SOURCE - Jean-Pierre Denis - La Vie - 3 octobre 2018
Improbable, l'abbé ! Avec sa vieille soutane et sa grande carcasse, Tanoüarn est un personnage. Une sorte d'« anarcuré », taillé dans un drap noir récupéré on ne sait où. Et pour nous, à La Vie, c'est un homme d'en face. Il y a une douzaine années, je m'étais frontalement opposé, dans un éditorial, à l'une des décisions les plus controversées de Benoît XVI. Le pape avait choisi la réintégration d'une fraction des intégristes, par le biais de la création de l'Institut du Bon-Pasteur. L'abbé faisait partie d'un quarteron mené par son compère Laguérie. On craignait que, sous leurs oripeaux, le loup « tradi » entre dans la bergerie conciliaire. Inquiet, choqué, j'avais cogné fort.
Improbable, l'abbé ! Avec sa vieille soutane et sa grande carcasse, Tanoüarn est un personnage. Une sorte d'« anarcuré », taillé dans un drap noir récupéré on ne sait où. Et pour nous, à La Vie, c'est un homme d'en face. Il y a une douzaine années, je m'étais frontalement opposé, dans un éditorial, à l'une des décisions les plus controversées de Benoît XVI. Le pape avait choisi la réintégration d'une fraction des intégristes, par le biais de la création de l'Institut du Bon-Pasteur. L'abbé faisait partie d'un quarteron mené par son compère Laguérie. On craignait que, sous leurs oripeaux, le loup « tradi » entre dans la bergerie conciliaire. Inquiet, choqué, j'avais cogné fort.
Alors, contre toute attente, le téléphone avait sonné. Tanoüarn m'invitait à débattre. Il me donnait ainsi une leçon de tolérance et d'ouverture dont je me souviens encore. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, mais les ponts n'ont pas été emportés. L'Institut du Bon-Pasteur n'a provoqué ni miracle connu ni catastrophe notable. On croit comprendre qu'il existe encore, survivant à ces déchirements internes dont la mouvance a le secret, mais au fond ce n'est plus le sujet. L'Église a d'autres diables à fouetter. À l'expérience, Benoît XVI avait peut-être raison et j'avais tort. Redevenus catholiques, ces « tradis » se sont limé les dents. Les vieux loups supposés bêlent à peu près comme n'importe quel agneau.
Quant à l'abbé, que devient-il ? À Paris, il mène les affaires de sa chapelle, le centre Saint-Paul. Peut-être qu'il s'ennuie un tantinet, ce qui donne le temps de réfléchir. La fraternité, écrit-il « doit redevenir un idéal de la raison politique ». Si on approuve forcément cet objectif, on ne sera pas d'accord sur exactement tous les moyens d'y parvenir. Mais au moins l'auteur traite-t-il en profondeur un grand sujet, souvent réduit aux déclarations pieusement laïques et aux belles intentions. Il le parcourt en théologien philosophe et, si j'ose dire, en humaniste chrétien. Tanoüarn réhabilite Adam Smith contre Mandeville. Contre Rousseau, il fait l'éloge inattendu de Diderot. Belle plume, belle liberté, belle culture.
Tanoüarn croit possible que renaisse dans notre pays « une foi commune » qui ne soit ni idéologique ni cléricale.
Pour l'auteur, le cycle ouvert par la religion des Droits de l'homme, qui est née du christianisme et s'est substituée à lui, pourrait bien toucher à sa fin. Il n'est pas le seul à le prophétiser. Beaucoup d'intellectuels de tout bord le redoutent, et l'actualité nous en apporte des signes préoccupants. Mais pour retrouver du commun, peut-on décréter la fraternité ? Tanoüarn n'est pas assez naïf pour le penser. En revanche, il croit possible que renaisse dans notre pays « une foi commune » qui ne soit ni idéologique ni cléricale, mais qui soit « une foi toujours déjà là, une foi qui accompagne notre humanité depuis le commencement, foi dans la transcendance d'un ordre humain ». Quelque chose qui serait, à l'école de saint Augustin, « la bonne volonté ou la conscience ».
Loin de se montrer rétrograde, nostalgique ou pessimiste, Tanoüarn écrit contre la résignation, cherchant la voie à travers une sorte de réalisme de l'espérance. Pour l'auteur, dont l'anticléricalisme rejoint à sa façon celui du pape François, « l'Église d'aujourd'hui s'embourbe dans la morale sexuelle. Elle a toutes les peines du monde à soutenir une politique du respect de la vie. Il reste une dimension fondamentalement chrétienne, qui demeure envers et contre tout, comme un signe dressé à la face des nations incrédules : le service ». Or, remarque-t-il, « qu'est-ce que servir, sinon mettre quelque chose au-dessus de soi » ? Ce sont là parmi ses plus belles pages. Et les plus actuelles, alors que la parole chrétienne semble délégitimée. C'est sans ironie aucune que l'on renverra l'auteur au titre d'un ouvrage publié en 1963 par Yves Congar, penseur emblématique de Vatican II et théologien honni de la mouvance lefebvriste : Pour une Église servante et pauvre. Comme dirait Charlie, tout est pardonné.
Le Prix de la fraternité, de Guillaume de Tanoüarn, Tallandier, 18,90€.