SOURCE - lettre de Paix Liturgique n°191 - 17 août 2009
A la suite de notre dernière lettre qui se faisait l’écho de la lettre ouverte au Saint Père publiée sur le site www.maranatha.it, nous publions aujourd’hui un entretien qu’a bien voulu nous accorder Monsieur Ricardo Turrini Vita, Président d'Una Voce Italie.
Haut-fonctionnaire romain, Ricardo Turrini Vita est de longue date l'un des piliers d'Una Voce Italie. Il nous donne son point de vue sur la réalité décrite par la lettre de maranatha.it et son jugement sur l'alternative que pourraient représenter les paroisses personnelles - comme c'est à Rome le cas de la Très Sainte Trinité des Pèlerins - aux blocages rencontrés pour l'application du motu proprio Summorum Pontificum dans le cadre diocésain.
PL - Président Turrini Vita, que pensez-vous de la lettre ouverte au Saint Père publiée sur le site maranatha.it ? Dans quelle mesure la situation dépeinte dans cette lettre est-elle représentative de la situation italienne ?
RTV - Plus qu'une lettre, ce texte est un appel dont il serait nécessaire de distinguer le contenu, la forme, le style et le support.
Sur le fond, les signataires illustrent bien que l'objectif du Souverain Pontife est de rendre le culte traditionnel vivant, au même titre que le culte nouveau, dans le contexte pastoral ordinaire. Mais en même temps, ils soulignent que la réalité est diverse, je dirais même contraire.
Pour juger de cette réalité, il faut d’abord considérer que coexistent deux droits : celui du catholique à l’usage du rite ancien (la forme extraordinaire) et celui du prêtre à ne pas le célébrer. Dans le cas dont nous parle la lettre - et comme le prévoit le MP Summorum Pontificum -, l’évêque a de toute façon permis une autre célébration, dont l’étendue n’est pas indiquée. Le cas est moins malheureux qu’ailleurs.
Si ma sensibilité personnelle et mon éducation font que je ne ressens pas particulièrement la nécessité de lier le culte traditionnel aux paroisses diocésaines, je reconnais néanmoins volontiers que les raisons affectives exposées dans la lettre sont justes et nobles et que les curés de paroisse devraient en tenir compte.
Les attitudes rencontrées par les auteurs sont, quant à elles, bien connues - et depuis des décennies - de tous ceux qui combattent pour la messe traditionnelle, et notamment au sein d'Una Voce Italie : le refus, la moquerie, la grossièreté. Après les très clairs éclaircissements canoniques fournis par le Saint Père actuel, les comportements rapportés par les deux signataires sont de plus devenus des enfreintes à la loi.
J'ai souvent fait observer que le sens de la légalité au sein du clergé se perdait, et pas seulement dans le domaine liturgique. De nombreux clercs ne se sentent pas tenus d'obéir à la loi ce qui, je le dis en passant, discrédite de fait la "pastorale de la légalité" dont on entend souvent parler. Les causes d'un tel comportement, outre la propension commune au péché, sont profondes et ne se limitent pas aux seuls bouleversements des années 70.
Il convient également de dire que de nombreux prêtres n'ont pas reçu de formation au culte traditionnel et que peu d'attention en général, même dans le nouveau rite, a été donnée à leur formation, comment dire, mistagogique.
Enfin, le Pape est le chef visible de l'Église mais n'en est pas le corps tout entier et ne peut suppléer à lui seul à ses défauts.
En Italie, si mépris et refus sont en général la règle, le nombre de lieux où le curé (ou l'ordinaire) n'est pas hostile à la forme extraordinaire grandit régulièrement. Les conditions d'application les meilleures dans le cadre canonique et dans la fidélité à l’esprit du Pontife s'observent à Rome, à Gênes et à Florence.
Quant à la forme de ce texte, au-delà du langage non protocolaire qui est utilisé, je ne crois pas en ce qui me concerne à l'utilité de tels appels : en 45 ans d'existence, Una Voce en a lancé de très nombreux sans grand résultat. Cependant, je tiens à féliciter les signataires pour l'affection filiale qu'ils nourrissent envers le Saint Père.
PL - En France, selon le sondage CSA pour Paix Liturgique de septembre 2008, 34% des catholiques se disent prêts à participer régulièrement à la Messe selon la forme extraordinaire si elle était célébrée dans leurs paroisses. Quelle serait, selon vous, la proportion de fidèles italiens disposés à faire de même ?
RTV - Je crois qu'elle serait inférieure : en fait, il manque en Italie une tradition de formation liturgique comme celle qui fut offerte par un géant comme Dom Guéranger. Toutefois, si l'on considère que le nombre des pratiquants en Italie est bien supérieur à celui de la France, il se pourrait, tous comptes faits, que celui des fidèles attachés au culte ancien ne soit pas inférieur au vôtre. À condition que celui-ci soit offert librement et avec régularité.
PL - Face aux résistances du clergé à l'ouverture des paroisses diocésaines à la forme extraordinaire de la messe, une issue pourrait se trouver dans le développement de paroisses personnelles, comme cela a été fait à Rome au printemps 2008. À la lumière de l'expérience romaine, que pensez-vous de cette solution ?
RTV - L'expérience romaine est satisfaisante parce que la paroisse s'est affirmée et intégrée à la pastorale générale. Surtout, celle-ci permet non seulement de bénéficier des sacrements et du culte mais offre aussi une formation spirituelle et des exercices de piété. Selon moi, la paroisse personnelle serait le meilleur moyen de pourvoir aux besoins de la portion du peuple de Dieu attachée au rite ancien ; à condition, bien entendu, qu'il existe un clergé disposé à s'y dévouer avec un esprit conforme à celui que la tradition exige.
Les réflexions de Paix Liturgique
1/ Monsieur Ricardo Turrini Vita connaît parfaitement la question liturgique en Italie. Son ancrage de terrain, ses nombreuses relations (laïques et ecclésiastiques), ses fonctions au sein d’Una Voce font de lui l’un des meilleurs spécialistes de la situation italienne. Le parcours de Monsieur Ricardo Turrini Vita est bien différent de celui des frères Lambruschini (voir notre lettre n°190 sur la lettre ouverte au Saint Père publiée sur le site maranatha.it), pourtant, leur attachement réciproque à la forme extraordinaire du rite romain et leur souhait de le promouvoir leur a donné de nombreux points communs : moqueries, insultes, calomnies, campagne de dénigrement.
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » dit l’adage. Cette pratique déloyale et scandaleuse pour des femmes et des hommes qui se revendiquent d’Eglise n’est hélas pas nouvelle : Ainsi, une distribution de tracts en faveur de la messe traditionnelle sur des pare-brise de voiture devient une « perturbation des ordinations sacerdotales » qui se déroulent dans l’église voisine, la récitation d’un chapelet dans la rue devient « une tentative de perturbation de la messe télévisée », une lettre respectueuse de demande d’application du Motu Proprio signée par plusieurs familles devient une « pétition inadmissible, une pression qui n’a pas sa place dans l'Église »… On ne compte plus non plus les attaques personnelles, les dossiers soi-disant « très graves » sur ce que l’on appelle les « traditionalistes » et dont on attend toujours la publication dix ans après… On ne compte pas non plus les amalgames politiques, les raccourcis indignes…
Non cela n’est pas nouveau mais qu’il nous soit permis de toujours nous en indigner et de ne pas nous habituer à cette culture du mépris.
2/ A la lueur de l'expérience romaine qu'il connaît bien puisqu'il est lui même paroissien de la Très Sainte Trinité des Pèlerins (http://roma.fssp.it/), Monsieur Ricardo Turrini Vita semble plaider pour le développement de paroisses personnelles dédiées à la forme extraordinaire du rite romain. Cette formule n’est pas sans avantage à commencer par la concorde… Toutefois, force est de constater que la plupart des arguments en sa faveur sont le plus souvent des arguments de type négatif en ce que la paroisse personnelle est conçue d’abord comme le moyen de cesser de supporter les moqueries, insultes, calomnies, campagne de dénigrement et autres obstructions telles que précédemment décrites.
Si l’érection de paroisses personnelles ne va clairement pas contre le Motu Proprio puisque le texte papal prévoit cette possibilité explicitement (article 10), il nous semble que le Saint Père fait de la paroisse territoriale le cadre naturel et premier d’application du Motu Proprio.
En effet et comme le rappelait très récemment le Cardinal Cañizares, Préfet de la Congrégation du Culte Divin, « la volonté du Pape n'a pas été uniquement de satisfaire les fidèles de Mgr Lefebvre, ni de se limiter à répondre aux justes désirs des fidèles qui se sentent liés, pour des motifs divers, à l'héritage liturgique représenté par le rite romain, mais bel et bien d'offrir à tous les fidèles la richesse de la liturgie de l'Église, en permettant la découverte des trésors de son patrimoine liturgique aux personnes qui les ignoraient encore ».
Dans cette optique, il nous semble donc que la paroisse territoriale de Monsieur et Madame Toutlemonde doit être le cadre normal, ordinaire et habituel de la célébration de l’une et l’autre des deux formes du rite romain.
C’est à ce prix que le trésor liturgique de la forme extraordinaire ne sera plus le fait de quelques réserves d’indiens mais pourra bel et bien être rendu à toute l'Église universelle.
A la suite de notre dernière lettre qui se faisait l’écho de la lettre ouverte au Saint Père publiée sur le site www.maranatha.it, nous publions aujourd’hui un entretien qu’a bien voulu nous accorder Monsieur Ricardo Turrini Vita, Président d'Una Voce Italie.
Haut-fonctionnaire romain, Ricardo Turrini Vita est de longue date l'un des piliers d'Una Voce Italie. Il nous donne son point de vue sur la réalité décrite par la lettre de maranatha.it et son jugement sur l'alternative que pourraient représenter les paroisses personnelles - comme c'est à Rome le cas de la Très Sainte Trinité des Pèlerins - aux blocages rencontrés pour l'application du motu proprio Summorum Pontificum dans le cadre diocésain.
PL - Président Turrini Vita, que pensez-vous de la lettre ouverte au Saint Père publiée sur le site maranatha.it ? Dans quelle mesure la situation dépeinte dans cette lettre est-elle représentative de la situation italienne ?
RTV - Plus qu'une lettre, ce texte est un appel dont il serait nécessaire de distinguer le contenu, la forme, le style et le support.
Sur le fond, les signataires illustrent bien que l'objectif du Souverain Pontife est de rendre le culte traditionnel vivant, au même titre que le culte nouveau, dans le contexte pastoral ordinaire. Mais en même temps, ils soulignent que la réalité est diverse, je dirais même contraire.
Pour juger de cette réalité, il faut d’abord considérer que coexistent deux droits : celui du catholique à l’usage du rite ancien (la forme extraordinaire) et celui du prêtre à ne pas le célébrer. Dans le cas dont nous parle la lettre - et comme le prévoit le MP Summorum Pontificum -, l’évêque a de toute façon permis une autre célébration, dont l’étendue n’est pas indiquée. Le cas est moins malheureux qu’ailleurs.
Si ma sensibilité personnelle et mon éducation font que je ne ressens pas particulièrement la nécessité de lier le culte traditionnel aux paroisses diocésaines, je reconnais néanmoins volontiers que les raisons affectives exposées dans la lettre sont justes et nobles et que les curés de paroisse devraient en tenir compte.
Les attitudes rencontrées par les auteurs sont, quant à elles, bien connues - et depuis des décennies - de tous ceux qui combattent pour la messe traditionnelle, et notamment au sein d'Una Voce Italie : le refus, la moquerie, la grossièreté. Après les très clairs éclaircissements canoniques fournis par le Saint Père actuel, les comportements rapportés par les deux signataires sont de plus devenus des enfreintes à la loi.
J'ai souvent fait observer que le sens de la légalité au sein du clergé se perdait, et pas seulement dans le domaine liturgique. De nombreux clercs ne se sentent pas tenus d'obéir à la loi ce qui, je le dis en passant, discrédite de fait la "pastorale de la légalité" dont on entend souvent parler. Les causes d'un tel comportement, outre la propension commune au péché, sont profondes et ne se limitent pas aux seuls bouleversements des années 70.
Il convient également de dire que de nombreux prêtres n'ont pas reçu de formation au culte traditionnel et que peu d'attention en général, même dans le nouveau rite, a été donnée à leur formation, comment dire, mistagogique.
Enfin, le Pape est le chef visible de l'Église mais n'en est pas le corps tout entier et ne peut suppléer à lui seul à ses défauts.
En Italie, si mépris et refus sont en général la règle, le nombre de lieux où le curé (ou l'ordinaire) n'est pas hostile à la forme extraordinaire grandit régulièrement. Les conditions d'application les meilleures dans le cadre canonique et dans la fidélité à l’esprit du Pontife s'observent à Rome, à Gênes et à Florence.
Quant à la forme de ce texte, au-delà du langage non protocolaire qui est utilisé, je ne crois pas en ce qui me concerne à l'utilité de tels appels : en 45 ans d'existence, Una Voce en a lancé de très nombreux sans grand résultat. Cependant, je tiens à féliciter les signataires pour l'affection filiale qu'ils nourrissent envers le Saint Père.
PL - En France, selon le sondage CSA pour Paix Liturgique de septembre 2008, 34% des catholiques se disent prêts à participer régulièrement à la Messe selon la forme extraordinaire si elle était célébrée dans leurs paroisses. Quelle serait, selon vous, la proportion de fidèles italiens disposés à faire de même ?
RTV - Je crois qu'elle serait inférieure : en fait, il manque en Italie une tradition de formation liturgique comme celle qui fut offerte par un géant comme Dom Guéranger. Toutefois, si l'on considère que le nombre des pratiquants en Italie est bien supérieur à celui de la France, il se pourrait, tous comptes faits, que celui des fidèles attachés au culte ancien ne soit pas inférieur au vôtre. À condition que celui-ci soit offert librement et avec régularité.
PL - Face aux résistances du clergé à l'ouverture des paroisses diocésaines à la forme extraordinaire de la messe, une issue pourrait se trouver dans le développement de paroisses personnelles, comme cela a été fait à Rome au printemps 2008. À la lumière de l'expérience romaine, que pensez-vous de cette solution ?
RTV - L'expérience romaine est satisfaisante parce que la paroisse s'est affirmée et intégrée à la pastorale générale. Surtout, celle-ci permet non seulement de bénéficier des sacrements et du culte mais offre aussi une formation spirituelle et des exercices de piété. Selon moi, la paroisse personnelle serait le meilleur moyen de pourvoir aux besoins de la portion du peuple de Dieu attachée au rite ancien ; à condition, bien entendu, qu'il existe un clergé disposé à s'y dévouer avec un esprit conforme à celui que la tradition exige.
Les réflexions de Paix Liturgique
1/ Monsieur Ricardo Turrini Vita connaît parfaitement la question liturgique en Italie. Son ancrage de terrain, ses nombreuses relations (laïques et ecclésiastiques), ses fonctions au sein d’Una Voce font de lui l’un des meilleurs spécialistes de la situation italienne. Le parcours de Monsieur Ricardo Turrini Vita est bien différent de celui des frères Lambruschini (voir notre lettre n°190 sur la lettre ouverte au Saint Père publiée sur le site maranatha.it), pourtant, leur attachement réciproque à la forme extraordinaire du rite romain et leur souhait de le promouvoir leur a donné de nombreux points communs : moqueries, insultes, calomnies, campagne de dénigrement.
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » dit l’adage. Cette pratique déloyale et scandaleuse pour des femmes et des hommes qui se revendiquent d’Eglise n’est hélas pas nouvelle : Ainsi, une distribution de tracts en faveur de la messe traditionnelle sur des pare-brise de voiture devient une « perturbation des ordinations sacerdotales » qui se déroulent dans l’église voisine, la récitation d’un chapelet dans la rue devient « une tentative de perturbation de la messe télévisée », une lettre respectueuse de demande d’application du Motu Proprio signée par plusieurs familles devient une « pétition inadmissible, une pression qui n’a pas sa place dans l'Église »… On ne compte plus non plus les attaques personnelles, les dossiers soi-disant « très graves » sur ce que l’on appelle les « traditionalistes » et dont on attend toujours la publication dix ans après… On ne compte pas non plus les amalgames politiques, les raccourcis indignes…
Non cela n’est pas nouveau mais qu’il nous soit permis de toujours nous en indigner et de ne pas nous habituer à cette culture du mépris.
2/ A la lueur de l'expérience romaine qu'il connaît bien puisqu'il est lui même paroissien de la Très Sainte Trinité des Pèlerins (http://roma.fssp.it/), Monsieur Ricardo Turrini Vita semble plaider pour le développement de paroisses personnelles dédiées à la forme extraordinaire du rite romain. Cette formule n’est pas sans avantage à commencer par la concorde… Toutefois, force est de constater que la plupart des arguments en sa faveur sont le plus souvent des arguments de type négatif en ce que la paroisse personnelle est conçue d’abord comme le moyen de cesser de supporter les moqueries, insultes, calomnies, campagne de dénigrement et autres obstructions telles que précédemment décrites.
Si l’érection de paroisses personnelles ne va clairement pas contre le Motu Proprio puisque le texte papal prévoit cette possibilité explicitement (article 10), il nous semble que le Saint Père fait de la paroisse territoriale le cadre naturel et premier d’application du Motu Proprio.
En effet et comme le rappelait très récemment le Cardinal Cañizares, Préfet de la Congrégation du Culte Divin, « la volonté du Pape n'a pas été uniquement de satisfaire les fidèles de Mgr Lefebvre, ni de se limiter à répondre aux justes désirs des fidèles qui se sentent liés, pour des motifs divers, à l'héritage liturgique représenté par le rite romain, mais bel et bien d'offrir à tous les fidèles la richesse de la liturgie de l'Église, en permettant la découverte des trésors de son patrimoine liturgique aux personnes qui les ignoraient encore ».
Dans cette optique, il nous semble donc que la paroisse territoriale de Monsieur et Madame Toutlemonde doit être le cadre normal, ordinaire et habituel de la célébration de l’une et l’autre des deux formes du rite romain.
C’est à ce prix que le trésor liturgique de la forme extraordinaire ne sera plus le fait de quelques réserves d’indiens mais pourra bel et bien être rendu à toute l'Église universelle.