SOURCE - Isabelle de Gaulmyn - La Croix - 22 décembre 2005
Dans ses vœux de Noël aux cardinaux de la curie, le pape a critiqué les fondements du courant de pensée qui se revendique de «l’esprit du concile Vatican II»
Lors de son homélie de clôture du conclave, le 20 avril dernier, le pape qui venait d’être élu avait placé la mise en œuvre du concile Vatican II au cœur de son « programme » pontifical. Hier, devant les cardinaux de curie, pour la traditionnelle présentation des vœux de Noël, il a, pour la première fois, clairement et longuement explicité dans quel sens devait se faire cette mise en œuvre. Benoît XVI s’est en effet livré à une réflexion sur l’année passée, marquée, a-t-il dit, par le souvenir de Jean-Paul II, les Journées mondiales de la jeunesse à Cologne, et le Synode. Mais c’est sur l’anniversaire des quarante ans de la conclusion du Concile, dernier événement de l’année fêté le 8 décembre, qu’il a choisi de revenir avec force.
Le premier constat est sous forme d’interrogation : « Qu’est-ce qui, dans la réception du Concile, a été bien fait, qu’est-ce qui est resté insuffisant, et où s’est-on trompé ? » Le pape, qui fut lui-même l’un des acteurs de ce concile, comme jeune théologien, répond en opposant deux conceptions du Concile, deux interprétations – ou « herméneutiques » – différentes. L’une, qui voudrait que le Concile marque une rupture dans l’histoire de l’Église. L’autre conception, défendue ici par Benoît XVI, est celle qui voit dans Vatican II une « réforme », un « renouveau dans la continuité ». Il n’y a pas, souligne donc Benoît XVI, d’un côté l’esprit du Concile, et de l’autre, les textes, dont la prudence s’expliquerait par le souci des Pères conciliaires d’aboutir à un compromis. Non, pour le pape actuel, qui reprend la citation de Jean XXIII, « le Concile veut transmettre pure et intègre la doctrine, sans atténuation ni altérations ».
C’est donc dans cette perspective de la continuité que Benoît XVI éclaire le type de rapport que l’Église doit entretenir avec le monde, rapport sur lequel Vatican II a posé un regard nouveau. Certes, admet-il, le devoir d’exprimer dans un monde nouveau une vérité déterminée exige une nouvelle réflexion sur cette vérité. Mais, la question du rapport entre l’Église et son époque est ancienne, explique-t-il, et elle a débuté sur un mode problématique avec le procès de Galilée.
Ainsi, le Concile, avec une nouvelle définition du rapport entre la foi de l’Église et certains éléments essentiels de la pensée moderne, donne-t-il une apparence de discontinuité. Mais en réalité, l’Église a, par-là, « maintenu et approfondi sa nature intime et sa profonde identité ». C’est avec cette grille qu’il faut, ajoute encore Benoît XVI, comprendre le fameux « oui » de Paul VI au monde moderne, et aux « signes des temps » : « Ceux qui attendaient avec ce ‘‘oui’’ fondamental à l’époque moderne que toutes les tensions disparaissent, et que l’ouverture au monde se transforme en une pure harmonie », ont sous évalué, prévient-il, « les tensions intérieures et aussi les contradictions de cette époque moderne ».
Dans notre temps aussi, explique en effet Benoît XVI en bon disciple de saint Augustin, « l’Église reste un signe de contradiction ». « Il ne pouvait pas être dans l’intention du Concile d’abolir cette contradiction de l’Évangile dans sa confrontation aux dangers et aux erreurs de l’homme », soutient-il encore.
Une manière, donc, pour Benoît XVI, de situer dans quelle ligne exigeante doit se faire la mise en œuvre de Vatican II, qu’il ne renie nullement, au contraire : « Ainsi nous pouvons aujourd’hui avec gratitude tourner notre regard vers le concile Vatican II. Si nous le lisons et le recevons guidés par une juste herméneutique, il pourra être et devenir toujours plus une grande force pour le nécessaire renouvellement de l’Église. »
Isabelle de GAULMYN, à Rome
Commentaire
Benoît XVI a voulu remettre hier des pendules à l’heure à propos du concile Vatican II. Ses propos vont faire grincer plus d’un rouage dans l’Église. Le 20 avril, lendemain de son élection, il avait rassuré en plaçant « la mise en œuvre du concile Vatican II » comme sa priorité mais avec cette phrase énigmatique et diversement interprétée : « en continuité fidèle avec la tradition bimillénaire de l’Église ». Huit mois plus tard, il précise sa pensée et développe, comme jamais encore, sa vision de l’application du concile Vatican II (lire ci-contre).
Il entend solder, une fois pour toutes, un débat central qui divise l’intérieur de l’Église depuis quarante années : l’opposition entre « la lettre et l’esprit du Concile ». Entre ceux qui se réjouissent de voir que l’Église catholique s’est « ouverte au monde » et ceux qui déplorent sa perte de substance et appellent à un nouvel enracinement.
Que dit le nouveau pape ? Que les tenants de «l’esprit du Concile», pensant «interpréter justement» le Concile en termes de «rupture» avec le passé et opposant «Église préconciliaire et Église post-conciliaire» se trompent «à la racine, sur la nature d’un Concile». Il fonde sa position sur trois arguments : un Concile n’est pas une constitution démocratique ; le monde n’est pas un modèle en soi et a autant besoin de l’Évangile aujourd’hui qu’hier ; la jonction entre le monde et l’Église n’est pas une simple question d’« ouverture » mais de dialogue serré entre la foi et la raison à conduire «avec ouverture mentale mais clarté dans le discernement des esprits». Le nouveau pape semble ainsi vouloir rompre avec un certain romantisme ecclésial. Pour lui, en effet, «il n’était pas dans les intentions du Concile d’abolir la contradiction entre l’Évangile et les périls et les erreurs de l’homme».
Dans ses vœux de Noël aux cardinaux de la curie, le pape a critiqué les fondements du courant de pensée qui se revendique de «l’esprit du concile Vatican II»
Lors de son homélie de clôture du conclave, le 20 avril dernier, le pape qui venait d’être élu avait placé la mise en œuvre du concile Vatican II au cœur de son « programme » pontifical. Hier, devant les cardinaux de curie, pour la traditionnelle présentation des vœux de Noël, il a, pour la première fois, clairement et longuement explicité dans quel sens devait se faire cette mise en œuvre. Benoît XVI s’est en effet livré à une réflexion sur l’année passée, marquée, a-t-il dit, par le souvenir de Jean-Paul II, les Journées mondiales de la jeunesse à Cologne, et le Synode. Mais c’est sur l’anniversaire des quarante ans de la conclusion du Concile, dernier événement de l’année fêté le 8 décembre, qu’il a choisi de revenir avec force.
Le premier constat est sous forme d’interrogation : « Qu’est-ce qui, dans la réception du Concile, a été bien fait, qu’est-ce qui est resté insuffisant, et où s’est-on trompé ? » Le pape, qui fut lui-même l’un des acteurs de ce concile, comme jeune théologien, répond en opposant deux conceptions du Concile, deux interprétations – ou « herméneutiques » – différentes. L’une, qui voudrait que le Concile marque une rupture dans l’histoire de l’Église. L’autre conception, défendue ici par Benoît XVI, est celle qui voit dans Vatican II une « réforme », un « renouveau dans la continuité ». Il n’y a pas, souligne donc Benoît XVI, d’un côté l’esprit du Concile, et de l’autre, les textes, dont la prudence s’expliquerait par le souci des Pères conciliaires d’aboutir à un compromis. Non, pour le pape actuel, qui reprend la citation de Jean XXIII, « le Concile veut transmettre pure et intègre la doctrine, sans atténuation ni altérations ».
C’est donc dans cette perspective de la continuité que Benoît XVI éclaire le type de rapport que l’Église doit entretenir avec le monde, rapport sur lequel Vatican II a posé un regard nouveau. Certes, admet-il, le devoir d’exprimer dans un monde nouveau une vérité déterminée exige une nouvelle réflexion sur cette vérité. Mais, la question du rapport entre l’Église et son époque est ancienne, explique-t-il, et elle a débuté sur un mode problématique avec le procès de Galilée.
Liberté religieuseLes choses ont ensuite évolué, la modernité elle-même a connu ses propres développements, et, remarque-t-il, les deux parties (modernité et religion) « ont commencé progressivement à s’ouvrir l’une à l’autre » : « Dans la période entre les deux guerres mondiales, et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, des hommes d’État catholiques ont démontré qu’il pouvait exister un État moderne laïque, et qui cependant n’était pas neutre au regard des valeurs, mais puisait dans les grands principes éthiques mis en place par le christianisme. » Il en est de même de la notion de liberté religieuse, proclamée par Vatican II, mais qui, fondée sur la vérité de l’homme, fait en réalité partie « du patrimoine plus profond de l’Église ».
Ainsi, le Concile, avec une nouvelle définition du rapport entre la foi de l’Église et certains éléments essentiels de la pensée moderne, donne-t-il une apparence de discontinuité. Mais en réalité, l’Église a, par-là, « maintenu et approfondi sa nature intime et sa profonde identité ». C’est avec cette grille qu’il faut, ajoute encore Benoît XVI, comprendre le fameux « oui » de Paul VI au monde moderne, et aux « signes des temps » : « Ceux qui attendaient avec ce ‘‘oui’’ fondamental à l’époque moderne que toutes les tensions disparaissent, et que l’ouverture au monde se transforme en une pure harmonie », ont sous évalué, prévient-il, « les tensions intérieures et aussi les contradictions de cette époque moderne ».
Dans notre temps aussi, explique en effet Benoît XVI en bon disciple de saint Augustin, « l’Église reste un signe de contradiction ». « Il ne pouvait pas être dans l’intention du Concile d’abolir cette contradiction de l’Évangile dans sa confrontation aux dangers et aux erreurs de l’homme », soutient-il encore.
"Renoncer à la solidarité trop euphorique qui a suivi le Concile"« Vatican II avait raison de souhaiter une refonte des rapports entre l’Église et le monde. Toutefois, ces deux réalités ne peuvent se rencontrer sans conflit, ni, a fortiori, se confondre, écrivait déjà le cardinal Ratzinger en 1984. Parmi les devoirs les plus urgents pour le chrétien, il y a la réappropriation de sa capacité à réagir face à de nombreuses tendances de la culture environnante, à renoncer à la solidarité trop euphorique qui a suivi le Concile. »
Une manière, donc, pour Benoît XVI, de situer dans quelle ligne exigeante doit se faire la mise en œuvre de Vatican II, qu’il ne renie nullement, au contraire : « Ainsi nous pouvons aujourd’hui avec gratitude tourner notre regard vers le concile Vatican II. Si nous le lisons et le recevons guidés par une juste herméneutique, il pourra être et devenir toujours plus une grande force pour le nécessaire renouvellement de l’Église. »
Isabelle de GAULMYN, à Rome
Commentaire
Le pape et « l’esprit du Concile » - par Jean-Marie Guénois
Benoît XVI a voulu remettre hier des pendules à l’heure à propos du concile Vatican II. Ses propos vont faire grincer plus d’un rouage dans l’Église. Le 20 avril, lendemain de son élection, il avait rassuré en plaçant « la mise en œuvre du concile Vatican II » comme sa priorité mais avec cette phrase énigmatique et diversement interprétée : « en continuité fidèle avec la tradition bimillénaire de l’Église ». Huit mois plus tard, il précise sa pensée et développe, comme jamais encore, sa vision de l’application du concile Vatican II (lire ci-contre).
Il entend solder, une fois pour toutes, un débat central qui divise l’intérieur de l’Église depuis quarante années : l’opposition entre « la lettre et l’esprit du Concile ». Entre ceux qui se réjouissent de voir que l’Église catholique s’est « ouverte au monde » et ceux qui déplorent sa perte de substance et appellent à un nouvel enracinement.
Que dit le nouveau pape ? Que les tenants de «l’esprit du Concile», pensant «interpréter justement» le Concile en termes de «rupture» avec le passé et opposant «Église préconciliaire et Église post-conciliaire» se trompent «à la racine, sur la nature d’un Concile». Il fonde sa position sur trois arguments : un Concile n’est pas une constitution démocratique ; le monde n’est pas un modèle en soi et a autant besoin de l’Évangile aujourd’hui qu’hier ; la jonction entre le monde et l’Église n’est pas une simple question d’« ouverture » mais de dialogue serré entre la foi et la raison à conduire «avec ouverture mentale mais clarté dans le discernement des esprits». Le nouveau pape semble ainsi vouloir rompre avec un certain romantisme ecclésial. Pour lui, en effet, «il n’était pas dans les intentions du Concile d’abolir la contradiction entre l’Évangile et les périls et les erreurs de l’homme».