SOURCE - Christophe Geffroy - La Nef - n°272 - juillet-août 2015
Alors que le pape François publie une encyclique importante sur l’écologie qui invite à revoir nos modes de vie consuméristes qui abîment la planète, il est affligeant d’observer combien, dans la marche chaotique de ce monde, la France et l’Europe demeurent à la remorque de l’hyper puissance américaine qui est le principal vecteur de cette idéologie consumériste dont la seule fin est l’Argent. Dans un essai remarquable (1), Hervé Juvin montre comment la chute du communisme en Europe de l’Est a accru l’inféodation du vieux continent aux États-Unis, tant du point de vue géopolitique que culturel et financier.
Alors que le pape François publie une encyclique importante sur l’écologie qui invite à revoir nos modes de vie consuméristes qui abîment la planète, il est affligeant d’observer combien, dans la marche chaotique de ce monde, la France et l’Europe demeurent à la remorque de l’hyper puissance américaine qui est le principal vecteur de cette idéologie consumériste dont la seule fin est l’Argent. Dans un essai remarquable (1), Hervé Juvin montre comment la chute du communisme en Europe de l’Est a accru l’inféodation du vieux continent aux États-Unis, tant du point de vue géopolitique que culturel et financier.
À l’époque de la menace de l’URSS, dans un monde bipolaire, l’alliance américaine s’imposait – la politique du général de Gaulle a montré qu’elle pouvait toutefois s’exercer sans soumission – et cet équilibre des forces a sans doute contribué à tenir la bride au capitalisme : « le capital paie des salaires quand les tanks le menacent » (p. 17-18), écrit avec humour Hervé Juvin. Mais depuis la disparition de l’Union Soviétique et du Pacte de Varsovie, il n’y avait plus aucune raison de maintenir l’Otan dont le seul objet était de prévenir une attaque communiste. Loin de disparaître ou de baisser en puissance, l’Otan, véritable bras armé des États-Unis, s’est au contraire étendue sans réelle nécessité pour se rapprocher toujours plus près de la Russie, permettant aux Américains d’accroître leur présence militaire en Europe. Depuis l’accession de Vladimir Poutine à la tête de la Russie – homme fort qui a commencé à redresser le pays et redonné la fierté patriotique à son peuple –, les États-Unis n’ont cessé de la considérer comme un ennemi dangereux, comme si la chute du communisme n’avait rien changé. Et leur objectif a toujours été de séparer l’Union européenne de la Russie, constante de toute la géopolitique des puissances maritimes anglo-saxonnes. On ne peut comprendre fondamentalement l’affaire ukrainienne si on ne la replace pas dans ce contexte.
L’Otan est un moyen d’embrigader ses membres dans des guerres hors d’Europe qui ne les concernent pas et où l’Alliance n’avait aucune vocation initiale à intervenir : je pense à la première guerre du Golfe contre l’Irak en 1990-1991 qui est à l’origine du chaos de la région – bien seul, Jean-Paul II l’avait prédit – et de l’expansion du terrorisme islamiste que les Américains ont eux-mêmes suscité pour lutter contre l’URSS en Afghanistan. Depuis, leurs interventions militaires n’ont réglé aucun problème mais ont semé la terreur, le désordre et provoqué des centaines de milliers de victimes tant, depuis Hiroshima et Nagasaki, la disproportion des moyens est une des caractéristiques des guerres américaines. Il est vrai que les États-Unis sont persuadés d’être une nation élue de Dieu, de détenir le Bien et d’avoir une responsabilité universelle pour l’étendre. Aussi leurs adversaires ne peuvent être que l’incarnation du mal – du moins essaient-ils de le faire croire – comme ils l’ont fait pour Saddam Hussein – c’est cette conviction qui leur a permis de « génocider » sans scrupule les Indiens qui étaient là avant eux ou d’écraser des populations sous un déluge de bombes.
Il faut bien comprendre que ce que nous voyons comme des échecs de la politique étrangère américaine ne le sont pas forcément vus de l’autre côté de l’Atlantique : « La litanie des échecs américains, en Afghanistan comme en Irak, en Libye comme en Syrie, n’a de sens que pour qui considère que l’ordre et la paix civils sont des biens publics majeurs, écrit Hervé Juvin ; pour qui considère qu’un régime n’est légitime qu’à condition de servir l’intérêt national américain, les échecs ne sont que relatifs, ou temporaires. Des régimes autoritaires ou des dictatures hostiles aux États-Unis ont été mis à mal, les dirigeants des pays producteurs d’or noir qui prétendaient mettre en cause le monopole du dollar sur les transactions pétrolières ont été éliminés, l’influence de la Russie a reculé. Où est l’échec ? » (p. 41).
Inféodation géopolitique de la France et de l’Europe, donc, incapables d’avoir pu se démarquer des États-Unis et contribuer à la paix, de l’ex-Yougoslavie au Proche-Orient. Mais inféodation également dans les domaines financier et culturel.
Financier car, depuis les années 1990 et les fameuses politiques de dérégulation, nous n’avons jamais su défendre un modèle alternatif qui ne fasse pas de l’Argent le nouveau dieu moderne. C’est le triste privilège de ce qui reste de l’« Occident » d’avoir entraîné le monde dans une course effrénée à la croissance, à la rentabilité et au profit dont ne bénéficie qu’une infime minorité de privilégiés, accroissant partout les inégalités, et causant d’irrémédiables dégâts, humains, sociaux, écologiques… Les « avancées » dites « sociétales » – du « mariage » homo à la PMA/GPA en passant par la reconnaissance du genre… – s’inscrivent dans ce mouvement qui tend à rétablir une nouvelle forme d’esclavage.
Culturel car le rouleau compresseur du libéralisme mondialisé porté par les États-Unis qui fait de tout homme un citoyen du monde ou plutôt un consommateur interchangeable d’où qu’il vienne, éradique tout ce qui dépasse, toute différence et broie avec une effrayante efficacité l’identité des nations, la spécificité des cultures, la foi des peuples, bref l’enracinement des hommes, tout ce qui fait la variété des civilisations, la richesse de l’humanité. Et la disparition des nations sonne le glas de la démocratie, les États-Unis, dont le sentiment national et patriotique demeure puissant, ayant sombré de leur côté dans la ploutocratie.
« Ce ne sont pas les États-Unis qui sont l’ennemi de la France, écrit Hervé Juvin, c’est tout pouvoir qui se veut mondial, toute puissance qui prétend à l’universel, comme cette hyper-finance qui manipule l’Amérique » (p. 32). Qui ne voit pas que c’est là un danger mortel qui nous guette aujourd’hui ?
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(1) Hervé Juvin, Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé, Pierre-Guillaume de Roux, 2015, 280 pages, 23€.