Paix liturgique : « Selon vous, les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise sont-ils bien accueillis dans les diocèses et leur sensibilité liturgique est-elle respectée ? »
Monseigneur Thierry Jordan : « Les traditionalistes reprochent continuellement aux évêques une application trop restrictive du motu proprio. Ils doivent se souvenir que ce document contient des devoirs pour tous, et donc pour eux aussi. »
Note de Mgr Thierry Jordan écrite le 16 octobre 1998
à l’occasion du 10e anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei
La réflexion de Paix liturgique : Ne nous y trompons pas. Les familles de Reims ou d’ailleurs qui supplient leurs pères les évêques de mettre en place dans leurs diocèses la célébration régulière de messes traditionnelles par des prêtres bien disposés et disponibles ne font qu’exprimer par là leurs besoins spirituels à leurs pasteurs, comme les y invite d’ailleurs le grand concile Vatican II.
Peut-être est-il quelques fidèles qui, découragés par les multiples demandes demeurées infructueuses depuis tant et tant d’années ou profondément blessés par la culture de mépris qui sévit à leur endroit, ont pu exprimer maladroitement leurs aspirations. De tels cas ne doivent pas être généralisés pour éluder les responsabilités qui nous incombent à tous et illustrent au contraire l’urgence avec laquelle il convient d’œuvrer à l’édification de la concorde diocésaine et de l’authentique paix liturgique.
Les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise auraient-ils des raisons d’être satisfaits du traitement qui leur est réservé à Reims comme, hélas, dans bien d’autres diocèses de France ?
En effet, il ne s’agit pas dans ces cas-là d’une « application trop restrictive du motu proprio » mais d’une absence totale d’application. Est-il possible d’avoir encore « moins que rien du tout », comme c’est le cas dans le diocèse de Reims pour les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise qui souhaitent vivre leur sensibilité liturgique en communion avec vous ?
Le premier devoir qui nous incombe à nous tous chrétiens est de nous aimer les uns les autres. Pourquoi alors continuer à traiter les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise comme des chrétiens de seconde catégorie, comme des pestiférés avec qui on ne discute pas, à qui l’on refuse la nourriture spirituelle qu’ils vous supplient de leur donner ? Quel est donc le problème ?
Paix liturgique : « Le motu proprio s’adresse aux chrétiens « qui se sentent liés à la tradition liturgique latine » et qui souhaitent rester en communion visible avec le Pape et les évêques du monde entier. Les choses étant clairement établies, pourquoi ne pas alors mettre en place des solutions d’apaisement dès lors qu’une demande sérieuse est exprimée dans ce cadre ? »
Monseigneur Thierry Jordan : « Les traditionalistes se référant au motu proprio protestent de leur fidélité au Pape. Le degré de communion avec les membres de l’Eglise est plus délicat à évaluer. Le fait, pour certains, de critiquer systématiquement la liturgie rénovée, les évêques ou l’Eglise depuis le Concile, n’est pas un signe positif de communion. (…) Pastoralement, il faut bien reconnaître qu’il existe des comportements à coloration schismatique, ou tout au moins un manque de communion affective chez certains. »
Note de Mgr Thierry Jordan écrite le 16 octobre 1998
à l’occasion du 10e anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei
Réflexion de Paix liturgique : Mais, Monseigneur, parlons-nous bien de la même chose ? Parlons-nous bien de cette partie du peuple de Dieu qui souhaite simplement vivre sa foi au rythme de la liturgie traditionnelle de l’Eglise en communion avec ses évêques ? C’est justement pour être en communion ecclésiale que ces familles supplient leurs évêques de permettre la célébration de la liturgie traditionnelle dans le cadre du diocèse. Comment peut-on reprocher à ceux qui se battent pour être en communion avec leurs évêques, à ceux qui souhaitent que tous les chrétiens, au-delà de leurs sensibilités propres, puissent vivre en harmonie, un manque de communion ? Pourquoi les accuser injustement de « critiquer systématiquement la liturgie rénovée, les évêques ou l’Eglise depuis le Concile » ? N’y a-t-il pas paradoxes et injustices dans tout cela ? Quelles preuves y a-t-il de ces accusations gratuites, ne serait-ce pas de la calomnie ?
En pratique, le « manque de communion » n’est il pas de facto créé par l’autorité diocésaine qui refuse de dialoguer avec les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise et encore plus de permettre la célébration de la liturgie traditionnelle ? En mettant ces familles au ban des diocèses, en les disqualifiant par toute sorte de procédés déloyaux, participe-t-on vraiment à la communion et à l’unité de l’Eglise ?
Peut être « certains » ont-ils émis les critiques que vous évoquez mais sont-ce vraiment ceux-là même qui se réclament du motu proprio Ecclesia Dei ? Nous ne le croyons pas. Quoi qu’il en soit, de tels comportements ne sauraient, encore une fois, justifier la généralisation et l’amalgame.
Paix liturgique : « Que répondez-vous aux chrétiens qui souhaitent une application « large et généreuse » des mesures d’apaisement promulguées par Jean Paul II dans son motu proprio Ecclesia Dei ?»
Monseigneur Thierry Jordan : « Ceux qui réclament une application large des possibilités offertes par le motu proprio doivent accepter ces conditions (ndlr : conditions de la déclaration doctrinale contenue dans le protocole d’accord Mgr. Ratzinger - Mgr. Lefebvre), notamment la 3e (ndlr : l’engagement à une attitude positive d’étude des points conciliaires qui paraissent plus difficiles.) Mais on a l’impression que, depuis dix ans, rien n’a bougé à ce propos ; on lit partout les mêmes critiques sur l’Eglise et le Concile. »
Note de Mgr Thierry Jordan écrite le 16 octobre 1998
à l’occasion du 10e anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei
Réflexion de Paix liturgique : Monseigneur, ces propos nous paraissent d’une autre époque. Comment tous les jeunes de la génération Jean Paul II attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise peuvent-ils comprendre cela ? Nous n’étions pas nés au moment du concile et notre attachement à la liturgie traditionnelle n’a jamais été vécu en rupture avec le concile ou l’Eglise. L’Eglise a heureusement évolué et les chrétiens ne peuvent être ainsi enfermés dans des catégories figées. La réalité ecclésiale est tout autre. Ce faux débat, ce procès d’intention nous paraît complètement dépassé et usé. Pourquoi voudriez-vous que ceux qui réclament le respect des sensibilités critiquent l’Eglise et le Concile ? Nous savons bien que le concile Vatican II, loin d’interdire la liturgie traditionnelle, a merveilleusement rappelé que « le latin était la langue de l’Eglise » ou que « tous les rites étaient égaux en droit et en dignité ». Pourquoi alors continuer à opposer artificiellement ce concile avec l’attachement à la liturgie traditionnelle ?
Avez-vous vraiment vu ou entendu, dans les diocèses où certains de vos confrères ont accueilli généreusement les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise, les « critiques sur l’Eglise et le Concile » ? Encore une fois la question mérite d’être posée tant il nous semble que nous ne parlons pas des mêmes personnes. La reconnaissance des communautés Ecclesia Dei par le Saint Siège, plus récemment encore l’érection canonique de la communauté traditionnelle de Campos au Brésil nous montrent à quel point ces oppositions sont artificielles et comment il est parfaitement possible de vivre sa foi au rythme de la liturgie traditionnelle en communion avec nos pasteurs dans l’Eglise d’aujourd’hui.
Paix liturgique : « Les communautés traditionnelles en France sont assez dynamiques et connaissent un développement significatif, notamment en termes de vocations sacerdotales et religieuses, comment percevez-vous l’expression de cette sensibilité dans l’Eglise de France ? »
Monseigneur Thierry Jordan : « Elle (ndlr : la liste des communautés catholiques traditionnelles en France donnée par un hors-série de La Nef, du 2 octobre 1994) est typique (…) d’une espèce de conscience collective qui est en train de s’établir chez certains, d’appartenir à une sorte de peuple chrétien de la Tradition – le vrai – qui a des droits, des privilèges accordés par le Pape, et que les évêques s’obstinent à ne pas laisser vivre. »
Note de Mgr Thierry Jordan écrite le 16 octobre 1998
à l’occasion du 10e anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei
Réflexion de Paix liturgique : Cette vision des choses semble pour le moins partisane et décalée avec la réalité. Pourquoi toujours se référer à « certains » en l’espèce non représentatifs et caricaturaux, pour généraliser et traiter l’ensemble des catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise ? L’amalgame et la caricature ne font pas bon ménage avec la recherche de la paix et de l’unité.
Ne pourrions-nous pas, pour une fois, prendre en exemple les belles expériences de paix liturgique réussies ? Pourquoi ne pas parler par exemple de cette belle expérience de Toulon où monseigneur Rey a opté pour la solution de la paroisse personnelle pour répondre aux aspirations des familles de son diocèse attachées à la liturgie traditionnelle ?
Demandons à monseigneur Rey si le prêtre qu’il a nommé curé pour cela et si les fidèles qu’il a généreusement accueillis ont l’impression « d’appartenir à une sorte de peuple chrétien de la Tradition – le vrai – qui a des droits, des privilèges accordés par le Pape, et que les évêques s’obstinent à ne pas laisser vivre » ? N’ont-ils pas plutôt l’heureuse satisfaction de se sentir aimés par leur évêque, comme ils sont, avec leurs richesses et leurs faiblesses, à l’instar de n’importe quels autres de leurs frères chrétiens du diocèse ?
Renouvelons cette demande auprès de vos confrères qui ont accueilli des communautés Ecclesia Dei dans leurs diocèses. Citons ici l’exemplaire réconciliation en cours à Sainte-Marie-des-Fontenelles, et demandez aux prêtres chargés de ces célébrations si les fidèles leur donnent l'impression de vouloir « rester entre eux » pour former « le peuple de la tradition » ?
Nous ne voulons rien imposer à personne mais voulons simplement à notre place (mais à toute notre place) participer à la vie de notre diocèse.
Paix liturgique : « Quel bilan faites-vous de la promulgation du motu proprio Ecclesia Dei ? »
Monseigneur Thierry Jordan : « Un courant ecclésial qui se réclame du motu proprio et qui s’autosuffit. Une Eglise de fait, l’expression serait un peu forte. On veut cependant montrer que, depuis dix ans, il y a des fidèles qui ne vivent plus en chrétiens que dans des groupes traditionalistes. Ils y cherchent toute leur nourriture spirituelle et y consacrent toutes leurs capacités d’engagement. Ils n’ont pas et plus besoin d’être en relation avec ceux qui ont d’autres sensibilités et qui suivent les lois générales de l’Eglise. »
Note de Mgr Thierry Jordan écrite le 16 octobre 1998
à l’occasion du 10e anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei
Réflexion de Paix liturgique : Pourquoi caricaturer les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise comme des marginaux repliés sur eux-mêmes ? Est-ce l’attitude que des enfants sont en droit d’attendre de leur père ? Est-ce digne de la charité qui devrait animer tout dialogue entre chrétiens ?
Cette vision des choses tellement caricaturale prêterait à sourire si elle n’était pas révélatrice du scandale de l’exclusion de chrétiens de leurs propres diocèses en raison de leur attachement liturgique. Et puis soyons clairs : ce n’est pas que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle se replient sur eux-mêmes, c’est surtout que trop souvent on leur refuse de participer à la vie de leur diocèse ; pire, il arrive que l’on refuse de les recevoir, de parler avec eux : Pourquoi cette attitude si contraire à l’esprit de dialogue prôné si souvent dans le discours actuel de tant de clercs ?
N’ayons pas peur des différences ! L’unité n’est pas l’uniformité et il y a plusieurs demeures dans la maison du Père.
Dès lors que les chrétiens dont vous parlez vivent leur foi dans des communautés dont les constitutions sont approuvées par le Saint Siège et qui ont été accueillies par des évêques courageux, ne devrait-on pas simplement nous réjouir de cette richesse supplémentaire pour l’Eglise ?
Enfin, nous voyons bien lors de nos opérations de sensibilisation dans les paroisses de Reims que ce sont plutôt « certains » prêtres et laïcs qui sont déjà engagés dans les paroisses qui refusent catégoriquement tout partage avec les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise. On le voit bien : le repli sur soi, l’autosatisfaction sont des dangers contre lesquels nous avons tous à lutter et qui ne sont pas le monopole de ceux qui demandent une application « large et généreuse » du motu proprio Ecclesia Dei.
Paix liturgique : « Selon vous, le motu proprio a donc plutôt eu des conséquences négatives ? »
Monseigneur Thierry Jordan : « A notre avis, il y a là un appauvrissement par rapport à la “richesse que représente pour l’Eglise la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d’apostolat” (motu proprio), diversité qui doit être entendue au minimum dans les deux sens ! Il y a aussi un glissement quand l’exception devient la norme au même titre que celle voulue par le législateur. Plus grave encore, on peut se demander si le motu proprio a effectivement souhaité que l’on parvienne à ce résultat d’un courant ecclésial pratiquement autonome. Où est la communion ecclésiale organique ? »
Note de Mgr Thierry Jordan écrite le 16 octobre 1998
à l’occasion du 10e anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei
Réflexion de Paix liturgique : Oui, la question mérite d’être posée : où est la communion ecclésiale organique quand on refuse de rencontrer ses propres enfants au prétexte que leur sensibilité liturgique en fait des pestiférés infréquentables ? Où est la communion ecclésiale organique quand à Reims et dans le tiers des diocèses de France, malgré une forte et ancienne demande, strictement rien n’est accordé pour les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise ?
C’est justement parce que nous refusons « un courant ecclésial pratiquement autonome » que nous vous supplions de mettre en place, sous votre autorité, la célébration régulière de messes traditionnelles à Reims. Nous demandons si peu !
De plus comment peut-on ainsi juger de la non fécondité du mouvement traditionnel alors que toutes les autorités, évêques ou cardinaux, qui ont pu l’approcher, ont été favorablement impressionnés par sa jeunesse, le nombre de vocations, les familles nombreuses, les œuvres multiples et son dynamisme rayonnant… Quand acceptera-t-on enfin de reconnaître cette richesse ?
La suite de ce dialogue sera publiée dans nos prochaines lettres.