Je n’étais pas à la « prise » de St Nicolas du Chardonnet, le 27 février 1977. J’étais séminariste, et je me souviens fort bien des réactions diverses et contradictoires des séminaristes, et même des professeurs. Le directeur, vénérable sujet de la Confédération Helvétique, désapprouvait ce coup de force contraire à l’ordre et au respect des lois. Monseigneur était absent, et tout est rentré dans l’ordre avec son retour : heureux de l’évènement, il l’encourage et décide même d’apporter l’aide de la Fraternité ! C’est donc le district de France, l’abbé Aulagnier en tête, aidé par l’abbé Groche, qui s’investit aussitôt et aide avec enthousiasme ! Mgr Lefebvre lui-même se rend à St Nicolas dès le 22 mai suivant pour y confirmer une centaine d’enfants. Les séminaristes, lors de leurs congés, sont heureux d’apporter leur aide, et des prêtres y sont affectés dès leur ordination (abbé Claude Barthe, abbé Olivier de Blignières). Ils seront évacués peu après en raison de prises de position sédévacantistes. Nous arrivons ainsi à l’été 1980, avec la nomination de l’abbé Dominique Mihailovic à Saint-Nicolas, et de l’abbé Alain Lorans à l’Institut Saint Pie X. C’est alors que Monseigneur décide d’anticiper mon ordination au 20 septembre pour me nommer collaborateur de Mgr Ducaud-Bourget. (L’abbé Jean-Luc Veuillez nous y rejoindra en 1982).
J’ai eu la grâce de narrer autrefois ces années à St Nicolas dans la revue Fideliter, mais le temps passé me permet un peu de recul, même si un peu de nostalgie vient teinter mon discours, non pas tant parce que "c’était le bon temps" – tous les temps sont bons ! – mais surtout parce que la plupart des figures évoquées et que j’ai aimées, dorment à présent au "lieu du rafraichissement, de la lumière et de la paix".
Après une arrivée en fanfare, je découvre donc une quasi-paroisse très originale, animée par beaucoup d’enthousiasme, mais livrée à beaucoup d’improvisations et autant de désordres ! C’était extraordinaire, mais tout était à régler, à ordonner, à nettoyer même, et Mgr Ducaud-Bourget me confia la charge redoutable de mettre un peu d’ordre. Je le fis, sans plaire à tous, ni aux messieurs doctement installés dans les stalles, ni à toutes les dames catéchistes, ni même parfois à notre cher monseigneur ! Il aimait tant que la foule chante le Pater avec le célébrant ! Sans doute ai-je usé parfois de trop de force, et ai-je commis des erreurs, mais ces trois années ont été très formatrices…
Après une année de présence, j’avais tout fait, tout vu, tout entendu… même des obsèques un samedi-Saint, si je me souviens bien – même une extrême-onction dans la sacristie – même une pénitente me poursuivant dans le métro – même un crachat au visage sur le parvis – même une mécontente chassée de la sacristie par monseigneur l’obligeant à reculer jusqu’à la sortie en montant sur ses pieds et rythmant sa marche en avant de « mange » en réponse à cet autre mot qu’elle lui répétait en reculant et que je tairai ici – même cette famille fidèle aux vêpres dominicales et qui s’asseyait avec fracas dès qu’était entonné le Tu es Petrus – même la « motarde », ainsi nommée parce qu’elle circulait en pétrolette et assistait à la messe coiffée de son casque quand elle avait oublié sa mantille – même la « dame du Sacré-Cœur » qui squattait « sa » chapelle et la défendait contre les intrus à coup de parapluie, etc.
Et tout ça faisait d’excellents chrétiens, comme le chantait Maurice ! Mais il y avait vraiment une ambiance peu banale… qui m’irritait parfois, hélas, et qui me ravissait souvent ! C’était vraiment une « paroisse vivante » !
Outre la Sainte Messe et les offices, les catéchismes, les confessions, les baptêmes, mariages et enterrements, les prédications, nous avons alors inauguré les prédications et les chemins de croix de carême, les concerts spirituels, les messes chantées du mercredi soir, dites messes des jeunes, avec le service liturgique assuré par la MJCF, et les premiers trémolos du Chœur Fra Angelico, etc.
Mais le plus précieux à ma mémoire, est le souvenir des prêtres et des fidèles que j’y ai connus. Mgr Ducaud-Bourget, d’abord, qui tenait à ce que personne ne touche au drapeau du pape présent dans le chœur ! Il ne voulait surtout pas être « curé » mais aimait bien baptiser l’abbé Aulagnier du titre de « co-curé » ! Il entonnait le Gloria de la messe royale de Du Mont avec une puissance décoiffante, alors qu’il semblait si frêle ! Il montait en chaire le dimanche pour commenter l’épitre et se trompait parfois de dimanche, mais c’était tellement prenant que personne ne s’en apercevait ! Et il avait aussi ce geste banal mais si amical de nous réunir le dimanche après les messes du matin pour un petit porto dominical ! « Les gens sérieux sont embêtants », aimait-il à nous dire, pour nous faire comprendre en douceur qu’il ne fallait surtout pas nous prendre au sérieux !
L’abbé Serralda venait rarement, trop occupé par la chapelle Ste Germaine. Mais nous avions alors une équipe régulière de prêtres anciens : Mgr Gillet, qui brandissait des pistolets en chaire lorsqu’il évoquait le Pape, l’abbé Juan et sa barbiche au vent, en continuel va-et-vient pour porter la communion aux malades, l’abbé Emmanuelli qui faisait la police à l’entrée le dimanche, et bloquait ainsi de son importante personne les entrées comme les sorties – c’est lui aussi qui clamait de sa voix de stentor dans la sacristie, lorsque quelqu’un tentait de calmer ses fréquentes colères : non monsieur, je ne suis pas en colère… je suis indigné ! – l’abbé Dinh Vin Son qui chantait en chaire l’Ave Maria en vietnamien, et même le cher et docte abbé des Graviers, assidu aux Vêpres dominicales mais qui n’entonnait que la troisième antienne, la seule dont il parvenait à retenir la mélodie.
Le personnage le plus pittoresque demeure quand même le bon Frère Gilles, incollable en liturgie depuis ses années à St Louis des Français, à Rome, dans la Fraternité Sacerdotale du Père Prévost, et d’un dévouement inlassable, malgré ses ronchonnements toujours agrémentés d’un gentil sourire un peu ébréché… Il était aidé parfois par le Fr. Edouard descendu de Suresnes… Mais sa (notre) terreur était quand même Sr Flodoberthe, qui trainait toujours avec elle une troupe d’enfants qu’elle catéchisait, et qu’il fallait baptiser sur-le-champ, ou confesser, ou communier sans attendre ! Et le pauvre frère n’avait jamais un prêtre sous la main (disait-il) !
Quand je vous disais que l’on ne s’ennuyait pas !
Il y avait aussi les bons et fidèles serviteurs : M. Ducaud, la famille Cagnon, de père en fils et petit-fils, Bernard Faribault, discret et efficace, le brave et solide Noureygat, ses amis de la garde et du « Père tranquille », M. de Milleville, le cher Lamy, M. et Mme Rota, et tant d’autres, sans oublier nos artistes : l’inoubliable Castafiore, MM. Sisung, Holiner et Avignon…(un moment épique entre tous : la grève de la chorale, assise en bloc au premier rang, les bras croisés et muette pendant la messe chantée du dimanche, pendant que je tentais de faire chanter les fidèles !) et Louis le Suisse, qui cachait tant de choses dans son réduit avec sa hallebarde ! Il y avait aussi celle dont je n’ai jamais su le nom, et que nous appelions Mlle de Saint-Cierge. Elle était un ange de silence et de douceur, et chaque jour, elle venait gratter et nettoyer les brûloirs où se consumaient les cierges offerts par les fidèles…d’où son amical surnom !
Quelques fidèles notables sont aussi à mentionner : Jean Madiran, avec qui j’ai eu une bien stupide querelle (péché de jeunesse) ; André Figueras (avec son épouse et ses fils), étonné d’apprendre que, pas plus que lui, je ne voyais Jésus dans l’Hostie ; Jean Dutourd, fidèle à accompagner son épouse à la messe du soir, qu’il passait à deviser fort élégamment dans la sacristie ; Jacques Dufilho, fidèle et discret, et son artiste de fille, Colette ; Michel Fromentoux, etc…
J’y ai aperçu parfois Jean-Marie Le Pen… entre autres lors d’une messe célébrée pour Béchir Gemayel, et à l’issue de laquelle il avait commenté le sermon sur les qualités d’un homme d’état chrétien : « On s’est bien fait eng… ! »
Mais je n’en finirais pas d’évoquer tant et tant de visages et d’âmes… tant de jeunes et de moins jeunes… ce brave homme, par exemple qui, septuagénaire, ne s’était jamais confessé et qui, après une belle, bonne et longue confession, est sorti rayonnant du confessionnal pour m’embrasser comme du bon pain… ou cet autre qui, heureux de s’être bien confessé, me dit qu’il voulait me faire un cadeau : une pensée qui lui était venue, à savoir que, lorsqu’il arriverait à la porte du ciel, sa richesse serait tout ce qu’il aurait donné… et tant d’autres que Notre-Dame du clergé n’a pas oubliés et qu’elle a gardés dans son cœur maternel !
Quand je vous disais que pendant ces trois années à Saint-Nicolas, j’en ai appris assez pour tenir toute une vie sans être surpris par rien ! Ce n’était pas une paroisse, et Mgr Ducaud-Bourget n’était pas curé… mais c’était mieux encore : c’était l’Église incarnée et vivante, parfois brouillonne mais toujours enthousiaste, pas cérébrale pour un sou et tellement chaleureuse, avec ses gloires et ses misères, ses grandeurs et ses faiblesses… l’Église telle que l’aimait Mgr Lefebvre et telle que je persiste à l’aimer, celle qui ne doit pas changer !
Abbé Michel Simoulin,
Heureux «pseudo-vicaire».