SOURCE - abbé Laurent Spriet - La Nef - février 2011
Mgr Fellay a fait savoir qu’il avait répondu au « préambule doctrinal » proposé par le Saint-Siège. Dans ce contexte, l’abbé Jean-Michel Gleize, de la Fraternité Saint-Pie X, a répondu récemment à un article de Mgr Fernando Ocariz (1). Dans notre désir de voir une heureuse issue à tous ces échanges, nous proposons cette contribution à la réflexion.
Les membres de la Fraternité Saint-Pie-X veulent aimer l’Église. C’est indubitable. Personne ne peut raisonnablement mettre en cause ce désir qui est le leur et qu’ils manifestent clairement. La peine qu’ils éprouvent à la vue du « champ de l’Église » (1 Co 3, 9) dans lequel se trouve tant d’ivraie, est proportionnelle à leur volonté d’aimer et de servir le Corps mystique du Christ (Co 1, 18).
Les rapports existant entre Tradition et Magistère. Tradition et Magistère ne peuvent pas s’opposer. Le Magistère expose ce qui appartient à la Tradition (son contenu objectif). À titre d’illustration, prenons un exemple : le dogme de l’Immaculée conception n’a pas été cru « toujours, partout et par tous » (cf. saint Vincent de Lérins). Fort heureusement, le Magistère de l’Église a pu montrer malgré tout que cette doctrine était contenue dans le dépôt révélé, et donc qu’elle appartenait à la Tradition (à titre de vérité de foi). Par le Magistère, avec le temps et la grâce de Dieu, le dépôt de la foi ne change pas, mais la compréhension du dépôt, et donc du contenu de la Tradition, se fait plus profonde, plus large. En ce sens, la Tradition peut être dite « vivante ». Non pas dans le sens qu’elle change dans son contenu, mais qu’elle se déploie fidèlement sous la conduite du Magistère de l’Église catholique romaine. Car il existe bel et bien un « désenveloppement » du dogme (cardinal Journet), une progression dans la compréhension du contenu du dépôt révélé sous la conduite du Magistère de l’Église. Tout est contenu dans la graine de la fleur (comme toute la révélation est close à la mort du dernier Apôtre) mais, au fil du temps, toutes ses potentialités se manifestent (ainsi tout le contenu de la Tradition s’explicite sous la conduite du Magistère de l’Église). Le critère de saint Vincent de Lérins (« toujours, partout et par tous ») est donc une condition suffisante, mais non une condition nécessaire, de Tradition.
Peut-on opposer « Tradition vivante ou subjective » – entendue comme « la Tradition telle qu’elle est enseignée par le sujet-Église » – et « Tradition objective » – entendue comme « le contenu de la Tradition » (1) ? La réponse est : « Non ». Cette opposition n’a aucun sens, car il s’agit des deux aspects de la même Tradition : la transmission du donné, d’une part, et le donné transmis, d’autre part. La « Tradition objective » est portée et exprimée par la « Tradition vivante ou subjective ». Ici d’ailleurs, la « Tradition vivante ou subjective » a pour organe principal le « Magistère de l’Église ». De ce fait, Tradition et Magistère ne peuvent se contredire. Aucune de ces deux réalités ne peut exister sans l’autre. Elles sont inséparables. Le Magistère est au service de la Tradition. Il est le principal chaînon actuel de la Tradition.
Juger le Magistère ? Une personne privée peut-elle se faire le juge de ce qui appartient à la Tradition ou ne lui appartient pas ? La réponse catholique est : « Non ». On le sait, à cette question, Luther répondait : « Oui ».
C’est pour éviter que nous soyons réduits au « libre examen » que Notre-Seigneur a doté son unique Eglise d’un Magistère ordinaire et extraordinaire infaillible. Pour nous éviter d’être condamnés à un perpétuel subjectivisme, l’Esprit Saint nous garantit l’objectivité de la fidélité à la Tradition par le Magistère de l’Église. En effet, l’interprétation authentique du dépôt de la foi appartient au seul Magistère vivant de l’Église (2), c’est-à-dire au Successeur de Pierre, et aux évêques en communion avec lui.
L’assistance promise à l’Église dure toujours. L’Esprit Saint ne déserte pas l’Église. Il en est l’âme. Il la vivifie et l’éclaire dans son chemin sur la terre. C’est en vertu de cette assistance de l’Esprit Saint auprès de Pierre et des apôtres que Jésus peut dire : « Celui qui vous écoute m’écoute, et celui qui vous rejette me rejette ; or celui qui me rejette, rejette celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16). Or ce verset s’applique aussi au magistère ordinaire, nous a dit le vénérable Pie XII (cf. Humani generis). La liturgie de l’Église exprime cette certitude de foi en disant dans la préface de la messe des apôtres : « Père éternel, vous n’abandonnez pas votre troupeau, mais vous le gardez par vos bienheureux apôtres sous votre constante protection. Vous le dirigez encore par ces mêmes pasteurs qui continuent aujourd’hui l’œuvre de votre Fils ».
«Ubi Petrus, ibi Ecclesia ». Cet adage de saint Ambroise de Milan est éminemment traditionnel et il résume bien la foi catholique dans le caractère pétrinien de l’unique Eglise du Christ. Ainsi, personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l’apôtre Pierre, a confié le ministère de l’unité dans son Eglise (cf. Mt 16, 18 ; Lc 10, 16). Aujourd’hui cette personne est le pape Benoît XVI. À ce sujet, le concile Vatican I est très clair : « Nous enseignons et déclarons que l’Église romaine, par disposition du Seigneur, possède sur toutes les autres une primauté de pouvoir ordinaire et que ce pouvoir de juridiction du pontife romain, qui est vraiment épiscopal, est immédiat. Les pasteurs de tous rites et de tous rangs ainsi que les fidèles, tant chacun séparément que tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier ; de telle manière que, en gardant l’unité de communion et de profession de foi avec le pontife romain, l’Église est un seul troupeau sous un seul pasteur suprême (Jn 10, 16). Telle est la doctrine de la vérité catholique, dont personne ne peut s’écarter sans danger pour la foi et le salut » (Constitution Pastor æternus, chap. 3).
L’exemple lumineux de sainte Jeanne d’Arc. Aujourd’hui, « il y a grande pitié » dans l’Église qui est en France. Mais nous ne pouvons pas attendre que le champ de l’Église ne soit composé que de bon grain pour y travailler en pleine communion hiérarchique avec le successeur de Pierre actuellement régnant. L’Église est sainte mais remplie de pécheurs hier, aujourd’hui et demain, jusqu’au jugement dernier. La « sainte de la Patrie » a dit à ses juges : « De Jésus-Christ et de l’Église, il m’est avis que c’est tout un, et qu’il n’en faut pas faire difficulté » et c’est lorsqu’elle protesta de son attachement, de sa soumission et de son obéissance au pape qu’elle déclara : « Messire Dieu premier servi ! » L’évêque Cauchon, malgré son indignité personnelle, n’a jamais empêché le pape d’être pape et de conduire fidèlement l’Église de Dieu grâce à l’assistance du Saint Esprit. C’est la raison pour laquelle Jeanne ne s’est pas séparée de Rome sous prétexte qu’elle était confrontée à un évêque inique et perverti, entouré par une clique de clercs vendus à l’ennemi.
Foi et Espérance en Dieu. Dans sa lettre aux évêques accompagnant son motu proprio Summorum Pontificum de 2007, le pape Benoît XVI écrivait : « Il me vient à l’esprit une phrase de la seconde épître aux Corinthiens, où saint Paul écrit : “Nous vous avons parlé en toute liberté, Corinthiens ; notre cœur s’est grand ouvert. Vous n’êtes pas à l’étroit chez nous ; c’est dans vos cœurs que vous êtes à l’étroit. Payez-nous donc de retour ; […] ouvrez tout grand votre cœur, vous aussi !” (2 Co 6, 11-13) ». Que notre prière continue à monter vers le ciel afin que les cœurs s’ouvrent, que la foi théologale en ce grand mystère qu’est l’Église triomphe. « Credo Ecclesiam, unam, sanctam, catholicam et apostolicam ». « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur elle » (Mt 16, 18). Ne rêvons pas d’une Eglise sans microbes et sans maladies agissant en ses membres. Regardons-la avec les yeux de la foi et de l’espérance théologales. « Ouvrons généreusement notre cœur et laissons entrer tout ce à quoi la foi elle-même fait place » (Benoît XVI).
(1) Cf. Abbé Jean-Michel Gleize, in Le Courrier de Rome n°350 de décembre 2011, réponse à un article, paru dans l’Osservatore Romano, de Mgr Fernando Ocariz, l’un des experts nommés par Rome qui a participé aux discussions doctrinales avec la Fraternité Saint-Pie X.
(2) Encyclique Humani generis de Pie XII : « Ceux qui sont séparés de la véritable Eglise se plaignent souvent, et publiquement, de leur désaccord en matière dogmatique au point d’avouer, comme malgré eux, la nécessité d’un magistère vivant. […] Ce magistère, en matière de foi et de mœurs, doit être pour tout théologien la règle prochaine et universelle de vérité, puisque le Seigneur Christ lui a confié le dépôt de la foi – les Saintes Écritures et la divine Tradition – pour le conserver, le défendre et l’interpréter. […] Dieu a donné à son Eglise, en même temps que les sources sacrées, un magistère vivant pour éclairer et pour dégager ce qui n’est contenu qu’obscurément et comme implicitement dans le dépôt de la foi. Et ce dépôt, ce n’est ni à chaque fidèle, ni même aux théologiens que le Christ l’a confié pour en assurer l’interprétation authentique, mais au seul magistère de l’Église. »
(2) Encyclique Humani generis de Pie XII : « Ceux qui sont séparés de la véritable Eglise se plaignent souvent, et publiquement, de leur désaccord en matière dogmatique au point d’avouer, comme malgré eux, la nécessité d’un magistère vivant. […] Ce magistère, en matière de foi et de mœurs, doit être pour tout théologien la règle prochaine et universelle de vérité, puisque le Seigneur Christ lui a confié le dépôt de la foi – les Saintes Écritures et la divine Tradition – pour le conserver, le défendre et l’interpréter. […] Dieu a donné à son Eglise, en même temps que les sources sacrées, un magistère vivant pour éclairer et pour dégager ce qui n’est contenu qu’obscurément et comme implicitement dans le dépôt de la foi. Et ce dépôt, ce n’est ni à chaque fidèle, ni même aux théologiens que le Christ l’a confié pour en assurer l’interprétation authentique, mais au seul magistère de l’Église. »