Benoît XVI encourage le dialogue avec l'islam modéré
Le Monde - 24 mars 2006Benoît XVI a remis les insignes de cardinaux, vendredi 24 mars, sur la place Saint-Pierre à Rome, aux quinze nouveaux membres du Sacré Collège qu'il avait nommés le 22 février. Ce consistoire obéit à un rite ancien : chaque nouveau cardinal s'agenouille devant le pape, qui lui pose sur la tête la barrette de couleur pourpre, en souvenir du martyre exigé des témoins de la foi. Une autre cérémonie est prévue samedi 25 mars, au cours de laquelle les cardinaux recevront l'anneau en signe, cette fois, d'union absolue avec le pape.
Au-delà de la pompe romaine, ce premier consistoire de Benoît XVI répondait à deux objectifs : renforcer le poids de l'Asie dans la géopolitique du Vatican et redonner au Sacré Collège sa vraie place dans le gouvernement de l'Eglise. Trois nouveaux cardinaux viennent du continent asiatique dont Jean Paul II disait déjà qu'il était l'objectif premier pour l'avenir de l'Eglise : le Philippin Gaudencio Rosales, 73 ans, archevêque de Manille ; le Coréen Nicholas Cheong Jin-suk, 74 ans, archevêque de Séoul, et Joseph Zen Ze-kiun, 74 ans, évêque de Hongkong. Cette promotion de Mgr Zen, le "Desmond Tutu" chinois, militant des droits de l'homme - dont notre confrère de La Croix Dorian Malovic vient de tracer un beau portrait dans Le Pape jaune (Perrin-Asies) - inquiète Pékin. Li Zhaoxing, ministre des affaires étrangères, vient de rappeler que le Vatican doit "éviter toute ingérence, de quelque manière que ce soit, dans les affaires intérieures de la Chine".
Avec quinze nouveaux cardinaux, le Sacré Collège compte désormais 193 membres, dont 120 de moins de 80 ans, seuls habilités, demain, à élire un nouveau pape. Le poids de l'Europe y reste largement majoritaire. Deux personnalités françaises y font leur entrée : Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques, et le discret jésuite Albert Vanhoye, octogénaire, qui fut longtemps collaborateur du futur Benoît XVI à la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Le pape entend redonner au collège des cardinaux son rôle historique de "Sénat" de l'Eglise. Jeudi 23 mars, les nouveaux comme les anciens "princes de l'Eglise" ont été invités à une libre discussion sur "les grands défis qui attendent l'Eglise". Deux questions ont émergé : les relations avec l'islam et le contentieux avec les évêques traditionalistes héritiers de Mgr Lefebvre.
Réintégration des "lefebvristes"En dépit du huis clos, on sait que Benoît XVI est intervenu pour encourager le dialogue avec l'"islam modéré", en se montrant intransigeant sur le principe de la "liberté religieuse", c'est-à-dire du respect des droits des chrétiens dans des pays d'islam. Des craintes avaient été exprimées que ce dialogue ne soit plus une priorité, après la décision du pape, le 11 mars, de rattacher le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (dont le président, Mgr Fitzgerald, a été mis à l'écart) au Conseil pour la culture, présidé par le cardinal Paul Poupard. Intervenue après l'affaire des caricatures de Mahomet et les émeutes antichrétiennes dans certains pays musulmans, cette décision de Benoît XVI exprime une double volonté d'allégement des structures et de réorientation du dialogue avec les musulmans, dans le sens d'une plus grande fermeté.
Le débat a été plus vif, jeudi, à propos de la réintégration des catholiques traditionalistes. "Nos bras sont ouverts aux lefebvristes. Il s'agit d'étudier le meilleur moyen de les accueillir", a dit le cardinal Castrillon-Hoyos, en charge du dossier à la Curie. Mais la solution qui consiste à créer une "prélature personnelle" (comme l'Opus Dei) en faveur de la Fraternité Saint-Pie X (480 prêtres, dans 59 pays) passe mal auprès de cardinaux pour qui aucun rapprochement n'est possible avant que les lefebvristes aient ratifié les innovations du concile Vatican II, notamment le dialogue avec les autres religions chrétiennes et non chrétiennes.
Henri Tincq |