SOURCE - Isabelle de Gaulmyn - La Croix - 29 octobre 2019
Ne nous y trompons pas ; ce qui s’est passé à Rome, avec le Synode pour l’Amazonie qui s’est clos dimanche 27 octobre, marque une véritable révolution pour l’Église catholique. Même si, comme toutes les révolutions, elle s’inscrit dans le temps long. Certes, le pape François n’est pas obligé de suivre inconditionnellement les avis des pères synodaux. Cela dit, on voit mal qu’il s’en exonère, d’autant que c’est le résultat d’un processus qu’il a assez largement encouragé.
En finir avec le célibat des prêtres
Or, en demandant la possibilité pour l’Amazonie d’ordonner prêtres des hommes mariés, en envisageant la création de nouveaux « ministères » (c’est-à-dire de responsabilités au sein des paroisses ou diocèses), avec même la reconnaissance d’un ministère pour « les femmes qui dirigent les communautés », en exigeant enfin de rouvrir le débat si explosif sur le diaconat féminin, les évêques du Synode ont clairement signé la fin d’un modèle, celui qui est issu du concile de Trente et de près de cinq siècles de catholicisme.
Une Église structurée autour du « saint prêtre »
Car nous sommes encore, consciemment ou pas, largement tributaires de ce Concile, qui date pourtant du XVIe siècle. Visant à conforter une religion mise à mal par les pouvoirs des princes et la Réforme de Luther, le concile de Trente a en effet structuré le catholicisme autour de la figure du prêtre. Le clerc, célibataire, devient alors le pivot central. Il concentre sur sa personne toutes les fonctions sacrées, à partir de l’Eucharistie et de la confession. Cet imaginaire du prêtre idéal, le « saint prêtre » identifié au Christ, placé au-dessus des fidèles, condamnés eux à n’être qu’un simple troupeau de brebis bien dociles, a profondément marqué les mentalités de tous les catholiques, et largement favorisé le « cléricalisme » ambiant, y compris chez les laïcs. Même si Vatican II a rappelé en 1962 l’importance du rôle de l’ensemble des baptisés, tous appelés à être « prêtres, prophètes et rois », la figure du prêtre « surpuissant » est restée très prégnante sur les bancs des églises. Et la gestion de la crise des abus sexuels a montré combien les dérives de ce cléricalisme, en ce qu’il fausse la manière de concevoir l’autorité dans l’Église, pouvaient avoir de conséquences dramatiques.
Pour une biodiversité dans l’Église
C’est tout cela que le Synode pour l’Amazonie vient définitivement de condamner. Comment ? En plaidant pour une véritable « biodiversité » dans l’Église, qui laisse place à d’autres formes de responsabilités : à côté du prêtre célibataire classique, on aurait des hommes mariés expérimentés, et aussi des nouveaux ministères, définis en fonction des besoins locaux, et éventuellement ouverts aux femmes. En réalité cette « biodiversité catholique » existe déjà largement, mais on ne la voit pas. Surtout, on ne la reconnaît pas officiellement. Qui sait qu’en France la plupart des diocèses ne tournent que grâce à des femmes, laïques, formées à la théologie – plus de 12 000 aujourd’hui –, sur lesquelles les évêques ont pris l’habitude de s’appuyer ? Qu’il existe déjà 2 700 hommes mariés diacres, qui assurent de nombreux services dans les paroisses ? Tout cela à côté de seulement 5 600 prêtres en activité…
La révolution silencieuse de l’Église de France
Cette « révolution silencieuse » transforme progressivement le visage de l’Église de France. Il faut désormais, comme viennent de le demander les pères synodaux pour l’Amazonie, lui donner plus de visibilité, l’officialiser, la structurer. De ce point de vue, en invitant pour la première fois, lors de leur Assemblée plénière annuelle qui débute à Lourdes le 5 novembre, des laïcs, hommes et femmes, à leurs côtés, les évêques de France vont enfin renvoyer une image moins cléricale et masculine de l’Église. Une image plus fidèle à la réalité du catholicisme en France. Et une autre manière d’en finir, là aussi, avec l’héritage du concile de Trente.