SOURCE - Correspondance Romaine - 10 décembre 2014
La nouvelle est passée sous silence, mais mercredi dernier la Conférence Épiscopale allemande en a fait l’annonce : après la communauté évangélique, c’est l’Eglise Catholique elle-même qui a modifié sa législation sur le travail.
La nouvelle est passée sous silence, mais mercredi dernier la Conférence Épiscopale allemande en a fait l’annonce : après la communauté évangélique, c’est l’Eglise Catholique elle-même qui a modifié sa législation sur le travail.
A vu le jour une sorte de recommandation qui sera envoyée à toutes les structures ecclésiastiques, y compris Caritas, afin qu’on prenne acte au plus vite des nouveautés introduites. Nouveautés qui traitent surtout du droit de grève et de l’entrée des syndicats aux postes de commandement. Mais qui, pour le moment, n’en sont pas encore arrivées à toucher à la question cruciale, celle pour laquelle exerce de fortes pressions le Président même de la Conférence Épiscopale allemande, le cardinal Reinhard Marx, à savoir la permission accordée également aux salariés divorcés remariés ou homosexuels de travailler auprès des institutions ecclésiastiques, bien que leur conduite morale s’avère opposée à l’enseignement de l’Eglise.
Ce sujet a été débattu longuement, sans arriver pour l’instant à une décision définitive. Il semble toutefois qu’en Allemagne la majorité des Évêques soit déjà favorable et qu’on pourrait atteindre rapidement les deux tiers demandés pour l’approbation. Le cardinal Marx lui-même a précisé que déjà aujourd’hui, dans les faits, il n’existe aucun licenciement automatique pour les divorcés remariés : «Les infractions aux exigences de fidélité à l’Eglise conduisent au licenciement uniquement dans les cas graves», a-t-il ajouté.
C’est là la dernière effraction en date d’une longue et inquiétante série de tentatives de la Conférence Épiscopale allemande d’aligner l’Eglise aux “valeurs” du monde.
Si le projet passait, serait de fait inamovible quiconque serait reconnu nécessaire – et ainsi toute la main-d’oeuvre spécialisée – quand bien même son style de vie ne serait pas cohérent avec la doctrine de l’Eglise.
Mais les évêques allemands ont déjà déclaré en plusieurs lieux ne pas ressentir la nécessité d’enquêter sur la vie privée des personnes. Depuis au moins un an et demi, on travaille dans la plus grande discrétion à ces modifications, soutenues in primis par le père jésuite Hans Langendörfer, Secrétaire de la Conférence Episcopale allemande.
Elles sont considérées comme une sorte de bombe cachée, avec la mèche allumée et prête à exploser d’un moment à l’autre. On prévoit qu’il puisse en sortir un document au langage abstrait, confus, porteur d’interprétations diverses et sans doute contradictoires. Dans l’espoir qu’ils fondent de pouvoir l’utiliser aussi pour licencier les salariés fidèles à l’enseignement de l’Eglise, mais considérés comme “trop catholiques”, et donc cause de “scandale”.
Ironie du sort, il y a justement quelques jours la Cour Constitutionnelle fédérale, annulant une précédente sentence de la Cour Fédérale du Travail, a reconnu à un hôpital catholique de Düsseldorf le droit de licencier un médecin divorcé remarié, conformément à l’autonomie reconnue à l’Eglise en juin dernier par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Le pouvoir civil reconnaît donc comme d’évidentes pratiques de bon sens ce qu’en revanche l’Eglise elle-même semble s’empresser de démanteler. Il est à noter qu’on ne parle pas de clopinettes : l’Eglise Catholique, en Allemagne, représente une véritable puissance, soit le deuxième plus important fournisseur d’emplois de tout le pays. A elle seule, Caritas emploie500000 personnes à temps plein contre 389 000 pour tout le groupe Volkswagen.
Pour tout cela, une contribution importante est apportée par la Kirchensteuer, c’est-à-dire la taxe ecclésiastique. De quoi s’agit-il ? Les gouvernements allemand et autrichien ont un système fiscal vraiment particulier : pour être catholiques, il est nécessaire de payer un impôt que le gouvernement perçoit puis reverse aux bureaux ecclésiastiques compétents : on parle de 5,9 miliards d’euros rien que sur l’année 2012. Crise ou non, on demande aux gens de verser un extra qui correspond environ à 8-9% de l’impôt sur le revenu. Ce n’est pas rien.
Il est possible de cesser de payer cette taxe, mais en écrivant une lettre formelle dans laquelle on déclare par là-même ne plus vouloir appartenir à l’Eglise Catholique. Cela implique l’excommunication de la part du diocèse local, avec de fait l’exclusion de tout accès aux sacrements, ainsi que de la participation active à la vie de l’Eglise. Funérailles comprises. De 1998 à 2007 ont été ainsi mis au ban environ 1.100.000 catholiques, ou plutôt ex-catholiques.
Où est passée ici la miséricorde dont on parle tant ? C’est de toute évidence une “pratique pastorale”, comme on a l’habitude de le répéter aujourd’hui, à changer immédiatement. Benoît XVI a essayé, en 2006, en demandant au Conseil Pontifical pour les textes législatifs de diffuser à toutes les Conférences Épiscopales une lettre, dans laquelle il était spécifié qu’un acte administratif – la demande d’exonération de taxes – ne devait pas correspondre à un abandon formel de l’Eglise, tout au moins pas dans le sens indiqué par le Droit Canonique, dans la mesure où la personne pourrait aussi vouloir rester en communion avec Rome. Mais cela n’a servi à rien.
L’hémorragie de fidèles qui s’est ainsi vérifiée – de l’ordre de centaines de milliers – ne représente donc pas, en Allemagne, “seulement” un fait pastoral, mais bien une faillite économique. En 2010, ils ont été environ 180 000 à avoir demandé de cesser le paiement des versements fiscaux à l’Eglise et donc la suppression des registres. En 2011, 126 488 ont fait ce même pas. En Autriche, ils sont plus de 40 000 chaque année. Nombreux sont ceux qui ont fini dans les files des protestants. En Allemagne l’assistance à la Messe en semaine à enregistré une baisse ultérieure de 13%.
Le tribunal de Fribourg avait accueilli comme un droit la demande de Hartmut Zapp, décidé à ne pas verser l’impôt, bien que désireux de rester dans la communion catholique. Mais la Conférence Épiscopale allemande n’a pas perdu de temps pour dénoncer l’“anomalie”, en demandant qu’elle soit immédiatement punie, dans la crainte que d’autres puissent en suivre l’exemple. Et ainsi une nouvelle décision judiciaire a tout étouffé, empêchant de distinguer le plan confessionnel du plan administratif.
Il est intéressant de noter que l’Archidiocèse de Fribourg, celui dont Zapp était fidèle, est celui-là même qui l’année dernière à publié un document pastoral pour l’accès des divorcés remariés aux sacrements. Alors, quand le pape François dans l’homélie à sainte Marthe s’en prend à la “liste des prix” pour les sacrements et intentions de messe, il paraît évident que cela doit commencer précisément par l’Allemagne et l’Autriche, si l’on veut réellement faire le ménage… Un sondage d’opinion récemment commandé par les évêques allemands a montré comment les catholiques “mécontents” demandent “miséricorde”.
Voilà donc ce qui est devenu soudain le nouveau mot d’ordre, pour tenter d’arrêter l’hémorragie de fidèles, au prix même d’“accommoder” la doctrine de l’Eglise aux situations particulières subjectives, tout en ne perdant pas d’adhésion et, par conséquent, d’argent. Les positions de “rupture”, dont s’est fait chef de file le cardinal Walter Kasper, s’inscrivent dans ce même sillage.
Quand il considère que «la doctrine de l’Eglise n’est pas un système fermé» il entend, comme il l’a précisé le 29 septembre dernier dans une interview à l’“America Magazine”, «non seulement la question des divorcés remariés, mais aussi les unions homosexuelles, les familles arc-en-ciel, toute la problématique du gender et bien d’autres problèmes». Déjà en 1993, en tant qu’évêque de Rottenburg-Stuttgart, il avait écrit avec l’évêque Karl Lehman une lettre pastorale dans laquelle il permettait aux divorcés remariés de recevoir la Communion. Depuis 2005 il pousse pour que l’accès à l’Eucharistie soit, pour ainsi dire, de plus en plus “libéralisé”. Et le fait de ne pas y être arrivé techniquement lors du dernier synode ne l’a pas démoralisé, au contraire. Il a déclaré que ce n’était pas le “résultat final”.
Mais ce sont bien les Commandements qui sont en jeu. Épouser une personne divorcée, c’est commettre l’adultère. Et c’est interdit par le sixième commandement. Par conséquent, la Communion n’est pas possible. C’est simple. Recevoir la communion en état de péché nuit gravement sur le plan spirituel à celui qui la reçoit : «Quiconque mange ce pain ou boit le calice du Seigneur indignement (…) mange et boit sa propre condamnation» (cf. I Cor 11, 27-31). Le cardinal Kasper considère que la Vérité dépend des résultats. Mais la proclamation de la Révélation n’est pas fonction du nombre de personnes qui l’écoutent et suivent l’enseignement de l’Eglise.
L’Evangile de Jean, au chapitre 6, raconte comment de nombreux disciples ont quitté Notre-Seigneur, après qu’il eut parlé de sa présence réelle dans l’Eucharistie. Et ils ne le suivirent plus. Mais lui continua imperturbable, sans se préoccuper des sondages. Et même au point de demander aux Douze si eux aussi voulaient s’en aller. Le cardinal Kasper, le cardinal Marx et les sommités “progressistes” de l’Eglise allemande pensent-ils pouvoir mieux faire ? (Mauro Faverzani)