9 janvier 2005

[Petrus - Le Forum Catholique] Accord ou pas accord avec Rome ?

SOURCE - Petrus - Le Forum Catholique - 9 janvier 2005

Cher Franck, permettez-moi de vous dire d'abord combien je trouve utile et opportune votre initiative de faire figurer en ligne les textes de prêtres ayant quitté ces dernières années, pour des raisons diverses, la FSSPX. Il est seulement regrettable qu'ils soient en langue étrangère mais enfin c'est mieux que rien. J'adhère totalement à votre analyse sur le comportement des autorités de la FSSPX avec les prêtres dont ils se débarrassent : cela se fait sans ménagement, de manière expéditive, généralement par simple fax, sans entrevue préalable, sans possibilité de se défendre, sans droit d'appel ou de recours. Sans vouloir à nouveau polémiquer, reconnaissez quand même que ce sont là les signes cliniques, objectifs, repérables de la secte. Les abbés Laguérie et Héry subissent aujourd'hui ce que tant de prêtres ont subi injustement depuis plus de trente ans. Car ne nous y trompons pas: cette attitude détestable n'est pas nouvelle au sein de la FSSPX. Elle ne date pas de Mgr Fellay, ni de la mort de Mgr Lefebvre, ni même des sacres. Elle a toujours été la marque de fabrique de l'organisation écônienne ou éconnarde. Il serait d'ailleurs intéressant d'écrire une vraie histoire d'Ecône et de la FSSPX et de dresser une liste descriptive de tous les prêtres, diacres et séminaristes exclus ou poussés au départ. L'on serait édifié. Les abbés Laguérie et Héry découvrent tout à coup une situation dont ils s'accommodaient très bien lorsque c'étaient d'autres eux qui subissaient la foudre, injuste et cruelle, des grands chefs successifs de la FSSPX. 
 
Mais enfin passons, tel n'est pas le sujet principal de mon post. 
 
Cher Franck, je n'ai jamais dit que les laguéristes ne voulaient pas trouver un arrangement avec le Vatican, ce qui est en effet à peu près la thèse qu'Henri Tincq a développée dans Le Monde en septembre 2004. J'ai simplement rappelé une citation du dernier Cor unum de Mgr Fellay (citation que l'on doit à l'abbé Daniel Vd, même si malheureusement ces citations ont disparu de manière inexplicable du texte du 5 janvier intitulé "Très sincère" : il faudra bien que l'on obtienne une explication sur cette affaire qui n'est quand même pas mineure).

[NDXA : cette assertion est fausse. Les citations faites par Daniel vd de Cor unum sont partie intégrante d'un autre message que celui cité ici par Petrus. Ces citations figurent tujours dans le message concerné. Voir Message ERRATUM ci-dessous.] 
 
Simplement je constate que faire de Mgr Fellay le garant de l'autonomie de la FSSPX par rapport au Vatican ne me semble pas tenir la route, au vu d'un grand nombre de déclarations récentes du supérieur général de la FSSPX. L'entretien qu'il a donné à la revue américaine The Latin Mass (que l'on peut lire dans Fideliter de novembre-décembre 2004 ou sur le site de DICI au 25 septembre 2004) va complètement dans le sens des accords. Et il semble que depuis la reprise officielle des discussions en 2000, les contacts n'aient jamais complètement cessé. Rappelons-nous également que Mgr Fellay ne s'était pas montré hostile, au moins dans un premier temps, lors de la régularisation canonique de la communauté de Campos en janvier 2002. A la différence de Mgr Williamson qui s'était aussitôt exclamé dans la lettre aux amis et bienfaiteurs du séminaire de Winona qu'il dirigeait à l'époque : "Campos is fallen" (Campos est tombé). J'ajoute qu'au séminaire, puis comme prêtre (il a été ordonné en juin 1982), Mgr Fellay a toujours été considéré comme un des éléments les plus modérés, les plus centristes, les plus faibles de la FSSPX. (mais justement un gouvernement faible est souvent injuste)

Est-ce à dire pour autant que tous les actuels soutiens de Fellay sont ouverts au principe d'un accord avec Rome? Certes non. On voit mal ainsi un abbé Beaublat ou un abbé Pivert accepter de bon coeur la régularisation canonique de leur société sacerdotale par le cardinal Castrillon Hoyos. En revanche, le fellaysien Bonneterre, le plus à gauche, avec l'abbé Cottard, (et depuis longtemps!) des 450 prêtres FSSPX, n'y verrait sans doute que des avantages. C'est dire que pour un lefebvriste le choix est difficile. Je le vois bien avec ceux de mes amis et relations qui, sans être sédévacantistes, refusent catégoriquement tout rapprochement avec une Rome honnie : ils aimeraient choisir entre les deux camps mais s'en abstiennent car justement ils ont des doutes sur la fiabilité de certaines personnes dans les deux parties.

Et de fait la situation n'est pas plus claire du côté des "mutins" pour reprendre l'ecxpression suresnienne. Mgr Williamson a toujours été en pointe contre tout accord avec Rome, au moins dans ses discours publics, et encore récemment dans son sermon du 17 octobre à Saint-Nicolas. Pour ma part, n'étant pas Dieu, je suis bien obligé de juger les hommes sur leurs discours et leurs écrits (et bien sûr sur leurs actes passés et présents) et non sur leurs éventuelles arrière-pensées. L'abbé de Tanoüarn qui est un peu le théoricien du droit de fronde à l'intérieur de l'"église officielle" (il veut que la FSSPX soit "l'instance critique de l'église conciliaire") s'est toujours montré réservé jusque-là sur le principe d'un accord à court terme (sur le long terme, c'est différent). ainsi que son soutien Maxence Hecquart qui y paraît, quant à lui, plus opposé encore, toujours évidemment à en juger par ses écrits.

En revanche, l'abbé Laguérie en avait étonné plus d'un en écrivant dans le numéro 54 de Pacte (avril 2001) ces quelques lignes: "Je crois à la possibilité d'un accord pratique et à la vanité totale de discussions doctrinales" car, ajoutait-il, "il est urgent de se retrouver dans la communion liturgique et sacramentelle de l'Eglise de toujours pour que, faisant pareil, on finisse par penser pareil". Donc, l'abbé Laguérie n'est pas fermé à un accord pratique avec Rome. D'ailleurs, lorsqu'il est passé en septembre dans l'émission de Serge de Beketch sur Radio Courtoisie, répondant à une question d'un auditeur, il a dit qu'il n'était pas favorable à un Campos français "tout de suite" et qu'il rejetait tout "accord mal ficelé, bâclé", mais il semblait en revanche très ouvert au principe d'un accord pratique correctement négocié, même si cela devait prendre quelque temps. J'ajoute que le fait que l'abbé de Tanoüarn ait accueilli cet article dans sa revue laisse à penser qu'il n'est pas en désaccord complet avec son confrère, même si le directeur de Pactes peut très bien faire paraître dans son bulletin une contribution avec laquelle il n'est pas en phase.

A la vérité, et c'est ce qui renforce la complexité de cette crise, mais aussi son caractère pathétique, c'est que la division en cours ne se forme pas sur des querelles d'idées clairement exprimées, sur des divergences de stratégie ouvertement revendiquées (accord ou pas accord avec le Vatican). C'est d'ailleurs à mon sens ce qui la rend plus inextricable et plus à même d'ébranler en profondeur la FSSPX et ses soutiens. Car vous remarquerez que la querelle sur la gnose est également transversale. De même que vous trouvez des partisans de la régularisation canonique avec Rome dans les deux camps et également des personnes qui y sont tout aussi fermement opposées, de même les défenseurs du livre de Paul Sernine sont-ils répartis dans les deux camps, fût-ce, il est vrai, de manière inégale : c'est le cas dans le clan fellaysien de l'abbé Celier bien sûr (il est l'auteur du livre) mais aussi par exemple de l'abbé Bonneterre; dans le camp laguériste c'est le cas de la plupart (Laguérie, Héry, Forestier, Tanoüarn, Guelfucci, Schaeffer...) mais reste l'énigme Williamson. Ou plutôt le paradoxe Williamson, si proche depuis des années de Sous la bannière (il avait préfacé le livre d'Adrien Loubier "Echec au ralliement"), revue qui intente actuellement un procès en diffamation contre l'abbé de Tanoüarn, lequel avait ironisé sur "la bêtise à front de taureau" des rédacteurs de cette revue bimestrielle qui défend avec vigueur les thèses couvertiennes et barruéliennes sur la gnose. Un Mgr Williamson très proche aussi, au moins jusqu'à une époque récente, des dominicains d'Avrillé dont il est de notoriété publique qu'ils jugent sévèrement les travaux, et plus encore les fréquentations de l'abbé de Tanoüarn et qu'ils ne lui portent pas une grande estime (ce qui est d'ailleurs réciproque).

C'est en cela que l'alliance objective à laquelle on assiste actuellement entre d'une part la triade Laguérie-Héry-Tanoüarn et ses disciples et d'autre part Mgr Williamson valait une sacrée cote. Même parmi les meilleurs connaisseurs de la FSSPX et de ses satellites, je ne connais personne qui aurait pu prédire une situation aussi improbable et, à bien des égards, surréaliste que celle que nous avons sous les yeux. Comme quoi la réalité peut dépasser la fiction et être finalement plus excitante!

Même si je n'exclus évidemment pas d'autres motifs que nous connaîtrons peut-être un jour (il n'y a jamais de cause unique à un événement, à une crise), il me semble à première vue que ce qui réunit cet attelage improbable, c'est d'une part et incontestablement une piètre opinion de la direction actuelle de la FSSPX tant à Suresnes qu'à Menzingen (est particulièrement pointée du doigt son incapacité à gérer les hommes: problème des séminaires, des mutations, du choix des nominations, etc). C'est d'autre part une certaine mentalité commune, un certain tempérament analogue: avec Mgr Williamson, qui est d'abord agréable et facile, il est possible de parler, de se confier, de dire ce que l'on a sur le coeur, bref de se comprendre, de se respecter et de s'aimer. Avec Mgr Fellay et ses courroies de transmission (abbé Sélégny, abbé Radier, abbé de Cacqueray), c'est beaucoup plus difficile. Ils sont froids comme des glaçons, distants, économes de leurs paroles et de leurs sentiments, bref ce sont des administrateurs (Mgr Fellay est resté douze ans économe de la FSSPX avant d'en être élu le supérieur, c'est une donnée que l'on a peut-être trop tendance à négliger dans l'explication de cette crise), des apparatchiks. Avec des mentalités, des caractères, des personnalités, et par conséquent des visions du monde aussi différents, il est évidemment mal aisé de s'entendre et de s'apprécier. Surtout sur une longue durée. Je crois que les questions d'épiderme jouent un rôle essentiel tout comme le désaccord sur le mode de fonctionnement de la FSSPX: le camp laguériste souhaiterait plus d'audace, plus d'ouverture sur le monde, sur les autres, un accent davantage mis sur la mission, l'apostolat et moins sur la sanctification personnelle, le religieux respect des statuts de la FSSPX et de l'ensemble de ses articles et de ses dispositions.

Ira-t-on jusqu'à dire qu'il s'agit d'un conflit entre la lettre et l'esprit? Nous nous garderons d'aller jusque-là.

Ce qui est certain, c'est que désormais rien ne sera plus comme avant. La FSSPX a perdu l'aura qu'elle avait auprès de beaucoup de ses fidèles et même au-delà dans tous ceux qui voyaient en elle (à mon sens à tort, comme j'ai déjà tâché de le démontrer et comme je continuerai à la faire, j'ai encore de l'artillerie lourde à ma disposition, Justin!) une authentique force de résistance aux déviations modernistes et à l'apostasie générale.

Qu'en sera-il à l'issue de cette crise de la question des accords avec Rome? Bien malin qui peut le dire mais vu le profond malaise engendré par cette division chez les fidèles, je suis personnellement convaincu que si le Vatican proposait prochainement un accord inspiré de celui de Campos, une moitié au moins des fidèles et des clercs suivraient. Ce qui, après l'hémorragie de 1986 (Dom Augustin, puis Mater Ecclesiae), de 1988 (fondation de la FSSP, rupture avec le Barroux, les soeurs de Pontcallec...), de 1998 (Société Saint-Jean fondée par des dissidents du district des Etats-Unis), de 2002 (Campos), de 2003 (abbé Aulagnier), de 2004 (érection de l'oratoire Saint-Philippe Néri en Allemagne par des prêtres transfuges de la FSSPX), une nouvelle déperdition au profit de ce que Mgr Lefebvre appelait "la Rome moderniste" réduirait comme peau de chagrin la mouvance se réclamant du prélat d'Ecône.

Voici venu le temps (non pas des rires et des chants comme le disait le générique de L'île aux enfants avec Casimir) mais des pleurs et des grincementds de dents (comme dit Notre-Seigneur dans l'Evangile). Même si pour ma part je dois dire que j'ai le plus grand mal à prendre toute cette farce au sérieux.

Foin des faux défenseurs de la Tradition, tirons la chasse et passons à autre chose, et vite! Tel est le voeu que l'on peut utilement faire sien à l'aube de cete nouvelle année.

Petrus.