement et la restauration que nous observons durant les pontificats de ses plus éminents prédécesseurs, mais plutôt, pour reprendre la célèbre remarque de l’ancien cardinal Ratzinger [Cf. L’Osservatore Romano, 9 novembre 1984], par l’accélération du « processus continu de décadence« , en particulier dans les nations de tradition chrétienne d’Europe occidentale, des Amériques et du Pacifique.
Cette réalité objective apparaît encore plus lorsque l’on considère que le défunt pape lui-même, à la toute fin de son pontificat, se lamentait de « l’apostasie silencieuse » d’une Europe autrefois chrétienne [Cf. Ecclesia In Europa (2003), n. 9]. De plus, son successeur a depuis publiquement décrié le « processus de sécularisation » qui « a produit une grave crise du sens de la foi chrétienne et de l’appartenance à l’Eglise. » En cette occasion, le pape Benoît XVI a annoncé la création d’un nouveau Conseil Pontifical dont la mission spécifique sera de « promouvoir une évangélisation renouvelée dans les pays où a déjà retenti la première annonce de la foi [...], mais qui vivent une sécularisation progressive de la société et une sorte d’« éclipse du sens de Dieu » [...] » [Cf. Homélie des Vêpres du 28 juin 2010].
La pénétration de cette « apostasie silencieuse » parmi les membres de l’Eglise elle-même est apparue encore plus évidente après le Second Concile du Vatican. Avant le Concile, le monde dans son ensemble subissait un déclin vertigineux et chaque pape le mettait en garde, mais à l’intérieur de l’Eglise, la Foi restait ferme, la liturgie était intacte, les vocations abondantes, les familles nombreuses – jusqu’à la grande « ouverture au monde » conciliaire.
Le Souverain Pontife actuel, écrivant en tant que cardinal Ratzinger, au milieu du pontificat de 27 ans de son prédécesseur, a établi une partie du diagnostic de l’apparition soudaine d’une crise postconciliaire sans précédent dans l’Eglise : « Je suis convaincu que la crise ecclésiastique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est due en grande partie à l’effondrement de la liturgie… » [La Mia Vita (1997), p. 113: “Sono convinto che la crisi ecclesiale in cui oggi ci troviamo dipende in gran parte dal crollo della liturgia...”]
L’idée que l’Eglise n’a subi absolument aucun « effondrement de la liturgie » avant Vatican II et les « réformes » entreprises en son nom, nécessite à peine une démonstration. Quinze ans seulement après le Concile, dans la deuxième année de son pontificat, Jean-Paul II lui-même a publiquement demandé pardon pour la perte soudaine et dramatique de la foi et du respect eucharistiques, à la suite des « réformes liturgiques » approuvées par Paul VI : « En arrivant au terme de ces considérations, je voudrais demander pardon – en mon nom et en votre nom à tous, vénérés et chers Frères dans l’épiscopat – pour tout ce qui, en raison de quelque faiblesse humaine, impatience, négligence que ce soit, par suite également d’une application parfois partielle, unilatérale, erronée des prescriptions du Concile Vatican II, peut avoir suscité scandale et malaise au sujet de l’interprétation de la doctrine et de la vénération qui est due à ce grand sacrement. Et je prie le Seigneur Jésus afin que désormais, dans notre façon de traiter ce mystère sacré, soit évité ce qui peut affaiblir ou désorienter d’une manière quelconque le sens du respect et de l’amour chez nos fidèles. » [Dominicae Cenae (1980), §12]
Mais cette repentance étonnante de Jean-Paul II n’a jamais été suivie d’aucune action décisive pour enrayer l’effondrement complet de la liturgie tout au long des vingt-cinq années suivantes de son règne. Bien au contraire, en 1988, année du vingt-cinquième anniversaire de la constitution Sacrosanctum Concilium, le pape a salué « les réformes qu’elle a permis de réaliser » comme étant « le fruit le plus apparent de toute l’œuvre conciliaire« , notant que « pour beaucoup, le message du Deuxième Concile du Vatican a été perçu avant tout à travers la réforme liturgique« . De fait ! En ce qui concerne l’effondrement manifeste de la liturgie, le pape s’est contenté de remarquer divers abus se produisant « parfois », en insistant néanmoins sur le fait que « les pasteurs et le peuple chrétien, dans leur immense majorité, ont accueilli la réforme liturgique dans un esprit d’obéissance et même de ferveur joyeuse. » [Vicesimus Quintus Annus (1988), § 12]
Pourtant aujourd’hui la majorité des chrétiens ne croient même pas à la Présence réelle du Christ dans la Sainte Eucharistie, qu’ils reçoivent dans la main, des mains non consacrées de ministres laïcs, comme s’il s’agissait d’un banal morceau de pain, ce qui est exactement la façon dont ils la traitent. De plus, allant de pair avec l’attitude quasi universelle d’obéissance sélective au Magistère, l’usage des moyens contraceptifs est largement répandu parmi les catholiques, dont la vision de la contraception diffère peu de celle des protestants, selon d’innombrables sondages et études. Ceci est également rendu visible par la chute vertigineuse des taux de natalité et leur niveau misérable aujourd’hui parmi les populations catholiques d’Occident, qui n’ont même pas assez d’enfants pour se renouveler. C’est pourquoi Jean-Paul II lui-même a mentionné « la peur partout répandue de donner vie à de nouveaux enfants » au sein de « l’apostasie silencieuse » qu’il déplore dans Ecclesia in Europa. En fait, on ne peut contester que le taux de natalité le plus haut dans les milieux catholiques se trouve chez les « traditionalistes » qui ne participent pas à la liturgie réformée ou qui, n’ayant pas d’autre choix, l’endurent sans la moindre trace de « ferveur joyeuse ».
De plus, il est manifeste que Jean-Paul II a lui-même contribué à l’effondrement liturgique par ses actes. Pour la première fois de son histoire, l’Eglise a vu sous son pontificat la nouveauté scandaleuse des « servantes d’autel », au sujet desquelles le pape est revenu sur sa décision première qui proscrivait cette innovation comme étant incompatible avec la tradition bimillénaire de l’Eglise. Puis, il y a eu les liturgies papales « inculturées » incluant de la musique rock et des éléments franchement païens, comme le spectacle effarant de la lecture de l’épître par une femme aux seins nus en Nouvelle-Guinée, de danseurs aztèques tournoyants et emplumés agitant des crécelles, ainsi que d’un « rite de purification » au Mexique, et d’une « cérémonie de la fumée » aborigène en lieu et place du rite pénitentiel en Australie. L’excuse selon laquelle le pape n’aurait rien su à l’avance de ces aberrations liturgiques est démentie par le choix (qu’il a fait lui-même) et le maintien de leur auteur et orchestrateur : Piero Marini, Maître des célébrations liturgiques pontificales de Jean-Paul II pendant près de vingt ans, en dépit de protestations universelles contre ses déformations grotesques de la liturgie romaine. Marini a finalement été remplacé en 2007 par le pape Benoît XVI, qui a fait preuve d’une grande clémence.
On est honnêtement forcé d’admettre que, si les grands papes d’avant le Concile avaient été témoins des liturgies papales de Jean-Paul II, ou simplement de l’état général du rite romain tout au long de son pontificat, ils en auraient éprouvé un mélange d’indignation et d’incrédulité horrifiée.
Mais la liturgie n’était pas la seule à s’être effondrée à la fin du dernier pontificat. Comme nous l’avons rappelé au début de cet exposé, le jour du Vendredi Saint 2005, juste avant de monter à son tour sur le Trône de Saint Pierre, l’ancien cardinal Ratzinger observait : « Que de souillures dans l’Eglise, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement. » [Cf. Homélie de la messe du Vendredi Saint, 2005]. Ces « souillures » auxquelles le cardinal faisait référence étaient bien évidemment le nombre incroyable de scandales sexuels mettant en cause des actes inqualifiables de la part de prêtres catholiques, sur toute la surface du globe – récolte de décennies de « renouveau conciliaire » dans les séminaires.
Au lieu de sanctionner les évêques qui entretenaient cette immoralité dans les séminaires, la dissimulaient en mutant les prédateurs sexuels de place en place, puis ruinaient leurs diocèses en dommages et intérêts à verser aux victimes, Jean-Paul II a offert un refuge à plusieurs des prélats les plus scandaleusement laxistes. L’exemple le plus remarquable est peut-être celui du cardinal Bernard Law. Obligé de répondre devant un grand jury de sa négligence coupable à éradiquer la prédation homosexuelle galopante de prêtres du diocèse de Boston sur des jeunes garçons, ce qui a abouti au versement de 100 millions de dollars de dommages et intérêts répartis entre plus de 500 victimes, la « punition » administrée à Law par le pape, après sa démission d’archevêque en disgrâce, a été de le faire venir à Rome et de le gratifier de l’une des quatre splendides basiliques majeures, avec la fonction d’archiprêtre.
Et que dire de Mgr Weakland, ce théologien dissident notoire qui a admis dans une déposition avoir délibérément remis des prédateurs homosexuels dans le ministère actif, au sein du diocèse de Milwaukee, sans en avertir leurs paroissiens ni faire part à la police de leurs crimes ? Ayant conduit le diocèse au dépôt de bilan par le paiement des dommages et intérêts consécutifs, Weakland n’a achevé sa longue carrière de démolition de l’intégrité de la foi et de la morale – avec une publicité mondiale – qu’après la révélation de son détournement de 450.000 dollars de fonds diocésains pour acheter le silence d’un homme avec qui il avait eu une relation homosexuelle. Jean-Paul II a autorisé ce loup épiscopal à prendre sa retraite avec toute la dignité due à sa haute charge dans l’Eglise, après quoi une maison d’édition protestante a publié ses mémoires : Pilgrim in a Pilgrim Church : Memoirs of a Catholic Archbishop (Pèlerin dans une Eglise en pèlerinage : Mémoires d’un archevêque catholique). Et un critique admiratif a écrit que le livre « fait le portrait d’un homme imprégné des valeurs du Concile Vatican II, qui a eu le courage de les mettre en avant à la fois en tant que Père Abbé bénédictin et en tant qu’archevêque de Milwaukee« .
Les « souillures » qui ont accablé l’Eglise au cours du dernier pontificat incluent la longue histoire de prédation sexuelle du P. Marcial Maciel Degollado, fondateur des Légionnaires du Christ, présenté comme le véritable exemple du « renouveau » en action. Jean-Paul II a refusé d’entreprendre la moindre enquête sur les agissements de Maciel en dépit de l’accumumlation de preuves de ses crimes abominables qui, grâce à une publicité mondiale, sont désormais les plus célèbres jamais commis par un clerc catholique. Ne tenant aucun compte des procès canoniques bien connus et engagés de longue date par huit séminaristes des Légionnaires que Maciel avait sexuellement agressés, Jean-Paul II l’a couvert d’honneurs lors d’une cérémonie publique au Vatican en novembre 2004. Quelques jours après cependant, le cardinal Ratzinger « a pris sur lui d’autoriser une enquête sur Maciel. » [Jason Berry, Money Paved the Way for Maciel’s Influence in the Vatican (L'argent a pavé la route de l'influence de Maciel au Vatican), National Catholic Reporter, 6 avril 2010]
Il a littéralement fallu attendre la mort de Jean-Paul II pour que Maciel puisse être sanctionné. Il a finalement été écarté du ministère actif et exilé dans un monastère dès que le cardinal Ratzinger est devenu le pape Benoît XVI. Mais tout cela ne représente qu’une part du tableau dépeint par un commentateur catholique de renom : « Jean-Paul II, le pape de haut vol, a laissé les scandales se répandre sous ses pieds, et il a échu au peu charismatique Ratzinger de les nettoyer. Ce modèle s’étend à d’autres problèmes épineux que le dernier pape avait tendance à éviter, comme la démolition de la liturgie catholique ou la montée de l’islam dans une Europe autrefois chrétienne. » [Ross Douthat, The Better Pope (Le meilleur pape), New York Times, 11 avril 2010]
Une autre raison d’avoir des réserves sur cette béatification est que, tout au long du pontificat de Jean-Paul II, les fidèles catholiques ont été stupéfaits et scandalisés par une quantité de déclarations et de gestes imprudents du pape, tels que l’Eglise n’en avait jamais connus en 2000 ans. Pour rappeler quelques-uns des exemples les plus connus :
- Les nombreuses repentances théologiquement douteuses pour les fautes présumées des catholiques en des époques antérieures de l’histoire de l’Eglise
- Les rencontres œcuméniques d’Assise en octobre 1986 et en janvier 2002
L’impression qu’a inévitablement laissée l’événement d’Assise, en particulier à travers le prisme des media séculiers, a été que toutes les religions plaisent plus ou moins à Dieu – ce qui est précisément la théorie rejetée comme fausse par le pape Pie XI dans son encyclique Mortalium Animos en 1928. Sinon, pourquoi le pape aurait-il convoqué tous leurs « représentants » à Assise pour offrir leurs « prières pour la paix » ? Est-il honnêtement possible de nier que chacun des prédécesseurs préconciliaires du pape aurait condamné ces exhibitions ?
- Le baiser du Coran effectué en public par le pape lors de la visite à Rome d’un groupe de chrétiens et de musulmans irakiens
- L’exclamation stupéfiante du 21 mars 2000 en Terre Sainte : « Que saint Jean-Baptiste protège l’islam et tout le peuple jordanien… » [Homélie pontificale en Terre Sainte, sur : vatican.va]
- L’imposition de la croix pectorale, symbole de l’autorité épiscopale, à George Carey et à Rowan Williams
- La participation active du pape Jean-Paul II à un culte païen dans une « forêt sacrée » du Togo
Peu après son retour à Rome, le pape a exprimé sa satisfaction d’avoir participé publiquement à la prière et au rituel des animistes. « La rencontre de prière au sanctuaire du Lac Togo fut particulièrement marquante. Là-bas, j’ai prié pour la première fois avec des animistes. » [La Croix, 23 août 1985] On pourrait penser que ce seul cas lui-même – non seulement sans repentir, mais vanté en public – devrait être suffisant pour anéantir la cause de Jean-Paul II au procès de canonisation. Car selon le propre aveu du pape, il a « prié… avec des animistes ». Et ce type d’action – participation directe et formelle à un culte païen – est une chose que l’Eglise a toujours jugée comme étant objectivement gravement peccamineuse. Ainsi que l’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique, il n’y a pas seulement idolâtrie dans l’adoration de faux dieux ou d’idoles en tant que tels, mais également lorsque l’on « honore et révère une créature à la place de Dieu, qu’il s’agisse des dieux ou des démons (par exemple le satanisme), de pouvoir, de plaisir, de la race, des ancêtres, de l’Etat , de l’argent, etc. (…) L’idolâtrie récuse l’unique Seigneurie de Dieu ; elle est donc incompatible avec la communion divine. » [CEC § 2113]
Mais ce n’est là que le plus scandaleux, sans doute, parmi de nombreux incidents similaires sous le pontificat de Jean-Paul II. Il est intéressant d’observer quel a été le verdict de l’Eglise au IVe siècle au sujet du pape Libère, premier évêque de Rome à ne pas être proclamé saint. Libère a hérité de cette « distinction » douteuse pour avoir, alors qu’il était en exil et sous l’oppression tyrannique d’un empereur persécuteur, souscrit à une doctrine ambiguë favorable à l’arianisme et pour avoir excommunié Athanase, le champion de l’orthodoxie trinitaire. Même si après sa libération et son retour à Rome, il a promptement rétracté ces actes lamentables et soutenu de nouveau la doctrine orthodoxe jusqu’à la fin de son pontificat, la canonisation lui a pourtant été refusée.
- L’office des vêpres « œcuméniques » dans la Basilique Saint-Pierre, le cœur de l’Eglise visible, au cours duquel le pape a consenti à prier en commun avec des « évêques » luthériens, parmi lesquels des femmes se prétendant successeurs des Apôtres
En somme, tout examen objectif des faits montre que Jean-Paul II a gouverné et laissé derrière lui une Eglise demeurée en crise après le bouleversement qui a immédiatement suivi le Concile Vatican II. Il est vrai que son pontificat a comporté des réalisations véritablement positives, comme la défense admirable et sans compromis de la vie humaine face à une « culture de mort » grandissante, un enseignement de grande valeur dans plusieurs encycliques sociales importantes, une déclaration infaillible sur l’impossibilité de l’ordination des femmes, et le motu proprio (Ecclesia Dei) qui a au moins préparé le terrain à la « libération » de la messe latine traditionnelle par le pape Benoît XVI. Nous ne mettons pas non plus en doute sa piété personnelle ni sa vie intérieure, évidentes pour ceux qui l’ont côtoyé, et que nous avons reconnues au début de cet exposé.
On ne peut nier cependant que tous les prédécesseurs de Jean-Paul II auraient été abasourdis et consternés par la désobéissance désastreusement répandue, la dégradation liturgique, la confusion doctrinale, les affaires de mœurs, et le déclin de l’assistance à la messe qui a perduré jusqu’à la fin de son pontificat – tout cela renforcé par des nominations épiscopales souvent peu judicieuses et par ces déclarations et actes pontificaux extrêmement discutables que nous avons rappelés plus haut. Même Paul VI, le pape de la réforme, dont les initiatives œcuméniques et interreligieuses sont restées beaucoup plus prudentes que celles de Jean-Paul II, aurait été effaré de l’état de l’Eglise à la fin du long règne de Jean-Paul II. Et c’est le pape Paul VI lui-même qui a décrit la débâcle postconciliaire déjà galopante, avec les mots les plus durs jamais entendus de la bouche d’un Souverain Pontife : « Par quelque fissure la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu : nous voyons le doute, l’incertitude, les problèmes, l’inquiétude, l’insatisfaction, l’affrontement.(…) Le doute est entré dans nos consciences, et il est entré par des fenêtres qui devraient être ouvertes à la lumière.(…) Cet état d’incertitude règne jusque dans l’Eglise. On espérait qu’après le Concile une journée de soleil aurait brillé sur l’histoire de l’Eglise. Au lieu de cela, c’est un jour de nuages, de tempête, de ténèbres, de tâtonnement, d’incertitude qui est venu.(…) Comment cela s’est-il produit ? Nous allons vous confier ce que nous pensons : une puissance adverse est intervenue dont le nom est le démon… » [Paul VI, Insegnamenti, Ed. Vaticana, Vol. X, 1972, p. 707]
Comme Jean-Paul II après lui, Paul VI n’a pris aucune mesure efficace pour faire face à une débacle que seul le pape, et uniquement le pape, aurait pu empêcher, ou tout au moins étroitement circonscrire.
Et c’est bien Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission pontificale Ecclesia Dei, qui a repris ces aveux désastreux du pape Paul VI dans son discours aux prêtres européens de la Fraternité Saint-Pierre, le 2 juillet 2010, à Wigratzbad. Mgr Pozzo l’a reconnu à cette occasion : « Malheureusement, les effets décrits par Paul VI n’ont pas disparu. Une pensée étrangère est entrée dans le monde catholique, jetant la confusion, séduisant beaucoup d’esprits et désorientant les fidèles. Il y a un ‘esprit de démolition’ imprégné de modernisme… » La crise postconciliaire, a-t-il observé, comprend une « idéologie para-conciliaire » qui « reprend en substance l’idée du modernisme, condamné au début du XXe siècle par saint Pie X. » »
Mais qui, sinon le dernier pape, et son prédécesseur, porte une part de responsabilité dans l’extension de cette idéologie para-conciliaire hétérodoxe dans tout le monde catholique ? Certes Jean-Paul II, comme Paul VI, a promulgué un grand nombre de documents magistériels dans la ligne de la doctrine traditionnelle qui étaient dirigés contre cette hétérodoxie. Mais la question qui se pose maintenant est celle-ci : son témoignage a-t-il été assez fort et assez consistant pour qu’il puisse être lui-même qualifié de défenseur héroïque de la foi et de la morale orthodoxes ? Ou plutôt, ses propres innovations discutables en paroles et en actes, ainsi que ses omissions et son manque de fermeté dans le gouvernement de l’Eglise, ont-ils eu pour effet global de reprendre de la main gauche ce qu’il donnait de la main droite ?
A ce propos, nous remarquons cette ironie suprême : alors qu’une résurgence de l’hérésie moderniste engendrait le chaos dans toute l’Eglise, Jean-Paul II n’a jugé opportun d’annoncer personnellement l’excommunication que de cinq personnes en vingt-sept années de pontificat : celles de feu l’archevêque Marcel Lefebvre et des quatre évêques qu’il a consacrés en 1988 pour la Fraternité Saint-Pie X[1], dont le but est précisément (que l’on soit d’accord ou non avec leur approche) de lutter contre « l’idéologie para-conciliaire » mentionnée par Mgr Pozzo, selon le programme du pape saint Pie X dont leur société porte le nom. (NB : Jean-Paul II n’a pas annoncé personnellement l’excommunication de Tissa Balasuriya[2], qui de toute façon a été « désexcommunié » un an plus tard).
Comme tout le monde le sait, le pape Benoît XVI a levé au début de l’année 2009 les excommunications qui frappaient les quatre évêques de la Fraternité. Il a déclaré depuis « qu’avec la reconnaissance de la primauté du pape, ces évêques, du point de vue juridique, devaient être libérés de l’excommunication« . [Lumière du monde, p. 42] Mais ils avaient toujours reconnu la primauté du pape, contrairement à ces multitudes de catholiques – laïques, prêtres, religieuses, théologiens, et même certains évêques – qui l’ont niée de fait en s’écartant ouvertement des enseignement les plus fondamentaux du Magistère, pendant que le Vatican n’a rien fait ou presque pendant plus d’un quart de siècle contre eux.
De même, l’infortuné Paul VI, au beau milieu de « l’auto-démolition » croissante de l’Eglise qu’il dénonçait lui-même, a réservé ses mesures disciplinaires les plus dures à la Fraternité et à Mgr Lefebvre, qu’il a réprimandé nominalement et en public, avant d’ordonner qu’il fût suspens a divinis, tandis que des rebelles à la théologie et à la liturgie mettaient l’Eglise à sac en toute impunité dans le monde entier.
Bien peu aujourd’hui proposent sérieusement la béatification de Paul VI, qui a précipité la débâcle à laquelle il présidait, sans même faire le minimum nécessaire pour la circonscrire. En fait, il n’y a pas eu de procès en béatification du pape Paul VI avant que Jean-Paul II le fasse ouvrir au niveau diocésain, en 1993. Il n’a pas progressé depuis, ayant, semble-t-il, subi un coup d’arrêt en raison d’objections graves qui ne sont pas sans rappeler quelques-unes de celles que nous avons suggérées ici. Et ainsi nous devons poser cette question : pourquoi une telle précipitation à béatifier Jean-Paul II, alors qu’il a poursuivi sans dévier le même programme imprudent de réformes que celui de son prédécesseur, y ajoutant toute une série d’innovations que même le pape Paul VI, ce personnage hautement tragique, n’aurait pas osé hasarder ? Au moins Paul VI a-t-il eu l’honnêteté d’admettre qu’il avait vu la fumée de Satan entrer dans l’Eglise, et non un « nouveau printemps de vie chrétienne qui devra être révélé par le grand Jubilé si les chrétiens savent suivre l’action de l’Esprit Saint. » [Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente (1994) § 18]
Pour l’amour de la vérité, nous devons tirer franchement la conclusion qui s’impose : aucun pape béatifié ni canonisé dans l’histoire de l’Eglise n’a laissé un héritage aussi trouble que celui de Jean-Paul II, et probablement aucun pape du tout à l’exception de Paul VI.
Un miracle douteux
Enfin, nous ne pouvons manquer de noter que le seul miracle sur lequel la béatification toute entière repose – la prétendue guérison d’une religieuse française, Sœur Marie Simon-Pierre, déclarée atteinte de la maladie de Parkinson –, laisse songeur.
D’une part, le diagnostic même de la maladie de Parkinson laisse place au doute ; il manque le seul test définitif reconnu par la science médicale : l’autopsie du cerveau. Il peut aussi s’agir de symptômes d’autres désordres, susceptibles d’une rémission spontanée et très semblables à ceux de la maladie de Parkinson. D’autre part, le lien entre la guérison présumée de la religieuse et la « nuit de prières à Jean-Paul II » semble douteux. Les prières faites ont-elles exclu l’invocation de tout autre saint et de tous les saints reconnus ?
En comparaison, considérons les deux miracles – c’est Jean-Paul II lui-même qui en a réduit l’exigence à un seul – que Pie XII a jugé suffisants pour béatifier Pie X. Le premier concerne une religieuse qui, ayant un cancer des os, a été guérie instantanément après l’application d’une relique de Pie X sur sa poitrine. Le second concerne une religieuse dont le cancer a disparu quand elle a touché une statue reliquaire de Pie X. Dans le cas présent, on ne trouve pas une telle connexion indiscutable entre la prétendue guérison et une relique putative de Jean-Paul II.
Il n’est pas question ici du magistère infaillible de l’Eglise ; l’évaluation de ce seul miracle est un jugement d’ordre médical susceptible d’erreur. Imaginez les dommages pour la crédibilité de l’Eglise si cette religieuse devait voir un jour la réapparition de ses symptômes. De fait, en mars de l’année dernière, le quotidien Rzeczpospolita, l’un des journaux polonais les plus sérieux, a rapporté qu’il y avait eu un certain retour des symptômes et que l’un des deux médecins-conseils avait exprimé des doutes sur le miracle présumé. Cet article a amené l’ancien préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le cardinal José Saraiva Martins, à divulguer à la presse qu’« il se pourrait que l’un des deux médecins-conseils puisse avoir quelques doutes. Et cela a malheureusement transpiré. » Le cardinal a révélé en outre que « les doutes devraient appeler une enquête plus approfondie. Dans de tels cas, a-t-il dit, la Congrégation demande à d’autres médecins de se saisir du cas et de donner leur avis. » [Nicole Winfield, Associated Press, Le « miracle » de Jean-Paul II examiné plus à fond, 28 mars 2010]
Un médecin a mis en doute le miracle, et quand ses doutes « ont filtré » de façon imprévue, d’autres médecins ont été saisis du cas, – et ce, il y a moins d’un an ! Avons-nous vraiment vu ce genre de guérisons miraculeuses indubitablement reconnues par Pie XII pour la béatification de Pie X ?
Les conséquences probables de cette béatification
Encore une fois, la vraie question concernant cette béatification n’est pas de savoir si Jean-Paul II fut un homme bon ou un saint, mais plutôt ce que sa béatification signifierait pour les gens qui ne prêtent aucune attention à la distinction entre béatification et canonisation. Cela signifierait que l’Eglise considère comme un saint, et même un grand saint parmi les pontifes romains, un pape dont le gouvernement de l’Eglise ne peut pas supporter la moindre comparaison avec les exemples de ses prédécesseurs saints et bienheureux.
Prenons, par exemple, l’avant-dernier Pontife romain canonisé, saint Pie V, modèle de courage dans sa réforme du clergé selon les décrets du Concile de Trente, dans ses mesures énergiques contre la propagation des erreurs dans l’Eglise, et dans sa défense de l’ensemble de la Chrétienté contre la menace de l’Islam pour lequel Jean-Paul II implorait la protection de saint Jean-Baptiste !
Considérons aussi le dernier pape à avoir été élevé sur les autels, saint Pie X, également connu pour son courageux gouvernement de l’Eglise dans la répression de l’hérésie moderniste, précisément celle qui a éclaté à nouveau après le Concile Vatican II et a été propagée à travers le monde catholique pendant le pontificat de Jean-Paul II, comme Mgr Pozzo l’a si candidement observé il y a juste quelques mois (mais sans considérer du tout, semble-t-il, la responsabilité du chef de l’Eglise dans cette catastrophe).
Cette béatification, par conséquent, ne fait-elle pas courir le risque de réduire la notion de béatification et même de canonisation au niveau d’un témoignage d’estime populaire attribué à une figure bien-aimée dans l’Eglise, à une sorte d’Oscar ecclésiastique ? Notons ici que, parmi l’une de ses nombreuses innovations, Jean-Paul II a « simplifié » les procès pour la béatification et la canonisation, ce qui lui a permis d’arriver aux chiffres incroyables de 1.338 béatifications et de 482 canonisations, plus que tous ses prédécesseurs réunis. Est-il prudent de juger, selon ces normes assouplies, le pape qui a lui-même, mis en service cette « usine à saints » (développement largement déprécié dans la presse) ?
Nous devons également exprimer notre profonde préoccupation face à l’exploitation prévisible de cette béatification par ceux qui forgent habilement l’opinion publique. Nous remarquons qu’ils observent un silence curieux là où l’on s’attendrait à une opposition bruyante si cette béatification représentait vraiment une attaque à l’esprit libéral dominant du temps – comme la béatification de Pie XII dont l’annonce fut accueillie par une incessante campagne de publicité destinée à l’arrêter à tout prix. Il semblerait que l’opinion publique mondiale perçoive la béatification de Jean-Paul II avec complaisance dans la mesure où elle sert à valider les « réformes de Vatican II » que le monde a saluées comme un compromis avec le « monde moderne », la « liberté » et les « droits de l’homme », compromis attendu depuis longtemps d’une Eglise sclérosée.
Pourtant, nous sommes bien certains que, si la béatification a lieu comme prévu, de puissants secteurs dans les médias de masse ne perdront pas un instant pour brandir, comme un exemple de « l’hypocrisie » de l’Eglise, l’ineptie et le népotisme manifestés par l’honneur rendu au pape qui a présidé au scandale de la pédophilie et refusé de sanctionner le sinistre fondateur des Légionnaires du Christ. Sur ce dernier point, il existe déjà un exposé sous forme de livre et de film, « Les vœux du silence : l’abus de pouvoir dans le pontificat de Jean-Paul II », qui raconte la façon dont Maciel a été protégé par les principaux conseillers du pape, dont le cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Martínez, Préfet de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de vie apostolique, et le cardinal Dziwisz, aujourd’hui archevêque de Cracovie, secrétaire de Jean-Paul II et son plus proche confident.
Conclusion
Au milieu de ce que Sœur Lucie de Fatima a appelé à juste titre, la « désorientation diabolique » dans l’Eglise, nous sommes bien conscients que cette béatification n’est pas du tout garantie par le charisme de l’infaillibilité. Elle n’établit pas un culte obligatoire, mais autorise seulement à vénérer le Bienheureux, si on le désire. Dans ce cas donc, nous sommes confrontés à la réelle possibilité d’une grave erreur de jugement prudentiel provoqué par des circonstances contingentes, y compris la popularité et l’affection, qui ne devraient pas influencer le processus essentiel d’une enquête approfondie et d’une délibération, dans le cas de cette béatification en particulier, avec toutes ses implications pour l’Eglise universelle.
Encore une fois, nous demandons : pourquoi cette hâte ? Craint-on peut-être qu’à ne pas procéder à cette béatification immédiatement, un verdict plus posé de l’histoire pourrait l’empêcher, comme ce fut certainement le cas pour Paul VI ? Si oui, pourquoi ne pas se conformer pour ce verdict à la vision à long terme que l’Eglise adopte généralement en matière de béatification ou de canonisation ? Si même un géant comme saint Pie V n’a été canonisé que 140 ans après sa mort, ne peut-on pas attendre au moins encore quelques années afin d’évaluer l’héritage du pontificat qui devrait figurer en bonne place dans la décision de béatifier Jean-Paul II ? L’Eglise ne peut-elle pas attendre au moins les 37 ans qui se sont écoulés entre la mort de Pie X et sa béatification par le pape Pie XII en 1951 (suivie de sa canonisation de 1954) ? En effet, est-il prudent de béatifier maintenant – sans évaluation supplémentaire et sur la base d’un seul miracle dont l’authenticité est mise en doute – un pape dont l’héritage est reconnu comme marqué par la propagation galopante du mal même auquel saint Pie X s’est héroïquement opposé et qu’il a vaincu en son temps ?
Pour toutes ces raisons, nous croyons qu’il est juste et approprié de prier le Saint Père de différer la béatification de Jean-Paul II à une époque où les motifs pour cet acte solennel pourront être évalués, objectivement et sans passion, à la lumière de l’histoire. Un retard prudent ne peut que servir au bien de l’Eglise, mis en danger au contraire par un procès précipité, non-exempt d’erreur et ne jouissant pas du charisme du Magistère infaillible de l’Eglise.
Notre-Dame, Reine de la Sagesse, Vierge très prudente, priez pour nous !
Cet exposé doit être remis, le 25 avril 2011, au cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints. Il sera accompagné d’une liste de signataires du monde entier : Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, France, Pays-Bas, Pologne, Argentine, Norvège, Allemagne, Irlande, Danemark, République tchèque, Malaisie, Malte, Slovénie, Mexique, Canada, Espagne, Nouvelle-Zélande, Japon, Suède, Pérou, Portugal, Indonésie, Porto-Rico, Autriche, Ouganda…
(Source : The Remnant – Traduction FSSPX-USA/MG – DICI en ligne n°233 du 16/04/11)
[1] Il convient d’ajouter ici le nom de l’évêque co-consécrateur, Mgr Antonio de Castro-Mayer, ancien évêque de Campos au Brésil (NDLR de DICI) [2] Le prêtre sri-lankais Tissa Balasuriya fut excommunié le 2 janvier 1997 pour son livre Marie ou la libération humaine, dans lequel il mettait sur un pied d’égalité toutes les religions et leurs fondateurs, faisait de la doctrine du péché originel une hypothèse et un mythe, semait le doute sur la naissance virginale du Christ… Cette excommunication fut levée le 15 janvier 1998. (NDLR de DICI)