SOURCE - Paix Liturgique - lettre 705 - 31 juillet 2019
Monseigneur Juan Rodolfo Laise célèbre pour son attachement à l'Eucharistie et à la distribution traditionnelle de la sainte communion est décédé le 22 juillet dernier à San Giovanni Rotondo ou il s'était retiré depuis 2001.Nous allons consacré deux lettres à ce héros de l'épiscopat, la première que nous publions aujourd'hui ou nous avons demandé à son disciple le père Gabriel Diaz de nous parler de son évêque qui était aussi son ami. Une seconde lettre qui sera diffusé la semaine prochaine reproduira la quintessence de plusieurs entretiens que nous avions eu ces dernieres années avec Mgr Laise au sujet de son attachement à la liturgie traditionnelle.
ENTRETIEN AVEC LE PÈRE GABRIEL DIAZ
Paix liturgique - Nous avons sollicité vos souvenirs car nous croyons que vous avez très bien connu Mgr Juan Rodolfo Laise ?
Père Gabriel Diaz - En effet, et même avant de le connaitre « en vrai », je le connaissais déjà de réputation ! Pour ma part, je l’ai rencontré par l’intermédiaire d’un prêtre de ses amis qui, connaissant ma vocation sacerdotale, m’a orienté vers lui. Nous étions alors en 1988 et depuis ce temps-là je n’ai cessé de le côtoyer d’abord en tant que séminariste, puis en tant que prêtre puis comme son chancelier, enfin comme ami et assistant jusqu’à aujourd’hui en continuant à le rencontrer très régulièrement en Italie où il avait choisi de terminer sa vie terrestre.
Paix liturgique - Quelle vision conservez-vous de lui depuis votre rencontre jusqu’à aujourd’hui ?
Père Gabriel Diaz - D’abord c’était surtout et avant tout un religieux capucin qui rayonnait de la belle spiritualité franciscaine si souriante, bonne et bienveillante. Franciscain il l’était depuis l’origine, car orphelin de père et de mère dans son enfance il avait été confié à une pension tenue par des pères capucins où il fit ses études. Eminemment spirituel il se sentit très jeune attiré par la vie religieuse et naturellement il passa du collège au noviciat … pour être ordonné prêtre le 4 septembre 1949 à l’âge de 23 ans.
Paix liturgique - Quelle était sa vocation ?
Père Gabriel Diaz - Il m’a souvent dit qu’il avait eu le désir de continuer à faire ce qu’il avait vu faire par ses maîtres capucins en les imitant, tout particulièrement dans leur rôle d’enseignants. Mais le Bon Dieu avait d’autres vues sur lui : il a enseigné, en effet, pendant des années, mais aux novices, jamais aux enfants des écoles comme il le rêvait. Cependant, quand il était curé de paroisse, il a construit une école à la fin des années 50 dont il a été le recteur pour quelque temps. Cette école existe encore et se porte très bien.
Paix liturgique - Quelles études poursuivit-il ?
Père Gabriel Diaz - Lui qui désirait enseigner se trouva engagé dans des études juridiques, tant canoniques que civiles. Il a obtenu ainsi une licence en Droit Canonique à l’Université Grégorienne de Rome et un doctorat en Droit Civil à l’université de Cordoba en Argentine.
Paix liturgique - Vous avez évoqué hors de cet entretien une anecdote au sujet des études de Mgr Laise?
Père Gabriel Diaz – Oui, ayant fréquenté dans son jeune âge les frères des écoles chrétiennes puis les pères capucins et enfin les jésuites à Rome, ce ne fut que lors de ses études juridiques à Cordoba que, déjà homme mûr, il eut pour la première fois des professeurs « laïcs » car tous ceux qui l’avaient formé jusqu’à ce moment avaient été des religieux. Ceci renvoie à une époque révolue aujourd’hui, mais explique aussi l’habitus ecclésial de Mgr Laise, qui avait baigné pendant toute sa jeunesse, son adolescence et le début de sa vie d’homme dans un univers chrétien, spirituel et ecclésiastique, ce qui ne l’empêcha pas cependant devenu étudiant à Cordoba dans un monde estudiantin ordinaire, et ensuite dans sa longue vie, d’être un homme équilibré et accompli avec tous ceux qu’il ne manquait pas de rencontrer dans sa vie quotidienne. A propos de cette période à l’Université, de nombreuses années plus tard, celui qui était alors président de la république argentine, Carlos Menen, évoqua devant une grande assemblée son souvenir d’avoir vu, quand il était étudiant, ce frère capucin en habit avec sa barbe en broussaille qui fréquentait les cours de l’université de Cordoba et ne passait inaperçu pour personne.
Paix liturgique - Pour beaucoup de nos lecteurs Mgr Laise est surtout l’homme de la communion sur les lèvres…
Père Gabriel Diaz – Indépendamment des circonstances qui l’amenèrent à devenir comme vous dites « l’homme de la communion sur les lèvres », il ne faut pas oublier que Mgr Laise était un homme qui avait une profonde dévotion eucharistique et un authentique amour de l’Eucharistie : c’était sans doute l’une de ses caractéristiques spirituelles majeures. De cela je peux donner des exemples. Arrivé évêque de San Luis il instaura assez vite une adoration quotidienne dans sa cathédrale pour que, de la messe du matin à la messe du soir, ses fidèles puissent venir à tout moment dans la journée adorer le saint-sacrement exposé. C’est d’ailleurs dans cette chapelle, dans un endroit qu’il a préparé il y une quarantaine d’années en face du Saint-Sacrement, que son corps sera transféré selon son souhait.
Paix liturgique - Comment se trouva-t-il engagé dans l’affaire de la communion ?
Père Gabriel Diaz - Pour le comprendre il faut se souvenir que, jusqu’en 1996, en Argentine, le seul mode de distribution de la communion était le mode traditionnel. Or, lors d’une réunion de la Conférence des évêques d’Argentine qui se tint en 1996, il fut décidé de demander à Rome la permission d’autoriser la communion dans la main. La réponse de Rome laissait à chaque évêque, « selon sa prudence et sa conscience » (sic) la décision s’il devait ou non appliquer dans son diocèse ce qui n’était qu’un indult (c.à.d. un ’autorisation à agir contre la loi). Il décida de ne pas le faire, en suivant par ailleurs la recommandation contenue dans le document qu’était la référence fondamentale de la réponse de Rome. Et d’ailleurs ses successeurs sur le siège de San Luis ont continué à conserver cette pratique jusqu’à aujourd’hui.
Paix liturgique - Mais cela n’engendra-t-il pas des remous ?
Père Gabriel Diaz - Bien sûr, dans toute l’Argentine et pas seulement dans le monde ecclésial mais aussi dans la presse et à la télévision. C’est dans ces débats que Mgr Laise fut amené à creuser la question de la réception de la sainte communion sous tous ses angles historiques, liturgiques, canoniques et pastoraux, rassemblant tout un dossier confortant sa résistance à la nouvelle pratique. Mais le fondement principal juridique étaient les termes mêmes du document de référence de l’indult octroyé par Rome, à savoir l’instruction Memoriale Domini, qui disait clairement : « Il n'a pas paru opportun au Souverain Pontife de changer la façon selon laquelle depuis longtemps est administrée la Sainte Communion aux fidèles » (c.à.d. sur les lèvres), et après : « Le Siège apostolique exhorte de façon véhémente les évêques, les prêtres et les fidèles à se soumettre diligemment à la loi en vigueur une fois encore confirmée. » L’indult en question n’était donc destiné qu’à ces endroits où la résistance à la demande du Saint-Siège menaçait créer un conflit canonique, ce qui n’était pas de tout le cas de notre diocèse.
Pour dissiper tout doute, la Congrégation pour la Doctrine de la foi (à l’époque présidée par le Cardinal Ratzinger) a répondu à Monseigneur Laise: « Ce Dicastère vous fait savoir qu’un examen attentif des documents du Saint-Siège en la matière fait apparaître clairement que, en décidant de maintenir inchangée la tradition de distribuer la Sainte Communion dans la bouche, vous avez agi conformément au droit et que, de ce fait, vous n’avez pas rompu la communion ecclésiale. En vérité, Votre Excellence n’a fait que se conformer à l’obligation faite à chaque évêque, par l’instruction De modo Sanctam Communionem ministrandi, d’évaluer les conséquences que pourrait avoir, dans la vie sacramentelle des fidèles, une modification de la pratique eucharistique en vigueur ».
Paix liturgique - C’est donc ainsi que naquit le dossier devenu un livre sur la communion dans la main ?
Père Gabriel Diaz – Oui, et les choses allèrent vite car si l’on se souvient que l’instauration de la pratique nouvelle avait eu lieu dès août 1996, la première version espagnole du livre a été publiée en Argentine en Février 1997.
Paix liturgique - Cet ouvrage eut-il un grand retentissement ?
Père Gabriel Diaz – On peut l’affirmer, car dans toute l’Argentine, des fidèles, mais aussi de nombreux prêtres et même des évêques l’ont remercié de son travail, certains de ces confrères lui avouant que s’ils avaient eu connaissances de toutes les informations que révèle l’ouvrage ils auraient pris la même décision que lui de rester fidèles à la pratique traditionnelle. Mais son édition se répandit bientôt dans tout le monde hispanique et l’ouvrage fut réédité cinq fois depuis 1997. Sa diffusion ne cesse de se poursuivre aujourd’hui à la suite d’une édition enrichie qui fut publiée en 2005, et d’une 5ème édition en Espagnol publiée (aux Etats Unis) en 2014. En Espagne, on prépare actuellement ce qui sera la 6ème édition encore enrichie des éléments ajoutés à l’édition anglaise de 2018.
Paix liturgique - Comment cet ouvrage se répandit-il en dehors du monde hispanophone ?
Père Gabriel Diaz – C’est grâce au CIEL (Centre International d’Etudes Liturgiques) que le travail de Mgr Laise poursuivit sa diffusion dans le monde. Les organisateurs du CIEL avaient sollicité l’intervention de Mgr Laise lors du Colloque qu’ils tinrent à Poissy, en région parisienne, en 1999. Celui-ci y intervint devant de nombreux spécialistes venus de toute l’Europe. Sa communication était en fait une présentation de son livre qui fut publiée en Français par le CIEL pour cette occasion. Une 2ème édition française a été publiée deux ans plus tard, et sa diffusion dans le monde francophone n’a jamais cessé depuis.
Paix liturgique - Vous avez, je crois, une anecdote à rappeler au sujet de la venue de Mgr Laise à Poissy ?
Père Gabriel Diaz - Je rappelle que, depuis 1971, Mgr Laise était évêque de San Luis, une ville d’Argentine fondée le 25 août 1594 par Luis Jofré de Loaiza y Meneses qui lui donna le nom du saint roi de France, parce que sa fondation avait eu lieu le jour de la fête du saint. Cette paternité spirituelle du saint sur son diocèse développa chez Mgr Laise une profonde vénération pour le saint roi, dévotion qu’il a développée chez les fidèles. Aussi, lorsqu’il fut invité à participer à un colloque devant se tenir à Poissy, la ville ou était né saint Louis et où il fut baptisé – saint Louis signait ses lettres « Louis de Poissy » ou « Louis, seigneur de Poissy » – il fut enchanté, et malgré son calendrier très chargé ne voulut pas manquer l’occasion de venir prier à Poissy. J’ai conservé une photo de lui qu’il s’est faite faire à côté des fonts baptismaux où le futur saint est devenu chrétien.
Paix liturgique - Mais l’aventure de la diffusion de cet ouvrage sur la communion n’était pas terminée?
Père Gabriel Diaz - Non, en 2007 fut publiée une édition polonaise, en 2010 une édition anglaise (et américaine devrais-je dire) et en 2016 une édition italienne (réimprimée plus tard), qui donna l’occasion à Mgr Laise de rencontrer ses amis et éditeurs à Rome. Aujourd’hui plusieurs autres versions sont en préparation et nous espérons voir bientôt se répandre, si Dieu le veut, des éditions en allemand, en portugais et pourquoi pas, en russe !
Paix liturgique - Après avoir renoncé à sa charge épiscopale Mgr Laise s’était retiré à San Giovanni Rotondo ?
Père Gabriel Diaz - Oui depuis 2001 Mgr Laise s’était retiré au couvent capucin de San Giovanni Rotondo, où est vénéré le saint Padre Pio. Il y est revenu à la vie conventuelle des capucins et a exercé chaque jour son ministère de la confession. C’est là qu’il est décédé, prêtre de Jésus-Christ jusqu’au derniers instants de sa vie.
Laissez-moi vous dire pour conclure que Mgr Laise, qui fut pour moi un père et un ami, restera pour tous ceux qui l’ont connu un modèle de piété et de courage, lui qui, même dans l’adversité, ne céda jamais à l’opinion, démontrant qu’aux justes qui se battent pour lui et pour son Eglise, Dieu accorde souvent le succès et toujours sa grâce.
De ce fait, sa vie nous enseigne que si des pasteurs courageux s’étaient levés en plus grand nombre contre les abus liturgiques et théologiques qui se sont répandus dans l’Eglise depuis 50 ans, la situation actuelle aurait été bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui, au moins en y faisant cohabiter davantage de pluralisme et donc d’opportunités pour les prêtres et pour les fidèles de montrer clairement leurs choix et leurs préférences.
UNE COURTE BIOGRAPHIE DE MGR JUAN RODOLFO LAISE
Mgr Laise est né le 22 février 1926 à Buenos Aires. Se sentant appelé à la vie religieuse, il est entré dans l’ordre des capucins. Il a reçu le sacerdoce le 4 septembre 1949, alors qu’il n’avait que 23 ans. Il a ensuite obtenu sa licence de droit canonique à l’Université grégorienne de Rome et son doctorat en droit civil à l’Université nationale de Córdoba, Argentine. Il a été professeur de droit et de morale de 1954 à 1960 au Collège de Théologie de Villa Elisa. Parallèlement, il a exercé, depuis Villa Elisa, la charge de juge synodal à la curie de La Plata, et a donné des cours de théologie à l’Institut supérieur d’Enseignement religieux.
De décembre 1956 à janvier 1958, il a lancé et dirigé la construction du Collège St-François d’Assise, dont il a été Directeur de 1959 à 1962. En 1962, il a été nommé Vicaire judiciaire adjoint du Tribunal ecclésiastique de La Plata et, la même année, juge pro-synodal. L’année suivante il a été nommé juge pro-synodal de l’archidiocèse de Buenos Aires. En 1963, il a été nommé Secrétaire provincial des Pères Capucins, dont il a été nommé Supérieur provincial pour l’Argentine en 1969. En 1967, il était Visiteur des maisons religieuses de l’archidiocèse de Buenos Aires.
Elevé à l’épiscopat en 1971, il a été consacré le 29 mai 1971, pour être évêque coadjuteur du diocèse de San Luis dont, peu après, à la mort de son prédécesseur, il est devenu évêque.
Depuis cette date, son activité a été multiple et incessante : les fondations, les créations, les constructions d’églises, de chapelles, l’organisation de congrès, les directives apostoliques se sont succédées.
Lorsque, en 1971, il a pris possession de son diocèse, aucune ordination sacerdotale n’avait eu lieu depuis 18 ans. Il n’y avait qu’un seul séminariste. Le clergé était très réduit et profondément divisé par la théologie de la libération. Quand il a quitté son diocèse en 2001, il disposait de plus de cinquante séminaristes dans le séminaire qu’il avait fondé, et d’un clergé jeune et nombreux. Sous son épiscopat est également née dans le diocèse une communauté religieuse féminine très vivante, qui a essaimé dans toute l’Argentine.
Mgr Laise avait profité de la parution du Catéchisme de l’Eglise Catholique pour publier une série de catéchismes adaptés à l’usage des enfants. Mais son œuvre la plus connue est son combat pour la réception de la communion selon la forme traditionnelle, dont traite l’entretien avec le P. Gabriel Diaz, ci-après.
Mgr Laise, depuis 2001, était revenu à la vie conventuelle franciscaine a San Giovanni Rotondo, en Italie, devenu un pèlerinage sur la tombe du Padre Pio, où il passait ses matinées à confesser les pèlerins. Il y est décédé le 22 juillet dernier.