SOURCE - Abbé Beauvais, fsspx - L'Acampado - janvier 2018
Nous n’avons pas que des mots pour livrer nos pensées, et nous n’avons pas que notre raison qui s’en empare pour en discuter. Il y a des raisons de croire. Nous les connaissons, nous les avons étu diées, je l’espère. Nous pouvons ergoter, discuter, raisonner, peser inlassablement.
Discuter la lumière qui vient quand on a déjà jugé qu’on l’atten dait et que l’on se devait de la recevoir, ce serait piétiner. Que peut faire notre raison ? Attendre Dieu, avoir le pressentiment qu’il existe, en avoir le désir, avoir le souci d’une âme loyale, désireuse d’obéir en toute humilité. Elle doit ensuite laisser parler le cœur qui lui aussi doit avoir ses raisons. Et c’est tout à fait conforme à la nature humaine, car la volonté doit suivre l’intelligence. La foi n’est évidemment pas une question de sentiments, nous ne sommes pas des amateurs d’émotions, ni des chercheurs de fusions du style charismatique. Mais ce n’est pas de sentimentalité dont il s’agit, ni d’émotion à fleur d’âme. Il s’agit de notre cœur, de notre volonté et c’est tout autre chose. on peut très bien être amoureux de logique et ne pas refuser de prendre conseil du cœur, Notre vieux saint Thomas, le plus raisonnable des saints a écrit : « Nous croyons parce que nous voulons croire ; car si Dieu, Seul, donne la foi, Il ne la refuse pas à ceux qui la veulent de toute leur sincérité ». Pascal, qui n’a jamais versé, j’imagine, dans les mièvreries senti mentales en convient : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais par le cœur. C’est le cœur qui sent Dieu, non la raison ». Notre vraie vie, est-ce dans notre raison seule qu’elle a trouvé refuge ? N’est-ce pas plutôt dans notre cœur qu’elle se déroule ? Notre vie estelle dans notre pensée ? N’est-elle pas recueillie aux cieux de notre âme, là-même où notre cœur mêle nos idées à notre sang ? La vie est unité et c’est l’amour qui en fait l’unité.
La vérité est bien peu de chose, si la volonté se refuse à la recevoir. Par l’esprit, la vérité ne peut que nous effleurer ; par le cœur, elle nous possède.
La vérité ne peut être une petite lumière à la cime de l’esprit ; elle doit descendre jusqu’au secret du cœur. C’est là qu’il lui faut allumer sa lampe. Et c’est peut-être cela précisément, que nous craignons. s’il en est tant, parmi les hommes, qui refusent d’ouvrir leur cœur, n’est-ce pas peut-être parce qu’ils redoutent certaines découvertes ? Nous redoutons souvent de faire le plein jour dans notre âme, notre pauvre cœur est si souvent encombré. Et même, est-il encore à nous ? Le possédons-nous vraiment ? Ne faudrait-il pas commencer peut-être par le reconquérir ? La question n’est pas inopportune. Pauvres cœurs, tant de choses s’en emparent, à leur insu ; tant de choses l’ont volé. Qu’en reste-t-il ? Les chemins qu’ils ont suivis étaient bordés de ronces et d’épines, ils y ont laissé un lambeau d’âme, un peu de cœur.
Des visiteurs indésirables ont occupé ces cœurs. Ils y ont pris toute la place, plus rien n’y peut entrer, pas même un rayon de lumière. Ces visiteurs indésirables ont des visages connus : le visage des vieux péchés, le visage de nos vices. L’orgueil a fermé notre cœur à tout sentiment qui eût été don de soi, qui eût été une offrande : à la pitié, à la compassion, à la bonté ; l’avarice, cette passion froide a desséché puis durci le cœur; la mollesse l’a anémié ; l’impureté -péché triste par excellence- a noyé le cœur dans la chair. Alors que reste-t-il de ce cœur ? Certes, les difficultés de croire ne viennent pas toujours des encombrements du cœur, et pour les incroyants qui refusent de marcher vers Dieu, ce n’est pas toujours parce qu’ils sont la proie de passions coupables. Mais il faut ici signaler simplement un grand danger, et il existe pour chacun de nous. Notre vie est un filet d’eau claire qui coule dans un lit de boue. Il ne faut pas en agiter le fond si nous voulons la garder pure. Il y a en nous des feux qui ne s’éteignent jamais; s’ils couvent pour l’instant, gardons-nous bien de souffler sur les cendres et de ré- veiller la flamme. Est-ce un danger illusoire ?
Si nous n’en avons point fait l’expérience, croyons-en l’aveu de ceux qui l’ont faite. Croyons-en, par exemple, saint Augustin qui le confesse humblement : «Quand j’étais dans le péché - et l’on sait quel péché -, il montait de la boue des passions, des vapeurs qui faisaient nuage devant mon cœur et l’empêchaient de voir ». La lumière ne manquait pas : Dieu qui l’appelait, la lui versait à profu sion, mais son cœur aveuglé n’en pouvait rien recevoir. Et, songeant à la simplicité des enfants dont la pureté lave les yeux, songeant aux solitaires du désert crucifiant leur chair dans le jeûne et la pauvreté, il rougissait de lui-même. «Ah, que faisons-nous ? » s’écriait-il. « Les ignorants ravissent le ciel, et nous, avec tout notre esprit et notre cœur malade, nous nous roulons misérablement dans la chair et dans le sang. » Voyez, c’est l’évidence même. Personne ne peut y contredire. Notre âme n’est pas une boîte à outils dans laquelle nous trouverions une intelligence pour comprendre la vérité et une volonté pour aimer le bien. Intelligence et volonté, esprit et cœur ne sont que deux facultés d’une âme ; et c’est la même âme qui voit, la même âme qui sent. Le cœur, sans doute, a tout à gagner à se laisser conduire par un esprit droit, mais l’intelligence aussi ne perd rien à la santé du cœur. un cœur alourdi enchaîne et enténèbre l’esprit.
Alors, pour aller vers Dieu, pour ne pas Le manquer quand Il se montrera, il nous faut reconquérir notre cœur. Délivrons-le de ces hôtes encombrants que l’on nomme: l’orgueil qui nous aveugle, l’envie qui nous aigrit, la sensualité fumeuse qui nous étouffe. Purifions notre âme. La pureté nous allège, c’est la santé du cœur, Elle nous met en appétit de beauté ; elle nous met en état de sensibilité droite et délicate qui ne vibre qu’aux mouvements de l’amour authentique. Elle est une merveilleuse disponibilité pour la grandeur. Qu’est-ce que la vérité attend aussi de vous ? Votre cœur, votre cœur pur. Il nous faut pour la recevoir, cette vérité, une faculté d’émerveillement, un certain appétit d’innocence, un esprit libre. or, c’est la pureté qui libère l’esprit et rend à ceux qui l’auraient perdu, le goût de l’innocence. Notre Maître Jésus-Christ l’a dit dans l’Évangile et l’expérience même y consent : ce sont les purs qui voient.
Sur les routes de notre existence, sur ces routes qui vont vers Dieu, à chaque pas, nous devons faire effort. Les vertus dont il nous faut appeler le secours semblent devoir être exclusivement des vertus de conquête. Notre Maître Jésus-Christ Lui-même, quand il prêchait le royaume des cieux et invitait les âmes à y entrer, le proposait comme une conquête difficile. Il le comparait à une cité, à une place forte qu’il faut prendre d’assaut : on ne pourrait y entrer que de haute lutte. Il a même prononcé le mot : il faut être violent. « Le royaume des deux souffre violence, seuls les violents peuvent le conquérir.» Alors qu’en est-il de la douceur ? N’est-elle pas en opposition flagrante avec cet état d’âme que recommandait Notre seigneur ? Non, car la douceur dont parle Notre seigneur est la douceur des forts, Ce n’est pas une mollesse. Elle ne désigne pas l’apathie d’une âme que rien n’éveille, qui jamais ne prendrait le parti de glisser dans la colère ou de s’exalter dans l’enthousiasme. Les vertus sont les forces des vivants, et la douceur en est une, et elle est souveraine. Et quel est l’état d’âme qui s’oppose le plus à la douceur ? Est-ce la dureté de cœur ? Est-ce l’âpreté du caractère ? Est-ce l’orgueil de l’esprit qui glace le cœur et en étouffe jusqu’à une certaine tendresse ? Est-ce l’avarice qui rend sourd à toute misère et interdit, comme une faiblesse, l’indulgence et la compas sion ? C’est peut-être un peu tout cela. Et c’est surtout l’aigreur, la triste aigreur qui dénigre. C’est un sentiment que nous connaissons ; nous le connaissons chez les autres ; il nous fait mal pour eux et pour nous. Nous le connaissons aussi en nous. Celui qui en est atteint a tout en dégoût et rien ne le satisfait pleinement. Ni les choses, ni les hommes ne ré- pondent à ce qu’il attend d’eux. Il croît même vivre au sein d’une conspiration générale. C’est le mécon - tentement perpétuel et universel. Ainsi nous avons peutêtre été blessés par le prochain, nous en avons du ressentiment. La rancune s’accumule ; elle tient ouverte et toujours plus vive la blessure qui nous fût faite, et nous remâchons notre tristesse. ou bien, si nous ne trouvons rien de répréhensible dans les façons d’agir à notre égard, nous nous forgeons des raisons d’en vouloir au prochain. Après avoir congédié l’indulgence, la charité, la bienveillance, nous en voulons au prochain de n’être point parfait. Mais nous devons le reconnaître, très souvent ces griefs s’évanouiraient si, au lieu de comparer le prochain à l’idéal qu’il ne réalise pas, nous le comparions simplement à nous-mêmes. Car nous-mêmes, sommes-nous parfaits ? Avons-nous vraiment le droit d’être mécontents des autres quand nous songeons à ce que nous sommes?
Et nous y songeons d’ailleurs parfois, et cette pensée est peut-être la plus grande source d’aigreur. Nous avons de bonnes raisons de n’être pas fiers de nous ; ces raisons nous aveuglent, elles nous irritent. orgueil blessé, impuissance à nous attirer une louange que nous attendions par exemple, échec devant une œuvre qui nous aurait mis en un relief favorable, et que sais-je encore ? ... Nous ne nous acceptons point, ou plutôt, nous ne nous renonçons pas assez, nous n’avons pas l’esprit surnaturel suffisant pour comprendre ce que Dieu attend de nous à travers une épreuve, un échec, un froissement ou un amour-propre blessé.
Et au lieu de nous raisonner, de nous gourmander, nous rendons les autres responsables de notre état d’âme jusqu’à le leur faire expier, un peu comme l’enfant qui se venge sur une pierre qui l’a fait trébucher. Ne nous laissons pas envahir par de tels sentiments qui excluent toute joie, toute confiance et tout enthousiasme, qui nous conduisent même à écarter ce qui nous guérirait et à décou rager ceux qui voudraient nous sauver. Alors, soupçonneux, on ne voit partout que des intentions intéressées ou perverses, passant tout au vitriol, ne desserrant les dents que pour critiquer jusqu’à l’obsession. Essayez d’être simples avec de tels caractères ! ... Ils vous accuseront de raffiner votre duplicité.
Et si même vous essayez d’être affectueux, cette affection que vous leur offrez sera une raison nouvelle de se défier de vous. Votre douceur sera jugée énervante et votre bonté, crispante. Pour un peu, ils vous reprocheraient de ne pas faire tout le bien que vous pourriez leur faire. A la longue, on finit d’ailleurs par se lasser. L’aigreur rebute; elle décourage puis elle étouffe toute sympathie. A tout ce qui sollicite une âme, l’aigreur répond par une fin de non-recevoir ; elle interdit tout enthousiasme, elle refuse au cœur de faire don de lui-même.
On devine alors l’accueil qui sera réservé à Dieu s’il vient lui aussi à demander à être reçu. on Lui en voudra d’être ce qu’il est et de trop exiger des âmes qu’Il conquiert. Avec une complaisance secrète, on glanera dans les dogmes que l’on connaît mal, ce qu’ils ont d’obscur et de mystérieux. on ne voudra y voir qu’une synthèse d’antithèses, un ramassis de contradictions. Dans la pratique et la vie des fidèles, on relèvera des petitesses, des mesquineries, des fautes. on pourrait décrire longuement cette aigreur, mais c’est suffisant il me semble. L’aigreur est une bien déplorable conseillère. N’oublions pas qu’il y a dans l’Eglise un élément humain. Instituée par Dieu qui la guide, la soutient et la garde tout le long de son histoire, dût-elle être réduite à une peau de chagrin, l’Eglise fût cependant fondée pour les hommes, et elle leur fût confiée. Il y aura donc fatalement des lenteurs, des incompréhensions. ses membres qui n’ont pas tous le génie de saint Augustin ou le cœur de saint Vincent de Paul, auront des maladresses, parfois même de la misère. Pourquoi nous en étonner ? on ne devra jamais s’en faire complice, certes, il faudra même pour le bien des âmes, dénon cer parfois cette misère. Mais serait-elle autant notre Eglise, la réunion de pauvres cœurs d’hommes qui désirent plus de pureté, de vérité et de charité qu’ils n’en possèdent, si elle ne comptait comme membres que des saints ? Y serions-nous, nous autres, dans l’Eglise ? Aurions-nous la possibilité d’y entrer un jour, s’il fallait être sans péché et sans faiblesse ? Notre seigneur JésusChrist en nous invi tant à Le suivre, nous a prédit le scandale. Mais n’y a-t-il que du scandale dans l’Eglise ? N’a-t-elle rien fait dans le monde depuis 2000 ans ? Ce serait une injustice de penser ainsi, mais ce serait une bien grande lâcheté aussi que de se voiler la face sur l’état que nous offre l’Eglise aujourd’hui. En vous parlant de cette douceur, je voudrais simplement suggérer que pour juger ce qui s’offre à nous, il faut savoir imposer silence au ressentiment, écarter le mépris et tarir toute sorte de fiel. C’est le signe de la vraie grandeur.
Même à l’égard de ceux qui nous ont blessés, la douceur est grande, puisqu’elle s’élève jusqu’à la sérénité, elle est grande puisqu’elle pardonne.
« Les forts sont doux », disait Lyautey. Ils se possèdent ; ils tiennent une âme dans une région inaccessible aux misères humaines. Ils sont les conquérants de la Terre parce qu’ils accueillent toute chose dans un cœur bienveillant. Rien ne les désarme, pas même l’inimitié ; leur douceur use les aspérités qui les auraient meurtris. Ils sont aussi les conquérants du ciel parce qu’ils ont une âme capable d’en comprendre toute la bonté.
Heureux les cœurs purs,
Heureux les doux, ils sont les conquérants du Ciel
Heureux sont-ils car ils verront Dieu.
Nous n’avons pas que des mots pour livrer nos pensées, et nous n’avons pas que notre raison qui s’en empare pour en discuter. Il y a des raisons de croire. Nous les connaissons, nous les avons étu diées, je l’espère. Nous pouvons ergoter, discuter, raisonner, peser inlassablement.
Discuter la lumière qui vient quand on a déjà jugé qu’on l’atten dait et que l’on se devait de la recevoir, ce serait piétiner. Que peut faire notre raison ? Attendre Dieu, avoir le pressentiment qu’il existe, en avoir le désir, avoir le souci d’une âme loyale, désireuse d’obéir en toute humilité. Elle doit ensuite laisser parler le cœur qui lui aussi doit avoir ses raisons. Et c’est tout à fait conforme à la nature humaine, car la volonté doit suivre l’intelligence. La foi n’est évidemment pas une question de sentiments, nous ne sommes pas des amateurs d’émotions, ni des chercheurs de fusions du style charismatique. Mais ce n’est pas de sentimentalité dont il s’agit, ni d’émotion à fleur d’âme. Il s’agit de notre cœur, de notre volonté et c’est tout autre chose. on peut très bien être amoureux de logique et ne pas refuser de prendre conseil du cœur, Notre vieux saint Thomas, le plus raisonnable des saints a écrit : « Nous croyons parce que nous voulons croire ; car si Dieu, Seul, donne la foi, Il ne la refuse pas à ceux qui la veulent de toute leur sincérité ». Pascal, qui n’a jamais versé, j’imagine, dans les mièvreries senti mentales en convient : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais par le cœur. C’est le cœur qui sent Dieu, non la raison ». Notre vraie vie, est-ce dans notre raison seule qu’elle a trouvé refuge ? N’est-ce pas plutôt dans notre cœur qu’elle se déroule ? Notre vie estelle dans notre pensée ? N’est-elle pas recueillie aux cieux de notre âme, là-même où notre cœur mêle nos idées à notre sang ? La vie est unité et c’est l’amour qui en fait l’unité.
La vérité est bien peu de chose, si la volonté se refuse à la recevoir. Par l’esprit, la vérité ne peut que nous effleurer ; par le cœur, elle nous possède.
La vérité ne peut être une petite lumière à la cime de l’esprit ; elle doit descendre jusqu’au secret du cœur. C’est là qu’il lui faut allumer sa lampe. Et c’est peut-être cela précisément, que nous craignons. s’il en est tant, parmi les hommes, qui refusent d’ouvrir leur cœur, n’est-ce pas peut-être parce qu’ils redoutent certaines découvertes ? Nous redoutons souvent de faire le plein jour dans notre âme, notre pauvre cœur est si souvent encombré. Et même, est-il encore à nous ? Le possédons-nous vraiment ? Ne faudrait-il pas commencer peut-être par le reconquérir ? La question n’est pas inopportune. Pauvres cœurs, tant de choses s’en emparent, à leur insu ; tant de choses l’ont volé. Qu’en reste-t-il ? Les chemins qu’ils ont suivis étaient bordés de ronces et d’épines, ils y ont laissé un lambeau d’âme, un peu de cœur.
Des visiteurs indésirables ont occupé ces cœurs. Ils y ont pris toute la place, plus rien n’y peut entrer, pas même un rayon de lumière. Ces visiteurs indésirables ont des visages connus : le visage des vieux péchés, le visage de nos vices. L’orgueil a fermé notre cœur à tout sentiment qui eût été don de soi, qui eût été une offrande : à la pitié, à la compassion, à la bonté ; l’avarice, cette passion froide a desséché puis durci le cœur; la mollesse l’a anémié ; l’impureté -péché triste par excellence- a noyé le cœur dans la chair. Alors que reste-t-il de ce cœur ? Certes, les difficultés de croire ne viennent pas toujours des encombrements du cœur, et pour les incroyants qui refusent de marcher vers Dieu, ce n’est pas toujours parce qu’ils sont la proie de passions coupables. Mais il faut ici signaler simplement un grand danger, et il existe pour chacun de nous. Notre vie est un filet d’eau claire qui coule dans un lit de boue. Il ne faut pas en agiter le fond si nous voulons la garder pure. Il y a en nous des feux qui ne s’éteignent jamais; s’ils couvent pour l’instant, gardons-nous bien de souffler sur les cendres et de ré- veiller la flamme. Est-ce un danger illusoire ?
Si nous n’en avons point fait l’expérience, croyons-en l’aveu de ceux qui l’ont faite. Croyons-en, par exemple, saint Augustin qui le confesse humblement : «Quand j’étais dans le péché - et l’on sait quel péché -, il montait de la boue des passions, des vapeurs qui faisaient nuage devant mon cœur et l’empêchaient de voir ». La lumière ne manquait pas : Dieu qui l’appelait, la lui versait à profu sion, mais son cœur aveuglé n’en pouvait rien recevoir. Et, songeant à la simplicité des enfants dont la pureté lave les yeux, songeant aux solitaires du désert crucifiant leur chair dans le jeûne et la pauvreté, il rougissait de lui-même. «Ah, que faisons-nous ? » s’écriait-il. « Les ignorants ravissent le ciel, et nous, avec tout notre esprit et notre cœur malade, nous nous roulons misérablement dans la chair et dans le sang. » Voyez, c’est l’évidence même. Personne ne peut y contredire. Notre âme n’est pas une boîte à outils dans laquelle nous trouverions une intelligence pour comprendre la vérité et une volonté pour aimer le bien. Intelligence et volonté, esprit et cœur ne sont que deux facultés d’une âme ; et c’est la même âme qui voit, la même âme qui sent. Le cœur, sans doute, a tout à gagner à se laisser conduire par un esprit droit, mais l’intelligence aussi ne perd rien à la santé du cœur. un cœur alourdi enchaîne et enténèbre l’esprit.
Alors, pour aller vers Dieu, pour ne pas Le manquer quand Il se montrera, il nous faut reconquérir notre cœur. Délivrons-le de ces hôtes encombrants que l’on nomme: l’orgueil qui nous aveugle, l’envie qui nous aigrit, la sensualité fumeuse qui nous étouffe. Purifions notre âme. La pureté nous allège, c’est la santé du cœur, Elle nous met en appétit de beauté ; elle nous met en état de sensibilité droite et délicate qui ne vibre qu’aux mouvements de l’amour authentique. Elle est une merveilleuse disponibilité pour la grandeur. Qu’est-ce que la vérité attend aussi de vous ? Votre cœur, votre cœur pur. Il nous faut pour la recevoir, cette vérité, une faculté d’émerveillement, un certain appétit d’innocence, un esprit libre. or, c’est la pureté qui libère l’esprit et rend à ceux qui l’auraient perdu, le goût de l’innocence. Notre Maître Jésus-Christ l’a dit dans l’Évangile et l’expérience même y consent : ce sont les purs qui voient.
Sur les routes de notre existence, sur ces routes qui vont vers Dieu, à chaque pas, nous devons faire effort. Les vertus dont il nous faut appeler le secours semblent devoir être exclusivement des vertus de conquête. Notre Maître Jésus-Christ Lui-même, quand il prêchait le royaume des cieux et invitait les âmes à y entrer, le proposait comme une conquête difficile. Il le comparait à une cité, à une place forte qu’il faut prendre d’assaut : on ne pourrait y entrer que de haute lutte. Il a même prononcé le mot : il faut être violent. « Le royaume des deux souffre violence, seuls les violents peuvent le conquérir.» Alors qu’en est-il de la douceur ? N’est-elle pas en opposition flagrante avec cet état d’âme que recommandait Notre seigneur ? Non, car la douceur dont parle Notre seigneur est la douceur des forts, Ce n’est pas une mollesse. Elle ne désigne pas l’apathie d’une âme que rien n’éveille, qui jamais ne prendrait le parti de glisser dans la colère ou de s’exalter dans l’enthousiasme. Les vertus sont les forces des vivants, et la douceur en est une, et elle est souveraine. Et quel est l’état d’âme qui s’oppose le plus à la douceur ? Est-ce la dureté de cœur ? Est-ce l’âpreté du caractère ? Est-ce l’orgueil de l’esprit qui glace le cœur et en étouffe jusqu’à une certaine tendresse ? Est-ce l’avarice qui rend sourd à toute misère et interdit, comme une faiblesse, l’indulgence et la compas sion ? C’est peut-être un peu tout cela. Et c’est surtout l’aigreur, la triste aigreur qui dénigre. C’est un sentiment que nous connaissons ; nous le connaissons chez les autres ; il nous fait mal pour eux et pour nous. Nous le connaissons aussi en nous. Celui qui en est atteint a tout en dégoût et rien ne le satisfait pleinement. Ni les choses, ni les hommes ne ré- pondent à ce qu’il attend d’eux. Il croît même vivre au sein d’une conspiration générale. C’est le mécon - tentement perpétuel et universel. Ainsi nous avons peutêtre été blessés par le prochain, nous en avons du ressentiment. La rancune s’accumule ; elle tient ouverte et toujours plus vive la blessure qui nous fût faite, et nous remâchons notre tristesse. ou bien, si nous ne trouvons rien de répréhensible dans les façons d’agir à notre égard, nous nous forgeons des raisons d’en vouloir au prochain. Après avoir congédié l’indulgence, la charité, la bienveillance, nous en voulons au prochain de n’être point parfait. Mais nous devons le reconnaître, très souvent ces griefs s’évanouiraient si, au lieu de comparer le prochain à l’idéal qu’il ne réalise pas, nous le comparions simplement à nous-mêmes. Car nous-mêmes, sommes-nous parfaits ? Avons-nous vraiment le droit d’être mécontents des autres quand nous songeons à ce que nous sommes?
Et nous y songeons d’ailleurs parfois, et cette pensée est peut-être la plus grande source d’aigreur. Nous avons de bonnes raisons de n’être pas fiers de nous ; ces raisons nous aveuglent, elles nous irritent. orgueil blessé, impuissance à nous attirer une louange que nous attendions par exemple, échec devant une œuvre qui nous aurait mis en un relief favorable, et que sais-je encore ? ... Nous ne nous acceptons point, ou plutôt, nous ne nous renonçons pas assez, nous n’avons pas l’esprit surnaturel suffisant pour comprendre ce que Dieu attend de nous à travers une épreuve, un échec, un froissement ou un amour-propre blessé.
Et au lieu de nous raisonner, de nous gourmander, nous rendons les autres responsables de notre état d’âme jusqu’à le leur faire expier, un peu comme l’enfant qui se venge sur une pierre qui l’a fait trébucher. Ne nous laissons pas envahir par de tels sentiments qui excluent toute joie, toute confiance et tout enthousiasme, qui nous conduisent même à écarter ce qui nous guérirait et à décou rager ceux qui voudraient nous sauver. Alors, soupçonneux, on ne voit partout que des intentions intéressées ou perverses, passant tout au vitriol, ne desserrant les dents que pour critiquer jusqu’à l’obsession. Essayez d’être simples avec de tels caractères ! ... Ils vous accuseront de raffiner votre duplicité.
Et si même vous essayez d’être affectueux, cette affection que vous leur offrez sera une raison nouvelle de se défier de vous. Votre douceur sera jugée énervante et votre bonté, crispante. Pour un peu, ils vous reprocheraient de ne pas faire tout le bien que vous pourriez leur faire. A la longue, on finit d’ailleurs par se lasser. L’aigreur rebute; elle décourage puis elle étouffe toute sympathie. A tout ce qui sollicite une âme, l’aigreur répond par une fin de non-recevoir ; elle interdit tout enthousiasme, elle refuse au cœur de faire don de lui-même.
On devine alors l’accueil qui sera réservé à Dieu s’il vient lui aussi à demander à être reçu. on Lui en voudra d’être ce qu’il est et de trop exiger des âmes qu’Il conquiert. Avec une complaisance secrète, on glanera dans les dogmes que l’on connaît mal, ce qu’ils ont d’obscur et de mystérieux. on ne voudra y voir qu’une synthèse d’antithèses, un ramassis de contradictions. Dans la pratique et la vie des fidèles, on relèvera des petitesses, des mesquineries, des fautes. on pourrait décrire longuement cette aigreur, mais c’est suffisant il me semble. L’aigreur est une bien déplorable conseillère. N’oublions pas qu’il y a dans l’Eglise un élément humain. Instituée par Dieu qui la guide, la soutient et la garde tout le long de son histoire, dût-elle être réduite à une peau de chagrin, l’Eglise fût cependant fondée pour les hommes, et elle leur fût confiée. Il y aura donc fatalement des lenteurs, des incompréhensions. ses membres qui n’ont pas tous le génie de saint Augustin ou le cœur de saint Vincent de Paul, auront des maladresses, parfois même de la misère. Pourquoi nous en étonner ? on ne devra jamais s’en faire complice, certes, il faudra même pour le bien des âmes, dénon cer parfois cette misère. Mais serait-elle autant notre Eglise, la réunion de pauvres cœurs d’hommes qui désirent plus de pureté, de vérité et de charité qu’ils n’en possèdent, si elle ne comptait comme membres que des saints ? Y serions-nous, nous autres, dans l’Eglise ? Aurions-nous la possibilité d’y entrer un jour, s’il fallait être sans péché et sans faiblesse ? Notre seigneur JésusChrist en nous invi tant à Le suivre, nous a prédit le scandale. Mais n’y a-t-il que du scandale dans l’Eglise ? N’a-t-elle rien fait dans le monde depuis 2000 ans ? Ce serait une injustice de penser ainsi, mais ce serait une bien grande lâcheté aussi que de se voiler la face sur l’état que nous offre l’Eglise aujourd’hui. En vous parlant de cette douceur, je voudrais simplement suggérer que pour juger ce qui s’offre à nous, il faut savoir imposer silence au ressentiment, écarter le mépris et tarir toute sorte de fiel. C’est le signe de la vraie grandeur.
Même à l’égard de ceux qui nous ont blessés, la douceur est grande, puisqu’elle s’élève jusqu’à la sérénité, elle est grande puisqu’elle pardonne.
« Les forts sont doux », disait Lyautey. Ils se possèdent ; ils tiennent une âme dans une région inaccessible aux misères humaines. Ils sont les conquérants de la Terre parce qu’ils accueillent toute chose dans un cœur bienveillant. Rien ne les désarme, pas même l’inimitié ; leur douceur use les aspérités qui les auraient meurtris. Ils sont aussi les conquérants du ciel parce qu’ils ont une âme capable d’en comprendre toute la bonté.
Heureux les cœurs purs,
Heureux les doux, ils sont les conquérants du Ciel
Heureux sont-ils car ils verront Dieu.