SOURCE - Abbé Ibora - 6 mai 2013
Sermon de l’abbé Eric Iborra, vicaire de la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile à Paris, prononcé le dimanche 5 mai lors de la grand’messe de 11h00.
Sermon du Ve dimanche après Pâques 2013
L’actualité, en ce 5 mai, attire à nouveau notre attention sur la loi votée dernièrement. Pour la première fois, aujourd’hui, le gouvernement est confronté à une double opposition. Deux cortèges qui s’ignorent vont le défier dans la rue. J’aurais envie de vous dire, en paraphrasant l’évangile de S. Jean, « quid tibi et mihi, mulier », qu’y a-t-il entre toi et moi. Rien, semble-t-il. D’un côté ceux qui affirment que le mariage suppose dans tous les cas l’altérité de l’homme et de la femme. Et de l’autre ceux qui, quand ils n’y sont pas favorables, sont tout au plus indifférents au « mariage pour tous ». D’un côté une foule pacifique dont la détermination se teinte des nuances de l’humour ; de l’autre une foule certainement plus violente et dont les slogans n’auront peut-être pas toute la retenue désirable. D’un côté un mouvement apolitique et qui entend le rester eu égard au manque de conviction éthique de la classe politique ; de l’autre un mouvement politisé, qui cherche à récupérer les mécontentements.
Il y aura cependant un point commun entre ces foules : une critique de l’exercice du pouvoir politique, menacé de perdre un peu plus de cette autorité qui seule rend légitime la soumission des citoyens aux institutions. Et qui la perd ici de deux manières opposées. D’un côté par son immixtion dans un domaine qui, à cause de sa transcendance, lui est étranger, celui des fondements anthropologiques de la société ; de l’autre par la multiplication de ses carences dans les domaines qui, eux, relèvent de sa compétence. A savoir d’abord la sécurité physique des citoyens, mise à mal par l’idéologie laxiste sous toutes ses formes ; ensuite la sécurité économique, ruinée par l’idéologie mondialiste qui se rit des souverainetés ; enfin la sécurité morale, les valeurs fondatrices d’une civilisation, bouleversée par l’idéologie constructiviste issue du subjectivisme moderne et qui s’étale aujourd’hui avec la soi-disant « théorie du genre » sur laquelle je ne reviendrai pas. Et c’est précisément à ce dernier niveau que le pouvoir intervient à contre-jeu : non seulement il ne défend pas les valeurs sur lesquelles est assise la société (et dont il profite), mais en plus il prétend s’arroger le droit d’en recomposer les fondements anthropologiques, ce qui signifie ne pas en respecter l’antériorité.
Ne pas respecter cette antériorité de la loi naturelle, expression de la loi divine, c’est s’attribuer une souveraineté outrée, parce que déliée de toute dépendance à l’égard de la vérité. De cette vérité sur l’homme, intangible, que l’on ne saurait mettre aux voix, pas même par mode de referendum. Ne pas respecter cette antériorité de la loi naturelle, c’est abolir toute transcendance qui viendrait limiter le pouvoir de la société et donc de son organe tutélaire, l’Etat. C’est ainsi glisser dans le totalitarisme. Le traitement des opposants à la loi, par le déni médiatique tout autant que politique dont ils ont fait l’objet, nous en a donné des signes éloquents tout au long de ces derniers mois. Ce glissement totalitaire, absolutiste, n’a cessé de se préciser depuis la Révolution. Avec l’abolition de la monarchie héréditaire, c’était la pertinence politique de la famille par son antériorité sur l’Etat qui se voyait niée. Puis ce fut l’être humain dans son intégrité individuelle qui fut attaqué ces dernières décennies, de tous côtés, avec la légalisation de l’avortement et des manipulations génétiques et bientôt celle de l’euthanasie. Aujourd’hui, c’est le rejet, par l’idéologie du genre, de la différence structurante qu’est l’altérité sexuelle. Notre combat dépasse donc la contestation de la dernière loi votée : c’est l’idéologie des Lumières en bloc qu’il faut rejeter, car elle est néfaste, même au plan purement politique du vivre-ensemble. Chacun de ces coups de boutoir contre les évidences de la loi naturelle, en effet, divise. Si le subjectivisme constructiviste rallie à chaque fois une partie des esprits, qui cèdent ainsi à leurs penchants hédonistes, il révèle aussi une fraction qui, elle, résiste, comme c’est le cas aujourd’hui avec cette loi sur la dénaturation du mariage. Cette loi, qui est censée profiter à une minorité elle-même bien vite guettée par le « divorce pour tous », divise considérablement nos compatriotes. Une division de plus dans un pays déjà profondément divisé à cause des ravages de l’idéologie et qui risque ainsi l’éclatement dans le communautarisme, de quelque nature que ce soit.
Nous aboutissons ainsi à ce paradoxe d’un pouvoir politique athée qui divise ceux qu’ils devraient unir – les citoyens – et qui unit ceux qu’il méprise – les chrétiens. Car le président de la République a réussi ce qu’aucun président de conférence épiscopale n’avait pu jusqu’alors réaliser : l’unité des catholiques, le réveil de la chrétienté !
Un réveil pour quoi faire ? C’est la question que nous pouvons nous poser maintenant que la loi est passée. Ce vote rend-il a posteriori toute cette mobilisation inutile ? Faut-il désormais sagement rester chez soi ? Vous savez bien que non. Et pas – comme le craignent certains – parce que l’esprit des zélotes et autres sicaires d’il y a 2000 ans se serait subitement emparé de nous pour renverser le régime : l’exemple omniprésent et presque quotidien des « veilleurs » nous montre le contraire. Renverser le régime, mais pour mettre quoi à la place d’ailleurs ? Vous savez que la quasi-totalité du personnel politique actuel manque précisément de cette culture de la transcendance qui seul peut faire une politique respectueuse du bien commun. Non, cette mobilisation n’a pas été inutile. Elle est le début d’une résistance pacifique à l’oppression, marquée à la fois par des coups médiatiques pour attirer l’attention du plus grand nombre – nos jeunes s’y emploient avec le plus grand humour – et par un travail patient de formation des consciences qui nous incombe. Comme le disait notre archevêque, « Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s’accommode plus d’un vague conformisme social. Elle relève d’un choix délibéré qui nous marque dans notre différence ».
Qu’est-ce qui nous permet d’espérer ce réveil de la chrétienté ? La liberté. « Liberavit Dominus populum suum ». Ce verset d’Isaïe, dans l’introït de la messe – le seul élément commun à nos deux formes liturgiques en ce dimanche – ne fait pas seulement référence à un acte du passé qui ne concernerait que l’Israël de jadis, à savoir la sortie d’Egypte. S’il est inscrit dans notre liturgie, c’est qu’il concerne le nouvel Israël que nous formons. « Liberavit Dominus populum suum ». C’est bien sûr pour nous, en ce temps de Pâques, l’acte par lequel Dieu, dans la croix de son Fils, a libéré son nouveau peuple, l’Église, de l’esclavage du péché et de la mort. C’est bien un acte du passé. La libération s’est produite, nous sommes bien libres. Notre libération n’est pas seulement située dans un lointain futur, à la fin de temps, quand aura passé la figure de ce monde et qu’alors elle connaîtra sa plénitude. Elle n’est pas non plus seulement située dans un futur plus proche, celui de l’histoire, comme le pensent tous les idéalistes, comme le croient aussi ceux qui vont défiler en ce 5 mai, aveuglés par l’idéologie marxiste, et qui nous apporterait enfin le « confort ».
Mais parce qu’elle s’est produite dans le passé sur un plan surnaturel, elle nous donne d’être libres y compris au cœur de la servitude temporelle, celle qu’ont connue tous les martyrs dans leurs fers. Dieu nous a libérés pour que nous soyons libres comme les trois jeunes gens du livre de Daniel dans la fournaise ardente. Cette liberté intérieure au milieu des liens possibles – les menottes de la garde à vue – nous donne précisément d’être au service de la libération intégrale, celle qui fructifie dans le royaume de Dieu et qui, peut-être mais pas nécessairement, passera par le rétablissement d’institutions conformes à la vérité sur l’homme. Dieu, en effet, nous a libérés pour toujours par sa grâce du repli instinctif du pécheur sur lui-même. Il nous a libérés de l’égoïsme. Il a fait de nous des serviteurs de son grand dessein de salut. Nous avons été rendus libres pour rendre témoignage en toutes circonstances à la Vérité. C’est à nous désormais qu’il convient de prendre à bras le corps le sort de la société tout entière.
Avant tout par l’exemplarité de notre vie. La « manifestation pour tous » doit aboutir à la « sainteté pour tous ». Non seulement celle des chrétiens pour eux-mêmes, mais aussi celle des chrétiens pour les autres, car beaucoup d’esprits désorientés restent sensibles à l’exemple et au courage. Comme le disait encore le cardinal, à quoi bon défendre la vérité du mariage par des manifestations si c’est pour le trahir par les infidélités de la vie quotidienne. Mais ne soyons pas naïfs : notre témoignage, aussi parfait serait-il, rencontrera toujours la contradiction. Elle n’a pas été épargnée à celui dont l’Ecriture dit que nul n’a pu le convaincre de péché. Nous savons bien que malgré notre exemple et notre patient travail de formation des consciences qu’il nous appartiendra de déployer à plus grande échelle, nous nous heurterons à la résistance de « l’ennemi du genre humain » et de ceux qu’il a séduits ici-bas. Libres de la liberté de la grâce, nous savons alors que nous travaillons pour l’éternité et même au salut de nos adversaires. C’est dans cet esprit de liberté que nous pouvons invoquer, en ces jours troublés, celle qui fut suprêmement libre, dès le premier instant de son existence, la B. Vierge Marie, en ce mois aussi qui est le sien, et qui paya cette liberté du glaive qui lui transperça le cœur.
Abbé Eric Iborra