29 janvier 2006

[Aletheia n°88] L’Homme contre lui-même (Michel de Corte) - Extrait de l’Avant-propos - par Jean Madiran

Yves Chiron - Aletheia n°88 - 29 janvier 2006
L’Homme contre lui-même
Marcel De Corte (1905-1994), né dans le Brabant, fut non seulement, pendant quarante ans, professeur de philosophie à l’Université de Liège, mais aussi, et d’abord, un philosophe et un croyant. Son œuvre abondante – 993 articles et livres recensés en 1975[1] – a trait à la métaphysique et à la morale, mais aussi au droit, à la politique et aux questions religieuses.
C’est de son vivant que parut la première thèse consacrée à sa pensée[2]. Son auteur, Danilo Castellano, présentait De Corte comme un “ aristotélicien chrétien ”. Aristotélicien, De Corte l’était par sa volonté, limpide, de “ saisie directe et immédiate du réel ”, par sa soif de se soumettre à la “ simplicité du vrai ” et de reconnaître l’ordre naturel des choses.
En 1963, parut L’Homme contre lui-même, aux Nouvelles Editions Latines. Les huit chapitres qui composent le livre examinent, les uns après les autres, les différents “ aspects de la schizophrénie dont souffre l’homme contemporain ”. Cette schizophrénie, ou dissociation, est un refus du réel et de la nature. La liberté de l’homme moderne, nous dit De Corte, est devenue un déracinement “ de l’être ”.
Qui n’aurait lu jamais De Corte se tromperait en s’imaginant un auteur hermétique, au langage compliqué, comme peuvent l’être les philosophes modernes. Saisir le réel en son essence et en ses principes peut se faire en un langage accessible à tous. Dans L’Homme contre lui-même, Marcel De Corte établit un diagnostic de la “ schizophrénie ” contemporaine, mais indique aussi “ la voie de la guérison possible ”. Le livre est “ profondément réactionnaire ”, reconnaît-il. La réaction, ici, n’est pas un simple retour en arrière mais une (re)connaissance des “ évidences vitales ” et, d’abord, d’un ordre naturel.
Ce grand livre est réédité, aujourd’hui, par les Editions de Paris, avec un lumineux avant-propos de Jean Madiran. Cette édition a été “ revue et corrigée ” par Jean-Claude Absil. D’autres ouvrages de Marcel De Corte devraient être réédités à l’avenir.

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Extrait de l’Avant-propos - par Jean Madiran
Marcel De Corte est l’un des quatre grands philosophes thomistes de langue française au XXe siècle. Il est le plus explicitement aristotélicien des quatre. Au Moyen Age, on disait : le Philosophe, pour désigner Aristote. Depuis le XXe siècle, pour désigner Marcel De Corte, nous disons : l’Aristotélicien. Comme les trois autres, et selon l’exemple initial de Platon lui-même dont toute la pensée, on l’oublie trop, fut tournée vers la rectification de la Politique, Marcel De Corte a voulu apporter aux misères politiques de ses contemporains les secours d’une philosophe vraie. Comme Charles De Koninck avec sa Primauté du bien commun, comme Etienne Gilson dans Pour un ordre catholique, et comme Maritain, hélas, dans Humanisme intégral, Marcel De Corte remplit la fonction d’un Alcuin auprès de Charlemagne.
[ …] nous sommes entrés dans un temps qui sera peut-être très long où l’on pourra seulement, au milieu d’un monde radicalement sans Dieu, “ sauver des îlots de santé partiellement intacts ”. Bien avant que nous en soyons nous-mêmes tout à fait persuadés, Marcel De Corte voyait, il y a plus de quarante ans, notre civilisation occidentale complètement effondrée, ayant épuisé ce qui restait en elle de civilisation chrétienne. “ Nous savons, écrivait-il, que les civilisations ne meurent que pour faire place à d’autres qui leur succèdent, et qu’un dépôt précieux …est confié aux générations intermédiaires ”. C’est aux générations intermédiaires, la sienne et les nôtres, qu’il destinait sa pensée. Il expliquait bien sûr que le “ salut de la civilisation repose sur un retour à la politique naturelle et à la religion surnaturelle ”. Mais il pensait surtout à ce “ dépôt précieux ” qui passe d’une génération à une autre, d’une civilisation à une autre. Son idée se fait jour un peu partout aujourd’hui : des îlots, des fortins, où le secret ne sera “ conservé d’une manière vivante que dans des communautés restreintes ”.
Le secret, mais quel secret ? C’est un secret à ciel ouvert, partout visible mais partout inaperçu, un secret simple et de bon sens, mais incompréhensible aux intelligences formatées par la domination médiatique et la pression sociale d’idéologies délirantes. C’est le secret perdu de la loi (morale) naturelle, c’est aussi le secret surnaturel du catéchisme romain, conservés l’un et l’autre dans l’intimité des familles, de quelques monastères, de quelques écoles. En somme le livre de Marcel De Corte est le livre des secrets de santé mentale, à l’usage des générations intermédiaires entre une civilisation qui achève de mourir et ce qui viendra ensuite.
La civilisation chrétienne puis son héritière infidèle la civilisation occidentale ont peu à peu épuisé le capital sur lequel elles ont vécu : le capital de sainteté, de coutumes, de lois, de mœurs, amassé par le Moye Age. Il n’en reste quasiment rien. Sauf dans le livre des secrets.
Le secret de Marcel De Corte, c’était donc de revenir au Moyen Age ?
Point du tout. Son secret, écoutez bien, c’est de guérir ; et guérir, a-t-il dit, n’est pas revenir à l’âge que l’on avait quand on a commencé la maladie.

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Marcel De Corte - L’Homme contre lui-même - Avant-propos par Jean Madiran
Préface
1 - Les transformations de l’homme contemporain
2 - Pathologie de la liberté
3 - La crise du bon sens
4 - La crise des élites
5 - Le déclin du bonheur
6 - Ce vieux diable de Machiavel
7 - Le mythe du progrès
8 - L’accélération de l’histoire et son influence sur les structures sociales
Un volume de 310 pages, aux Editions de Paris.
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NOTES
[1] La première Bibliographie de son œuvre a été établie dans le n° 196 d’Itinéraires (septembre-octobre 1975), qui est aussi un volume d’hommage, et de réflexion sur sa pensée, avec, notamment, des articles de Jean Madiran, Thomas Molnar, Louis Salleron, Jacques Vier.
[2] Danilo Castellano, L’aristotelismo cristiano di Marcel De Corte, Florence, Pucci Cipriani, 1975.