Le 28 février 2008 à 13h30, en sa 80ème année, Dom Gérard, fondateur et Premier Père Abbé du monastère du Barroux entrait en son Eternité. 10 ans déjà !
L’actualité nous rappelle le
souvenir de cette forte personnalité par la toute récente publication du livre
de Yves Chiron aux éditions Sainte Madeleine: « Don Gérard. Tourné vers le
Seigneur ». Ce livre est très intéressant, très historique. C’est un livre
en « commande ». Les commanditaires en sont les moines du Barroux
puisque il est édité aux « éditions Sainte Madeleine », les éditions
du monastère…. Notre auteur épouse leur pensée, leur doctrine, leur point de
vue. Autrement, les moines ne l’auraient pas édité…Nous ne le leur reprocherons
pas. Mais ce livre est révélateur d’une pensée…Il ne faudra pas l’oublier…
Ce livre, toutefois, est très
sévère pour Mgr Lefebvre et son « combat » dans l’Eglise, pour la
Fraternité sacerdotale saint Pie X, son œuvre, si brillante et si missionnaire.
L’auteur et donc les moines parlent du « schisme de Mgr
Lefebvre », en raison des Sacres » faits par ce dernier, le 30 juin
1988, soutenu par Mgr de Castro Meyer, évêque émérite de Campos, au Brésil. Ils
en parlent non pas une fois, comme en passant, mais « mille » fois.
C’est même comme un leitmotiv, lancinant et pénible. Ils ne donnent aucune
preuve sinon l’argument canonique », le seul. «Mais attention la lettre
tue et l’esprit vivifie ». C’est ce que disait NSJC fasse aux pharisiens.
Ces derniers condamnèrent même Jésus en raison de leur loi…C’est ce
qu’ « ils » font eux aussi utilisant uniquement le droit, la
« lettre ». J’ai lu tout le livre avec attention.
Ils vont même jusqu’à faire
écrire à l’auteur que Mgr Lefebvre n’avait pas le « sensus
ecclesiae ». Pas moins ! C’est Dom Gérard qui aurait dit et même
écrit cela….Il l’aurait écrit dans son testament « pour le
monastère » : « Aimez l’Eglise, sa liturgie, son Magistère, le
Souverain Pontife. Ayez le sentire cum ecclesia. C’est l’amour de l’Eglise qui
nous a sauvés du schisme. Mgr Lefebvre avait tout d’un grand homme d’Eglise. Ce
qui lui a manqué, c’est le sensus ecclesiae, cet instinct surnaturel qui fait
sentir ce qui est conforme à la pensée de l’Eglise. Il a progressivement perdu
ce sensus ecclesiae par crainte d’affaiblir sa résistance » (p 566). S’Ils
jouissent de la messe tridentine, la messe de « toujours », c’est
bien grâce au combat de Mgr Lefebvre, soutenu avec d’autres prêtres, le Père
Calmel, l’abbé Coache, le Père Barbara et de nombreux laïques, Jean Madiran,
Louis Salleron, Luce Quenette…un vrai général en chef, …. On a même
l’impression, à certains moments du livre, que ces moines lui reprochent ce
combat, cette résistance. Il a osé se dresser contre l’autorité
ecclésiale ! Dom Gérard est même quelque fois embarqué dans la critique…Je
trouve que c’est un manque évident à la justice, et même à la piété filiale
due. Je le montrerai dans un prochain
livre que je veux écrire pour défendre l’honneur de Mgr Lefebvre attaqué
injustement par ce livre et ces commanditaires indignes. Sur ce chemin, ils
vont se perdre ; ils n’auraient pas mené le « bon combat »…
Pour l’instant restons-en au
problème de la pensée de Dom Gérard sur la messe tridentine exprimée dans ce
livre.
Yves Chiron termine son livre par
un très bel hommage à Dom Gérard sur sa fidélité à la messe tridentine. Il y
insiste par trois fois. Il loue son attachement non seulement à la
« doctrine monastique » telle que l’avait vécue le Père Muard, mais
aussi son « attachement à la liturgie traditionnelle (p 646). Il remarque
la joie profonde de Dom Gérard à la publication du Motu Proprio de Benoît XVI
restaurant la messe tridentine, la messe de la Tradition. Notre auteur
écrit : « Ce motu proprio, qui était attendu depuis plusieurs mois,
fut une grande joie pour Dom Gérard. Il exauçait une demande qu’il avait
réitérée inlassablement depuis tant d’année » (p. 639). Notre auteur enfin
fait remarquer que le monastère du Barroux était posé sur trois piliers :
« la sureté de la doctrine, une vie monastique authentique et la fidélité
à la liturgie traditionnelle » (p. 627). A la bonne heure !
Toutefois on sait que Dom Gérard
concélébra plusieurs fois dans le nouveau rite, le rite de Paul VI, une fois
avec le souverain pontife, Jean-Paul II lui-même alors qu’il lui portait les 70000 signatures
de fidèles réclamant la messe tridentine….C’est le comble ! – c’était en
1995…Il en parla lui-même dans son discours du 24 octobre 1998 et deux autres
fois avec l’évêque d’Agens, diocèse de l’implantation du nouveau monastère…Il
accepta officiellement le bi ritualisme dans son propre monastère et pour ses
moines à l’extérieur du monastère et même à l’intérieur du monastère…Et notre
auteur ose écrire - C’est la conclusion du livre : « cette « intégration » (dans la communauté
bénédictine) ne modifiait en rien la vie interne de l’abbaye ni n’avait
d’incidence sur son gouvernement……. » (p 646). Il faut oser
l’écrire…N’est-ce pas une modification fondamentale de la vie du monastère que
d’y laisser célébrer la messe nouvelle ? C’est vrai. Un jour de passage au
monastère, un prêtre (de passage) y célébrait la nouvelle messe…à côté de moi !
Alors qu’en est-il de cette
fidélité… ?
Voilà la question à laquelle je
voudrais répondre dans cette étude. J’analyse son action. J’analyse ses propos
publics. Fut-il fidèle à la pensée du père Calmel dans sa déclaration fameuse
publiée par Jean Madiran dans Itinéraires et qui est comme la charte des
« combattants vrais » de la messe tridentine.
Section I : 24 et 26 octobre
1998 : Compte-rendu d’un voyage.
Informé par le tract de Dom
Gérard, de la visite à Rome des communautés « Ecclesia Dei », les 24
et 26 octobre 1998, pour aller dire au Pape leur action de grâces et tout
autant leurs inquiétudes, j’ai pensé utile de participer à ce voyage en tant
qu’« auditeur libre ». Il y a des événements qu’il est bon de voir
par soi-même. Celui-ci en était un, me semblait-il. J’écrivis à Dom Gérard et
lui demandais de m’inviter. Je lui adressais, en plus, mon commentaire sur le
livre de Christophe Geffroy, le numéro de septembre du Bulletin
Saint-Jean-Eudes. Il connaîtrait ainsi ma pensée. Il me répondit, le 29
septembre 1998, favorablement, ne doutant pas de « mon esprit
fraternel ». (1) J’en ai informé la Maison Générale. Quelques jours
passent. Je téléphonais à Dom Gérard pour lui demander le
programme des trois jours romains. Il me l’adressa par fax. Je
fis retenir une place sur le vol Air France. Le vol est prévu pour
le vendredi 23 octobre à 18h 55.
M Yves Chiron écrit dans son
livre (p. 591) que je n’aurais pas été invité à cette
réunion : « Le samedi 24 octobre, dans la grande salle de
réunion d’un hôtel romain, où l’abbé Aulagnier, de la Fraternité Saint Pie X,
était arrivé sans y être invité… »…Je donne ici la preuve du contraire.
Mais ce n’est qu’un détail…Toutefois pour un historien…Il doit tenir ce
renseignement erroné du Père Basile…ou du Père Germain…Ils ne savaient pas tout
de la correspondance de Dom Gérard…
Le 24 octobre à Rome
Les congressistes sont attendus
par le Cardinal Ratzinger à 11h 30. Je prends le bus vers 9 heures, à Albano.
Il m’amène jusqu’au métro. La ligne « A » traverse tout Rome jusqu’à son terme:
« Ottaviano San Petro ». Je vois le dôme de Saint-Pierre. J’arrive à
Saint-Pierre. Je rencontre les premiers pèlerins français. Ils attendent ou
recherchent Monsieur l’abbé Lourdelais, sont un peu perdus. Je leur donne les
indications : via Aurélia, n° 619, au grand palace « Ergife ». Ils ont un fils
prêtre àla Fraternité Saint-Pierre, aiment toujours, plus que jamais,la Fraternité
Sacerdotale Saint-Pie X. Je les quitte.
La via Aurélia n’en finit pas…
Impossible de faire le chemin à pied. Je prends le bus, derrière Saint-Pierre.
J’arrive vers 11h 20, rencontre quelques fidèles, heureux de voir, ici, l’abbé
Aulagnier. Ils me parlent des divisions dans les familles. Terrible situation.
J’approche du grand hôtel. Mon pas ralentit… Je tombe sur Monsieur l’abbé Denis
Le Pivain, ne le reconnais pas immédiatement. Il est froid, pâle, distant… Je
vois plusieurs moines du Barroux… Quelques frères s’approchent. On annonce que
le Cardinal Ratzinger va commencer sa conférence. Je descends vite dans la
salle, une grande salle. Elle est pleine. Je m’approche de l’estrade. Je salue
Dom Gérard. Je les retrouve tous… Le Père de Blignières, Mgr Wach, son
sympathique acolyte, Monsieur l’abbé Pozzetto, très digne, petit sourire, Mgr
Wladimir. Monsieur l’abbé Bisig arrive un peu en retard. Il connaissait déjà le
texte du Cardinal en allemand, très bel allemand, m’a-t-il dit, traduit en
français par Mgr Perl. Quelques ténors du Barroux… le père Basile, je crois.
Ils ont la mine un peu fermée, pâlotte. La presse est là : Elie Maréchal
du Figaro, Olivier Mirande de Présent et d’autres encore.
Sur l’estrade, au centre, le
Cardinal Ratzinger, à sa gauche, Mgr Perl, Dom Gérard, un professeur allemand,
Professeur, nous dit-on, de philosophie… Je n’ai pas retenu son nom. À la
droite du Cardinal, Michaël Davies, Président d’UNA VOCE, un prêtre anglais, un
prêtre américain, en habit de prélat. (NB : il s’agissait de fait, d’un Évêque
américain).
Le cardinal commence sa
conférence. Il parle en français, d’une voix élégante et douce, son visage est
beau, ses yeux pétillants, sa coiffure blanche. Il n’est pas très grand. Il est
distingué. Il parle peut-être quarante minutes. Son discours est surtout centré
sur l’attitude incompréhensible des Évêques face à la messe de toujours. Deux
raisons semblent expliquer leur attitude rigide, fermée à l’égard de l’ancienne
messe : l’unité à maintenir dans leur diocèse, l’obéissance au Concile
Vatican II. Il argumente, réfute, suggère même aux traditionalistes de montrer
aux évêques que le rite de saint Pie V est parfaitement conforme à l’esprit
dela Constitution liturgique de Vatican II. Il analyse brièvement les grands
principes liturgiques de la Constitution, les retrouve dans le rite antique.
Cela pourrait éviter d’effaroucher le corps épiscopal… À voir ! Il est
gentiment applaudi, sans plus.
Dom Gérard prend la parole,
remercie le Cardinal, dit son action de grâces. Son discours est mou, sa voix
un peu chantante… Il accroche quelquefois sur certains mots, se plaint de
l’attitude hostile des Évêques, les dit en contradiction avec le Motu
Proprio « Ecclesia Dei ». Il en arrive à la concélébration qu’il
fit voilà quelque temps, avec le Souverain Pontife, dans sa chapelle privée et
dans le rite conciliaire. Pour voir le Pape, il fallait nécessairement
concélébrer… La fin, pense-t-il, justifie les moyens… Mais, ici, ce jour, sur
l’estrade, son explication est différente. J’ai voulu, par cette
concélébration, montrer que la Nouvelle Messe est « valide et
orthodoxe ». Ce sont ses deux mots : « valide et
orthodoxe ».
Je « bous » sur ma
chaise, remue un peu, dis à mes voisins, le Père Argouac’h, Mgr Wach, le Père
de Blignières, très concentré, ma stupéfaction. Le rite nouveau
est valide – oui – si l’on respecte le rite avec l’intention de faire
ce que fait l’Église : la célébration renouvelée du Sacrifice de la
Croix, mais orthodoxe, certainement pas. Je repense au Cardinal Ottaviani,
au Révérend Père Calmel, à l’abbé Dulac, au Révérend Père Guérard des Lauriers,
à Mgr Lefebvre, à Dom Guillou. Je repense au « Bref Examen
Critique ». Je pourrais lui citer, par cœur, les passages importants. Je
ne dis rien. Je suis venu écouter de mes oreilles, voir de mes
yeux. Je n’aime pas les rapports. Je n’aime pas les « on m’a dit
que », je n’aime pas les seuls bruits de couloir. J’ai entendu de mes
oreilles, ces deux mots « valide » et « orthodoxe », dans la
bouche de Dom Gérard. Mon témoignage est véridique. Il se perd ensuite en
considérations canoniques, soufflées peut-être par d’autres. Dom Gérard est un
mystique, en rien un canoniste. Il souhaite un renforcement des pouvoirs de la
Commission « Ecclesia Dei Adflicta », suggère la création d’un
délégué apostolique, la création d’églises personnelles. Il va même jusqu’à
suggérer l’insertion du rite ancien, du rite romain, dans les livres de la
liturgie réformée… Ainsi le prêtre pourrait choisir etc. etc. C’est beaucoup
demander à la fois !
Tout en l’écoutant, je repense à
une conversation téléphonique que j’avais eue avec lui, sur la messe. Nous
avions des amis communs à Caen. Ils me voulaient quelque bien…
souffraient de nos divisions… De quoi bien disposer Dom Gérard. Il me
téléphona. Nous abordâmes rapidement le problème de la Nouvelle Messe. Il s’en
fit l’avocat : « Monsieur l’abbé, me dit-il, la NouvelleMesse a
tout de même acquis un droit de prescription dans l’Église ».
« Allons donc » ! Me souvenant de mes connaissances sur la prescription,
ce n’est pas possible. « La légitime possession d’un bien par
prescription suppose, lui dis-je, comme condition nécessaire, une
possession paisible ». « Ce n’est tout de même pas le cas pour
la Nouvelle Messe ».
Nous étions en plein combat du Chamblac.
(Voir mon livre : l’enjeu de l’Eglise : la messe. Ch
1) « La Nouvelle Messe est peut-être célébrée partout…
malheureusement, mais cette célébration est loin d’être paisible. Quelle
guerre, au contraire ! Quel combat ! Quelle résistance héroïque ! Quelle
agitation autour de cette réforme liturgique ! Quelle crise n’a-t-elle pas
déclenchée dans l’Église ! Ce n’est pas sérieux ! ».
Notre échange téléphonique
s’arrêta là. Ainsi, validité… orthodoxie… légitime possession : tels
sont les trois mots qui résument aujourd’hui la pensée de Dom Gérard. Un est
juste, les deux autres… au moins discutables… Et dire qu’il partageait, du
vivant de Mgr Lefebvre, la pensée, les conclusions du « Bref Examen
Critique », la pensée du Cardinal Ottaviani. Et dire qu’il demandait, en
ce temps-là, et l’abrogation du nouveau rite, et le droit de continuer à
recourir à l’intègre Missel Romain de saint Pie V. Et dire que Dom Gérard a
diffusé, en France, La critique du Nouvel Ordo de Mgr Gamber qui
parle, lui aussi, à ce sujet, de rupture avec la Tradition catholique. Et dire
qu’il louangeait, un temps, la pensée du Révérend Père Calmel, sa prise de
position, son « non possumus ». Comme il a évolué ! Comme il a
changé, pensais-je, tout en l’écoutant… Il en fait trop en faveur dela Nouvelle
Messe.
Et le Cardinal l’écoutait
peut-être avec satisfaction. Demander que soit inséré l’ancien rite dans les
livres liturgiques modernes, c’est le comble ! L’ancien rite aurait ainsi un
« droit de cité » dans l’Église par le véhicule des livres
liturgiques « réformés ». Le rite romain ancestral, éternel, serait
ainsi à la remorque de la réforme liturgique, instable, modulable, évolutive…
Alors pourquoi ne pas direla Nouvelle Messe ? Pourquoi donc agiter tant l’Église
par le maintien du rite de saint Pie V? Je me fais toutes ces réflexions tout
en l’écoutant. Et tous « ses pauvres », comme il les appelait au début de son
propos, ceux qui l’écoutent… que deviendront leurs « clameurs » ?
Je remarquais l’absence des pères
abbés des monastères de Fontgombault, de Randol, de Triors… Ni Dom Forgeot, ni
Dom de Lesquen, ni Dom Courau n’étaient là. Ne partagent-ils pas, aujourd’hui,
sa position sur la messe ? Dom de Lesquin ne nous demandait-il pas lui aussi «
de reconnaître le caractère orthodoxe du Missel latin proposé, aujourd’hui, par
le Saint-Siège » (p. 131, Enquête sur la messe traditionnelle).
N’a-t-il pas, lui aussi, accepté le bi-ritualisme, ce bi-ritualisme là.
« Depuis ce jour, le 22 février 1989, l’un et l’autre rites sont utilisés
avec préférence habituelle donnée au rite immémorial » (p.
128, Enquête sur la messe traditionnelle). Dom Forgeot,
lui-même, n’affirme-t-il pas, dans ce même livre, un trésor : « il
faut souhaiter la coexistence pacifique des deux missels » (p. 125).
Il a fait bien du chemin
notre Dom Gérard, murmurais-je, même s’il chante joliment l’ancien rite,
même s’il s’en fait toujours le beau défenseur, avec poésie… Il ne
critique plus la réforme liturgique qui détruit l’Église parce qu’«
équivoque », « hybride ». Il s’en fait même, à l’occasion, le défenseur :
elle est « valide », « orthodoxe », « bien légitime » de l’Église.
Alors, Rome peut lui manifester
maintenant publiquement son attachement, son approbation. Un Cardinal, rien
moins que le Cardinal Ratzinger, peut l’honorer, être présent à son chant
d’action de grâces. Le Cardinal, lui aussi, a parlé en faveur de l’ancienne
messe. Il a même reproché aux évêques leur dureté de cœur, leur absence
d’ouverture. Il a même montré la fragilité de leurs arguments contre l’autorisation
facile de l’ancienne messe… mais il n’a rien dit, pas un mot, pas une seule
critique du Nouvel Ordo Missae, de ce nouveau rite qui est si dommageable
à l’unité de l’Église, à sa sainteté, à son apostolicité. C’est vrai que l’on
ne peut tout dire… Mais « quand même » ! C’est vrai qu’il critiqua la
réforme liturgique issue du Concile Vatican II, il parlera, nous l’avons
vu de liturgie « fabriquée », il préfacera le libre de Mgr
Gamber…Mais je ne l’ai jamais vu ni entendu critiquer la préface explicative de
la Réforme liturgique telle qu’elle fut publiée dans le texte de l’Institutio
Generalis de la Constitution Missale Romanum.
Il faudra revenir sur ce voyage
romain très important, sur les paroles prononcées, y réfléchir, y bien
réfléchir. Peut-on se taire sur cette réforme liturgique pour plaire aux
modernistes en place et « avoir pignon sur rue » ? Doctrinalement,
jamais. Prudentielle ment, peut-être, selon les circonstances… Nous vivons
de la foi catholique, de son dogme, de sa liturgie. Nous ne passons pas notre
temps, de fait, à critiquer ? Nous voulons toutefois garder ces trésors.
Doctrinalement, nous avons raison, prudentielle ment aussi.
Le discours de Dom Gérard
se termina. Les applaudissements sont assez discrets. C’est le tour de Michaël
Davies, puis du professeur allemand.
Le Cardinal, enfin, reprend la
parole. Il parle cette fois sans papier, « ex abundantia cordis ».
Son français reste correct. Il s’adresse à Dom Gérard, ne lui donne pas une
totale approbation. Il ne partage pas tout à fait ses considérations
canoniques, non qu’elles ne soient pas dignes d’intérêt mais, pour le Cardinal,
elles ne sont ni primordiales, ni essentielles. Ce n’est pas de cette façon,
dit-il, qu’on améliorera la situation en faveur de l’ancienne messe. Notre
effort doit s’appliquer ailleurs. Il faut changer les cœurs, les
intelligences. C’est cela qui est urgent. Il affirme même: « Nous devons
faire notre possible pour former une nouvelle génération de
prélats ». (J’atteste l’authenticité de cette phrase ».
Mon attention est renouvelée par
ces mots. C’est inouï, dans la bouche du Cardinal. Je lance un applaudissement.
Tous les congressistes suivent. Un applaudissement long, intense. Le Cardinal a
touché juste… vraiment. Tous souffrent de l’ostracisme mal fondé des épiscopes.
Le Cardinal peut le mesurer… au baromètre des applaudissements… Le Cardinal
semble un peu surpris, il est un peu ébranlé… Les applaudissements se
poursuivent. Ils s’arrêtent enfin. Le Cardinal se reprend comme s’il avait été
trop loin… Enfin, dit-il, les évêques « ce ne sont pas des personnes de
mauvaise volonté ». Ils manquent peut-être de formation…Dans ce petit
fait, simple et banal, une personnalité s’exprime et se dessine…
J’aimerais bien être à Lourdes.
Nos évêques sont réunis en Assemblée Episcopale, ces mêmes jours. Les
commentaires doivent aller bon train… Je vous l’assure. Tout s’apprend très
vite…
Quoi qu’il en soit, j’attends de
voir la suite. Les évêques vont-ils s’ouvrir à la « dialectique
romaine » ? (celle que nous avons analysée dans la pensée d’un Jean Paul
II, d’un Ratzinger, d’un Stickler …aux chapitres précédents). Notre tâche
serait plus difficile… Je ne suis pas sûr que l’épiscopat français suive le
mouvement souhaité par Rome, du moins par certains…. S’ils s’en tiennent au
discours du Cardinal, ils le devraient. Mais, s’ils s’attachent aux propos du
Pape, du lundi 26 octobre, alors qu’il recevait tout son monde, en audience, au
Vatican, je ne le pense pas. Ils risquent d’être toujours aussi fermés, hermétiques
à l’ancienne messe comme des huîtres de Cancale. C’est leur désir. Ils sont sur
le terrain, le Cardinal dans son bureau. Il est facile de parler d’unité… La
Secrétairerie d’État qui contrôle tout, qui a préparé le discours du Pape, a
remis, le lundi, 26 octobre, les pendules à l’heure, a rééquilibré la pensée du
Cardinal. Rien, à mon avis, ne changera.
La conférence prend fin.
Un Salve Regina est chanté. Sitôt fini, je monte sur l’estrade, passe
devant Dom Gérard, me présente au Cardinal : « Monsieur l’abbé Aulagnier
de la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X ». Il me sourit, prend mon
pli : « Lettre ouverte au Cardinal Ratzinger : « Plaidoyer pour Mgr
Lefebvre ». Il est affable, la met dans sa serviette. Nous échangeons deux
mots, je me retire. J’étais venu aussi, surtout pour cela : lui remettre en
main propre, ce plaidoyer. Mission accomplie. Je ne recevrai jamais de réponse.
Je n’en attendais pas…
Ce sont de nouveau les accolades,
les poignées de main. Il faut reprendre quelques forces. La journée n’est pas
finie. Il est peut-être 14 heures. Je mange avec l’abbé Bisig, le Révérend Père
de Blignière et son penseur. Monsieur l’abbé Bisig nous conduit dans une bonne
auberge. Mgr Wach est là, attablé avec Monsieur de Plunkett du Figaro
Magazine. « Ça doit être bon – dis-je plaisantant
– puisqu’il est là ». On s’installe. Et de fait, on mange bien. À
quatre, on reparle de la conférence. Je sens qu’ils ne sont pas très heureux
des propos de Dom Gérard. Ils n’auraient pas dit – eux – tout cela…
« Orthodoxe », tout de même ! On se rappelle les bons souvenirs
des nombreuses années d’un « combat » commun. Les échanges vont bon
train, sans ménagement de part et d’autre, mais sur un ton de cordialité… Le «
Frascati », de plus, était bon. On se sépare.
Monsieur l’abbé Bisig qui connaît
maintenant Rome comme sa poche puisqu’il y vient tous les deux mois pour voir
Mgr Perl, nous conduit à l’église Saint-Chrysogone, Piazza Sonnino, au départ
de la Via Transtevere, où Dom Gérard célèbre la messe pour la délégation
française.
Je me retire.
Je vais me recueillir sur le
tombeau de saint Pierre. Je suis heureux d’entrer dans la Basilique. Je m’arrête
à l’entrée… regarde le nom de Mgr Lefebvre inscrit sur la plaque de marbre
rappelant le nom des Évêques présents lors de déclaration par le Pape Pie XII,
du dogme de l’Assomption. Je suis fier. Le nom de ce prélat merveilleux de foi
et de prudence théologale, est inscrit – oui – sur la pierre, à Rome, au
Vatican, au tombeau de saint Pierre. Deo Gratias ! Je pénètre dans la
nef. C’est beau, grandiose… Je me revois – un jour – derrière les Évêques,
sur les gradins. C’était la séance solennelle où fut signé le fameux
schéma 13, « Gaudium et spes ». Je m’approche du Bernin, le
grand baldaquin qui orne l’autel papal et le tombeau de saint Pierre, et
prie là, à la Confession, un bon moment, tranquillement. Je pense à
Rome, à saint Pierre, à saint Paul, à vous tous.
On sonne. Il est 18 heures. Il
faut partir. Je passe à la sacristie pour m’inscrire pour la célébration de la
messe de demain. Pas de problème… « Il faut être là avant 8 heures ».
Je vais me recueillir quelques instants encore devant la statue de Pie XII, la
chapelle latérale de saint Pie X est en réparation. Je retrouve le ciel romain.
La pénombre approche. Les fenêtres du bureau du Pape sont éclairées. Au pied de
la colonnade portant une relique de la Sainte Croix, je m’arrête, garde les
yeux levés vers le palais, pense au Pape, prie pour lui. Je pense à Louis
Veuillot, chantant la beauté de Rome dans son livre Le Parfum de
Rome. Je m’éloigne, reviens dans le bruit de la foule.
Le 26 octobre
Le 26 octobre, ils seront reçus
au Vatican, par Jean-Paul II, au cours d’une audience publique. Le Pape lira
son texte, félicitera tout ce monde pour sa fidélité et son attachement au
successeur de Pierre.
Je reprends l’avion dans
l’après-midi, et, dans la soirée, suis de retour à Gavrus.
Le surlendemain, je reçois la
cassette d’enregistrement, puis le texte du Pape par fax.
Ah ! Quel drame ! Le Pape
« équipare », dans son discours, l’œuvre de réforme du Concile de
Trente, de Vatican I et de Vatican II. « Les derniers conciles, leur
a-t-il dit, œcuméniques : Trente, Vatican I, Vatican II se sont
particulièrement attachés à éclairer le mystère de la foi et ont entrepris
des réformes nécessaires pour le bien de l’Église dans le souci de
la continuitéavec la Tradition apostolique, déjà recueillie par
saint Hippolyte ». Tiens ! Pourquoi saint Hippolyte ?
Autrement dit : « Silence
dans les rangs des traditionalistes ». Ce que fit, à son époque, le
Concile de Trente en matière liturgique, fut fait aujourd’hui par le
Concile Vatican II.
Il n’y a rien à redire à cela.
Vous ne pouvez pas refuser l’un et acceptez l’autre. Concile de
Trente….Vatican II sunt idem…Et vogue la galère…
Critique.
Si je peux me permettre ! Ce
n’est ni vrai historiquement, ni vrai doctrinalement. Même le Cardinal
Ratzinger, dans son livre La Mia Vita, conteste ce jugement… Mais la
Secrétairerie d’État a dit… et a voulu corriger la pensée du Cardinal Ratzinger…
Nous y reviendrons. Les évêques peuvent se tranquilliser.
« Je confirme le bien-fondé
de la réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II et mise en œuvre
par le Pape PaulVI », poursuit-il. Autrement dit : « Silence dans les
rangs des traditionalistes ». Les critiques de la Nouvelle Messe ne sont
pas permises. Voyez Dom Gérard, suivez Dom Gérard qui vient de vous
dire, alors qu’il vous enseignait sous la haute protection du Cardinal
Ratzinger, il y a deux jours, que la réforme liturgique est
« orthodoxe » i.e. conforme à la foi….
C’est là aussi, peut-être, une
réplique à la pensée du Cardinal Ratzinger qui, avec plusieurs, voudrait lancer
la « réforme de la réforme conciliaire ».
Les évêques peuvent se
tranquilliser. « L’Église, toutefois, poursuit le pape, donne
aussi un signe de compréhension aux personnes attachées à certaines formes
liturgiques et disciplinaires antérieures » et de rappeler
le Motu Proprio « Ecclesia Dei Adflicta ». On reste,
de nouveau, dans l’équivoque, le vague, l’imprécision des affirmations.
La lettre de Mgr Ré, substitut de
la 1re section des Affaires générales de la Secrétaireried’État, à Monsieur
Éric de Saventhem, président, à l’époque, d’Una Voce, reste toujours de rigueur
: « Il est vrai, écrivait-il, qu’il est nécessaire de sauvegarder des
valeurs qui constituent un patrimoine précieux pour la tradition liturgique de
l’Église catholique. Cependant, le premier devoir de tous les fidèles est
d’accueillir et d’approfondir les richesses de sens que comporte la liturgie en
vigueur, dans un esprit de foi et d’obéissance au Magistère, en évitant toute
tension dommageable à la communion ecclésiale… ».
Le Pape vient de redire la même
chose avec d’autres mots : « Les diverses dispositions prises depuis 1984
avaient pour but – ont pour but – de faciliter la vie ecclésiale d’un
certain nombre de fidèles sans pérenniser pour autant les formes
liturgiques antérieures. La loi générale demeure l’usage du rite rénové
depuis le Concile alors que l’usage du rite ancien relève actuellement
de privilèges qui doivent garder le caractère d’exception ».
C’est toujours la même pensée
avant et après ce pèlerinage d’action de grâces.
Je gage que les propos du Pape,
en ce 26 octobre 1998, furent rédigés par Mgr Ré.
Les évêques français peuvent se
tranquilliser et poursuivre leur persécutions et ostracisme.
Toutefois les médias qui
« ne font pas dans la dentelle », titraient « Le soutien de Rome
aux tradis ». (Le Figaro du lundi 26 octobre 1998). Mais ce fut écrit
avant l’audience pontificale du 26 octobre. Peu importe. Les médias exercent
leur propre influence.
Cette affaire est à suivre.
« Préparez-vous, Messieurs,
nous disait Mgr Lefebvre à son retour de Rome et des entretiens avec le
Cardinal Ratzinger en 1988, à un combat de longue durée ».
C’est vrai.
Annexe 1: Commentaire de
Jean Madiran sur le « Consistoire du 24 Mai 1976 (Itinéraires n° 205)
Cette pensée de l’identité des
conciles de Trente et de Vatican II du moins quant à leurs œuvres
liturgiques respectives avait déjà été exprimée par Paul VI dans le Consistoire
du 24 mai 1976. Jean Madiran, dans Itinéraire n° 205, avait fait déjà ce
commentaire :
Commentaires de Jean Madiran
« Sur le consistoire du 24 mai
1976 »
(Itinéraires n° 205)
« Paul VI invoque dans le
consistoire du 24 mai 1976 le précédent de saint Pie V: parce qu’il a, lui Paul
VI, dans sa réforme de la Messe, procédé de la même manière — « haud
dissimiliratione » — que saint Pie V, il peut de la même manière rendre à son
tour sa réforme obligatoire. Mais justement : la manière de procéder n’est pas
la même, et l’obligation non plus.
A) LA MANIERE DE PROCEDER
I- Dans sa révision du
Missel, saint Pie V, à aucun moment, n’avait signé et promulgué une anomalie
aussi incroyable que celle de l’« Institutio Generalis », qu’il ait eu à
corriger subrepticement l’année suivante. Son autorité morale demeurait
intacte. Point celle du Pontife responsable de l’article 7. C’est l’actuel abus
de pouvoir de Paul VI qui nous conduit à souligner ce point capital. Quand on a
signé et promulgué une définition de la Messe qui en fait une simple réunion de
prière et une assemblée du souvenir, il ne suffit pas d’y apporter ensuite une
furtive correction. Voici que me tombe sous la main un journal du 6 juin :
« Les problèmes liturgiques ont
donné lieu à d’étranges tentatives, telles que, par exemple, la première
rédaction de l’article 7 de l’ordo. Le Pape l’a fait corriger. »
Une telle présentation des faits
n’est pas conforme à la vérité. Il n’y a pas eu, d’une part, une « étrange
tentative » puis, d’autre part, une intervention salvatrice de Paul VI imposant
une correction. C’est Paul VI en personne, et en qualité de Souverain Pontife,
qui a signé et promulgué la première version de l’article 7.
On peut, si l’on veut, ne jamais
parler de cet article. Mais si l’on en parle, il n’est pas permis de donner à
croire que l’intervention de Paul VI en la matière consista seulement à
corriger un article 7 dans lequel il n’aurait été pour rien. Le responsable, le
signataire, le promulgateur de l’article 7, première version, est bien Paul VI
lui-même.
Pourquoi l’a-t-il fait ?
La première hypothèse, la plus
obvie, est qu’il l’a fait parce que cet article exprimait sa pensée ou du moins
ne la heurtait pas.
On écarte cette hypothèse sans
l’examiner ; on l’écarte peut-être inconsidérément ; mais enfin écartons-la.
Il faut alors admettre que Paul
VI a signé sans lire, ou a lu sans comprendre, ce qui n’est guère mieux.
Tout cela pour bien établir que,
par cet accident phénoménal, Paul VI n’agissait nullement de la même manière
que saint Pie V.
Une prudente vertu, après
l’article 7, ne se serait pas crue qualifiée pour imposer à la célébration de
la Messe le plus grand bouleversement qu’elle ait connu au cours de son histoire.
II- La révision de saint Pie
V, conforme aux requêtes du Concile de Trente, n’avait pas pour but la
fabrication d’une Nouvelle Messe, mais l’unification et la réglementation de la
Messe Traditionnelle. La différence est abyssale.
III- Saint Pie V n’a pas
fait réviser le Missel avec le concours d’experts hérétiques, convoqués
davantage en tant qu’hérétiques, qu’en tant qu’experts, dans l’intention
d’aboutir — comme l’a fait Paul VI —, à une réforme qu’ils puissent accepter.
B) PARENTHÈSE: « CANONISÉ »
Au passage, précisons un terme.
Dans notre lettre à Paul VI du 27 octobre 1972, nous parlons du « rite
millénaire » de l’Église catholique, canonisé par le Concile de Trente.
Il semble que l’on se soit mépris
sur le sens du mot. « Canonisé », oui, mais non point au sens où le Pape
canonise un bienheureux en l’inscrivant au catalogue des saints. Non point
canonisé non plus comme un livre de l’Écriture, admis au nombre des livres dits
canoniques. Canonisé, simplement canonisé (et non pas inventé), pour rappeler
que les requêtes du Concile de Trente, mises en œuvre par saint Pie V,
réclamaient une réglementation de la messe existante et nullement la
fabrication d’une messe nouvelle.
C’est encore une différence,
c’est toujours la différence essentielle, quant à la manière et à la méthode,
entre le Missel de saint Pie V et celui de Paul VI.
Le Concile de Trente avait pour
intention « d’arrêter le processus de la désagrégation protestante des rites de
la messe », désagrégation qui était « favorisée par les variétés innombrables
des missels catholiques et par des abus que les pères (conciliaires) désignaient
par leur nom en les ramenant à trois principaux : la superstition,
l’irrévérence et l’avarice ».
Il entendait notamment éviter «
que le peuple ne soit heurté et scandalisé par des rites nouveaux ». Il
spécifiait que resteraient sauves « les coutumes légitimes ». La Messe
Traditionnelle, abandonnée et « canonisée » par les hiérarques de
l’autodémolition, ne conserverait-elle plus que le droit de la coutume
immémoriale, celui-là du moins ne pourrait lui être enlevé. Il ne pourrait
l’être que par une sentence déclarant cette coutume abusive et mauvaise : telle
est d’ailleurs la portée implicite, peut-être inconsciente, mais inévitable, de
l’actuelle interdiction.
C) L’OBLIGATION
Saint Pie V n’a pas aboli, il a
au contraire confirmé, en matière de rites, les coutumes légitimes ayant plus
de 200 ans d’existence. Notamment, il a confirmé le droit des églises ou communautés
ayant un missel propre, approuvé dès son institution. C’est ainsi que la
promulgation du Missel romain de saint Pie V a laissé subsister le rite
dominicain, le rite lyonnais, le rite ambrosien (à Milan). Ces rites se sont
conservés jusqu’à maintenant ; mais eux aussi viennent d’être supprimés ou plus
exactement interdits, par le discours consistorial du 24 mai.
J’ignore quelle est et quelle
sera la situation à Milan. Mais le rite dominicain et, surtout, le rite
lyonnais, ont été jusqu’à cette année employés pour la célébration de la messe
aux congrès de Lausanne de l’Office International des Œuvres de Formation
Civique. Paul VI ne les excepte pas, il impose son Missel d’une obligation qui
ne supporte plus les dérogations légitimes stipulées par saint Pie V.
D’autre part, l’obligation imposée
par saint Pie V était clairement et normalement énoncée dans la bulle « Quo
Primum Tempore » du 19 juillet 1570 promulguant le Missale recognitum. Au
contraire, les actes de Paul VI sont d’une confusion et d’une incertitude
extrêmes quant aux obligations qu’ils fixent ou ne fixent pas. Il n’y apparaît
nulle part la volonté explicite de conférer au Nouveau Missel une obligation
excluant l’usage du Missel antérieur. Juridiquement, par la constitution
Missale Romanum 3 avril 1969, Paul VI ne fait qu’autoriser et établir une messe
nouvelle (sans supprimer l’ancienne), en somme à titre de dérogation
particulière aux prescriptions non abrogées de la bulle Quo Primum. D’où les
circulaires d’application stipulant à quelles conditions ou à quelles dates la
célébration de la Nouvelle Messe sera permise (En France l’obligation venait
seulement de l’ordonnance épiscopale du 12 novembre 1969). Sept années après
coup, dans le discours consistorial du 24 mai 1976, Paul VI fait entrer en
ligne son « autorité suprême qui vient du Christ » pour déclarer interdite la
célébration traditionnelle. Une telle interdiction avait déjà été énoncée, mais
seulement au titre, soit d’opinion (celle de Solesmes), soit d’instruction
administrative. LE PREMIER ACTE de Paul VI lui-même en ce sens est le discours
consistorial.
À quoi il faut ajouter deux
observations qui sont concluantes l’une et l’autre.
I- Aucun acte de Paul VI
n’abolit la Bulle de saint Pie V. Ce n’est pas par voie d’abolition, c’est par
voie de remplacement que le Missel de Paul VI entend prendre obligatoirement la
place du Missel de saint Pie V: Novus ordo promulgatus est ut in locum veteris
substitueretur. Il n’y a donc pas lieu de se demander dans quelle mesure Paul
VI aurait le droit d’abolir la bulle « Quo Primum » : le fait est qu’il ne l’a
PAS abolie. Il n’a donc pas aboli l’indult concédé à perpétuité, à tous les
prêtres réguliers et séculiers sans exception, à la fois pour les messes
chantées et pour les messes basses : « En vertu de l’autorité apostolique, nous
concédons et donnons l’indult suivant, et cela à perpétuité : « Que désormais,
pour chanter ou réciter la Messe en n’importe quelles églises, on puisse sans
aucune réserve suivre ce même missel, avec permission donnée ici et pouvoir
d’en faire libre et licite usage, sans aucune espèce de scrupule ou sans qu’on
puisse encourir aucune peine, sentence et censure ;
« Voulant ainsi que les prélats,
administrateurs, chanoines, chapelains et tous autres prêtres, séculiers de
quelques dénominations soient-ils désignés ou réguliers de tout ordre, ne
soient tenus de célébrer la messe en toute autre forme que celle par nous
ordonnées ; et qu’ils ne puissent, par qui que ce soit, être contraints et
forcés à modifier le présent Missel ». Aucun supérieur ecclésiastique ne peut
faire échec à ce privilège par aucune sorte de défense, ni au for interne ni au
for externe. Cet indult n’a besoin d’aucun agrément, visa ou consentement
ultérieur. Aucun prêtre régulier ou séculier ne peut valablement être «
contraint et forcé par qui que ce soit » à user d’un autre Missel romain de
saint Pie V.
II- Une coutume, et surtout
une coutume immémoriale, n’est abolie par l’Église que si elle n’est pas une
coutume légitime. La Messe Catholique Traditionnelle, même si elle ne bénéficiait
pas de l’indult conféré à perpétuité par saint Pie V, bénéficierait au moins du
droit de la coutume immémoriale. Supposer qu’elle puisse être interdite
requiert de supposer qu’elle est interdite.
Mais si l’on suppose mauvaise la
Messe Traditionnelle, mauvaise au point de l’interdire, la Messe Nouvelle que
l’on met à sa place sera nécessairement une autre messe ; non pas la même,
conservée en substance et améliorée dans sa présentation, mais une messe
substantiellement différente.
Supposons (par hypothèse de
raisonnement) que la Nouvelle Messe de Paul VI soit excellente en tous points
et corresponde heureusement aux légitimes exigences pastorales de notre époque
: dans ce cas, on pourrait tout au plus reprocher à la Messe Traditionnelle un
langage désuet, des vêtements démodés, et autres choses du même genre. C’est
précisément le reproche que lui faisait Paul VI dans son allocution du 26
novembre 1969, quand il parlait de rejeter, par sa réforme de la messe, les «
vétustes vêtements de soie dont elle s’était royalement parée ». Et encore la
traduction française reçue atténue l’ironie acide de cette déclaration dans son
original italien. Même sa version atténuée, on souffre suffisamment d’avoir à
la recopier, insultante, étrangère, bornée. Mais poursuivons.
Supposons, avons-nous dit, par
hypothèse de raisonnement, qu’il y ait dans la Messe Traditionnelle des
vêtements vieillis, et que la réforme de la Messe soit limitée à les rajeunir :
eh bien, même si cela pouvait justifier la création d’une Nouvelle Messe, en
tout cas cela ne peut pas justifier l’interdiction de l’ancienne.
Supposée incapable de plaire sauf
aux vieilles gens, il fallait la laisser aux gens supposés vieux. C’est la
manière catholique de toutes les réformes ayant pour objet non de corriger un
mal mais de se détacher d’un usage périmé. Pensez-y bien. Si la Messe ancienne
et la nouvelle étaient en substance la même messe, s’il s’agissait seulement
d’en rajeunir le langage et l’apparence, il n’y aurait aucun motif d’interdire.
Inversement, si la Nouvelle Messe
estime inévitable d’interdire l’ancienne, c’est implicitement, mais
nécessairement, qu’elle la juge étrangère, qu’elle la trouve incompatible,
qu’elle y voit l’expression d’une autre religion.
La seule raison que ne puisse
jamais avoir une Messe d’en interdire une autre, c’est une raison de religion,
c’est une raison de foi.
D’un côté, Paul VI assure que la
réforme conciliaire conserve intacte la substance de la foi, de la messe, des
sacrements ; qu’elle change seulement la présentation, la formulation, le
costume.
Mais, d’un autre côté, il
condamne comme se plaçant hors de l’Église ceux qui gardent les anciens
costumes, les anciennes formulations, les anciennes présentations : s’il ne
s’agissait que de formes extérieures, bonnes en elles-mêmes, il n’y aurait pas
matière et motif à condamnation.
Que Paul VI condamne et interdise
la Messe Traditionnelle alors qu’il n’interdit ni ne condamne la Messe à la
française où, conformément à l’article 7, première version, « il s’agit
simplement de faire mémoire », cela pose une question non point de tactique
pastorale et d’aggiornamento, mais de religion.
Que Paul VI juge l’épiscopat
français et l’épiscopat hollandais dans sa communion, et Mgr Lefebvre hors de
sa communion, cela pose une question non point de discipline, mais de foi.
Jean Madiran.
Section II : La division
interne du Magistère
Les paroles que le Cardinal
Ratzinger adressa à Rome, le 24 octobre 1998, aux fidèles et prêtres des
communautés religieuses relevant du Motu Proprio « Ecclesia
Dei Adflicta », ainsi que celles tenues par le Souverain Pontife lui-même,
le 26 octobre, relancent le débat sur la messe catholique. Elles doivent être
analysées, étudiées de près. On ne peut pas faire comme si elles n’avaient
jamais été prononcées. Elles sont importantes. Elles manifestent des tensions
et oppositions graves entre les dicastères romains. Elles donnent peut-être
aussi quelque espérance.
Voici quelques réflexions.
Outre les paroles du Cardinal
Ratzinger et de Dom Gérard, ce qui m’a aussi frappé dans ces journées romaines
du 24 et 26 octobre 1998 et dans les discours échangés, fut la différence de
langage entre le Cardinal Ratzinger, le 24 octobre et le Souverain Pontife, le
26 octobre. J’avais nettement l’impression que le discours du 26 octobre, lu
par le Pape, avait été préparé pour corriger le discours personnel du Cardinal
prononcé l’avant-veille. J’y voyais même l’expression publique « d’une
division interne du Magistère ». C’est là une expression du Révérend Père
Joseph de Sainte Marie, un « maître ». Ce constat de « division » pouvait, à
l’époque, vous l’imaginez, avoir son importance pour nous. On nous présentait,
volontiers, comme des fils rebelles, touchés par le mal du siècle: le libre
examen. Mais à quelle autorité fallait-il obéir? Le dilemme n’était pas simple.
Toutes les congrégations romaines ne représentent-elles pas le Pape?La
Congrégation pour la doctrine de la foi tout autant quela Secrétairerie d’État.
Alors!
Voici ce que j’écrivais dans le
Bulletin saint Jean Eudes, sous le titre: les 24 et 26 octobre 1998, Rome
ou La division interne du Magistère.
La hiérarchie catholique ne parle
plus le même langage ni dans le « temps » ni dans l’« espace ». Elle n’enseigne
plus d’une façon identique et de la même manière les vérités du Credo. Il y a,
semble-t-il, non seulement tergiversations dans le gouvernement mais
contradictions, même dans l’exposé dela Foi de la part de ceux qui ont pour
mission d’enseigner le troupeau.
Pour prendre une image, on
pourrait dire que la hiérarchie « claudique » – elle marche d’un pas « désuni
», elle perd de sa beauté, de son élégance, elle perd de son maintien. Oui, l’Église
semble désunie dans sa hiérarchie – il y a comme un effritement de sa cohésion
interne. À tel point que certains peuvent parler de « division interne du
Magistère ». Cette situation est terrible. Terrible pour l’Église.
Terrible pour les fidèles qui voient le corps social de l’Église qu’ils aiment,
comme se « désintégrer », comme « se lacérer » en raison de ce double langage.
Ce qui nous oblige, nous les fidèles et les prêtres, l’Eglise enseignée, à nous
attacher à la Tradition universelle connue, acceptée de l’Église catholique
dans son catéchisme (Itinéraires n° 205 p. 5).
Cette division interne du Magistère
nous est apparue, de nouveau, exprimée publiquement lors des journées d’action
de grâces des Communautés « Ecclesia Dei Adflicta », les 24 et 26
octobre derniers à Rome.
Elles furent accueillies par le
Cardinal Ratzinger, puis par le Pape.
Nous n’avons pas entendu le même
langage dans ces deux bouches. Nous n’avons pas vu la même analyse de la crise
liturgique au niveau des dicastères romains : celle de la Congrégationpour la
doctrine de la foi présidée aujourd’hui par le Cardinal Ratzinger et celle de la
Secrétaireried’État présidée par le Cardinal Sodano, dicastère qui a dû
préparer le discours du Pape du 26 octobre.
Cette division interne du
Magistère est déplorable. Mais elle n’est pas nouvelle. Elle s’est manifestée,
hier, en 1968, lors de la publication de l’Encyclique Humanae vitae. Elle
s’est encore manifestée lors de la publication du Novus Ordo Missae, en 1969.
Elle s’est manifestée également
en bien des affaires : Schillebecckx, Hung, Fox, Boff, pour ne citer que les
plus connues, mais plus particulièrement encore lors de l’affaire Drewermann
(1991) et, enfin, lors de la publication de la lettre apostolique sur le
sacerdoce : Ordinatio sacerdotalis, le 28 mai 1995.
Venons-en à nos journées
d’octobre dernier.
Vous connaissez tous maintenant
ces discours.
La pensée du cardinal Ratzinger
Le Cardinal Ratzinger veut
expliquer les difficultés que rencontrent les évêques à accepter les
communautés « Ecclesia Dei Adflicta » dans leur diocèse en
raison de leur attachement « exclusif » (?) à l’ancienne liturgie. Les évêques
considèrent, dit-il, cet attachement à la liturgie ancienne « comme un
élément de division qui ne fait que troubler la communauté
ecclésiale ». Ils ne veulent pas favoriser la division dans leur diocèse,
disent-ils, ni « une résistance indue aux décisions conciliaires et à ses
légitimesréformes ». C’est la deuxième objection.
Le Cardinal réfute joliment ces
objections.
Il rappelle l’œuvre du Concile
Vatican II, de sa Constitution « de Sacra Liturgia » et rappelle opportunément
l’attitude habituelle de l’Église en matière liturgique : le respect des formes
liturgiques de l’Église dès lors qu’elles sont orthodoxes. Il affirmait :
« Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le Cardinal Newmann qui
disait que l’Église, dans toute son histoire, n’avait pas aboli ou défendu des
formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’esprit de
l’Église… L’autorité de l’Église peut définir et limiter l’usage des rites et
des situations historiques diverses, mais jamais elle ne les défend purement et
simplement ».
Il dit ensuite que « le
Concile a ordonné une réforme des livres liturgiques, mais il n’a pas interdit
les livres antérieurs ». Il reprend, ici, devant les communautés
« Ecclesia Dei (adflicata) » la pensée qu’il écrivait tout récemment
encore dans son livre La Mia Vita.
Le cardinal Ratzinger et le Pape
Paul VI
Je suis bien de cet avis… Mais
respectueusement, je ferai remarquer, au Cardinal, que c’est pourtant ce qu’a
fait le Pape Paul VI lors de son discours consistorial du 24 mai 1976.
Ainsi se trouve-t-il en
contradiction ouverte avec le Saint- Père, le Pape Paul VI. Qui dit vrai. Le
Pape ? Le Cardinal ?
Souvenez-vous des propos de Paul
VI au Consistoire du 24 mai 1976. Il couvre de son autorité suprême l’ensemble
de l’œuvre conciliaire et de la réforme liturgique. En sa qualité invoquée de
successeur de Pierre et de Vicaire du Christ, il ordonne qu’on accepte en bloc
« les enseignements du Concile lui-même, les réformes qui en découlent,
son application graduellemise en œuvre par le Siège apostolique et les
conférences épiscopales sous son autorité voulue par le Christ »…
« Au nom de l’autorité supérieure qui nous vient du Christ, nous
exigeons une prompte soumission à toutes les réformes liturgiques,
disciplinaires, pastorales mûries ces dernières années en application des
décrets conciliaires ».
C’est clair ! Il entre même dans
le détail sur le problème de la Messe.
« C’est au nom de la
Tradition elle-même que nous demandons à tous nos fils et à toutes les
communautés catholiques de célébrer avec dignité et ferveur les rites de la
liturgie rénovée.
L’adoption du Nouvel Ordo Missae
n’est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des
fidèles »… « Le Nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l’ancien,
après une mûre délibération et afin d’exécuter les décisions du Concile ».
Cette affirmation de Paul VI est,
comme on le voit à l’évidence, en contradiction avec les paroles prononcées par
le Cardinal Ratzinger invoquant, lui, l’autorité du Cardinal Newmann.
Il y a une opposition évidente
entre les affirmations du Cardinal Ratzinger et du Pape Paul VI. Même si l’on
fait abstraction de la vérité – qui dit le vrai ? qui dit le faux ? – tout le monde,
même un enfant, vous dira qu’elles sont contradictoires. Et cela est grave au
sommet de la hiérarchie. Le Pape, sans le dire mais dans les faits, affirme que
le nouvel « Ordo » a été promulgué pour prendre la place de l’ancien. C’est
bien vouloir interdire et donc abolir dans les faits le rite ancien, dit de
saint Pie V. Le Cardinal vous dit « l’autorité de l’Église peut définir et
limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses, mais
jamais elle ne les défend purement et simplement ». C’est pourtant ce
qu’a fait pratiquement, concrètement le Pape Paul VI : « Le Nouvel
Ordo a été promulgué pour prendre la place de l’ancien… » Et il
ajoute : « après une mûre délibération ».
Mais poursuivons.
Toujours dans le même discours
consistorial du Pape Paul VI, nous allons découvrir encore une nouvelle
opposition entre les deux personnalités en cause.
Après avoir dit que le nouvel «
Ordo » a été promulgué pour prendre la place de l’ancien, Paul VI invoque, pour
fonder sa décision, l’autorité du Concile de Trente, équiparant l’œuvre
liturgique du Concile Vatican II avec celle du Concile de Trente. « De la
même manière, notre prédécesseur, saint Pie V, avait rendu obligatoire le
Missel révisé sous son autorité après le Concile de Trente. La même
prompte soumission, nous l’ordonnons au nom de la même autorité suprême
qui nous vient du Christ ».
Paul VI invoque donc le précédent
de saint Pie V. Parce qu’il a, lui, Paul VI, dans sa réforme de la Messe,
procédé de la même manière – haud dissimili ratione – que saint Pie
V, il peut de la même manière rendre, à son tour, sa réforme obligatoire. Mais
justement la manière de procéder ne fut pas la même et l’obligation, non plus.
Le Cardinal, lui-même, le fait
remarquer dans son livre La Mia Vita. Il dit que les deux œuvres ne sont
pas équivalentes. L’une, le Concile de Trente, a seulement
« restauré » la liturgie de la Messe dans sa forme primitive. La
«révision » de saint Pie V, conforme aux requêtes du Concile de
Trente, n’apas pour but la fabrication d’un Missel nouveau, mais l’unification
et la réglementation de la Messe traditionnelle. Comme le disait à
l’époque Jean Madiran : « la différence est abyssale ».
(Itinéraires n° 205). Le Cardinal est très clair : « Bien sûr, on fit
croire que c’était tout à fait normal. Le Missel précédent avait été conçu par
Pie V en 1570, à la suite du Concile de Trente. Il était normal qu’après quatre
cents ans et un nouveau Concile, un nouveau Pape présente un nouveau
Missel » (La Mia Vita p. 132)
Qui a fait croire cela ? Mais le
Pape Paul VI lui-même ! « Mais la vérité historique – il faut mesurer
l’importance des mots – est tout autre, écrit le Cardinal. Pie V
s’était contenté de réviser le Missel romain en usage à l’époque comme cela se
fait normalement dans une histoire qui évolue… Il s’agissait d’un processus
continu de croissance et d’épurement sans rupture. Pie V n’a pas créé de
Missel. Il n’a fait que réviser le Missel, phase d’une longue évolution. La
nouveauté, après le Concile de Trente, était d’un autre ordre ».
Là, le Cardinal rappelle
l’histoire : l’irruption du Protestantisme dans le champ ecclésial, la pagaille
qui s’en suivit dans l’Église. Et il poursuit : « Dans cette confusion
devenue possible par manque de législation liturgique uniforme et
par l’existence datant du Moyen Âge, le Pape décida d’introduire le
Missale Romanum, livre de Messe de la ville de Rome, comme indubitablement
catholique, partout où l’on ne pouvait se référer à des liturgies remontant à
au moins deux cents ans. Dans le cas contraire, on pourrait en rester à la
liturgie en vigueur car son caractère catholique pourrait alors être considéré
comme assuré. Il ne pouvait donc être question d’interdire un Missel
traditionnel juridiquement valable jusqu’alors ».
Mais c’est bien ce qu’a fait le
Pape Paul VI lors du Consistoire de 1976…
Division ?
Oui ! Une « Divisions
interne du Magistère » peut être constatée dans les paroles et les actes
de l’autorité. Elle est au principe du trouble de l’Église. Elle peut aussi
expliquer une légitime réserve, une observation attentiste. Le Cardinal le
constate très simplement, du reste : « Le décret d’interdiction de ce
Missel a opéré une rupture dans l’histoire liturgique dont les conséquences ne
pouvaient qu’être tragiques » (p. 134)… « Voilà qui nous a porté un
énorme préjudice ». L’Église se déchire. Cela devient « inéluctable ». Ces
propos sont du Cardinal lui-même. Les mesure-t-on à leur juste valeur ?
Le Pape Jean-Paul II et le
cardinal Ratzinger
Le drame est que cette division
dans la hiérarchie se poursuit… de la même manière et sur le même sujet, la
réforme liturgique issue du Concile Vatican II, avec le Pape Jean-Paul II
Jean-Paul II, de fait, reçoit les
communautés Ecclesia Dei Adflica, le surlendemain, le 26 octobre. Il
accueille très paternellement les fidèles et les prêtres, les encourage,
leur dit qu’il confirme bien sa position de 1988 sur la liturgie, demande aux
évêques une légitime ouverture à la liturgie ancienne. C’est son désir formel…
Tout le monde s’en réjouit. Il justifie alors son désir, son souhait, ce désir,
ce souhait, en se fondant, lui aussi, sur l’œuvre conciliaire et du Concile de
Trente et du Concile Vatican II.
C’est là que le Saint-Père «
équipare », lui aussi, l’œuvre du Concile Vatican II à celle du Concile de
Trente. Ces deux Concile « se sont particulièrement
attachés, dit-il, à éclairer le mystère de la foi »… C’est un
sujet controversé… L’un et l’autre Conciles « ont entrepris des réformes
nécessaires pour le bien de l’Église », dit le Pape Jean-Paul II.
Ainsi de la réforme liturgique de la Messe de Paul VI. Il répète ce que disait
le Pape Paul VI : ce qu’a réalisé le Concile de Trente, le Concile Vatican II
l’a fait à son tour. Il n’y a pas lieu, semble-t-il, conclut le Pape, de
s’opposer à ces deux réformes. Elles sont légitimes. C’est pourquoi il invite
« les évêques à avoir une compréhension et une attention pastorale
renouvelées aux fidèles attachés à l’ancien rite ». D’autant que la
réforme tridentine, aux dires du Pape, a été faite « dans le souci de la
continuité avec la Tradition ».
Pourquoi donc alors cette
opposition, cet acharnement de la hiérarchie, de Rome même contre ce rite
tridentin. C’est incompréhensible ! Mais on pourrait de même dire… cette fois
au sujet de la réforme de Vatican II : qu’elle a été entreprise « dans le
souci de la continuité avec la Tradition apostolique » et qu’elle
mérite même soumission ! Je veux bien le croire, l’admettre. Je le
souhaiterais vivement.Mais alors qu’on veuille bien me prouver que l’article
7 de l’Institutio Generalis, de la Constitution Missale Romanum est
en continuité avec la Tradition Apostolique et le Magistère constant de
l’Église. J’y vois, moi, une expression « de la tradition protestante,
nullement la continuité de la Tradition Apostolique ».
Le n° 47 de la
Constitution« Sacro Sanctum Concilium » exprime bien la foi
catholique sur le Sacrifice de la Croix. C’est le même enseignement que celui
de Concile de Trente. La continuité est réelle. Oui. Par contre, le n° 7, le n°
48 de l’Insitutio Generalis de la Constitution « Missale
Romanum » se rapprochent franchement de la thèse protestante surla Cène.
Division ! Opposition dans la
hiérarchie.
Le cardinal Ottaviani et le
cardinal Ratzinger
Le Cardinal Ottaviani vous dit :
« Que la réforme liturgique s’éloigne de la foi catholique ».
Le Pape Jean-Paul II vous parle
de continuité dans la transmission du dépôt et vous dit que la réforme
liturgique issue du Concile Vatican II a été réalisée « dans le souci de
la continuité avec la Tradition Apostolique »…. L’Église, dans son Magistère,
aujourd’hui « claudique » sur des points essentiels. C’est
dramatique.
Mais le Cardinal Ratzinger,
lui-même, s’oppose aux Cardinaux Ottaviani et Bacci sur la réforme liturgique.
Eux vous disent que la réforme liturgique s’éloigne gravement de la foi et s’en
attristent et demandent son abrogation, son rejet (cf. leur lettre au Pape Paul
VI).
Le Cardinal Ratzinger, lui, s’est
réjoui, sous un certain rapport, de la publication de la nouvelle liturgie. Il
l’exprime dans son livre La Mia Vita : « Le plus grand
événement, au début de mes années à Ratisbonne, fut la publication du
Missel de Paul VI… Il était heureux d’avoir un texte liturgique normatif
après une période d’expérimentation qui avait souvent
profondément défiguré la liturgie » (p. 132). Il se réjouissait, à
Ratisbonne, de la publication dela Messe de Paul VI, texte normatif. Le
Cardinal Ottaviani, à la même époque, à Rome, s’en attristait. Le Cardinal
Ratzinger ne voyait pas les graves imperfections de ce nouveau rite… Il semble
n’y avoir pas été sensible… à l’époque. Et aujourd’hui ?
Et de fait, ce n’est pas tant le
nouveau rite de Paul VI qu’il critique, ce sont plutôt les abus, les
improvisations, les créativités nombreuses et infidèles. Voilà pour lui, le
drame. Il l’exprima clairement dans les couloirs de l’hôtel à la fin de la
conférence, le 24 octobre. Le journaliste de 30a Giorni lui demande
si la réforme liturgique de Paul VI a été infidèle au Concile de Vatican II,
lui-même. Grave question ! Il répond : « Je dirais que l’on célèbre la
Messe réellement selon le Missel de Paul VI si on y est fidèle ». Le
Cardinal, ici, veut dire que le Nouvel Ordo Missae n’est pas, en soi,
invalide. Nous sommes bien d’accord. Nous l’avons toujours dit. Autre un rite
invalide, autre un rite équivoque. Il poursuit : « Le problème est
seulement qu’il y a beaucoup de créativités, beaucoup de formes
arbitraires qui déforment l’essence de cette Messe ». Le Cardinal
Ottaviani, lui, s’exprimait différemment sur le rite nouveau et disait qu’il
s’éloignait, en soi, de façon impressionnante de la foi catholique. Cela lui
suffisait pour le rejeter.
Division ? Oui ! Comme le dit le
Révérend Père Joseph de Sainte Marie : « Division interne du
Magistère ». On aime ou on n’aime pas la vérité. Elle est ou elle n’est pas.
Elle n’est pas évolutive. Ni fonction du temps, de l’histoire ou des
événements.
« Veritas liberavit
nos ».
Section III : Les propos de
Dom Gérard
Nous venons d’analyser la pensée
du Cardinal Ratzinger exposée lors de cette réunion du 24 octobre 1998, à Rome.
On pourrait la résumer de ces mots: « Plaidoyer pour le juste droit de la
Messe traditionnelle dans l’Église ».
Après le discours du Cardinal,
Dom Gérard prit la parole aux noms des « congressistes ». Là, il prononça une
parole formidablement importante. Il reconnaissait l’« orthodoxie de la
Nouvelle Messe »: « Nous croyons en la validité et en l’orthodoxie de
la Nouvelle Messe ».
L’orthodoxie de la Nouvelle
Messe!
Mais alors que faisait-il de
l’affirmation du Cardinal Ottaviani disant dans sa lettre au Pape Paul VI:
« Le Nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments
nouveaux susceptibles d’appréciations fort diverses qui y
paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon
impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique
de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIe Session du Concile
de Trente lequel, en fixant définitivement les « canons » du rite, éleva une
barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à
l’intégrité du Mystère ».
N’était-ce pas cette affirmation
qui légitimait son « combat catholique » tout autant que le nôtre?
La question, vous le voyez, était
d’importance, d’une importance capitale.
À cette affirmation, je
consacrais le numéro de janvier 1999 du Bulletin Saint-Jean-Eudes.
J’interpellais Dom Gérard, au nom de l’amitié qui croit tout, qui espère tout et
qui ne peut se résigner à voir un ami s’éloigner. Voilà ce que je lui écrivais.
J’avais intitulé cet « appel »: « Vous avez dit « orthodoxe », mon
Révérendissime Père ».
Il fallait fortifier aussi les «
nôtres ». Et les convaincre. Quoi de plus missionnaire! Et de plus respectable!
Vous avez dit « orthodoxe », mon
Révérendissime Père ? Oh, que ce voyage à Rome des communautés « Ecclesia
Dei (adflicta) », les 24 et 26 octobre derniers, a été désolant, triste,
consternant… pourla Tradition Catholique. Non point, bien sûr, en raison du
soleil qui, en ces trois jours, éclairait les sanctuaires romains, leur donnant
tout leur relief.
Non point aussi en raison de
cette douce chaleur si bienveillante aux corps et aux âmes.
Non point encore en raison de
cette amitié qui liait les cœurs des congressistes, heureux de se trouver tous
en terre romaine, ni de ces rencontres utiles d’anciens amis autour d’une même
table…
Tristes pourtant, désolants et
même consternants, ces trois jours le furent par les paroles entendues de la
bouche de Dom Gérard, le 24 octobre, dans la matinée du samedi, vers 12 heures
15 et reprises – malheureusement – dans le journal La Nef de décembre
1998, intégralement inchangées.
« Le 27 avril 1995, j’ai
accepté de concélébrer avec le Saint-Père (dans le rite nouveau), désirant
montrer par là que nous tous qui militons pour le maintien de l’ancien Missel,
nous croyons à la validité et à l’orthodoxie du nouveau rite ».
C’est bien ce que j’avais
entendu. Mes sens ne m’avaient pas abusé. Mon audition fut bien exacte. Mon
témoignage fut bien véridique. Je ne m’étais pas trompé.
« Nous croyons à la validité
et à l’orthodoxie du nouveau rite ». Paroles du Révérendissime Père Abbé
du monastère Sainte-Madeleine, situé au Barroux, en pleine terre chaude de
Provence.
Tristes paroles. Consternantes
affirmations.
Désolante évolution d’un beau
combattant qui, hier encore, affirmait vouloir se dresser contre
« l’apostasie immanente » régnant enla Rome « conciliaire », contre «
l’autodestruction » de l’Église, qui, hier encore, se dressait contre les «
abus de pouvoir » d’une autorité conciliaire imposant « une
religion nouvelle séparée de l’Église d’avant le Concile » (J.
Madiran, le Saint Sacrifice de la Messe, p. 40).
Tristes paroles de celui qui,
hier encore, se tenait joyeusement aux côtés « de la fidélité romaine », aux
côtés du Révérend Père Calmel, du Révérend Père Guérard des Lauriers, de
Monsieur l’abbé Dulac et qui faisait sienne leur déclaration et leurs beaux
témoignages de foi, qui se tenait fièrement aux côtés de Mgr Lefebvre et
l’aidait dans son combat pour la Messe catholique de toujours, pour sa
pérennité.
Je ne peux accepter cette
évolution. Je ne veux croire que les choses soient définitives.
Je peux bien admettre les
lassitudes, les arrêts, les chutes d’un royal combattant. Les temps sont durs,
les adversités sont grandes. Le combat, ce combat-là, ce combat dela Messe, du
maintien dela Messe, contre l’abus de pouvoir d’une autorité faible et
libérale, est terrible. Beaucoup peuvent s’arrêter, s’essouffler, s’épuiser, se
recroqueviller, se tasser dans un monastère… pour un temps seulement. Mais je
veux croire que l’on peut se relever, que l’on peut repartir, que l’on peut
reprendre force et courage. Il faut même s’y employer. Ses amis d’hier peuvent
prier, peuvent même argumenter, voire brutaliser, bousculer… dans le but de
réchauffer, de fortifier, d’encourager, de faire réfléchir… pour rebâtir un «
front commun », un front de nouveau uni, un front plus fort pour bouter hors
des limites visibles de l’Église, l’ennemi infiltré. C’est mon désir, ici, dans
ces lignes. Est-ce utopie ? Mais la charité croit tout.
Ils étaient bons ces temps
anciens
• où l’on communiait à la même
pensée, à la même doctrine, où l’on aimait se retrouver dans les mêmes lieux,
dans les mêmes séminaires, dans le même cloître,
• où l’on s’exhortait amicalement
dans cette crise liturgique – aux conséquences épouvantables –, aux saintes
lectures – à celle d’Itinéraires, de Nouvelles de Chrétienté, de La
Lettre de la Péraudière,
• où l’on protestait ensemble
d’un attachement à la liturgie ancienne, attachement que l’on disait sans
terme: « Notre attachement à l’ancienne liturgie n’aura point de
terme » (Itinéraires).
Cela n’a pu être que d’un jour,
pour un jour, que pour hier.
Une amitié vraie ne passe pas.
Une amitié est fidèle.
Elle ne se décourage pas. Elle
entreprend tout pour le seul honneur de l’amitié un jour connue. Elle espère
tout dans la seule certitude de la vérité aimée. Elle espère tout de la vérité connue.
Elle met toute son espérance en la seule force de la vérité. Elle croit
toujours au redressement possible des cœurs. Elle croit à la force de la
Messe.« Elle sait que c’est la Messe qui, sans cesse, suscite,
fortifie, inspire les témoins de la Foi »… Alors l’amitié attend toujours
des jours meilleurs. Elle est en droit de les espérer… L’amitié vraie,
sacerdotale veut se souvenir. Elle veut faire repenser à la belle déclaration
du Révérend Père Calmel, publiée dans Itinéraires. Elle veut rappeler à
celui qui – aujourd’hui – hésite, les fortes paroles de ce héraut de la Foi
auxquelles – hier – il vibrait. « Je m’en tiens à la Messe traditionnelle,
celle qui fut codifiée mais non fabriquée par saint Pie V au XVIe siècle,
conformément à une coutume plusieurs fois séculaire ».
Révérendissime Père, c’est aussi
votre propos d’aujourd’hui. C’était le vôtre déjà hier… C’est encore le vôtre
aujourd’hui. Nous voulons le croire et l’espérer. Nous nous en réjouissons.
Vous nous le dites. Vous vous
définissez encore comme: « celui qui milite pour le maintien de l’ancien
Missel ». Deo gratias !
Et vous disiez, en même temps,
avec le Révérend Père Calmel, avec Monsieur Madiran, avec le Révérend Père Dom
Guillou, votre refus de l’« Ordo Missae » de Paul VI.
Le Révérend Père Calmel écrivait
: « Je refuse donc l’Ordo Missae de Paul VI » car l’amour de la
vérité implique le refus de l’erreur. « Je refuse donc l’Ordo Missae
de Paul VI ».
Vous disiez cela vous aussi hier.
Vous ne le dites plus aujourd’hui. Vous refusiez « l’Ordo Missae » parce qu’il
ouvrait dans l’Église, avait ouvert dans l’Église « une véritable
révolution liturgique universelle et permanente » (Révérend Père
Calmel). Et vous affirmiez – avec lui – en conséquence, votre droit
« de refuser de porter la marque de cette révolution
liturgique ».
Et le Cardinal Ratzinger –
aujourd’hui – approuve cette mâle résolution d’hier – la vôtre – lui qui parle
maintenant « de rupture dans l’histoire de la liturgie dont les
conséquences ne pouvaient qu’être tragiques » (Cardinal Ratzinger).
Vous estimiez de « votre devoir de prêtre de refuser de célébrer la
Messedans un rite équivoque ». Le mot était prononcé au sujet de la
Nouvelle Messe… Messe équivoque,
disiez-vous. Vous fûtes longtemps fidèle à cette parole.
Il a fallu attendre le 27 avril
1995 pour que l’on vous voit concélébrer avec le Souverain Pontife dans le
nouvel Ordo Missae. Monsieur l’abbé Bisig ne vous a pas suivi… Il le pouvait.
Il ne le fit pas. Honneur à lui. Il n’aurait pas fallu vous en justifier trois
ans après… et dire que la Nouvelle Messe est « orthodoxe », i.e.
« conforme en tout point à la doctrine catholique ». Non. Vous
disiez, hier, avec le Révérend Père Calmel, que « ce nouveau rite
favorisait – au contraire – la confusion entre la Messe catholique et
la cèneprotestante ». Vous refusiez « cette confusion », cette
situation équivoque, « persuadé qu’à laisser faire ainsi le cours
des choses, on tomberait sans tarder d’une Messe « interchangeable »,
dans la messe carrément hérétique et donc nulle », et donc invalide. Vous
disiez, à l’époque, que « la réforme révolutionnaire de la Messe, si
l’on n’y prenait garde, irait son train d’enfer ». Comment
acceptez-vous de vous en rendre complice… ne serait-ce qu’une fois ?
Telles étaient vos paroles, hier,
vos résolutions, celles que vous teniez avec vos amis. Vous pensiez que cette
attitude, noble et fière, était seule capable de vous permettre, à vous et à
vos sympathiques moines « de persévérer dans la voie de la fidélité à
votre sacerdoce » et donc – à rendre à Dieu, votre juge suprême –
« l’humble témoignage de votre office de prêtre ». Prêtrise que l’on
ne reçoit pas pour soi mais pour le bien de l’Église et des fidèles. C’était
beau. Votre fidélité à la Messe de toujours – hier forte aujourd’hui incertaine
–, permettait aux fidèles fréquentant votre monastère « de participer au
Saint Sacrifice sans équivoque possible, de communier sans risque d’être
dupes au Verbe de Dieu incarné et immolé, rendu réellement présent sous
les saintes Espèces ». Votre fidélité – sûre – était, pour eux, la
tranquillité de leur foi et de leur piété. C’était justice. Qu’en sera-t-il
demain ? Si par malheur vous alliez au-delà. Et pourquoi n’iriez-vous pas
au-delà… un jour… si vous n’êtes attaché à la messe ancienne que par la seule
esthétique de la Messe de toujours et si vous n’êtes plus « heurté » par ce «
Novus Ordo Missae » qui ne veut voir dans la Messe qu’« un simple
mémorial… ». Vous refusiez, hier, « à vous plier au nouveau rite,
forgé de toutes pièces par Paul VI » parce que vous refusiez de
collaborer – pour votre part du moins – « à instaurer
progressivement une messe mensongère où la présence du Christ (risque) de n’être
plus véritable mais risque de se transformer en un mémorial vide ».
Vous craigniez « en prenant le Nouvel Ordo Missae, de ne plus offrir
à Dieu réellement et sacramentellement, le sacrifice de la Croix ».
Mais, si vous cédiez définitivement à la pression d’une « main cachée », que
deviendrait votre monastère qui tire sa raison d’être, sa gloire, de l’oblation
du Sacrifice dela Croix renouvelé sur l’autel de votre belle abbatiale ?
Vous craigniez – à l’époque – si
vous aviez cédé, que votre communion à la Sainte Eucharistiene soit plus qu’un
repas – religieux peut-être – mais qu’un repas où l’on mange seulement un peu
de pain et l’on boit un peu de vin, rien d’autre qu’un souvenir, qu’un moment
de prière – collectif – comme chez les protestants. Votre gloire, votre
honneur, votre piété étaient, alors, de « ne pas consentir à collaborer à
l’instauration révolutionnaire d’une messe équivoque, tout orientée vers
la destruction de la Messe ».
Vous vous dressiez – alors –
contre les abus de pouvoir de l’autorité… de plein fouet. Et vous puisiez votre
mâle courage dans la Foi, dans « la grâce du cœur de Jésus », dans la
grâce de la Messe, du Saint-Sacrifice, vous confiant en ces heures difficiles,
en sa seule puissance, sachant ainsi que « celui qui perd sa vie en
ce monde à cause du Seigneur, la sauve pour la vie éternelle ». Votre
refus du Nouvel « Ordo » – qui ne vous empêchait pas pour autant – « de
reconnaître sans hésiter l’autorité du Saint-Père » (Révérend Père
Calmel) était fondé sur la doctrine catholique la plus sûre. Vous confessiez le
caractère sacrificiel dela Messeet vous affirmiez alors qu’il était mal exprimé
dans le Nouvel « Ordo ». Avec le Père Calmel, vous disiez : « Je soutiens
que le Pape Paul VI commet un abus d’autorité d’une gravité
exceptionnelle lorsqu’il bâtit un rite nouveau de la Messe sur une
définition de la Messe qui a cessé d’être catholique ». La messe,
écrit-il dans son ORDO MISSAE, est le rassemblement du peuple de
Dieu, présidé par un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. «
Cette définition insidieuse omet de parti pris ce qui fait catholique la
Messecatholique, à jamais irréductible à la Cène protestante. Car dans la
Messe catholique, il ne s’agit pas de n’importe quel mémorial ; le
mémorial est de telle nature qu’il contient réellement le Sacrifice de la
Croix, parce que le Corps et le Sang du Christ sont rendus réellement
présents par la vertu de la double consécration. Cela apparaît à ne
pouvoir s’y méprendre dans le rite codifié par saint Pie V, mais cela
reste flottant et équivoque dans le rite fabriqué par Paul VI »
(Itinéraires, Sept-Oct. 1970).
Vous confessiez également le rôle
unique du prêtre dans l’oblation du Sacrifice alors qu’il agit « in
persona Christi ». « De même, dans la Messe catholique, le prêtre
n’exerce pas une présidence quelconque ; marqué d’un caractère divin qui le met
à part pour l’éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui
; il s’en faut de tout que le prêtre soit assimilable à quelque pasteur,
délégué des fidèles pour la bonne tenue de leur assemblée. Cela, qui est tout à
fait évident dans le rite de la Messe ordonné par saint Pie V, est dissimulé
sinon escamoté dans le rite nouveau » (Itinéraires, idem). Telles
étaient vos propositions. Telle était votre foi. Et dans cette profession
de foi, vous mettiez tout votre honneur. « Mon honneur sacerdotal me
demande de ne pas avoir l’impudence de trafiquer la Messe catholique, reçue au
jour de l’ordination ». Et dans cette profession, vous faisiez la
preuve de votre fidélité et de votre amour. Vous vouliez ainsi
garder intact le dépôt infiniment précieux qui vous fut confié
lorsque l’Évêque vous imposa les mains. Et dans cette profession, dans cette
fidélité, dans cet amour de la Messe, vous vouliez vivre et mourir, vous en
remettant au patronage de Notre-Dame. Vous lui demandiez « qu’elle vous
obtienne de rester fidèle, fidèle jusqu’à la mort, à la Messe catholique
véritable et sans équivoque». Tuus sum ego Salvum me fac. Je crois à
la force de cette prière. À la toute puissante intervention de la Vierge fidèle.
C’est pourquoi je ne désespère pas, Très Révérendissime Père Abbé, de vous voir
revenir à cette noble profession de foi, à ce noble temps où, avec Monsieur
Madiran, vous écriviez et disiez : « Nous sommes irrévocablement liés à
tout ce que l’évolution conciliaire méconnaît, méprise ou détruit.
Nous sommes irrévocablement liés à l’être historique de l’Église,
par lequel la Révélation divine a été transmise jusqu’à nous,
cet être historique de l’Église que l’impiété moderne,
l’impiété filiale des hommes d’Église, l’impiété conciliaire insulte
systématiquement. Nous sommes irrévocablement liés à
l’universelle fixité, à travers l’espace et le temps, des paroles et des
sacrements du salut. Nous sommes irrévocablement liés au Catéchisme
romain, à la Messe catholique, à la Foi traditionnelle, seules garanties,
garanties indispensables que notre prière et notre espérance ne s’en vont
pas à la dérive rêver un Sauveur mythique, fruit de notre imagination et
de nos passions, prenant la place du réel et vivant Christ Jésus
Notre Seigneur. L’évolution conciliaire s’éloigne chaque jour davantage de
la parole, de la doctrine, de la loi de Jésus-Christ. Elle est ouverte au
monde, ouverte au communisme, ouverte sur le néant. Nous sommes
irrévocablement liés à la succession apostolique et à la primauté du siège
romain : mais non aux caprices et aux défections de leurs détenteurs,
lesquels ne sont point exceptés de l’application du précepte qu’il vaut
mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Disons-le calmement,
disons-le doucement, disons-le sans colère mais non sans
résolution, dans ce lendemain blême du désastre consommé :
derrière l’évolution conciliaire, il y a la main qui la guide. Nous
savons depuis longtemps quelle est cette main. Nous avons
toujours évité de la frapper. Mais il faut bien la repousser, ou du
moins lui échapper, si elle vient elle-même, maintenant, nous
étrangler » (Jean Madiran, Itinéraires, Juillet-Août 1976).
Section IV : l’évolution de
la pensée de Dom Gérard
De telles affirmations de Dom
Gérad lors du pèlerinage à Rome, en 1998 ne laissèrent pas certains de la
chrétienté dans l’indifférente. Jean Madiran, son ami, dut sauter à sa défense.
Il écrivit un article dans Présent du 17 avril 2008, intitulé : Dom Gérard
et la messe.
En voici le texte ;
« Il n’y aurait donc plus de
problème avec la nouvelle messe de Paul VI. La mouvance traditionnelle
elle-même a enfin compris la nécessité de l’admettre telle quelle. La
reconnaissance de cette nécessité, eh bien ce fut Dom Gérard le moteur d’un tel
miracle. On l’en félicite ou on le lui reproche, mais enfin c’est bien lui qui
l’a fait : un mois après ses funérailles, voilà déjà ce que l’on pouvait
entendre et lire en substance, voire littéralement.
Si on laisse passer aujourd’hui,
que n’inventera donc pas dans un an.
Bref avertissement. – Il faut
d’abord savoir de quoi l’on parle et ce que signifient les mots que l’on
emploie. C’est l’usage qui en est le grand maître. Quand les gens entendent
parler de « messe de Paul VI », de « nouvelle messe » ou de « nouvel Ordo
Missae », ils comprennent qu’il s’agit des célébrations auxquelles ils
assistent (ou participent) dans les paroisses, depuis presque quarante ans.
En réalité ce ne sont pourtant
pas, la plupart du temps, des « messes de Paul VI » mais, au mieux, des «
messes issues de la messe de Paul VI ».
Avec Jean-Paul II
En 1995, à la tête d’un important
pèlerinage à Rome, Dom Gérard apportait au Pape une caisse de carton contenant
70.000 signatures en faveur du rite traditionnel.
Jean-Paul II lui accorda une
audience qu’il programma comme faisant suite à une concélébration dans sa
chapelle privée. C’était une marque d’estime et un grand honneur d’être invité
à concélébrer avec le Pape… mais dans le rite de Paul VI, ce n’était pas
forcément une attention délicate. On aurait attendu plutôt l’inverse : la
concélébration avec le Souverain Pontife existe en effet dans le rite romain
traditionnel. (L’attente, d’ailleurs, se prolonge, pourquoi le taire, on peut
le dire en tout respect, l’attente d’une messe célébrée par le Pape selon ce
que Benoît XVI a finalement nommé le « rite extraordinaire ».) A l’occasion de
cette concélébration, Dom Gérard eut l’occasion de rappeler publiquement
quelque chose de bien connu, « la validité et l’orthodoxie » du nouveau rite
promulgué par Paul VI.
Le terme d’« orthodoxie » choqua
le cher abbé Paul Aulagnier. En l’occurrence il signifiait simplement que, dans
son texte authentique, la nouvelle messe n’est pas hétérodoxe, elle n’est pas
hérétique. C’est ce que dirent dès 1969 le cardinal Ottaviani, Cristina Campo,
Guérard des Lauriers, Raymond Dulac, Louis Salleron (etc.) ; et c’est ce qui
est resté constamment admis par la plupart de ceux qui ont émis des doutes, des
réserves, des objections à l’encontre de cette artificielle fabrication, «
pernicieuse par son caractère évolutif et œcuménique ».
En France
L’année suivante, Dom Gérard
s’est trouvé dans une situation analogue quand il s’est agi de faire entrer le
Barroux dans la conférence monastique de France.
Les évêques susceptibles
d’accepter une fondation du Barroux dans leur diocèse étaient contraints, au
nom d’une « collégialité » manipulée par son noyau dirigeant, de refuser leur
autorisation aussi longtemps que le Barroux ne serait pas admis dans la
conférence monastique. Celle-ci, probablement sous la pression du même noyau
dirigeant, exigea, pour une telle admission, deux concélébrations et, en outre,
l’assurance de ne jamais interdire aux prêtres du Barroux de concélébrer en
dehors de leur monastère. Cette dernière exigence, Dom Gérard a reconnu plus
tard qu’il aurait pu la rejeter en se retranchant sur le droit propre de la
communauté du Barroux, fondé sur les Déclarations, approuvées par Rome,
auxquelles les moines du Barroux sont solennellement liés par leurs vœux de
religion. On y lit en effet : « Vie monastique selon la Règle de saint Benoît
et les coutumes léguées par nos anciens, l’office divin et la liturgie de la
messe célébrés selon les rites plus que millénaires de la Sainte Eglise
Romaine, dans la langue latine : telles sont les deux sources qui ont donné
naissance à la communauté du Barroux et constituent sa raison d’exister. » Ce
n’est pas un indult dont il serait loisible d’user ou de ne pas user, et qui
pourrait être supprimé, c’est ce que le droit canon appelle une lex propria,
c’est la « loi propre » de la communauté du Barroux.
Selon une thèse contraire, aucun
supérieur religieux ne pourrait interdire à un prêtre de concélébrer selon le «
rite ordinaire ». C’est peut-être là une de ces quaestiones disputatae où
diverses opinions sont libres de s’opposer les unes aux autres.
Un cas particulier
En tout cas voilà tout ce que
l’on peut trouver chez Dom Gérard qui paraisse « en faveur » (?) de la messe
nouvelle. Il ne s’en est point caché, cela est de notoriété publique, il a dit
ce qu’il avait à en dire, et il n’y a vraiment pas de quoi en faire de lui le
moteur ni même un bienveillant accompagnateur du ralliement (qui d’ailleurs n’a
pas eu lieu) de la mouvance traditionnelle à une prétendue « nécessité » de la
nouvelle messe. Dans la formation qu’il leur a donnée, il a toujours dit à ses
moines de s’en abstenir à l’extérieur comme à l’intérieur du monastère. Il
aimait mentionner les quatre années où trois moines du Barroux, étudiants à
Rome et logés à l’abbaye Saint-Anselme, ont à contre-courant respecté la règle
de refuser toute concélébration.
Autrement dit, ce qu’il a été
amené à faire en certaines circonstances doit être – pour reprendre une formule
officielle employée par le Saint-Siège dans une tout autre affaire – considéré
comme « un cas particulier qui ne saurait être généralisé ». Dom Gérard
lui-même s’est élevé, et parfois par écrit, contre une telle généralisation :
– Je regrette infiniment,
protestait-il, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de
notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à
tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et
surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit.
Gravement, il ajoutait à ce sujet
:
– Il me revient le droit
d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de
ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées.
Par « principe »
Selon une vue sommaire, qui est
un piège, il ne pourrait y avoir que deux attitudes : ou bien reconnaître la «
nécessité d’adopter » la nouvelle messe, ou bien la « refuser par principe ».
Mais « par principe » a un sens
propre et un sens figuré.
Au sens propre, refuser la nouvelle
messe par principe, ce serait la déclarer invalide ou hérétique.
Au sens figuré, c’est s’en
abstenir partout et toujours.
La plupart des prêtres et des
fidèles qui s’abstiennent partout et toujours de la nouvelle messe ne la
croient cependant ni hérétique ni invalide.
D’ailleurs, dans la plupart des
cas, ce n’est point de la « messe de Paul VI » qu’ils s’abstiennent, mais en
fait de « messes issues de la messe de Paul VI » dont la valeur est
manifestement incertaine.
Et puis…
Ce qui contribue à tout brouiller,
c’est aussi, voire d’abord, l’usage de catégories artificielles qui enferment
(et déforment) les réalités dans une opposition dialectique entre « ouverture »
et « ghetto », « avenir » et « passé », « positif » et « négatif », « largeur
d’esprit » et « fermeture ». Ce vocabulaire, ces concepts, ces critères sont
d’esprit marxiste-léniniste, ils ont, dans nos démocraties occidentales,
survécu à l’effondrement de la Russie soviétique. Les médias en demeurent
pourris. La contagion, si l’on n’y veille, n’en épargne personne.
La rumeur dont nous parlons, la
mauvaise rumeur, orale ou imprimée, semble n’avoir pas tout à fait ignoré la
fermeté de Dom Gérard face à la nouvelle messe : alors elle trouve commode de
supposer que ce fut à la fin de sa vie. Tardivement, sa position serait devenue
moins irénique, plus sévère, parce qu’il serait devenu attentif aux effets
catastrophiques de la réforme liturgique. Comme s’il n’en avait rien aperçu
quand il se faisait (sans motif ?) ermite à Bedoin.
Jusqu’ici, on n’avait entendu
aucun prêtre, aucun laïc déclarant avoir été amené par Dom Gérard à reconnaître
la nécessité du nouveau rite. Si maintenant il existe une exception, ce doit
être un malentendu.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6571
de PRESENT du Jeudi 17
avril 2008, pp. 1 et 3
Réponse de M l’abbé Aulagnier le
25 avril 2008
Je répondais à Jean Madiran le 25
avril 2008 dans Item sur la rubrique « Regards sur le monde… », le
n° 167, dans un article intitulé : « Dom Gérard et la
Messe…quelques nuances et précisions ». Les nuances et précisions que
j’apportais sur ce noble personnage étaient, à l’époque très peu connues. Voici
l’article :
« Dans Présent du jeudi 17
avril 2008, Jean Madiran, dans un article intitulé « Dom Gérard et
la messe », prend la « défense » de Dom Gérard quant à sa
position sur la messe tridentine. Il refuse de voir quelques faiblesses de cet
illustre père abbé en cette « affaire » liturgique. La « fermeté
de Dom Gérard face à la nouvelle messe » est, dit-il évidente. Les
fondations de Bedouin puis du Barroux en sont la preuve. Les
constitutions « approuvées et confirmées », le 16 mars 1989 par le
Saint Siège sont claires. On peut y lire : « Plus de vingt ans après
l’ouverture du Concile, au milieu de tant d’incertitudes et d’angoisses qui
troublent même les catholiques fidèles, les moines du Monastère Sainte
Madeleine veulent joindre, à la fidélité à (leur) héritage monastique, la
fidélité à la tradition liturgique de la sainte Eglise, notamment au Missel
romain promulgué en 1570 par saint Pie V, sur l’ordre du concile de Trente(….)
« Vie monastique, selon la
Règle de saint Benoît et les coutumes léguées par nos anciens, office divin et
liturgie de la messe célébrés, dans la langue latine : telles sont les
deux sources qui ont donné naissance à la communauté du Barroux et constituent
sa raison d’exister. »
Ces paroles sont citées dans
« le Livre Blanc » du Barroux à la page 19 : « Livre Blanc
reconnaissance canonique du Monastère. 1970-1990 »
Jean Madiran cite seulement le
dernier paragraphe.
Voilà ce qu’a voulu dès le début
et pour toujours Dom Gérard.
Honneur à Dom Gérard.
Jean Madiran cite également
dans cet article des passages d’une lettre que Dom Gérard a cru devoir écrire à
ses moines quelques temps avant que le Bon Dieu le rappelle à Lui. Presque un
an avant. On est content d’en connaître quelques extraits. Il n’en donne pas la
date. Cette lettre est du 9 mars 2006.
Les raisons de cette lettre
laissent supposer une situation « tendue » au monastère. Les
quelques concélébrations dans le rite nouveau que Dom Gérard avaient dû
concéder à l’extérieur du monastère, sous la pression des événements, auraient,
semble-t-il, occasionné quelques confusions parmi les moines, certains en
prenant occasion pour désirer introduire le nouveau rite dans les célébrations
conventuelles, en en réclamant même le « droit ».
Dom Gérard réagit avec
vigueur. Jean Madiran en site, vous dis-je, quelques passages: « Je
regrette infiniment, écrivait Dom Gérard, que les deux concélébrations que j’ai
consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent
dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier
la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit. »
C’est une belle protestation.
Elle nous réjouit profondément.
Gravement, il ajoutait, à ce
sujet, nous dit encore Jean Madiran : « Il me revient le droit
d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de
ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées ».
Aussi suppliait-il le 4 mars
2006, je peux l’ajouter, « à deux genoux, pour l’unité de la
communauté de tabler fermement sur notre droit propre. En 1997, il y a 9 ans,
en réunion de prêtres, c’était la ligne définie par le Père Abbé pour la
communauté. Merci mon cher Père Abbé de bien vouloir continuer ». Ce
mot est souligné dans le texte. Il s’adressait au RP Louis Maris, son
successeur à la tête du monastère.
Voici qui est clair. Voici ce
qu’il faut retenir. Voici quel est, en quelque sorte, son testament. Ceci
connu, ce que je souhaitais, fera l’unité du monastère. J’en suis
convaincu.
Toutefois, il faut reconnaître,
me semble-t-il, que Dom Gérard eut parfois quelques attitudes
« équivoques » et très « politiques » dans ce
« combat » pour la messe dite de saint Pie V.
Je lui reproche d’avoir signé le
protocole entre la C.M.F (Centre Monastique de France) et l’abbaye du
Barroux. Jean Madiran y fait une courte allusion.
En voici le texte :
« En vue du vote d’admission
de l’abbaye du Barroux comme membre de la conférence monastique de France, il a
paru nécessaire aux membres du bureau de cette Conférence, réunis le 14 octobre
1998, d’inviter un représentant de ce monastère afin de préparer avec lui un
protocole pouvant servir de base à ce vote. Le Père abbé du Barroux a délégué
pour cela le P. Basile Valuet, préfet des études.
Il parait d’abord utile de
prendre en compte l’histoire de ce monastère, son cheminement aussi bien avant
qu’après sa réconciliation avec l’Eglise en 1988, le contexte familial de
nombreux moines issus des milieux proches d’Ecône, et donc les ruptures avec
leurs familles, leurs amis et même au sein de la communauté, souvent
occasionnées par cette réconciliation.
Il convient d’ajouter que l’abbé
et la communauté du Barroux n’ont jamais mis en doute la validité de la
messe célébrée selon le rite de Paul VI, et que par ailleurs, suite à une
étude approfondie du Concile Vatican II (notamment sur la liberté religieuse),
ils adhèrent désormaisunanimement à sa doctrine. Ceci permet
d’augurer une évolution des moines de cette communauté, qu’il faut laisser se
poursuivre à son rythme ( par exemple dans le domaine de la concélébration).
Ceci étant, le Père Abbé
accepte :
-de concélébrer ou d’envoyer son
représentant concélébrer avec l’évêque diocésain à la messe chrismale, partout
où son monastère est ou sera implanté
-que les moines prêtres de son
monastère puissent, s’ils le désirent, concélébrer à la messe conventuelle dans
les communautés où ils seront en visite.
-Enfin, il faut noter que les
prêtres en visite à l’abbaye du Barroux peuvent, s’ils le souhaitent, célébrer,
voire concélébrer, la messe selon le rite de Paul VI »
Au bas du document, vous trouvez
la signature du Président du CMF, le RP Etienne Ricaud et le RP abbé Dom
Gérard, OSB.
Dom Gérard n’aurait pas dû signer
un tel document. Il acceptait ainsi le bi ritualisme pour ses moines,
même dans son propre monastère. Il ne dressait plus une totale barrière
face au nouveau rite, d’une « fabrication artificielle », comme le
dit Benoît XVI, « pernicieuse par son caractère évolutif et
œcuménique ».
Mais honneur à Dom Gérard qui,
dans sa lettre du 9 mars 2006, à ses moines, écrit : « je le
regrette maintenant puisque certains d’entre vous le considèrent comme un
précédent, chose que je ne voulais absolument pas ».
Certes ! Mais quel
précédent !
Fallait-il pour avoir une
reconnaissance dans un diocèse aller jusque-là… ? J’ai toujours préféré la
mâle attitude de Mgr Lefebvre…que j’ai cherché à appliquer, dans la FSSPX, dès
années durant et que je poursuis.
De plus, il me paraît fragile de
s’appuyer sur son « droit propre », fut-il reconnu par Rome…On sait
ce qu’il en a coûté aux autres communautés « Ecclesia Dei Adflicta ».
( Nous le verrons dans le prochain chapitre) Elles ont bien failli être
« englouties » malgré le droit propre inhérent à leurs Constitutions.
(cf Mon livre : l’enjeu de l’Eglise : la messe, Livre IV l’affaire de
la Fraternité saint Pierre p. 393 et sv, aux éd Héligolande. BP 2 27290
Pont-Authou). Il vaut mieux s’appuyer sur la Bulle Quo Primum
Tempore, non abolie, comme vient de le reconnaître enfin Benoît XVI qui
donne un droit perpétuel à tout prêtre de célébrer cette messe tridentine.
C’est un droit universel et non seulement particulier !. C’est plus fort.
Je dois dire aussi que je
regrette qu’il ait accepté de « recevoir » le « Motu proprio
« Ecclesia Dei » du 2 juillet 1988. Il est vrai que
l’Eglise s’engageait, dans ce texte, à « respecter le désir
spirituel de tous ceux qui se sent(ai)ent liés à la tradition liturgique latine
en faisant une application large et généreuses des directives données en leur
temps par le Siège Apostolique pour l’usage du missel romain selon
l’édition typique de 1962 ». C’était très tentant !
Mais quelles étaient donc les
directives romaines en cette affaire liturgique, à cette époque, sinon
celles précisées par la lettre du 3 octobre 1984, la lettre « Quattuor
abhinc annos ». La note 9 y renvoyait, du reste, expressément. Il
aurait dû le voir.
Or cette lettre oblige, pour
bénéficier de l’usage de la liturgie de 1962, de reconnaître la
« légitimité et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970
par le Pontife romain Paul VI ». C’est le « a » de la lettre du
3 octobre 1984.
Or cela, Dom Gérard ne pouvait
pas l’accepter. Que la nouvelle messe soit valide, nul ne l’a jamais nié
ni contesté. Surtout pas le Père Calmel, l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre, M
Salleron…mais tous ont contesté la rectitude doctrinale de cette
réforme liturgique. Ce fut la raison même de leur résistance. C’était la
conclusion de la lettre de présentation signée par le cardina Ottaviani,
le Cardinal Bacci au Pape Paul VI. C’est l’objet du Bref Examen
Critique. M l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre contestaient même la « légitimité
canonique » du Novus Ordo Missae en ce sens qu’ils
constataient les irrégularités canoniques dans sa publication.
Et voilà pourquoi j’ai tant
reproché à Dom Gérard – ce que me reproche gentiment Jean Madiran dans
son article - d’avoir prononcé en 1998, le 24 octobre 1998,
le mot « orthodoxie » devant le cardinal Ratzinger pour
justifier sa concélébration avec le Pape Jean-Paul II. J’ai toujours compris ce
mot dans le sens de « rectitude doctrinale ».
C’est en ce sens, du moins, que
je l’interprétais et qu’il fallait, je crois, l’interpréter.
Le cardinal Ratzinger lui-même
venait de parler, le premier, en ce 24 octobre
1998, « d’orthodoxie ». Il en donnait la définition.
Il disait : « Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le Cardinal
Newman qui disait que l’Eglise, dans toute son histoire, n’avait jamais aboli
ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait
étranger à l’Esprit de l’Eglise. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui
exprime la vraie foi, n’est jamais la compilation faites selon des
critères pragmatiques de diverses cérémonies dont on pourrait disposer de
manières positivistes et arbitraires – aujourd’hui comme ça et demain
autrement …».
Tout de suite après, Dom Gérard
prenait la parole et disait : « Le scandale de la division doit
cesser, pour être remplacé par la concorde, la concertation et l’unité. C’est
dans cet esprit de paix et de concorde que le 27 avril 1995, j’ai accepté de
concélébrer avec le saint Père, désirant montrer par-là que nous tous qui
militons pour le maintien de l’ancien missel, nous croyons à
la validité et à l’orthodoxie du nouveau rite ».
Mais précisément cette
nouvelle messe exprime-t-elle la vraie foi ? Est-elle conforme en tous
points, comme je le dis dans mon livre l’enjeu de l’Eglise : la
messe, à la doctrine catholique ? Ne s’éloigne-t-elle pas peu
ou prou de la foi catholique ? Mais enfin tout de même, le cardinal
Ottaviani a dit que cette nouvelle messe s’éloignait de la doctrine catholique
telle que définie pour toujours par le concile de Trente en sa session
22eme ?
Et voilà pourquoi j’ai trouvé
légitime et je trouve encore légitime de protester contre cette affirmation de
Dom Gérard.
NB : Je dois préciser que
« Lorsque j’ai écrit mon article sur « Dom Gérard et la
messe » me permettant de donner quelques « nuances et
précisions » sur l’article de Jean Madiran dans Présent du jeudi 17
avril 2008 portant le titre « Dom Gérard et la messe », je ne
savais pas qu’il répondait à un article de Christophe Geffroy, sur Dom
Gérard Calvet, du Barroux, publié dans la Nef, d’avril 2008, le n° 192.
Après en avoir pris connaissance, je comprends mieux la réaction de Madiran. Je
le soutiens tout à fait. Il est faux de faire de Dom Gérard un « défenseur
de la nouvelle messe ». C’est une contre vérité. Il est faux d’écrire que
Dom Gérard « eut un rôle moteur pour expliquer à la mouvance
traditionnelle la nécessité d’accepter le nouvel Ordo ».(C. G. La Nef n°
192) Tout de même ! Quelle audace ! Que Dom Gérard ait eu des attitudes
« équivoques », « dangereuses », « politiques »
pouvant laisser croire qu’il ne s’opposait plus fortement à la réforme
liturgique, peut être ! C’est mon avis. Ce sont les quelques précisions
que je me suis permis d’apporter à Jean Madiran. Mais de là, faire de Dom
Gérard, quelqu’un qui a soutenu la réforme liturgique conciliaire, c’est
trop ! Toute son œuvre de bâtisseur et de restaurateur s’élève contre
cette affirmation. Il a quitté l’abbaye de Tournay horrifié par l’évolution
liturgique de son monastère et a été reconstruire ailleurs…Jean Madiran, son
ami, a eu raison de réagir et de s’y opposer en révélant quelques phrases d’une
lettre de Dom Gérard qui montrent fortement le contraire : « Je
regrette infiniment que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le
bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on
s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la
pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un
droit…Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de
moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité
contre vents et marées ».
C’est clair !
Mais au-delà même de la
personne de Dom Gérard et de son rôle historique, affirmer benoîtement,
comme le fait Christophe Geffroy, résumons, qu’ « il n’y aurait plus
de problème avec la nouvel messe de Paul VI », que « la
mouvance traditionnelle elle-même a enfin compris la nécessité de
l’admettre telle quelle », (J M. Présent. Jeudi 17 avril 2008), c’est
un peu fort. C’est une contre vérité. C’est aller contre la réalité. C’est se
tromper ou vouloir tromper… Madiran a eu raison de réagir sur ce
sujet. Et de fait, il a toujours réagi. Il le fit, encore, tout récemment
dans un article de Présent, du 11 avril 2008, en présentant le livre de Yves
Chiron : « la vie du Fr. Roger ». Je l’ai repris dans un
Flash-Info. Il était intitulé : « La question de la
Messe »
Il le fit de nouveau en défendant
l’œuvre ( in genere) et la pensée de Dom Gérard dans cet article du 28 août
2009 intitulé :
« Une évidence de 21 ans
Un auteur anonyme a pris soin
cette année, et je l’en remercie, rectifier une erreur de date dans mon article
de l’année dernière sur « Dom Gérard et la messe » (Présent du 17 avril 2008).
Je m’y exprimais comme si Dom Gérard, en un seul et même voyage à Rome, à la
tête d’un grand pèlerinage, avait apporté à Jean-Paul II une pétition en faveur
de la messe traditionnelle. En réalité il y eut pour cela deux voyages : l’un
en 1995 pour apporter la pétition ; l’autre en 1998, pour le pèlerinage. Ces
rectifications correspondent aux dates que donne de son côté l’abbé Paul
Aulagnier dans son livre L’Enjeu de l’Eglise (p. 337-339).
Mon erreur matérielle ne change
ni n’affecte, semble-t-il, le propos de mon article. Mais toute inexactitude
mérite en effet d’être rectifiée. J’invite les lecteurs qui ont conservé mon
article de l’année dernière à bien vouloir y joindre le présent rectificatif.
C’est au cours du pèlerinage de
1998 que Dom Gérard prononça le terme contesté d’« orthodoxe ». Par ce terme,
il a voulu dire que la messe de Paul VI, une fois son article 7 rectifié, n’est
pas hérétique, et rien d’autre.
Tel est mon témoignage
L’auteur anonyme entreprend
contester contre moi, par raison démonstrative, l’opportunité même l’adéquation
du terme orthodoxe ». Cela tombe à plat parce qu’extérieur au propos de mon
article, qui était non pas un jugement de valeur sur l’adéquation ou
l’opportunité du terme, mais le témoignage de l’intention de Dom Gérard,
arbitrairement contestée : il n’a jamais voulu (ou incité à) se rallier à la
nouvelle messe ni aux erreurs issues du Concile, il n’a pas cessé de s’y
opposer avec pertinence, sagesse et fermeté.
La querelle interminable qui lui
est faite à ce sujet (et subsidiairement à moi-même) n’a d’ailleurs pas pris
naissance avec le terme « orthodoxe » de 1998, elle remonte dix ans plus haut :
au mois de décembre 1988, où fut lancée pour la première fois la prophétie
téméraire selon laquelle Dom Gérard et moi-même allions inévitablement nous
rallier aux erreurs et à la messe issues de Vatican II. C’était il y a vingt et
un ans. Dom Gérard avait en 1970 entrepris une vie d’ermite puis fondé un
monastère justement pour y maintenir, à l’encontre de l’apostasie immanente, la
liturgie, la théologie, la règle monastique antérieures aux désordres
post-conciliaires. Cette œuvre de Dom Gérard fut et demeure non pluribus impar,
elle se poursuit par une abbaye et ses fondations qui vivent, qui expliquent,
qui font aimer la piété, la doctrine, les rites, l’esprit traditionnels. Les
faits sont là. Les plus brillants raisonnements théoriques ne peuvent rien
contre l’évidence des faits. Une évidence de vingt et un ans.
Jean
Madiran, Présent du vendredi 28 août 2009
Je m’élève, à mon
tour, contre l’affirmation de Christophe Geffroy, à savoir que
« la mouvance traditionnelle elle-même a enfin compris la nécessité
d’admettre la nouvelle messe telle quelle ». Dire qu’il
n’y aurait plus de problème pour accepter cette réforme liturgique, que
tout serait idoine, ne correspond pas à la vérité. Pour le prouver, je
vous conseille de lire un article de M l’abbé Dulac,
intitulé : « La nouvelle ordonnance de la Messe. Vers une messe
œcuménique » écrit en 1969. Cet article n’a pas vieilli. Il est
toujours d’actualité. Malheureusement…Il représente toujours la grande
préoccupation de la tradition »
(cf Item, Regards sur le monde du
11 mars 2013) .
Suite à cet article de Jean
Madiran, je revenais moi-même sur la pensée de Dom Gérard dans un article
publié dans ITEM dans larubrique « Regards sur le monde » le 16 septembre
2009, reprenant l’ensemble des arguments déjà proposés.
Pour conclure, je dirais que
je reconnais tout à fait la noble figure de Dom Gérard. Il a marqué son temps.
Il l’a marqué par son influence, son rayonnement, par sa foi, par ses œuvres
qu’il nous laisse : le Barroux, par son attachement à la vie monastique,
bénédictine. Mais je lui reproche, quant à moi, ses attitudes équivoques qui
lui permirent d’arriver « discrètement » à son but. Mais à quelle condition ?
C’est, je pense, ce que je devais sentir dans sa personnalité et ce qui devait
me gêner dans mes relations avec lui alors que je m’occupais en France de la
FSSPX et de son rayonnement sous la protection vaillante, enthousiaste et libre
de Mgr Lefebvre. C’était la belle période heureuse et joyeuse des années 1976 à
1994, les plus belles années de ma vie sacerdotale.
NB :Je recommande très volontiers
la lecture du bel article de Jean Madiran écrit dans Présent après le décès de
Dom Gérard et que vous trouverez dans les archives d’Item : Les Nouvelles de
Chrétienté, n° 126 : « témoignage de Jean Madiran : Mémoire de Dom Gérard »,
ainsi que l’article que j’ai écrit aussi après les obsèques de Dom Gérard au
Barroux, le 3 mars 2008 , que vous trouverez toujours dans les mêmes archives
d’Item dans la rubrique « Regard sur le monde » au 4 avril 2008