SOURCE - Paix Liturgique - n°661 - 22 septembre 2018
Pendant une semaine, Chicago a accueilli, fin juin 2018, le Colloquium de la Church Music Association of America (CMAA), le plus grand atelier de musique sacrée au monde : 201 participants, âgés de 14 à 80 ans, venus essentiellement des États-Unis, mais aussi de Corée du Sud, du Canada, du Nigeria, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, d’Australie, de Hong-Kong, de République dominicaine et du Paraguay. Pendant 6 jours, tous ont étudié, pratiqué et prié avec une assiduité et une ferveur remarquables.
Pendant une semaine, Chicago a accueilli, fin juin 2018, le Colloquium de la Church Music Association of America (CMAA), le plus grand atelier de musique sacrée au monde : 201 participants, âgés de 14 à 80 ans, venus essentiellement des États-Unis, mais aussi de Corée du Sud, du Canada, du Nigeria, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, d’Australie, de Hong-Kong, de République dominicaine et du Paraguay. Pendant 6 jours, tous ont étudié, pratiqué et prié avec une assiduité et une ferveur remarquables.
C’était la 28ème édition de ce Colloquium qui, d’année en année, rassemble de plus en plus de musiciens, amateurs et professionnels, désireux de perfectionner leur art dans le plus parfait respect des règles liturgiques et des instructions romaines sur le chant sacré. Grâce à la bienveillance du Professeur William Mahrt et l’aide efficace de Janet Gorbitz, respectivement président et directrice générale de la CMAA, Paix Liturgique a pu suivre une journée de ce rendez-vous unique.
I – De l’importance du chant grégorien
« La musique et le chant sont plus qu’un embellissement (peut-être même superflu) du culte; en effet, ils font partie du déroulement de la liturgie, et ils sont eux-mêmes liturgie. Une musique sacrée solennelle, avec chœur, orgue, orchestre et chant du peuple, n’est donc pas un surplus qui accompagne et agrémente la liturgie, mais une façon importante de participer de façon active à l’événement cultuel.»Benoît XVI, bénédiction du nouvel orgue de la "Alte Kapelle" de Ratisbonne, 14 septembre 2006
Depuis le motu proprio Tra le sollecitudini de saint Pie X, du 22 novembre 1903, qui marque un renouveau de la musique sacrée, spécialement la musique vocale grégorienne et polyphonique, jusqu’à l’enseignement de Benoît XVI, en passant par Musicæ Sacræ Disciplinæ de Pie XII et la constitution Sacrosanctum Concilium, l’enseignement pontifical du dernier siècle a très clairement établi l’importance de la musique sacrée et la nécessaire participation des fidèles au chant liturgique. Quand saint Pie X parlait de « participation », c’est d’ailleurs cela qu’il visait, comme le confirmera Pie XI : que les fidèles s’unissent au chant du Kyriale et des psaumes des vêpres, comme ils le faisaient jadis.
Dans un des textes peut-être les moins connus sur l’argument, la constitution Divini Cultus Sanctitatem du 20 décembre 1928, Pie XI fixait ainsi clairement la ligne annoncée par la «participation active » de saint Pie X dans Tra le sollecitudini : « Afin que les fidèles participent plus activement au culte divin, le chant grégorien doit être restitué au peuple, pour la part qui regarde le peuple. De fait, il importe absolument que les fidèles assistent aux sacrées fonctions non pas comme étrangers ou spectateurs muets mais que, littéralement saisis par la beauté de la liturgie, ils participent aux cérémonies – y compris aux processions solennelles conduites par le clergé ou les associations pieuses – de façon à alterner, selon les normes prévues, leur voix à celle du prêtre et de la chorale. Si cela se produit, alors nous ne verrons plus le peuple ne pas répondre ou répondre par un murmure indistinct aux prières communes proposées en langue liturgique ou vernaculaire. » (Divini Cultus Sanctitatem, paragraphe 9)
Bien entendu, depuis le Concile, c’est le paragraphe 116 de Sacrosanctum Concilium, la constitution sur la sainte liturgie (4 décembre 1963) qui, en principe, donne le la en matière musicale : « L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place. »
Toutes choses égales… Dans le climat d’abandon massif du latin et du grégorien, et même de la polyphonie de qualité, qui a immédiatement suivi Vatican II, rien d’étonnant donc à ce que la naissance d’associations vouées à la promotion du chant grégorien par la formation des clercs et des fidèles ait invoqué les passages de Sacrosanctum Concilium qui parlaient de latin, de grégorien et de chant polyphonique (à côté d’autres passages ouvrant les portes à « un emploi plus large de la langue du pays », paragraphe 54, et donc, à terme, aux chansonnettes). De fait, dès 1964, naissent deux initiatives cousines de part et d’autre de l’Atlantique : Una Voce en France et la CMAA aux États-Unis, en réaction contre l’effondrement de la musique sacrée, notamment la musique vocale grégorienne, et plus largement contre la vulgarité qui submergeait chant sacré et liturgie.
II – Brève histoire de la CMAA
C’est le très progressiste – liturgiquement, théologiquement et moralement parlant – bénédictin Rembert Weakland (1) qui fut choisi comme premier président de la Church Music Association of America (CMAA). Toutefois, dès 1966, lors d’un congrès organisé à Milwaukee, il fut écarté par ses pairs en raison de l’enthousiasme qu’il mettait à promouvoir la messe folk sous prétexte d’évangéliser les universités.
Theodore Marier, fondateur de la manécanterie de l’archidiocèse de Boston, la seule des États-Unis, préside aux destinées de l’association de 1966 à 1970. À l’occasion du congrès de 1973, plus d’un millier de fidèles se pressent en l’église Sainte-Agnès de Saint-Paul, Minnesota, pour une messe solennelle. En 1974, la CMAA se réunit à Salzbourg, en Autriche, et élit le Father Robert Skeris, l’un de ses membres fondateurs, comme président.
Le nom de Robert Skeris, prêtre américain, n’est pas inconnu de nos lecteurs réguliers. Nous avons en effet eu cette année l’occasion d’évoquer sa figure à deux reprises : dans notre lettre 628 consacrée au grand musicologue hongrois Laszlo Dobszay et dans notre lettre 653 sur la communauté traditionnelle de Milwaukee, au Wisconsin. Non seulement le P. Skeris a longtemps célébré la liturgie traditionnelle pour les fidèles de Milwaukee mais a aussi été le célébrant de la première messe traditionnelle solennelle célébrée à Budapest après la réforme liturgique.
C’est en 1991 qu’est organisé le premier Colloquium de musique sacrée, au Christendom College, pépinières de vocations sacerdotales, en Virginie. Le programme comportait à la fois des sessions de chant grégorien et de polyphonie, quelques conférences magistrales et la célébration de liturgies solennelles. En 2008, au lendemain du motu proprio de Benoît XVI, le Colloquium intègre la forme extraordinaire du rite romain à son programme liturgique. Depuis les années 2000, c’est le musicologue William Mahrt, professeur à Stanford et éditeur de Sacred Music, la plus ancienne revue de musique sacrée des États-Unis, qui préside aux destinées de l’association. La CMAA est en effet également l’éditeur de nombreux documents et supports pour la diffusion du chant grégorien et de la polyphonie en paroisse.
III – Les réflexions de Paix Liturgique
1) Dans un article exclusif pour notre édition italienne (voir ici), le maestro Aurelio Porfiri expliquait en 2016 en quel sens l’art, y compris l’art liturgique, est élitiste, élitiste par exigence : « Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’un élitisme par exclusion, d’un savoir gnostique réservé à quelques-uns. Pas du tout. L’art est élitiste dans la mesure où ses processus de création et de production exigent une préparation spécifique à laquelle tous ceux qui se dévouent à la musique, à la peinture ou à la sculpture doivent se consacrer avec beaucoup de sérieux et de persévérance. » C’est très précisément ce qu’offrent les ateliers du Colloquium : une préparation spécifique à l’art du chant grégorien et de la polyphonie.
Chaque jour, sous la direction d’un musicien qualifié, les participants travaillent le chant grégorien le matin, et une polyphonie de haute qualité l’après-midi. Il ne s’agit pas simplement d’ateliers mais de répétitions d’une chorale qui chante durant les fonctions liturgiques organisées pendant le Colloquium. Cette année, six chorales de grégorien ont pu être organisées et quatre de polyphonie. Les participants sont répartis dans ces chorales de façon à permettre à chaque directeur de chœur de travailler des morceaux du propre et de l’ordinaire en fonction du niveau du groupe qui lui est confié.
Chaque participant a donc à la fois la possibilité de chanter plusieurs fois au cours de la semaine mais aussi de pratiquer l’écoute active quand chante un autre chœur pour enrichir sa compréhension, sa sensibilité et ses connaissances.
2) L’une comme l’autre forme de la liturgie romaine sont chantées au cours de la semaine. Cette année, trois messes en forme extraordinaire ont été célébrées, dont une messe de Requiem, et trois messes en forme ordinaire, orientée bien entendu. Évolution ethnique des États-Unis oblige, une partie de la liturgie ordinaire est en espagnol, outre l’anglais. Les Ordinaires et autres évêques du lieu où se tient le Colloquium sont toujours le bienvenu pour l’une ou l’autre des cérémonies. Ainsi, Mgr Perry, évêque auxiliaire de Chicago et grand ami de la forme extraordinaire, a célébré la messe d’ouverture (forme ordinaire). L’aumônier de la CMAA, le RP Robert Pasley est le curé de la paroisse Mater Ecclesiæ de New Berlin, dans le New Jersey. Ce lieu de culte, élevé au rang de paroisse au moment du motu proprio de Benoît XVI, est en fait le premier lieu de culte tridentin 100% diocésain des États-Unis : établi sous le régime du motu proprio Ecclesia Dei adflicta par l’évêque de Camden, le 13 octobre 2000, il est depuis cette date et par volonté expresse de l’évêque, desservi exclusivement par le clergé diocésain.
3) Il est vraiment édifiant de voir tous ces hommes et ces femmes qui se dévouent si pleinement à la musique sacrée grégorienne et polyphonique avec une telle exigence de perfection. La cohabitation studieuse et complice entre musiciens professionnels et amateurs est également admirable. Il faut dire que la motivation des uns n’a rien à envier à celle des autres :
- parfois esseulés dans leurs paroisses face au reste de l’équipe liturgique, voire face à leur curé, les musiciens amateurs souhaitent ardemment contribuer à restaurer la vie liturgique de leurs communautés ;
- quant aux professionnels, leur désir de devenir toujours plus compétents dans l’exercice de leur métier est soutenu par leur foi sincère.
Comme l’écrivait un participant de retour du Colloquium, « dans l’Église d’aujourd’hui, il existe souvent une fausse dichotomie entre le musicien professionnel et le disciple fidèle : de nombreux participants que j’ai rencontrés étaient la preuve vivante que la compétence professionnelle et la piété sont à la fois possibles et nécessaires ».
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(1) Bénédictin américain, promoteur de la réforme liturgique, archevêque bénédictin de Milwaukee de 1977 à 2002, contraint de reconnaître avoir prélevé 450 000 dollars sur les fonds diocésains pour taire la révélation d’une longue relation homosexuelle entretenue avec l’un de ses anciens étudiants.