Des amis me signalent que notre
bien modeste Seignadou est lu, commenté, voire critiqué, mais puisque rien
ne nous est directement adressé, nous ne pouvons répondre !
Il sera donc certainement plus
utile et intéressant, au terme de cette année qui nous a vu célébrer le 25°
anniversaire du rappel à Dieu de notre fondateur, de nous remettre en mémoire
ce qui a été l’âme de son action, son principe d’action.
En guise d’introduction, je relèverai
cette idée, qui court un peu partout, que le pape François nous aurait donné
une « juridiction » pour l’année jubilaire, ce qu’il vient de
renouveler. Lisons simplement les termes employés : « Au cours de l’Année jubilaire, j’avais concédé aux fidèles qui,
pour des raisons diverses, fréquentent les églises desservies par des prêtres
de la Fraternité Saint-Pie X, la faculté de recevoir validement et licitement
l’absolution sacramentelle de leurs péchés. Pour le bien pastoral de ces
fidèles et comptant sur la bonne volonté de leurs prêtres afin que la pleine
communion dans l’Eglise catholique puisse être recouvrée avec l’aide de Dieu, j’établis
par ma propre décision d’étendre cette faculté au-delà de la période jubilaire,
jusqu’à ce que soient prises de nouvelles dispositions, pour que le signe
sacramentel de la réconciliation à travers le pardon de l’Eglise ne fasse
jamais défaut à personne. » C’est la même formule qu’il avait déjà utilisée
dans la lettre adressée à Mgr Rino Fisichella
, dans laquelle il ne s’adressait
pas à la Fraternité mais aux fidèles : « Une
dernière considération s’adresse aux fidèles qui, pour diverses raisons,
désirent fréquenter les églises où les offices sont célébrés par les prêtres de
la Fraternité Saint Pie X.[…] j’établis, par ma propre disposition, que ceux
qui, au cours de l’Année Sainte de la Miséricorde, s’approcheront, pour
célébrer le Sacrement de la Réconciliation, des prêtres de la Fraternité Saint
Pie X recevront une absolution valide et licite de leurs péchés. »
Le Pape, entre autres choses,
ignore visiblement le Droit Canon, car je ne vois nulle part qu’il ait parlé de
donner une « juridiction » ou une « faculté » aux prêtres
de la Fraternité ! Il ne s’adresse pas aux prêtres mais aux fidèles !
Il n’a rien changé à la situation canonique des prêtres – ce qui nécessiterait
un acte clair et une déclaration explicite – et il est donc évident que ce geste
en faveur des fidèles suppose que nous possédions le pouvoir de les
absoudre ! Et Mgr Fellay dans sa réaction ne s’y était pas trompé : « La
Fraternité Saint-Pie X exprime sa reconnaissance au Souverain Pontife pour ce
geste paternel. Dans le ministère du sacrement de pénitence, elle s’est
toujours appuyée, en toute certitude, sur la juridiction extraordinaire que
confèrent les Normae generales du Code de droit canonique. A l’occasion de
cette Année sainte, le pape François veut que tous les fidèles qui souhaitent
se confesser aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X puissent le faire sans
être inquiétés. » Alors, fallait-il dire aux fidèles de ne pas venir
se confesser chez nous pour ne pas courir le risque de recevoir une absolution
« conciliaire » ? La juridiction, même suppléée, comme la grâce
elle-même sont des biens qui appartiennent au trésor de l’Église, pour y instaurer
l’ordre voulu et assurer aux fidèles les moyens de la grâce, et qui n’ont rien
à voir avec ce qu’il y a en elle de « conciliaire ». Ce sont des
mesures normales et bonnes qui font partie de la vie normale de l’Église
catholique… et qui ne sont pas propres à l’Église « conciliaire ».
Ces considérations ne sont pas
étrangères à mon propos et manifestent même clairement ce principe qui guidait
Monseigneur, et qui nous guide encore, principe prudentiel et non détermination
a-priori, qui applique cette loi fondamentale de la suppléance de l’Eglise pour
le salut des âmes : "salus animarum suprema lex."
C’est pourquoi, s’il m’est arrivé
souvent dans le passé de mettre en lumière le « Monseigneur des batailles »,
avec ses déclarations polémiques, ses refus, ses critiques et ses condamnations
(certains, malheureusement, ne veulent rien savoir d’autre, comme s’il avait
été un va-t’en guerre, toujours sur la brèche, avide de tirer sur tout ce qui
bouge au Vatican),
Je préfère retenir aujourd’hui le
Monseigneur, dont on parle moins, être de chair et d’esprit et non mythe désincarné,
celui que j’ai connu et qui m’a formé: père, prêtre et missionnaire…
évêque, fondateur et formateur d’âmes sacerdotales ! J’ose affirmer que
c’est là le Monseigneur « substantiel », celui qui n’a jamais changé
sous ses différents visages, fidèle en profondeur à sa grâce sacerdotale,
immuable dans sa vocation au service de l’Eglise, de la Messe et du sacerdoce.
L’autre visage, plus connu, de Monseigneur, le Monseigneur de la sainte résistance,
n’est pas moins vrai que le premier, mais il est le fruit des circonstances et
des évènements, celui qui n’aurait jamais dû avoir à se manifester. C’est le
Monseigneur « prudentiel » agissant et réagissant avec force au gré
des nécessités et des besoins des âmes et de l’Eglise.
Derrière ces visages variés,
l’âme de Monseigneur est demeurée la même, après comme avant les condamnations.
Combien de fois l’avons-nous entendu dire qu’il aurait préféré mourir que de
devoir s’opposer à Rome ! Et ceux qui l’ont connu reconnaitront avec moi
que c’est presque malgré lui, à contrecœur, poussé par la nécessité et le sens
de son devoir d’évêque que Monseigneur a dû prendre des positions publiques fracassantes.
Car son cœur était ailleurs, et ne se révélait librement que lorsqu’il se
sentait en confiance, en famille, parmi ses prêtres et ses séminaristes. C’est
à eux, quand il avait le bonheur de se retrouver parmi eux, qu’il livrait et
libérait son âme. « Je m’excuse de
revenir sur des problèmes qui paraissent des problèmes un peu polémiques. Je
n’aime pas beaucoup cela – je préférerais faire des conférences sur la doctrine
comme je l’ai fait sur Notre Seigneur Jésus-Christ… » (7 juin 1979)
Et s’il faut chercher encore où
se trouve le principe qui faisait agir Monseigneur, il suffit de réentendre ces
conférences aux séminaristes en février 1979, où il nous exposait le principe d’action
que lui attribuaient ses interlocuteurs romains, au sujet d’une petite phrase
qu’ils voulaient lui faire signer : « Par
votre lettre du… vous avez fait des considérations générales sur la situation
de l’Eglise depuis le concile Vatican II, qui seules permettent une réponse
adéquate aux questions posées au sujet de l’Ordo Missae, au sujet de votre
persévérance dans l’activité de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, malgré
les interdictions que vous avez reçues des évêques et de Rome. Sur la base de
ces considérations, votre position nous semble pouvoir être exprimée par la
thèse suivante. » – La thèse est encadrée : « Un évêque jugeant
en conscience que le pape et l’épiscopat n’exercent plus en général leur
autorité, en vue d’assurer la transmission fidèle et exacte de la foi, peut
légitimement pour maintenir la foi catholique ordonner des prêtres sans être
évêque diocésain, sans avoir reçu des lettres dimissoires et contre la
prohibition formelle et expresse du pape et attribuer à ces prêtres la charge
du ministère ecclésiastique dans les divers diocèses. » Voilà, ils avaient
trouvé cela ! Il faut reconnaître qu’ils sont plus forts que moi, puisque
moi je n’avais pas trouvé ce principe, et eux me disent : « Voilà
votre principe, voilà le principe qui vous a fait agir ». J’ai
dit : « Ce n’est pas vrai. En tout cas, si, vous, vous le
trouvez, moi, je ne le trouve pas, au moins formulé de cette manière-là !
Certainement pas ! Ce qui m’a fait agir, ce n’est pas un principe,
un principe général, c’est la situation dans laquelle l’Eglise s’est
trouvée. On s’est trouvé dans des circonstances qui, chaque mois, chaque
année, nous ont fait prendre des décisions qui nous ont paru demandées par
Dieu, c’est tout, demandées par les besoins de l’Eglise, par les besoins des
âmes, pour le salut des âmes, c’est tout. Et ce n’est pas à partir d’un
principe général comme celui-là. Evidemment on pourrait poser un principe
général, mais pas exprimé comme il l’est là. » […] De plus en plus, on
peut mettre des doutes partout, alors les fidèles se trouvent désemparés. Et
comme les fidèles ont droit, absolument un droit strict, à recevoir les
sacrements pour la vie de leur âme, pour vivre spirituellement, alors c’est un
devoir pour celui qui peut donner ce secours aux fidèles, le secours de la
doctrine, le secours de la foi et le secours des sacrements, d’aller le leur
donner. Et donc, je disais : « Un évêque a le devoir de faire tout ce
qui est en son pouvoir pour que la foi et la grâce soient transmises aux
fidèles qui les réclament légitimement, surtout par la formation de vrais et
saints prêtres formés en tous points selon l’esprit de l’Eglise, quand bien même
ces prêtres n’auraient qu’une incardination fictive. »
Tel est le seul principe qui
faisait agir Monseigneur, exercice de la
vertu de prudence, mêlée de force et de justice, et non principe théorique
implacable et immuable, applicable dans toutes les situations. C’est le même
principe qui l’a conduit à sacrer quatre évêques en 1988, pour que la foi et la grâce soient transmises aux fidèles qui les
réclament légitimement, surtout par la formation de vrais et saints prêtres
formés en tous points selon l’esprit de l’Eglise.
Et si je dois encore citer le Monseigneur
d’après les condamnations, je relèverai un signe de ce qui a toujours animé son
âme, dans son « Itinéraire spirituel », où il confie: j'ai toujours été hanté par ce désir de
désigner les voies de la vraie sanctification du prêtre selon les principes
fondamentaux de la doctrine catholique de la sanctification chrétienne et
sacerdotale.
Et nous avons encore les ultimes
conférences qu’il donna au séminaire du 7 au 11 février 1991, quelques semaines
avant sa mort. Hormis quelques rapides réflexions autour du cardinal Béa, il ne
parle que de la liturgie et de la sainteté des prêtres, des dispositions qu’ils
doivent avoir dans leur apostolat ! «
quelle devrait être la disposition fondamentale du prêtre s’approchant des
fidèles qui lui sont confiés ? Il est évident que la disposition
fondamentale sera surtout une disposition de foi ! […] la première
chose, c’est de prier et de demander à Dieu, par l’intermédiaire de Notre
Seigneur, d’avoir le sens de Dieu.[…] Voilà la disposition fondamentale dans
laquelle il faut vous mettre, il faut nous mettre pour nous efforcer d’être les
meilleurs instruments possibles. Et pour cela, encore une fois, demander à
Notre Seigneur puisque c’est par lui que tout nous est donné, c’est lui qui est
notre lumière, c’est lui qui notre voie, c’est lui qui est notre sainteté, de
nous aider ; de nous aider à mieux comprendre le plan du bon Dieu, à mieux
comprendre ce que le bon Dieu veut des âmes et ce qu’il veut de nous ! »
Tel est le vrai Monseigneur,
dévoilant une dernière fois cette âme sacerdotale qui avait animé toute sa vie
même au cœur des combats les plus terribles pour Jésus-Christ, pour le
Christ-Roi, pour l’Eglise, la Sainte Messe, le sacerdoce, la foi catholique, la
Tradition doctrinale, morale et spirituelle de l’Eglise. Tel fut son unique
combat, du premier au dernier jour de sa vie sacerdotale ! Que l’on relise
le mystère de Jésus. C’est là que se révèle l’âme de Monseigneur Lefebvre. Ce
serait une bonne lecture pour bien commencer l’année.
Je ne sais ce que nous réserve
l’an 2017… Eglise, Fraternité St Pie X, politique … mais je sais que nous
célèbrerons le centenaire des apparitions de Notre-Dame à Fatima. Même si la
consécration n’a pas été faite comme la Sainte Vierge l’avait demandé, si nous
faisons ce que Notre-Dame attend de nous… nous n’aurons que de bonnes surprises !