« Dialogue avec les traditionalistes, mais pas au point de sacrifier le dialogue œcuménique » |
Apic du 22 mai 2006 - Commenté par www.dici.org |
Martin Klöckener, professeur de sciences liturgiques à la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg, est interrogé par Pierre Rotet de l’ agence Apic, sur les propos tenus le 27 avril dernier à Rome par Mgr Albert Malcom Ranjith Patabendige, pour qui les changements liturgiques intervenus à la faveur de Vatican II - comme la disparition de l’usage du latin et l’orientation des autels face au peuple -, ne peuvent pas être considérés comme définitifs. (voir DICI n° 135). Le secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Mgr Ranjith avait fait cette déclaration dans le cadre de la présentation de la version italienne du livre "Rivolti al Signore. L’orientamento nella preghiera liturgica" ("Conversi ad Dominum. Zur Geschichte und Theologie der christlichen Gebetsrichtung") du Père Uwe Michael Lang. Le prélat indien s’inscrivait explicitement dans la ligne du cardinal Ratzinger qui avait préfacé l’ouvrage en 2003. La sortie de la traduction italienne de ce livre a eu lieu un mois après la rencontre des cardinaux avec Benoît XVI où il fut question de la Fraternité Saint-Pie X. Le 23 mars, le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé, déclarait à l’issue de cette réunion que l’Eglise attendait à bras ouverts les disciples de Mgr Lefebvre. Dans ces circonstances, comment interpréter les propos du prélat indien ajoutant sans hésiter que "dans une culture qui divinise l’homme, la tentation de devenir protagonistes de la liturgie est forte"? Remise en question, volonté d’un retour en arrière ? Martin Klöckener répond au journaliste de l’Apic : « Il faut rester clair. Vatican II a été accepté, avec ses idées théologiques, sa vision de l’Eglise, son ouverture vers le monde. L’essentiel de ce Concile ne peut donc pas être remis en question, surtout dans l’optique d’un dialogue avec les traditionalistes. Les acquis de Vatican II ne touchent du reste pas que la liturgie. Cette dernière n’est qu’un aspect, peut-être même secondaire dans le dialogue avec les traditionalistes, pris dans l’ensemble de Vatican II, faute de quoi, on toucherait à sa légitimité. C’est dire que les questions sont plus profondes et qu’elles vont bien au-delà de la simple liturgie. C’est pourtant bien d’une remise en question de ces acquis dont il est apparemment question… - Cela aurait été moins possible il y a 20 ans en effet, même si, à l’époque, en 1984, on a assisté à une première ouverture vers les intégristes, avec l’acceptation de l’utilisation du missel du Concile de Trente, de 1570 (mais dans l’édition de 1962). Cela avec des conditions bien précises et dans un cadre défini par l’évêque diocésain. Surtout qu’il appartenait à l’évêque de choisir les prêtres autorisés à célébrer selon le rite saint Pie V en compagnie d’intégristes. Cette première ouverture, certes restrictive, n’en était pas moins évidente. Sans doute fallait-il y voir l’intention de Jean-Paul II de retrouver l’unité. Il faut se rappeler du rapprochement avec la communauté du Barroux, dans le sud de la France, puis plus tard, d’une autre communauté traditionaliste au Brésil. Le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avant de devenir Benoît XVI, avait joué un rôle non négligeable dans ce rapprochement… - Oui. Dans le souci de retrouver l’unité de l’Eglise, il s’est montré assez ouvert, et il a pris quelques mesures qui n’ont pas toujours été appréciées de la même manière par tout le monde. Par exemple, il avait d’ailleurs écrit la préface pour la réimpression d’un missel des fidèles préconciliaire, publié par l’abbaye du Barroux, vers la fin des années 80. Les prémisses d’une volonté de retrouver l’unité ? - L’Eglise se doit d’avoir le soin de retrouver l’unité. Mais elle ne doit pas non plus perdre de vue qu’elle doit rester fidèle au Concile Vatican II. Avec un recentrage et un tour de vis pour tout ce qui touche à la liturgie… - Dans beaucoup de questions liturgiques actuelles, le problème central tourne autour de la relation entre l’Eglise universelle d’une part et les Eglises particulières d’autre part. Si l’on observe le rôle du Saint-Siège dans le développement de la liturgie ces dernières années, on peut en effet constater une volonté de centraliser le règlement de la liturgie et de limiter la responsabilité des Conférences des évêques, d’empêcher les efforts d’une inculturation approfondie de la liturgie. On note de sa part un intérêt assez marqué pour souligner le rôle du prêtre, sans avancer en même temps dans la recherche d’une place convenable des agents pastoraux laïcs dans la liturgie. Les discussions en Suisse vont d’ailleurs bon train à ce sujet. Il est vrai que le statut des agents pastoraux laïcs dans la liturgie n’est pas bien clarifié. Une déclaration des évêques suisses avait abordé la question en janvier 2005 d’une manière constructive. Même s’il reste des questions, il faut poursuivre ces chemins pour trouver des solutions théologiquement justifiées, aptes aux situations des Eglises particulières, et acceptables aussi pour l’Eglise universelle. La méfiance est de mise…. - Le Saint-Siège, à plusieurs reprises, a fait part de sa méfiance face aux nouvelles orientations et au développement tous azimuts de la liturgie dans certains pays ou continents. Il est vrai, il existe des développements moins heureux et des pratiques nettement à critiquer; il faut s’engager, avec tous les moyens possibles, pour une bonne qualité de la liturgie. Mais cela se fait mieux en dialogue avec les évêques des pays concernés, en écoutant leur avis, pour achever ce qui est nécessaire selon la première phrase du dernier concile: pour « faire progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles ». Cela inclut aussi la poursuite de l’intégration et de l’adaptation de cette même liturgie aux cultures locales. Si, à en croire Mgr Albert Malcom Ranjith Patabendige, rien ne peut être considéré comme définitif s’agissant des changements apportés par Vatican II, c’est donc, selon lui, qu’un retour en arrière est à envisager… - C’est ce que pourraient laisser supposer ses déclarations, mais j’espère et je crois que cela n’est pas son intention. Il faut savoir que la messe latine n’a jamais été abolie dans l’Eglise romaine. Le Missel romain, dans la version latine, sert encore de base pour toutes les traductions en langue maternelle et peut également être utilisé dans la célébration de la messe elle-même. Mais un retour à une pratique régulière de ce rite n’aurait aucune chance de passer. Si tel devait être le cas, je ne crois pas que beaucoup de prêtres responsables de paroisse, ni que beaucoup d’évêques diocésains soutiendraient l’idée d’une messe régulière en latin. Comment les fidèles pourraient-ils authentiquement y participer et y trouver la source principale de leur vie spirituelle, comme le dernier concile le demande également? Comment alors interpréter les propos du secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, sans doute pas fortuits… Comme un ballon d’essai…? - Je ne le pense pas. Nous avons assez de discussions entre le Saint-Siège et les Conférences des évêques, surtout en matière liturgique. Pour ces dernières, la liturgie doit rester un point essentiel de la vie pastorale, de la spiritualité des fidèles de notre époque. Nous n’avons pas encore trouvé le bon équilibre afin d’intégrer le rite romain, qui signifie entre autres l’unité de l’Eglise universelle, mais tout en respectant les mentalités propres, les différentes cultures et la manière de formuler le tout dans les différentes langues. Après le Concile, la question était plus ouverte. Aujourd’hui, la position du Saint-Siège est plus tranchée, plus sévère, et moins conciliante en ce qui concerne les relations avec les Conférences épiscopales. C’est donc qu’il y a problème… - C’est l’évidence même. Et vos étudiants, qu’en disent-ils ? - Ils ont entre 20 et 25 ans. Cette génération ne parle pas de "nouvelle liturgie" dans l’esprit de Vatican II. Ils n’ont jamais fait l’expérience d’une autre liturgie. Ainsi, ils ne sont plus fixés sur les positions parfois conflictuelles d’après le concile et montrent en général une ouverture dans différentes directions. Néanmoins pour eux, beaucoup des problèmes mentionnés sont d’un autre siècle. On parle de rapprochement… comment concilier des positions a priori irrémédiablement opposées entre Ecône et Rome ? Il faudra bien que quelqu’un lâche du lest… - Il n’est pas simple de prévoir comment les choses vont se développer. L’Eglise catholique ne doit pas oublier son engagement en faveur de l’œcuménisme, ses pas vers les Eglises de la Réforme. Il n’est pas admissible qu’un petit groupe, très spécial, à droite de l’Eglise catholique, puisse bloquer le dialogue de l’Eglise dans son ensemble. On ne peut faire le sacrifice de ces dialogues avec les autres Eglises, sous prétexte de retrouver l’unité avec les intégristes. Ce serait là un sacrifice trop grand. |