Je suis ainsi fait que plus on attaque et critique ce que j’aime, plus
je l’aime. Plus on critique ma Fraternité Saint-Pie X (et son Supérieur
Général), plus je l’aime, plus je m’en rapproche pour préserver la grâce que
j’en ai reçue et l’esprit que je lui dois. C’est peut-être cela que l’on
appelle « l’esprit de corps ». Je n’ignore pas que nul être humain et
nulle institution n’est parfaite. L’Église elle-même est composée de saints et
de pécheurs. Je ne suis donc pas aveugle sur les défauts que je peux observer
dans ma famille sacerdotale et dans ses membres, quels qu’ils soient, mais je
crois en la Fraternité des Apôtres de Jésus et de Marie, ou (selon le titre
public), la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Et j’observe que, chaque fois
qu’elle est attaquée, elle se recentre sur ses « fondamentaux », et
en sort revigorée ! Et c’est pourquoi, je crois de plus en plus en sa grâce
particulière, dont les conditions ont été gravées par l’Église dans ses
statuts, entre autres : « le
but de la Fraternité est le sacerdoce et tout ce qui s’y rapporte et rien que
ce qui le concerne, c’est-à-dire tel que Notre Seigneur Jésus Christ l’a voulu
lorsqu’il a dit : faites ceci en mémoire de moi. »
C’est bien cela que Mgr Lefebvre a perçu dans son rêve de Dakar. C’est
ce dessein qu’il a recherché et poursuivi depuis l’Afrique, en passant par
l’essai échoué de restauration des séminaires chez les Pères du Saint-Esprit.
Ajoutez à cela les œuvres de la Fraternité, et vous aurez fait le tour de son
âme : « Toutes les œuvres de
formation sacerdotale [à savoir] la sanctification des prêtres, les vocations
d'auxiliaires, les écoles, le ministère paroissial, l’aide aux prêtres âgés,
infirmes et même aux infidèles. » Ceci n’a pas changé et ne peut
changer au gré des circonstances. C’est l’âme de la Fraternité, et c’est cela
qui assure l’unité entre tous ses membres. Certains peuvent l’abandonner et la combattre
après l’avoir abandonnée, mais elle ne changera pas et ne peut pas changer.
Cela n’exclut nullement et impose même de combattre les erreurs conciliaires,
mais ce n’est pas sa première finalité, et notre « cor unum et anima una » demeure le combat pour la messe et le
sacerdoce. La force de notre Fraternité réside dans la fidélité de tous ses
membres à notre grâce au service de l’Église.
« [La Fraternité Saint-Pie X] n’est pas née dans un but de
contestation ou d’opposition, pas du tout. Elle est née comme peuvent naitre
les œuvres d’Eglise, c’est-à- dire d’une nécessité qui s’est présentée de
veiller à la bonne formation du sacerdoce. » (Mgr Lefebvre, conférence
spirituelle à Ecône, 10-11 octobre 1977)
Quoi qu’on en dise, Mgr Lefebvre n’a jamais varié sur ce point. Son
discours a pu avoir des tonalités différentes selon les circonstances, mais son
objectif est toujours demeuré le même : le sacerdoce et la messe. Mgr
Tissier de Mallerais, qui est peut-être l’un de ceux qui ont le mieux connu Mgr
Lefebvre, fait à ce sujet une remarque importante : « Si Mgr Lefebvre fut avant tout un homme de foi et de sagesse, il
a possédé une bonne dose de pragmatisme, comme l'a bien discerné l'abbé
Aulagnier dans sa Tradition sans peur.
Par sagacité naturelle et disposition surnaturelle à suivre les voies de la
Providence, Mgr Lefebvre a toujours cherché à profiter des occasions favorables
pour renouer avec Rome et obtenir le retour à notre approbation canonique.
L'abbé […] n'a pas cerné le pragmatisme de notre fondateur. Ce qu'il aurait pu
dire, c'est que ce pragmatisme a toujours échoué face à la Rome
conciliaire. » (Lettre du 6 janvier 2014). Il me paraît difficile
d’ignorer ou négliger ce témoignage. Mgr Lefebvre n’était pas volontariste,
soumis à un impératif catégorique de type kantien, tel que : « Vite, un accord à tout prix ! » ou
encore : « Garde-à-vous ! Pas
d’accord pratique sans accord doctrinal ! Fermez le ban ! »,
mais bel et bien l’homme d’un principe vertueux plus délicat qui est celui de
toute autorité : la vertu de prudence, art vital de l’application des
vertus théologales aux circonstances et situations concrètes toujours
variables.
Il est bien vrai que, face à des actes ou des situations nouvelles et
parfois scandaleuses, Mgr Lefebvre a usé de formules très fortes, voire
violentes. C’était son cœur d’évêque catholique qui faisait entendre les
clameurs de la sainte Église blessée, humiliée, offensée. Souvenons-nous de son
sermon de Lille en 1976, ou de ses « petits dessins » d’Assise, ou
encore de ses déclarations après les sacres de 1988. L’époque exigeait de
marquer les esprits mais le fond de sa pensée est demeuré intact, et nous ne
pouvons pas limiter Mgr Lefebvre à ses déclarations les plus fracassantes ou à
ses « saintes colères ». Qui oserait réduire le portrait et la pensée
de Notre Seigneur à ses condamnations et à ses invectives contre les
pharisiens ? Sans les exclure, Son âme ne se révèle-t-elle pas plutôt dans
les Béatitudes ?
Dans une conférence spirituelle aux séminaristes le 1er
avril 1982, Mgr Lefebvre rendait compte ainsi de ses récents entretiens avec le
Cardinal Ratzinger : « Le
Cardinal Ratzinger m'a dit : Il faut que vous reconnaissiez que cette
réforme [de Paul VI] est conforme à l'esprit de l'Eglise. Je lui ai répondu,
bien sûr, que c'était impossible : si elle était bonne, je l'aurais
acceptée. Mais pourquoi en parler, ajoutai-je, laissons de côté ce problème de
la réforme liturgique, autrement il n'y aura pas d'accord possible entre nous.
Le Cardinal : Il faut que nous trouvions une formule ! Je lui ai
répondu : la seule solution est de ne pas en parler, mais que vous nous
accordiez ce que nous demandons, la liberté des rites anciens. »
« Sur la question
canonique, j'ai dit au Cardinal: Si vous nous accordez ce que nous demandons,
il n'y a plus de difficulté. Si tous les rites sûrs sont autorisés, il n'y aura
plus de problème pour une régularisation canonique. Si le rite précédent est
libre, les fidèles pourront choisir le rite traditionnel pour les confirmations
et je n'aurai plus de raison de les donner. Les fidèles veulent seulement
recevoir des sacrements valides. Or les traductions actuelles sont douteuses et
la matière rend aussi la validité douteuse, puisque l'huile d'olive n'est plus
exigée ou n'est plus consacrée. J'ai dit au Cardinal : si vous accordez
cela, nous sommes prêts à dépendre de la Congrégation des religieux. Vous êtes
très exigeant, m'a répondu le Cardinal ! » (Extrait de notes
manuscrites prises par un prêtre présent)
En 1988, Mgr Lefebvre n’ajoutera à cela qu’une seule exigence, en
raison de son âge : la consécration d’un évêque pour lui succéder. C’est
ce qui lui sera refusé, malgré la promesse faite. Ses dernières réflexions sur
ce sujet, il nous les a livrées six mois avant sa mort. Je l’entends encore nous
dire dans la conférence aux prêtres à l’issue de la retraite sacerdotale au
mois de septembre 1990 à Ecône, après avoir rappelé le conflit qui déchire
l’Église entre les pro et les anti Syllabus, et réaffirmé fortement
ses refus et ses exigences : « Humainement
parlant, je ne vois pas de possibilité d’accord actuellement. [Mgr Lefebvre
n’était donc pas opposé par principe à la possibilité d’un accord dans un
avenir plus favorable]. On me disait hier :
Si Rome acceptait vos évêques et que vous soyez complètement exempt de la
juridiction des évêques… D’abord ils sont bien loin d’accepter une chose comme
celle-là, ensuite il faudrait qu’ils nous en fassent l’offre, et je ne pense
pas qu’ils y soient prêts, car le fond de la difficulté, c’est précisément de
nous donner un évêque traditionaliste. Eux ils ne voulaient qu’un évêque ayant
le profil du Saint-Siège. Le « profil », vous comprenez ce que cela veut
dire ! Ils savaient très bien qu’en nous donnant un évêque traditionnel
ils constitueraient une citadelle traditionaliste. Ils ne le voulaient pas, et
ne l’ont pas plus donné aux autres. Quand les autres disent qu’ils ont signé le
même protocole que nous, ce n’est pas vrai. Notre protocole prévoyait un évêque
et deux membres à la Commission romaine. Or eux ils n’ont ni l’évêque, ni les
membres dans la Commission romaine. Rome a enlevé cela du protocole, car elle
n’en voulait à aucun prix. »
[En 2000, Rome à fait à la Fraternité Saint-Pie X de nouvelles offres,
renouvelées par Benoit XVI, jusqu’en 2013. Face à ces offres, Mgr Fellay a
voulu croire que la main tendue était une main favorable, mais il a dû
reconnaître que l’acceptation de ces offres nous aurait conduits à une
dissolution dans le magma conciliaire. Depuis, nous demeurons en position
d’attente, réfugiés dans la grâce de la bénédiction fondatrice, à la place que
l’Église nous a alors assignée.]
« Le premier novembre
prochain, achevait Monseigneur, nous
fêterons les vingt ans de la Fraternité, et je suis intimement convaincu que
c’est elle qui représente ce que le Bon Dieu veut pour garder et maintenir la
foi, la vérité de l’Eglise, et ce qui peut encore être sauvé dans l’Eglise.
Cela se fera grâce aussi aux évêques qui entourent le Supérieur Général, et
remplissent leur rôle indispensable de mainteneurs de la foi, en prêchant, et
en donnant les grâces du sacerdoce et de la confirmation. Ce sont des choses
irremplaçables, dont on a absolument besoin.
Tout cela est vraiment très
consolant, et je pense que nous pouvons remercier le Bon Dieu, et œuvrer dans
la persévérance, afin qu’un jour on reconnaisse ce que nous faisons. Bien que
la visite du cardinal Gagnon n’ait pas donné beaucoup de résultats, elle a
quand même montré que nous étions présents, et que du bien se faisait par la
Fraternité. Bien qu’ils n’aient pas voulu le dire explicitement, ils sont bien
obligés de reconnaître que la Fraternité représente une force spirituelle
irremplaçable pour la foi, dont ils auront, j’espère, la joie et la
satisfaction de se servir lorsqu’ils auront retrouvé la foi traditionnelle.
Prions la Sainte Vierge,
demandons à Notre-Dame de Fatima, à tous nos pèlerinages respectifs dans tous
les pays, de venir en aide à la Fraternité pour qu’elle ait beaucoup de
vocations. Nous devrions avoir un peu plus de vocations, nos séminaires ne sont
pas remplis. Mais je pense qu’avec la grâce de Dieu, cela viendra. Merci de
m’avoir écouté. Je vous demande de prier pour que je fasse une bonne et sainte
mort, parce que maintenant je n’ai plus que cela à faire.»