SOURCE - Paix Liturgique - lettre 668 - 13 novembre 2018
Depuis un demi-siècle, les catholiques de France professaient dans leur messe dominicale un Credo défectueux, contenant une proposition jugée par d’éminents esprits comme hérétique. Il aura fallu tout ce temps pour que la rectification doctrinale intervienne enfin, ce qui donne la mesure abyssale de la crise liturgique et ecclésiologique dans laquelle nous sommes plongés.
Depuis un demi-siècle, les catholiques de France professaient dans leur messe dominicale un Credo défectueux, contenant une proposition jugée par d’éminents esprits comme hérétique. Il aura fallu tout ce temps pour que la rectification doctrinale intervienne enfin, ce qui donne la mesure abyssale de la crise liturgique et ecclésiologique dans laquelle nous sommes plongés.
Paix liturgique a cru important de souligner à de nombreuses reprises ce considérable problème. Elle a consacré spécifiquement plusieurs lettres (lettres 401, 402, 589) à la question des traductions défectueuses du missel de Vatican II. Elle se concentre sur la question emblématique du consubstantialem Patri (le Fils est consubstantiel au Père) traduit par « de même nature que le Père », dans les éditions successives du missel, toutes approuvées par la Congrégation pour le Culte divin, (Desclée-Mame, 1974, 1977-78, et 2003), du Credode Nicée-Constantinople, récité notamment à la messe dominicale.
Une traduction « à strictement parler hérétique » (Jacques Maritain)
L’évacuation du « consubstantiel » renvoyait à l’hérésie du prêtre Arius au IVe siècle, qui avait provoqué une des crises les plus profondes qu’ait connues l’Église. À peine sortie de la grande période des persécutions, elle dut affronter la contestation de ce prêtre d’Alexandrie qui refusait de voir dans le Christ la parfaite image du Père, « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ». Très sensible aux influences de la philosophie mondaine, Arius ne pouvait concevoir que Jésus soit véritablement et littéralement le Fils de Dieu, devenu dans le sein de la Vierge Marie, par pure miséricorde, le Fils de l’homme, selon la belle formule de la tradition patristique : « Sans cesser d’être ce qu’Il est, il est devenu ce qu’Il n’était pas. » Les théologiens fidèles à l’Écriture et à la Tradition de l’Église élaborèrent la notion de « consubstantialité », concept qui fut reconnu par les Pères du Concile de Nicée (325) comme exprimant parfaitement la foi chrétienne depuis les temps apostoliques. Jésus est vraiment le Fils de Dieu. Il est un seul être avec Lui et avec le Saint-Esprit, chacune des trois personnes divines étant Dieu. C’est là le premier et le plus grand mystère de la foi catholique, un seul Dieu en trois Personnes, et c’est Dieu lui-même qui a ainsi révélé ce qu’Il est à ses enfants par la médiation de son Fils et par l’envoi du Saint-Esprit sur l’Église pour la conduire à la vérité tout entière. Cette vérité dogmatique fondamentale est la gloire de l’Église, le trésor des fidèles, et beaucoup de chrétiens ont préféré donner leur vie, subir la persécution et supporter d’incroyables souffrances pour défendre et servir cette foi qu’ils ont reçue des Apôtres.
Du coup, le philosophe Étienne Gilson, voyait dans la traduction du missel réformé français – traduction approuvée par Rome – le refus d’affirmer clairement l’unicité de la Trinité : « On ne dit assurément pas que le Fils soit un autre Dieu que le Père, on interdit seulement de faire usage de la seule formule dogmatique qui exclut toute possibilité d’erreur à cet égard » (La société de masse et sa culture, Vrin, 1967, p. 128).
Plus sévère encore, le philosophe Jacques Maritain écrivait dans un Mémorandum adressé directement à son ami Paul VI : « Sous prétexte que le mot "substance", et, a fortiori, le mot "consubstantiel" sont devenus impossibles à comprendre aujourd’hui, la traduction française de la messe met dans la bouche des fidèles, au Credo, une formule qui est erronée de soi, et même, à strictement parler, hérétique. Elle nous fait dire, en effet, que le Fils, engendré, non créé, est "de même nature que le Père", ce qui est l’homoiousios des Ariens ou semi-Ariens, opposé à l’homoousios, ou consubstantialis, du Concile de Nicée » (Jacques Maritain, Œuvres complètes, Éditions universitaires de Fribourg, 2000, vol. XVI, p. 1115).
S’agissait-il d’une véritable hérésie arienne ? Malheureusement pas. En réalité, la vraie raison du remplacement est bien celle que donne Maritain : la précision dogmatique du consubstantialem a semblé aux traducteurs du missel trop difficile à entendre par les hommes d’aujourd’hui, et ils ont finalement considéré qu’elle avait un intérêt mineur. Il s’agit plus de désintérêt pour le dogme que d’hérésie, ce qui est finalement bien plus grave.
Louis Salleron (La nouvelle messe, Nouvelles Éditions latines, 1970) notait qu’en suivant les principes selon lesquels, pour nos contemporains, le vocabulaire théologique et philosophique ne signifiait plus rien, ne « parlait plus », il faudrait aussi renoncer à ce compte à toutes les notions dogmatiques : Trinité, Incarnation, Rédemption.
Un très lent mouvement de rectification des traductions
Ce n’est qu’en 2001, le 28 mars, que la Congrégation pour le Culte divin, alors présidée par le cardinal chilien Medina, publia l’instruction Liturgiam authenticam, qui déclarait : « La traduction des textes de la Liturgie romaine n’est pas une œuvre de créativité ; il s’agit plutôt de rendre de façon fidèle et exacte le texte original dans une langue vernaculaire » (n. 20). Elle précisait : « Il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses ; il importe que toute adaptation au caractère propre et au génie des diverses langues vernaculaires soit réalisée sobrement et avec prudence ».
D’où un travail de correction des traductions précédentes : « Il faudra veiller à ce que les corrections de ce genre ne tardent pas trop » (n. 133).
Las ! On allait encore au contraire beaucoup tarder. Le cardinal Arinze, successeur du cardinal Medina, commença un interminable bras de fer entre la Congrégation du Culte divin et les Conférences des Évêques pour la rectification des traductions existantes. C’est au sein de l’aire anglo-saxonne, que maîtrisait mieux le cardinal nigérian, que le travail aboutit le plus heureusement, grâce au comité Vox Clara, constitué en 2002. Mais les Allemands, les Espagnols, traînèrent des pieds, et plus encore les Français, représentés alors pour ces questions par Mgr Robert Le Gall, archevêque de Toulouse, dont les lenteurs diplomatiques faisaient enrager le cardinal Arinze.
Le cardinal Sarah tenta ensuite de continuer cet effort dans le contexte infiniment plus difficile du pontificat du Pape François. En dehors de la nouvelle traduction de la 6ème demande du Pater (« ne nous soumets pas à la tentation »), son projet de traduction rectifiée concernait essentiellement le Con?teor (« C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute », au lieu de : « Oui, j’ai vraiment péché »), l’Orate fratres(« Priez mes frères pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-puissant – Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice pour la louange et la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église », au lieu de : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église – Pour la gloire de Dieu et le salut du monde »), et surtout le Credo (« consubstantiel » devant remplacer « de même nature »).
Mais le motu proprio Magnum principium du 9 septembre 2017, est venu corriger le canon 838, qui traite des traductions des livres liturgiques, dans un sens plus favorable à la liberté des conférences épiscopales, ce qui donnera du poids aux résistances de l’épiscopat français dès lors représenté par Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, archevêque de Tours.
Un épilogue en demi-teinte
Et malgré ce, la Conférence des Évêques de France, dans son assemblée, qui vient de se tenir à Lourdes du 3 au 8 novembre, a validé la nouvelle version réalisée par elle et par les autres conférences épiscopales francophones (hors Afrique) et présentée par Mgr Guy de Kerimel, évêque de Grenoble-Vienne, actuel président de la Commission épiscopale pour la Liturgie et la Pastorale sacramentelle. Cette version sera envoyée à la Congrégation pour le Culte divin pour la confirmatio définitive. Elle devrait être publiée, non pas toutes affaires cessantes, mais en 2019, pour prendre effet au premier dimanche de l’Avent.
On pourra juger du résultat des diverses rectifications quand il sera connu, très transactionnel selon ce que laisse entendre Mgr de Kerimel. En tout cas, le « de même nature » aura vécu et sera remplacé par « consubstantiel au Père ». Le commentaire de Mgr de Kerimel laisse pantois : consubstantiel au Père est « une formule plus affinée sur le plan théologique ». Une formule plus affinée…Merci, pour le Concile de Nicée !
Á l’âge des repentances à tous vents, serait bienvenu quelque chose comme un regret, une demande d’excuse, exprimée par les pasteurs de l’Église, docteurs de la foi, d’avoir laissé professer durant le temps de deux générations un Credo matériellement hérétique par tous les fidèles francophones.
Pas par tous les fidèles, il est vrai : ceux qui pratiquent la liturgie traditionnelle ont toujours professé intégralement la foi de Nicée.