SOURCE - Abbé Gaudron, FSSPX - DICI - 29 novembre 2010
L’abbé Matthias Gaudron, de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, a été ordonné prêtre par Mgr Tissier de Mallerais en 1990. Il a dirigé durant douze ans le Séminaire international du Sacré-Cœur à Zaitzkofen (Bavière). Il est actuellement en poste au prieuré Saint-Pierre de Berlin. Auteur du Catéchisme catholique de la crise dans l’Eglise (éd. du Sel), il est consulteur auprès de la commission de la Fraternité Saint-Pie X chargée des discussions doctrinales avec le Saint-Siège. Nous publions ici la recension qu’il a faite de l’ouvrage de Benoît XVI, dès sa publication en Allemagne, mise en ligne le samedi 27 novembre sur le site du district d’Allemagne.
Une fois de plus parmi les faits et gestes du Pape, des déclarations isolées, pas même centrales, sont montées en épingle et menacent de faire oublier tout le reste. Tout comme ses propos critiques envers l’islam – lors du discours de Ratisbonne – et ses paroles sur le préservatif – lors du voyage en Afrique – furent retransmis d’une manière déformée et souvent bien peu fidèle à la vérité, c’est sur le même ton que la presse mondiale claironnait ces jours derniers, que le Pape avait enfin permis le préservatif, et qu’elle solennisait cet événement comme un revirement historique dans l’univers de la morale catholique.
Le Pape a-t-il permis l’utilisation du préservatif ?
Dans les faits, le Pape a simplement dit que l’on pouvait voir dans l’utilisation du préservatif par un prostitué avec l’intention d’empêcher la transmission du sida, un premier pas vers sa propre moralisation et responsabilisation. On pourrait dire dans le même sens, que la décision prise par un voleur meurtrier, de restreindre dans le futur ses activités au larcin, afin de ne plus attenter à la vie du prochain, pourrait être regardée subjectivement comme un premier pas vers sa moralisation. En conclure que le larcin deviendrait pour autant moralement défendable, est tout aussi déloyal que les assertions de certains évêques et théologiens, selon lesquelles Benoît XVI aurait enfin ouvert la porte aux moyens de contraception.
Il faut cependant remarquer que la référence du Pape à « des cas particuliers » fournit un certain fondement à ces interprétations. Il aurait dû, en effet, profiter de la question de Peter Seewald qui lui demandait si l’Eglise n’est pas « par principe contre l’utilisation du préservatif » pour lever tout doute. Mais il répond simplement, que l’Eglise ne considère pas le préservatif comme « une solution véritable et morale », quoique dans « l’un ou l’autre cas » cependant, il pourrait « constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine. » (p.161) [1] Pour parler poliment, c’est faible. Que la sexualité ne puisse être vécue d’une manière conforme à la volonté de Dieu et digne de la nature humaine que dans le mariage uniquement, et qu’ici le préservatif ou tout autre moyen de contraception artificiel soit à rejeter moralement, cela n’est bien entendu pas nié par le Pape, mais cela n’est pas non plus affirmé clairement, ce qui pourtant serait bien nécessaire aujourd’hui. De ce fait, et en raison de sa volonté d’aller le plus possible à la rencontre du monde laïcisé et de ne blesser personne, il partage avec les media une certaine responsabilité dans la confusion et la déception que les informations de ces derniers jours ont provoquées parmi les catholiques fidèles.
Il faut également noter, dans l’affirmation selon laquelle l’Eglise catholique approuverait la régulation naturelle de la fécondité (p.194) une certaine atténuation de la morale catholique. Il est certes moralement défendable qu’un couple utilise les périodes non fertiles du cycle féminin pour espacer un peu les naissances ou même pour en limiter le nombre, mais dans le cas seulement où un accroissement de la famille, pour des raisons de santé, des raisons économiques ou autres raisons similaires et graves ne serait pas moralement responsable.[2] L’affirmation du Pape peut laisser l’impression que les époux seraient autorisés à utiliser la régulation naturelle là où d’autres personnes recourent aux moyens de contraception artificiels, c’est-à-dire dans le but de n’avoir aucun ou tout au plus qu’un nombre restreint d’enfants. Or cela ne correspond pas du tout à la morale catholique, étant donné que la procréation est le but principal du mariage.
Les cas d’abus envers des mineurs – le célibat
Bien évidemment, les cas d’abus sexuels commis par des prêtres catholiques occupent une bonne partie de l’ouvrage. A propos du problème de la dissimulation de ces cas par certains supérieurs ecclésiastiques, le Pape fait la constatation intéressante que « le droit pénal ecclésiastique avait fonctionné jusqu’à la fin des années 50 (…). Mais depuis le milieu des années 60, il ne fut tout simplement plus appliqué. La conscience dominante affirmait que l’Eglise ne devait plus être l’Eglise du droit, mais l’Eglise de l’amour ; elle ne devait pas punir » (p. 46 et suivantes). Ces propos font pour le moins allusion au désastre qui devait s’abattre sur l’Eglise avec le IIe Concile du Vatican. Mais ce problème n’est pas traité dans l’ouvrage.
La question du célibat revient quant à elle sur le tapis. Benoît XVI ne s’aventure pas à esquisser un relâchement de la discipline romaine du célibat sacerdotal. Toutefois, ce qu’il dit des prêtres qui vivent en concubinage avec une femme, est singulier. Dans ces cas on devrait, dit-il, examiner « s’il y a une réelle volonté du mariage et s’ils (le prêtre et sa concubine) pourraient former un bon ménage. S’il en est ainsi, ils doivent suivre ce chemin. » (p. 61). Cela correspond certes à la pratique actuelle à Rome, qui est de laïciser systématiquement ces prêtres, mais est en contradiction flagrante avec la discipline ecclésiastique d’avant Vatican II. Le fait d’accorder si facilement au prêtre la contraction d’un mariage met en cause le sens véritable du vœu de chasteté qu’il a prononcé. La promesse définitive faite, devant Dieu, de vivre dans la continence a-t-elle une signification si légère ? L’homme marié lui-même ne peut pas simplement s’en aller, lorsque la vie commune avec son épouse lui semble devenue pénible. Par ailleurs, quelle fidélité conjugale peut-on attendre d’un prêtre qui n’a pas hésité à récuser les serments les plus sacrés qui soient au monde ?
Le Pape remarque avec raison que le célibat « n’est réalisable et crédible que si Dieu existe et si je m’engage ainsi en faveur du royaume de Dieu. Dans cette mesure, le célibat est un signe d’une nature particulière ». Pour cela, « il est important que les prêtres ne vivent pas isolés, qu’ils soient ensemble au sein de petites communautés, qu’ils se soutiennent les uns les autres, qu’ils découvrent ainsi la communauté qu’ils forment dans leur action au service du Christ et dans leur renoncement au profit du Royaume céleste » (p. 196). Dès sa fondation, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X a réalisé cet idéal.
L’homme est capable de vérité
Les paroles du Pape au sujet de la « dictature du relativisme » comptent parmi les passages les plus importants de son livre. A l’encontre « d’une grande partie des philosophies actuelles » Benoît XVI professe fermement la capacité de l’homme au vrai et se plaint de ce que « le concept de vérité (soit) désormais un objet de soupçon » (p. 75). Dans ce contexte, il trouve même des expressions fortes contre l’intolérance caractéristique de la société moderne à l’égard du christianisme : « Quand par exemple, au nom de la non-discrimination, on veut forcer l’Eglise catholique à modifier sa position sur l’homosexualité ou l’ordination des femmes, cela veut dire qu’elle ne peut plus vivre sa propre identité, et qu’au lieu de cela, on fait d’une religion négative et abstraite un critère tyrannique auquel chacun doit se plier » (p. 78). « Qu’au nom de la tolérance la tolérance soit abolie, c’est une menace réelle » (p. 78).
L’affaire Williamson
Le « cas Williamson » fait à lui seul l’objet d’un chapitre. L’avis du Pape, selon lequel Mgr Williamson n’aurait « jamais été catholique au sens propre du terme », du fait qu’il serait « directement passé des anglicans chez Lefebvre » n’est pas juste (p. 165). Ce n’est pas dans la Fraternité Saint-Pie X que Richard Williamson a rejoint la foi catholique, mais indépendamment d’elle, dès avant son entrée au séminaire d’Ecône. De plus, à l’époque où il y entra, parmi les premières promotions de séminaristes, la Fraternité jouissait de la complète approbation des autorités ecclésiastiques compétentes.
Il est intéressant d’apprendre (p. 164), que déjà sous le pontificat de Jean-Paul II, une réunion de tous les chefs de dicastères avait décidé d’accorder le retrait de l’excommunication, au cas où les évêques l’auraient demandé. A part cela, il n’est guère fait mention de la Fraternité Saint-Pie X, ni d’autres communautés traditionnelles, dans l’ouvrage du Pape. La libéralisation de la messe traditionnelle devait être un signe pour la cohésion interne de l’histoire de l’Eglise ; l’adoption par Benoît XVI de la distribution de la communion dans la bouche, est à ses yeux un « signal clair » en faveur de la « présence réelle » (cf. p. 207-208). Le Pape dit à cette occasion ne rien avoir en principe contre la communion dans la main, et considérer la nouvelle messe comme la forme normale de la célébration, tout en rappelant régulièrement que la liturgie ne devrait pas être un espace livré aux ébats créatifs du célébrant.
L’œcuménisme et les relations avec les juifs
L’œcuménisme est encore et toujours pour Benoît XVI le chemin que l’Eglise doit suivre. Il évoque avec insistance les bonnes relations qu’il entretient, principalement avec plusieurs dirigeants des communautés orthodoxes. Quant aux protestants, il est contraint d’avouer que ceux-ci « avec l’ordination des femmes, l’acceptation des couples homosexuels, etc. » se sont plutôt éloignés de l’Eglise (p. 128-129), ce qui cependant ne lui fait nullement remettre en cause l’orientation œcuménique. Saint Augustin écrivait à propos des hérétiques : « En beaucoup de points, ils sont avec moi, en quelques-uns seulement ils ne sont pas avec moi ; mais à cause de ces quelques points sur lesquels ils se séparent de moi, il ne leur sert de rien d’être avec moi en tout le reste. » (In Psalm. 54, n. 19 ; PL 36,641). Bien que Benoît XVI ait l’évêque d’Hippone en grande vénération, il semble bien que sur ce point il se sépare de lui, puisque par ailleurs il recherche des points communs avec les protestants. La dénomination « communauté ecclésiale » (et non Eglise) pour les protestants est sensée montrer « qu’ils sont Eglise, mais d’une autre manière » (p. 130). Selon Benoît XVI, le christianisme a, dans le protestantisme, « entrepris une sorte de déplacement des centres de gravité » et l’on s’efforce de se reconnaître mutuellement en tant que chrétiens et, en tant que tel, de se rendre service les uns aux autres (p. 130). Ce regard positif sur le protestantisme est en contradiction avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise. Chaque protestant pris comme personne privée peut certes être « bona fide », c’est-à-dire de bonne foi par défaut de connaissance ; mais le protestantisme en lui-même ne peut être dit « une autre manière d’être Eglise », il est séparé de l’Eglise du Christ.
La défense nette par Benoît XVI du pape Pie XII contre les accusations injustes et intenables qui, à la suite du dramaturge Rolf Hochhuth [3] sont continuellement portées contre lui, est très réjouissante (p. 146). Lorsque des objectants disent de Pie XII, qu’il avait des juifs – malgré tout ce qu’il a fait pour les sauver – « une conception démodée » et qu’il n’était pas « à la hauteur du concile Vatican II », Benoît XVI écarte cette critique, mais il montre de nouveau qu’il est lui à la hauteur de Vatican II.
En effet, plutôt que de parler des « frères aînés » – une expression que les juifs, la reliant à Esaü (le frère réprouvé) pourraient trouver blessante – Benoît XVI parle de « nos pères dans la foi » (p. 114). Si cela est juste des juifs de l’Ancien Testament, cela ne l’est pas de ceux qui vivent aujourd’hui et qui rejettent expressément le Christ et son Eglise. Ses explications à propos des nouvelles oraisons qu’il a introduites dans le rite traditionnel du Vendredi Saint, sont encore plus obscures. Contrairement à beaucoup de courants de la théologie moderne, le Saint Père remarque « qu’il n’existe pas deux chemins vers le salut, que le Christ est donc aussi le sauveur des juifs et pas seulement celui des païens », mais il ajoute aussitôt que dans la nouvelle oraison il ne s’agit pas de prier « immédiatement pour la conversion des juifs au sens missionnaire du terme, mais pour que le Seigneur puisse susciter l’heure historique à laquelle nous serons tous unis les uns aux autres » (p. 145). A quiconque pense logiquement, il sera difficile de comprendre pourquoi l’on ne prierait pas pour la conversion des juifs, alors qu’il est acquis que le Christ est leur Sauveur. De plus, à la lecture de l’oraison introduite par Benoît XVI : « Prions aussi pour les juifs, afin que Dieu Notre Seigneur éclaire leurs cœurs, pour qu’ils reconnaissent le Christ comme le Sauveur de tous les hommes », le fidèle normal sera bien induit à penser que l’on prie pour la conversion des juifs.
La crise de l’Eglise
La crise de l’Eglise, surtout en ce qui concerne l’Europe et l’Amérique du nord, est souvent évoquée. En raison de l’origine du Pape (et de Peter Seewald) la situation particulière de l’Allemagne fait l’objet d’une attention spéciale. Benoît XVI est conscient « qu’il existe dans l’Allemagne catholique un nombre considérable de personnes attendant, en quelque sorte, le moment où elles pourront s’en prendre au pape » (p. 169). Il ne peut pas s’expliquer pourquoi en Allemagne, où chaque enfant suit entre neuf et treize ans d’instruction religieuse, « cela laisse aussi peu de traces » (p. 186). Voilà bien un euphémisme ! Le Pape ne peut pas ignorer que les livres officiels de l’enseignement catholique transmettent tout autre chose que la foi catholique, et que la plupart des professeurs de religion, malgré la mission canonique donnée par l’évêque, ne sont pas aptes à transmettre la foi. Par conséquent, son exhortation aux évêques « de réfléchir sérieusement à la manière dont on peut donner à la catéchèse un nouveau cœur » doit probablement être comprise comme une critique implicite.
Une fois de plus parmi les faits et gestes du Pape, des déclarations isolées, pas même centrales, sont montées en épingle et menacent de faire oublier tout le reste. Tout comme ses propos critiques envers l’islam – lors du discours de Ratisbonne – et ses paroles sur le préservatif – lors du voyage en Afrique – furent retransmis d’une manière déformée et souvent bien peu fidèle à la vérité, c’est sur le même ton que la presse mondiale claironnait ces jours derniers, que le Pape avait enfin permis le préservatif, et qu’elle solennisait cet événement comme un revirement historique dans l’univers de la morale catholique.
Le Pape a-t-il permis l’utilisation du préservatif ?
Dans les faits, le Pape a simplement dit que l’on pouvait voir dans l’utilisation du préservatif par un prostitué avec l’intention d’empêcher la transmission du sida, un premier pas vers sa propre moralisation et responsabilisation. On pourrait dire dans le même sens, que la décision prise par un voleur meurtrier, de restreindre dans le futur ses activités au larcin, afin de ne plus attenter à la vie du prochain, pourrait être regardée subjectivement comme un premier pas vers sa moralisation. En conclure que le larcin deviendrait pour autant moralement défendable, est tout aussi déloyal que les assertions de certains évêques et théologiens, selon lesquelles Benoît XVI aurait enfin ouvert la porte aux moyens de contraception.
Il faut cependant remarquer que la référence du Pape à « des cas particuliers » fournit un certain fondement à ces interprétations. Il aurait dû, en effet, profiter de la question de Peter Seewald qui lui demandait si l’Eglise n’est pas « par principe contre l’utilisation du préservatif » pour lever tout doute. Mais il répond simplement, que l’Eglise ne considère pas le préservatif comme « une solution véritable et morale », quoique dans « l’un ou l’autre cas » cependant, il pourrait « constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine. » (p.161) [1] Pour parler poliment, c’est faible. Que la sexualité ne puisse être vécue d’une manière conforme à la volonté de Dieu et digne de la nature humaine que dans le mariage uniquement, et qu’ici le préservatif ou tout autre moyen de contraception artificiel soit à rejeter moralement, cela n’est bien entendu pas nié par le Pape, mais cela n’est pas non plus affirmé clairement, ce qui pourtant serait bien nécessaire aujourd’hui. De ce fait, et en raison de sa volonté d’aller le plus possible à la rencontre du monde laïcisé et de ne blesser personne, il partage avec les media une certaine responsabilité dans la confusion et la déception que les informations de ces derniers jours ont provoquées parmi les catholiques fidèles.
Il faut également noter, dans l’affirmation selon laquelle l’Eglise catholique approuverait la régulation naturelle de la fécondité (p.194) une certaine atténuation de la morale catholique. Il est certes moralement défendable qu’un couple utilise les périodes non fertiles du cycle féminin pour espacer un peu les naissances ou même pour en limiter le nombre, mais dans le cas seulement où un accroissement de la famille, pour des raisons de santé, des raisons économiques ou autres raisons similaires et graves ne serait pas moralement responsable.[2] L’affirmation du Pape peut laisser l’impression que les époux seraient autorisés à utiliser la régulation naturelle là où d’autres personnes recourent aux moyens de contraception artificiels, c’est-à-dire dans le but de n’avoir aucun ou tout au plus qu’un nombre restreint d’enfants. Or cela ne correspond pas du tout à la morale catholique, étant donné que la procréation est le but principal du mariage.
Les cas d’abus envers des mineurs – le célibat
Bien évidemment, les cas d’abus sexuels commis par des prêtres catholiques occupent une bonne partie de l’ouvrage. A propos du problème de la dissimulation de ces cas par certains supérieurs ecclésiastiques, le Pape fait la constatation intéressante que « le droit pénal ecclésiastique avait fonctionné jusqu’à la fin des années 50 (…). Mais depuis le milieu des années 60, il ne fut tout simplement plus appliqué. La conscience dominante affirmait que l’Eglise ne devait plus être l’Eglise du droit, mais l’Eglise de l’amour ; elle ne devait pas punir » (p. 46 et suivantes). Ces propos font pour le moins allusion au désastre qui devait s’abattre sur l’Eglise avec le IIe Concile du Vatican. Mais ce problème n’est pas traité dans l’ouvrage.
La question du célibat revient quant à elle sur le tapis. Benoît XVI ne s’aventure pas à esquisser un relâchement de la discipline romaine du célibat sacerdotal. Toutefois, ce qu’il dit des prêtres qui vivent en concubinage avec une femme, est singulier. Dans ces cas on devrait, dit-il, examiner « s’il y a une réelle volonté du mariage et s’ils (le prêtre et sa concubine) pourraient former un bon ménage. S’il en est ainsi, ils doivent suivre ce chemin. » (p. 61). Cela correspond certes à la pratique actuelle à Rome, qui est de laïciser systématiquement ces prêtres, mais est en contradiction flagrante avec la discipline ecclésiastique d’avant Vatican II. Le fait d’accorder si facilement au prêtre la contraction d’un mariage met en cause le sens véritable du vœu de chasteté qu’il a prononcé. La promesse définitive faite, devant Dieu, de vivre dans la continence a-t-elle une signification si légère ? L’homme marié lui-même ne peut pas simplement s’en aller, lorsque la vie commune avec son épouse lui semble devenue pénible. Par ailleurs, quelle fidélité conjugale peut-on attendre d’un prêtre qui n’a pas hésité à récuser les serments les plus sacrés qui soient au monde ?
Le Pape remarque avec raison que le célibat « n’est réalisable et crédible que si Dieu existe et si je m’engage ainsi en faveur du royaume de Dieu. Dans cette mesure, le célibat est un signe d’une nature particulière ». Pour cela, « il est important que les prêtres ne vivent pas isolés, qu’ils soient ensemble au sein de petites communautés, qu’ils se soutiennent les uns les autres, qu’ils découvrent ainsi la communauté qu’ils forment dans leur action au service du Christ et dans leur renoncement au profit du Royaume céleste » (p. 196). Dès sa fondation, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X a réalisé cet idéal.
L’homme est capable de vérité
Les paroles du Pape au sujet de la « dictature du relativisme » comptent parmi les passages les plus importants de son livre. A l’encontre « d’une grande partie des philosophies actuelles » Benoît XVI professe fermement la capacité de l’homme au vrai et se plaint de ce que « le concept de vérité (soit) désormais un objet de soupçon » (p. 75). Dans ce contexte, il trouve même des expressions fortes contre l’intolérance caractéristique de la société moderne à l’égard du christianisme : « Quand par exemple, au nom de la non-discrimination, on veut forcer l’Eglise catholique à modifier sa position sur l’homosexualité ou l’ordination des femmes, cela veut dire qu’elle ne peut plus vivre sa propre identité, et qu’au lieu de cela, on fait d’une religion négative et abstraite un critère tyrannique auquel chacun doit se plier » (p. 78). « Qu’au nom de la tolérance la tolérance soit abolie, c’est une menace réelle » (p. 78).
L’affaire Williamson
Le « cas Williamson » fait à lui seul l’objet d’un chapitre. L’avis du Pape, selon lequel Mgr Williamson n’aurait « jamais été catholique au sens propre du terme », du fait qu’il serait « directement passé des anglicans chez Lefebvre » n’est pas juste (p. 165). Ce n’est pas dans la Fraternité Saint-Pie X que Richard Williamson a rejoint la foi catholique, mais indépendamment d’elle, dès avant son entrée au séminaire d’Ecône. De plus, à l’époque où il y entra, parmi les premières promotions de séminaristes, la Fraternité jouissait de la complète approbation des autorités ecclésiastiques compétentes.
Il est intéressant d’apprendre (p. 164), que déjà sous le pontificat de Jean-Paul II, une réunion de tous les chefs de dicastères avait décidé d’accorder le retrait de l’excommunication, au cas où les évêques l’auraient demandé. A part cela, il n’est guère fait mention de la Fraternité Saint-Pie X, ni d’autres communautés traditionnelles, dans l’ouvrage du Pape. La libéralisation de la messe traditionnelle devait être un signe pour la cohésion interne de l’histoire de l’Eglise ; l’adoption par Benoît XVI de la distribution de la communion dans la bouche, est à ses yeux un « signal clair » en faveur de la « présence réelle » (cf. p. 207-208). Le Pape dit à cette occasion ne rien avoir en principe contre la communion dans la main, et considérer la nouvelle messe comme la forme normale de la célébration, tout en rappelant régulièrement que la liturgie ne devrait pas être un espace livré aux ébats créatifs du célébrant.
L’œcuménisme et les relations avec les juifs
L’œcuménisme est encore et toujours pour Benoît XVI le chemin que l’Eglise doit suivre. Il évoque avec insistance les bonnes relations qu’il entretient, principalement avec plusieurs dirigeants des communautés orthodoxes. Quant aux protestants, il est contraint d’avouer que ceux-ci « avec l’ordination des femmes, l’acceptation des couples homosexuels, etc. » se sont plutôt éloignés de l’Eglise (p. 128-129), ce qui cependant ne lui fait nullement remettre en cause l’orientation œcuménique. Saint Augustin écrivait à propos des hérétiques : « En beaucoup de points, ils sont avec moi, en quelques-uns seulement ils ne sont pas avec moi ; mais à cause de ces quelques points sur lesquels ils se séparent de moi, il ne leur sert de rien d’être avec moi en tout le reste. » (In Psalm. 54, n. 19 ; PL 36,641). Bien que Benoît XVI ait l’évêque d’Hippone en grande vénération, il semble bien que sur ce point il se sépare de lui, puisque par ailleurs il recherche des points communs avec les protestants. La dénomination « communauté ecclésiale » (et non Eglise) pour les protestants est sensée montrer « qu’ils sont Eglise, mais d’une autre manière » (p. 130). Selon Benoît XVI, le christianisme a, dans le protestantisme, « entrepris une sorte de déplacement des centres de gravité » et l’on s’efforce de se reconnaître mutuellement en tant que chrétiens et, en tant que tel, de se rendre service les uns aux autres (p. 130). Ce regard positif sur le protestantisme est en contradiction avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise. Chaque protestant pris comme personne privée peut certes être « bona fide », c’est-à-dire de bonne foi par défaut de connaissance ; mais le protestantisme en lui-même ne peut être dit « une autre manière d’être Eglise », il est séparé de l’Eglise du Christ.
La défense nette par Benoît XVI du pape Pie XII contre les accusations injustes et intenables qui, à la suite du dramaturge Rolf Hochhuth [3] sont continuellement portées contre lui, est très réjouissante (p. 146). Lorsque des objectants disent de Pie XII, qu’il avait des juifs – malgré tout ce qu’il a fait pour les sauver – « une conception démodée » et qu’il n’était pas « à la hauteur du concile Vatican II », Benoît XVI écarte cette critique, mais il montre de nouveau qu’il est lui à la hauteur de Vatican II.
En effet, plutôt que de parler des « frères aînés » – une expression que les juifs, la reliant à Esaü (le frère réprouvé) pourraient trouver blessante – Benoît XVI parle de « nos pères dans la foi » (p. 114). Si cela est juste des juifs de l’Ancien Testament, cela ne l’est pas de ceux qui vivent aujourd’hui et qui rejettent expressément le Christ et son Eglise. Ses explications à propos des nouvelles oraisons qu’il a introduites dans le rite traditionnel du Vendredi Saint, sont encore plus obscures. Contrairement à beaucoup de courants de la théologie moderne, le Saint Père remarque « qu’il n’existe pas deux chemins vers le salut, que le Christ est donc aussi le sauveur des juifs et pas seulement celui des païens », mais il ajoute aussitôt que dans la nouvelle oraison il ne s’agit pas de prier « immédiatement pour la conversion des juifs au sens missionnaire du terme, mais pour que le Seigneur puisse susciter l’heure historique à laquelle nous serons tous unis les uns aux autres » (p. 145). A quiconque pense logiquement, il sera difficile de comprendre pourquoi l’on ne prierait pas pour la conversion des juifs, alors qu’il est acquis que le Christ est leur Sauveur. De plus, à la lecture de l’oraison introduite par Benoît XVI : « Prions aussi pour les juifs, afin que Dieu Notre Seigneur éclaire leurs cœurs, pour qu’ils reconnaissent le Christ comme le Sauveur de tous les hommes », le fidèle normal sera bien induit à penser que l’on prie pour la conversion des juifs.
La crise de l’Eglise
La crise de l’Eglise, surtout en ce qui concerne l’Europe et l’Amérique du nord, est souvent évoquée. En raison de l’origine du Pape (et de Peter Seewald) la situation particulière de l’Allemagne fait l’objet d’une attention spéciale. Benoît XVI est conscient « qu’il existe dans l’Allemagne catholique un nombre considérable de personnes attendant, en quelque sorte, le moment où elles pourront s’en prendre au pape » (p. 169). Il ne peut pas s’expliquer pourquoi en Allemagne, où chaque enfant suit entre neuf et treize ans d’instruction religieuse, « cela laisse aussi peu de traces » (p. 186). Voilà bien un euphémisme ! Le Pape ne peut pas ignorer que les livres officiels de l’enseignement catholique transmettent tout autre chose que la foi catholique, et que la plupart des professeurs de religion, malgré la mission canonique donnée par l’évêque, ne sont pas aptes à transmettre la foi. Par conséquent, son exhortation aux évêques « de réfléchir sérieusement à la manière dont on peut donner à la catéchèse un nouveau cœur » doit probablement être comprise comme une critique implicite.
Pour conclure
Dans ce nouveau livre, Benoît XVI reste fidèle à sa ligne. Il demeure ce Pape enseignant et pacifique, qui s’efforce de tout comprendre, d’éviter les extrêmes et de concilier dans l’Eglise les raisonnements modernes avec la Tradition. C’est en ce sens qu’il se qualifiait lui-même dès 1985, dans son livre-entretien Entretien sur la Foi avec Vittorio Messori : « J’ai toujours voulu rester fidèle à Vatican II, cet aujourd’hui de l’Eglise », sans « échappées solitaires en avant », mais également sans anachronique « nostalgie pour un hier irrémédiablement passé » (p. 17 de l’édition française, Fayard, 1985).
Ce livre pourra bien déciller les yeux de tous ceux qui ne connaissent pas grand chose ou même rien du tout de l’Eglise catholique, sur les déformations et les erreurs propagées par la presse. Dans ses introductions aux différentes questions, Peter Seewald rétablit plusieurs fois les faits, ce qui donne une image bien différente de celles répandues dans le public. Peut-être ne peut-on rien attendre de plus actuellement. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est cependant d’avis que l’Eglise ne pourra pas connaître de renouveau, sans une condamnation claire des développements faux survenus depuis Vatican II et sans un rattachement à sa Tradition pérenne.
(Traduction DICI)
[1] Les citations sont extraites de l’édition française : Lumière du monde, Bayard, novembre 2010.
[2] Pie XII, dans son Allocution aux sages-femmes, en 1951, s’était exprimé clairement sur le sujet. N. du T.
[3] Auteur de la pièce Le Vicaire. N. du T.
Dans ce nouveau livre, Benoît XVI reste fidèle à sa ligne. Il demeure ce Pape enseignant et pacifique, qui s’efforce de tout comprendre, d’éviter les extrêmes et de concilier dans l’Eglise les raisonnements modernes avec la Tradition. C’est en ce sens qu’il se qualifiait lui-même dès 1985, dans son livre-entretien Entretien sur la Foi avec Vittorio Messori : « J’ai toujours voulu rester fidèle à Vatican II, cet aujourd’hui de l’Eglise », sans « échappées solitaires en avant », mais également sans anachronique « nostalgie pour un hier irrémédiablement passé » (p. 17 de l’édition française, Fayard, 1985).
Ce livre pourra bien déciller les yeux de tous ceux qui ne connaissent pas grand chose ou même rien du tout de l’Eglise catholique, sur les déformations et les erreurs propagées par la presse. Dans ses introductions aux différentes questions, Peter Seewald rétablit plusieurs fois les faits, ce qui donne une image bien différente de celles répandues dans le public. Peut-être ne peut-on rien attendre de plus actuellement. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est cependant d’avis que l’Eglise ne pourra pas connaître de renouveau, sans une condamnation claire des développements faux survenus depuis Vatican II et sans un rattachement à sa Tradition pérenne.
(Traduction DICI)
[1] Les citations sont extraites de l’édition française : Lumière du monde, Bayard, novembre 2010.
[2] Pie XII, dans son Allocution aux sages-femmes, en 1951, s’était exprimé clairement sur le sujet. N. du T.
[3] Auteur de la pièce Le Vicaire. N. du T.
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Note sur les propos de Benoît XVI au sujet de l’utilisation du préservatif
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