SOURCE - Abbé Xavier Beauvais, fsspx - L'Acampado - septembre 2018
Notre-Seigneur a de ces phrases parfois lapidaires que nous n’avons pas le temps ou le courage, hélas, d’approfondir.
Notre-Seigneur a de ces phrases parfois lapidaires que nous n’avons pas le temps ou le courage, hélas, d’approfondir.
J’ai choisi pour vous, celle-là : « Si vous ne devenez comme
de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ».
Rien de plus clair et de plus formel dans cette parole. En
clair, il faut se convertir. Il y a là un mouvement de
conversion: redevenir enfant et même, petit enfant. A
première vue, on résiste à une telle parole. On sourit
même. Mais, il ne faut pas s’y tromper, c’est d’une véritable
conversion qu’il s’agit : la conversion à l’enfance
évangélique.
Replaçons cette phrase lapidaire dans le contexte
évangélique. Les disciples viennent trouver Notre Seigneur
et Lui posent cette question qui les préoccupe :
« Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? »
Les disciples veulent savoir quelle est, dans la nouvelle
économie inaugurée par le Christ, l’échelle des valeurs.
Ils ont confusément conscience que Notre Seigneur apporte
quelque chose de vraiment nouveau et ils lui demandent,
au fond, la règle d’après laquelle tout est jugé
dans son royaume. Question capitale s’il y en a. Que répond
Notre Seigneur ? Il appelle un enfant, le place au
milieu d’eux et dit : « En vérité, je vous le dis en toute certitude,
si vous ne changez pas et ne devenez pas comme les petits enfants,
vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Celui qui se fera
humble comme cet enfant, c’est celui-là qui est le plus grand dans
le royaume des cieux ».
Nous voilà prévenus. C’est stupéfiant. Notre Seigneur
ne nous demande rien de moins qu’un complet retournement
de notre échelle des valeurs. Ce qui importe dans
son royaume, la pierre de touche de tout le reste, c’est
l’attitude profonde où l’homme se fait petit et enfant.
Celui qui y parvient est, en toute vérité, le plus grand, le
seul réellement grand aux yeux de Dieu. Alors, ne disons
pas que cette conversion est impossible.
Un premier aspect de cette conversion à l’enfance évangélique, c’est la conversion de l’orgueil de la vie à la douceur et à l’humilité du cœur. Si vous jetez un coup d’œil autour de vous, que voyez-vous ? Que presque tout est faussé par ce terrible besoin qui possède l’homme d’avoir la première place, le plus d’autorité, le plus d’influence. Certes, avoir de l’ambition n’est pas en soi de l’orgueil si l’on entend par là le désir de faire réellement de grandes choses. Mais combien vite et de quelle manière insidieuse, cette légitime ambition est faussée par l’orgueil ! Notre Seigneur avait déjà remarqué combien l’homme désire « la place d’honneur ». Il l’avait remarqué même chez ses disciples. Chez les pharisiens, la chose était admise. Et l’on connaît son enseignement : il faut passer de l’amour de la première place à celui de la dernière.
Un premier aspect de cette conversion à l’enfance évangélique, c’est la conversion de l’orgueil de la vie à la douceur et à l’humilité du cœur. Si vous jetez un coup d’œil autour de vous, que voyez-vous ? Que presque tout est faussé par ce terrible besoin qui possède l’homme d’avoir la première place, le plus d’autorité, le plus d’influence. Certes, avoir de l’ambition n’est pas en soi de l’orgueil si l’on entend par là le désir de faire réellement de grandes choses. Mais combien vite et de quelle manière insidieuse, cette légitime ambition est faussée par l’orgueil ! Notre Seigneur avait déjà remarqué combien l’homme désire « la place d’honneur ». Il l’avait remarqué même chez ses disciples. Chez les pharisiens, la chose était admise. Et l’on connaît son enseignement : il faut passer de l’amour de la première place à celui de la dernière.
Attention. Bien sûr que Notre Seigneur ne veut pas
encourager la pusillanimité, l’absence d’initiative ou la
peur des responsabilités.
Nous avons même, en effet, dans certains cas, le devoir
de chercher la première place -en tant que chrétiens-
, ou tout au moins de la tenir avec autorité si elle nous a
été confiée. Mais, on saisit vite où se situe la conversion
intérieure que le Christ nous demande. Il faut tenir la première
place comme si c’était la dernière : car c’est à la
dernière place qu’on sert ses frères et que l’on est le plus
sûr de trouver Notre Seigneur.
L’abbé Huvelin, le confesseur de Charles de Foucauld, avait à ce sujet une expression gracieuse :
L’abbé Huvelin, le confesseur de Charles de Foucauld, avait à ce sujet une expression gracieuse :
« Depuis que le Christ a pris la dernière place, on ne peut plus
avoir que l’avant-dernière ».
Et, en effet, Notre Seigneur a pris la dernière place :
relisez la scène où les fils de Zébédée demandent la place
d’honneur, ou encore la réponse du Seigneur qui lave les
pieds de ses disciples. Le véritable enfant évangélique,
c’est celui qui se fait ainsi le serviteur de ses frères. Et il
convient de rappeler ici, la béatitude des doux. Cette douceur,
ici, n’a rien à voir avec je ne sais quel facile petit
sentiment, apanage d’âmes craintives, sans grande personnalité.
En réalité, c’est une extraordinaire béatitude
de force et d’amour. Elle suppose la force de la charité
qui sert constamment ses frères, qui ne se laisse durcir ni
par l’ingratitude, ni par l’orgueil, ni par l’amertume, ni
par le dépit. On peut dire que les vrais doux sont étonnamment
forts. Le mal ne les trouble pas, et ils comprennent
tout. C’est pourquoi ils possèdent la terre des cœurs
qui s’ouvrent à eux. La première conversion à l’enfance
évangélique, c’est cela, à l’exemple de Notre Seigneur,
Lui-même, qui s’est dit «doux et humble de cœur», à
l’exemple de la Très Sainte Vierge, douce entre toutes.
La seconde conversion, c’est celle qui consiste à placer
sa force, non pas dans les richesses périssables, mais
dans l’amour du Père des cieux, amour qui ne périt pas.
Le plus grand dans le monde, c’est celui qui a le plus d’argent.
Et voici que Notre Seigneur vient nous dire que le
plus grand à ses yeux, c’est celui qui se confie, non dans
ses richesses, mais dans son amour à Lui. Le véritable enfant,
selon l’Evangile, c’est le pauvre en esprit, et Notre
Seigneur l’a béatifié. Il faut vraiment être redevenu ce
bienheureux enfant selon l’Evangile, pour ne pas céder
à la séduction de l’argent.
Et puis le monde défend encore son ordre de grandeur
par le mensonge, la duplicité, les faux-semblants.
Quel chrétien, hélas, aujourd’hui, ne gémit pas d’être souvent
entraîné malgré lui, dans un monde où presque tout
est falsifié ? Il n’est pas souvent commode de résister. Et
pourtant, là encore, il faut écouter Notre Seigneur : c’est-à-dire
ne pas prendre le parti de mentir. Il faut vouloir
redevenir enfant, cet enfant de Dieu, désarmant comme
l’étaient les saints, pour qui oui c’est oui, non c’est non.
Et s’il faut être prudent comme le serpent, il faut savoir
aussi être simple comme la colombe.
Il y a enfin un dernier aspect de la conversion à l’enfance
évangélique, peut-être le plus profond car il touche
à l’intime de notre esprit, c’est-à-dire la conversion de la
sagesse et de l’habileté du monde, à la simplicité de la foi.
Toute l’histoire évangélique nous montre que le Seigneur
a été reconnu, non par ceux que le monde appelle «habiles
et sages», mais par les petits, les cœurs simples et
droits. La foi qui consiste essentielle ment à reconnaître
et adhérer à Notre Seigneur, nous est parfois douloureuse
parce que nous ne sommes pas assez simples. Il ne s’agit
pas ici de canoniser l’ignorance et l’inculture. Non ! car
dans l’Eglise du Christ, il y a une sainteté de l’intelligence,
et le mot de Notre Seigneur qu’on trouve en saint Marc :
« Aimer Dieu de toute sa capacité de comprendre » doit nous
être cher. Mais cela dit, il n’en reste pas moins qu’il faut
être redevenu enfant, au sens profond de l’Evangile, d’un
cœur parfaitement droit et pur, profond et candide, adorant
et soumis. Il faut, en effet, être aussi ouvert, aussi
simple, aussi candide qu’un enfant dans les mains deDieu, pour recevoir son règne qui est la foi. Quelle est
donc l’attitude essentielle à partir de laquelle ce bienheureux
état d’enfance spirituelle va naître dans nos âmes ?
Eh bien, c’est l’abandon aux mains de Dieu et la charité,
amour de Dieu.
La leçon essentielle que nous donnent les enfants,
c’est que l’enfant se confie et s’abandonne, tandis que
l’adulte, bien souvent, se défie et se raidit. Il faut vraiment
réapprendre, de toute notre âme, à nous ouvrir à Dieu et
à nous abandonner entre ses mains. Malgré l’incohérence
apparente de ce monde, malgré le caractère parfois douloureux
de la vie, malgré tant d’obscurités, nous pouvons
céder à ce cœur d’enfant qui ne se défend plus mais s’ouvre
à Dieu et Lui parle. C’est à ce moment-là qu’on retrouve
le secret de l’enfance évangélique, et tout nous
paraît alors beaucoup plus simple.
Au fond, ce que Dieu nous demande, c’est exactement
ce que des parents demandent à leurs enfants :
notre confiance et notre amour. Si nous avons vraiment
donné à Dieu cette confiance et cet amour, tout s’ensuit.
Notre vraie richesse est dans ses mains et nous avons
alors horreur des mensonges dans lesquels le monde vit
: ces mensonges de l’orgueil et de l’Argent-Roi, mensonges
du double-jeu et de la façade, mensonges des habiles
et des sages. Au début du XXème siècle, il a plu à
Dieu de nous donner comme modèle, celle qui n’a voulu
s’appeler que la petite Sœur Thérèse, elle qui était en réalité
étonnamment grande. Ce qu’elle nous apprend, c’est
une confiance éperdue en Dieu et la pureté de la charité.
Vous le voyez, l’enfance évangélique est à l’opposé
de certaines mièvreries qui, parfois, l’ont défigurée. Certains
même, y ont semblé trouver la justification de leurs
faiblesses ; non, tout cela n’est que caricature malsaine
de l’enfance spirituelle. Il faut donc bien l’avouer, seuls
les saints sont les parfaits enfants évangéliques. La grâce
du Christ est leur seule richesse. Ils ont retrouvé leur
vraie nature d’enfants de
Dieu. Ils sont singulière -
ment indépendants du
monde, libres, et ne sont
à la remorque de personne.
Et pourtant, ils
sont humbles et doux,
pauvres et purs. C’est la
grâce de Notre Seigneur
Jésus-Christ à laquelle ils
se sont confiés et dans laquelle ils se sont perdus, qui a fait cette merveille.
Le saint n’a donc pas de force à lui, toute sa force est
en Dieu. Ce n’est qu’un enfant. C’est dans l’expérience
toujours désolante de sa faiblesse que l’âme prend
conscience qu’elle n’a pas de force à elle, mais que la
force du Christ habite en elle.
Marie, la Très Sainte Vierge, fut la parfaite enfant
évangélique. Le Magnificat n’est pas le cantique de l’enfant
pauvre, humble et douce, mais intrépide dans sa foi.
Saint Jean nous la présenta comme notre Mère,
comme une bonne Mère qui veille sur ses enfants.
Qu’elle nous apprenne alors à redevenir enfants dans le
sens dont nous parlons.
Simplicité
Quand Jésus passait, autrefois, sur les routes de Palestine,
volontiers Il arrêtait les enfants, il les bénissait, il
les aimait, il les aimait pour leur âme faite de simplicité
et de candeur, de sensibilité droite et de tendresse profonde.
Il reconnaissait en eux l’âme du vrai disciple, et Il
les proposait en exemple à la foule : « Si vous ne devenez
semblable aux petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume
des cieux ». Car le royaume des cieux est pour les enfants
; pour ceux qui, dans l’âge mûr, auront gardé ou retrouvé
leur candeur et leur simplicité. La simplicité est toujours
le premier pas sur les routes qui mènent à Dieu. Mais,
comment la définir, cette simplicité ? La simplicité, c’est
un état d’âme, bien plus qu’une qualité, tout état d’une
âme neuve, d’une âme d’enfant que la vie n’a pas encore
encombrée de déchets. Chez l’enfant, parce qu’il est simple,
tout est droit, tout est spontané. Pour lui, les êtres
sont ce qu’ils sont. Il répond sans hésiter à tout ce qui le
touche, et l’on entend bien qu’il n’y a point de mystère
entre son cœur et les mots qu’il nous dit. Il voit tout en
beauté parce qu’il voit tout en vérité ; chaque instant
marque pour lui une découverte,
dans un
monde merveilleux. La
beauté et la vérité ne
sont pas lointaines. Les
objets familiers, les
choses coutumières
nous en offrent de précieux
rayons. « J’ai connu
un bon vieillard, écrivait le
Père Draime, qui, à propos d’une chrysalide entretenait son petit-fils de la résurrection des corps.
De même, disait-il, qu’un papillon léger, bleu comme le ciel, sortira
de cette pâle enveloppe, ainsi nos corps glorieux, ruisselants de lumière,
rejailliront d’une pincée de cendres. Et l’âme simple de l’enfant
comprenait ce discours. Chaque mot tombait en lui comme un
appel ; devant ses yeux émerveillés, le ciel s’ouvrait et son imagination
d’enfant lui représentait sa grand-mère, morte récemment,
comme un grand papillon dans la lumière du Paradis ».
On a tort de parler avec un grain de pitié de la naïveté
des enfants. Cette naïveté, mieux que tous nos raffinements
d’âmes compliquées, les met en possession du réel.
Elle les rend simples dans ce qu’ils accueillent, simples
dans leurs réactions ; de leur âme neuve, elle fait une âme
sincère, et de multiples joies récom pensent leur désir terrestre.
Nous sourions parfois de l’enfant que nous étions
autrefois, mais à dire vrai parfois aussi cela éveille en nous
un regret et un désir, le regret de la vie simple où tout
nous enchantait, le désir de retrouver l’âme simple d’autrefois.
Si certains connaissent si rarement la joie de vivre,
n’est-ce pas peut-être parce qu’ils ont perdu cette simplicité
? Comme nous nous compliquons la vie si souvent !
Nous-mêmes, parce que nous manquons de simplicité,
nous sommes pris à notre propre jeu. Nous n’osons plus
nous reconnaître. Nous ne savons même plus ni ce que
nous sommes, ni ce que nous désirons, ni ce que nous
aimons. Nous en devenons des êtres artificiels. Alors
quoi d’étrange ? Ce qui nous appelle, nous ne l’entendons
plus ; et si Dieu soudain frappait à notre porte, aurait-il
une réponse ? Une réponse n’est possible que dans un
climat de lumière et de vérité, de confiance et d’abandon.
Simplifions donc notre vie, ne nous réfugions pas dans
les mensonges que l’on nous crée, ou que nous nous forgeons.
La simplicité ouvre l’âme à tout ce qui est vrai et
nous dispose à mieux entendre. C’est au milieu de ses
brebis, dans l’ombre silencieuse d’un vieux chêne que
Sainte Jeanne d’Arc entendait ses voix. Là, le Ciel lui parlait,
et elle répondait simplement. Dieu existe, et c’est à
la porte de votre cœur qu’il frappe et vous appelle. Soyez
donc là où Il vous attend, dans le silence et la simplicité
de votre âme.
Le secret de notre âme nous révèlera peut-être de la
faiblesse, de l’impuissance, de la misère, oui, mais la simplicité
quand on est faible et pauvre et misérable, n’estce
pas de tourner son cœur pitoyable vers la lumière et
la grande miséricorde ? Il faut donc être l’enfant simple
au regard droit.