SOURCE - Abbé Philippe Toulza, fsspx - Fideliter - avril 2013
De toutes parts on a donné une impression sur le règne de Benoît XVI. Les médias ont distribué les satisfecit ou les blâmes. Avons-nous le droit, à notre tour, d'apprécier son action, d'en évaluer les acquis et les insuccès ? Pour répondre à cette question, distinguons deux sortes de jugements :
1. Le jugement officiel, qui relève du pouvoir de juger dans l'Église ; il nécessite d'avoir juridiction sur celui qu'on juge. Nous ne pouvons donc pas juger ainsi le pape.
2. Le jugement non officiel, rendu possible par la faculté qu'a tout homme de « peser ». Est-il pour autant permis ? Voici quelques éléments de réponse :
- a. En soi, il n'est ni bon ni mauvais qu'un inférieur se fasse en lui-même une idée de la façon dont son supérieur a exercé ses fonctions. Ce jugement sera, concrètement, bon ou mauvais, selon qu'on le formera pour de bonnes ou de mauvaises intentions ; selon qu'on y mettra l'humilité et la prudence qui s'imposent à l'inférieur qui n'a ni le savoir, ni les grâces du supérieur ; selon qu'on prendra en compte tous les considérants, etc.
- b. En soi, il n'est ni bon ni mauvais qu'un inférieur communique à d'autres l'appréciation qu'il aura formée intérieurement sur l'action de son supérieur. Ce jugement sera, concrètement, bon ou mauvais, selon les intentions que l'on poursuivra ; selon les personnes auxquelles on le fera connaître ; selon la modestie avec laquelle on s'exprimera, etc.
Par exemple, nul ne se choque lorsqu'un supérieur, ayant reçu un nouvel ordre d'affection, est l'objet, lors des adieux, d'un discours non dénué d'éloges de la part de celui qui, jusqu'ici, était son subordonné. De même, on peut faire publiquement souvenir du gouvernement d'un prélat au terme de son mandat, « pour perpétuelle mémoire » ou par gratitude. En revanche, on ne saurait approuver in globo l'habitude de distribuer par voie de presse à tout responsable des bons ou des mauvais points, de se prononcer sur tout et sur rien, surtout lorsqu'on n'est compétent... en rien, sur ce tout !
La ligne de conduite qui semble donc s'indiquer serait de s'en tenir à mentionner les heureux moments d'un pontife (d'aucuns le firent à la mort de Pie XII), en exprimant la reconnaissance des âmes pour le gouvernement paternel dont on a profité. Cependant, notre situation est plus compliquée.
Le concile Vatican II n'a pas été pour l'Église un quiproquo nécessitant un éclaircissement, ni une légère déviation demandant une simple correction de trajectoire. Il a représenté une véritable révolution, un 89 dans l'Église. Rester catholique demande de refuser l'adhésion à ce concile, même si le bon grain s'y mêle à l'ivraie et si certaines considérations, dans les documents conciliaires ou chez des théologiens modernes, présentent quelque intérêt.
Le refus du Concile et des réformes comme celle de la messe de 1969, a entraîné une situation conflictuelle entre, d'un côté, les évêques, prêtres et fidèles qui résistaient, de l'autre, les autorités officielles et notamment le Saint-Siège. Mgr Di Noia a beau, dans la lettre qu'il a adressée pour l'Avent 2012 à tous les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, regretter cet état de choses, il était inévitable.
Nous sommes paradoxalement à la fois soumis au pape – car catholiques – et hostiles – car catholiques encore – à certaines choses qu'il veut nous faire dire ou faire. Notre soumission va à une personne, en raison de sa fonction (la papauté). Notre hostilité n'est pas à une personne, ni à une fonction, mais à certaines choses que le souverain pontife, se prévalant de sa fonction, entend nous faire dire ou faire ; elle est également l'hostilité à ce qu'il fait dire ou faire aux autres âmes (par son Magistère, ses ordonnances cultuelles et son gouvernement), parce que tout cela renie ce qui a été dit et ce qui a été fait par le passé. Notre attitude est donc celle dont nous a donné l'exemple Mgr Marcel Lefebvre :
- en premier celle d'un non póssumus : nous ne pouvons pas dire ou faire certaines choses que vous voulez nous imposer ;
- en deuxième, à l'endroit des fidèles qui s'en remettent à nous, celle d'un non potéstis : vous ne pouvez pas dire ou faire certaines choses qui vous sont demandées, de même que nous ne le pouvons pas ;
- en troisième, selon les circonstances, celle d'une correction fraternelle à l'égard des autorités officielles ; elle est, elle aussi, une forme de non potéstis : vous ne pouvez pas, vous n'avez pas le droit de faire ce que vous faites. Elle vient en dernier : l'aimable invitation à la lumière, ou même le reproche, ne saurait prendre le pas sur les devoirs envers nousmêmes et nos brebis.
Si nous disions, pour nous, póssumus, et si nous disions à nos fidèles potéstis, nous nous montrerions soumis mais perdrions notre juste hostilité à la fausseté de qu'on nous demande. Si, à l'inverse, notre hostilité devenait profane, purement guerrière et non mariée à la soumission catholique, notre orgueil nous mondaniserait et naturaliserait nos efforts.
Des trois attitudes rappelées ci-dessus, ce sont surtout les deux premières qui nous donnent à la fois le droit et le devoir de rappeler quelques moments du pontificat de Benoît XVI. En effet, que les serviteurs que nous sommes expliquent devant l'Église universelle le pourquoi de leur non póssumus, et qu'ils enseignent aux fidèles les raisons de leur non potéstis, cela n'est pas facultatif.
Pourquoi convenait-il que la Fraternité n'entérinât pas en juin 2012 les propositions qui lui étaient faites ? Pourquoi, quoi qu'il en soit de la question de la reconnaissance canonique, convient-il de dresser encore le mur tranquille de notre refus à certaines erreurs conciliaires ou postconciliaires ? Pourquoi l'admiration que certains portent à des qualités indéniables de Benoît XVI ne doit pas pour autant les porter à prendre des risques pour leur propre foi ? Qu'a-t-il manqué à ce souverain pontife pour qu'il prenne une route qui nous laisse envisager d'entamer une « franche collaboration » (termes de notre fondateur) ? Une partie des réponses à ces questions demande une vision d'ensemble du chemin que parcourt la partie conciliaire de l'Église aujourd'hui, et donc une rétrospection sur le précédent pontificat.
C'est cela seulement qui, pensons-nous, nous autorise à parler comme nous parlons dans ce dossier. Pour notre vertu et le bien des âmes il importe que nous nous en tenions à cette perspective, espérant éviter ainsi toute arrogante fanfaronnade.
Abbé Philippe Toulza, Directeur de Clovis - Fideliter
De toutes parts on a donné une impression sur le règne de Benoît XVI. Les médias ont distribué les satisfecit ou les blâmes. Avons-nous le droit, à notre tour, d'apprécier son action, d'en évaluer les acquis et les insuccès ? Pour répondre à cette question, distinguons deux sortes de jugements :
1. Le jugement officiel, qui relève du pouvoir de juger dans l'Église ; il nécessite d'avoir juridiction sur celui qu'on juge. Nous ne pouvons donc pas juger ainsi le pape.
2. Le jugement non officiel, rendu possible par la faculté qu'a tout homme de « peser ». Est-il pour autant permis ? Voici quelques éléments de réponse :
- a. En soi, il n'est ni bon ni mauvais qu'un inférieur se fasse en lui-même une idée de la façon dont son supérieur a exercé ses fonctions. Ce jugement sera, concrètement, bon ou mauvais, selon qu'on le formera pour de bonnes ou de mauvaises intentions ; selon qu'on y mettra l'humilité et la prudence qui s'imposent à l'inférieur qui n'a ni le savoir, ni les grâces du supérieur ; selon qu'on prendra en compte tous les considérants, etc.
- b. En soi, il n'est ni bon ni mauvais qu'un inférieur communique à d'autres l'appréciation qu'il aura formée intérieurement sur l'action de son supérieur. Ce jugement sera, concrètement, bon ou mauvais, selon les intentions que l'on poursuivra ; selon les personnes auxquelles on le fera connaître ; selon la modestie avec laquelle on s'exprimera, etc.
Par exemple, nul ne se choque lorsqu'un supérieur, ayant reçu un nouvel ordre d'affection, est l'objet, lors des adieux, d'un discours non dénué d'éloges de la part de celui qui, jusqu'ici, était son subordonné. De même, on peut faire publiquement souvenir du gouvernement d'un prélat au terme de son mandat, « pour perpétuelle mémoire » ou par gratitude. En revanche, on ne saurait approuver in globo l'habitude de distribuer par voie de presse à tout responsable des bons ou des mauvais points, de se prononcer sur tout et sur rien, surtout lorsqu'on n'est compétent... en rien, sur ce tout !
La ligne de conduite qui semble donc s'indiquer serait de s'en tenir à mentionner les heureux moments d'un pontife (d'aucuns le firent à la mort de Pie XII), en exprimant la reconnaissance des âmes pour le gouvernement paternel dont on a profité. Cependant, notre situation est plus compliquée.
Le concile Vatican II n'a pas été pour l'Église un quiproquo nécessitant un éclaircissement, ni une légère déviation demandant une simple correction de trajectoire. Il a représenté une véritable révolution, un 89 dans l'Église. Rester catholique demande de refuser l'adhésion à ce concile, même si le bon grain s'y mêle à l'ivraie et si certaines considérations, dans les documents conciliaires ou chez des théologiens modernes, présentent quelque intérêt.
Le refus du Concile et des réformes comme celle de la messe de 1969, a entraîné une situation conflictuelle entre, d'un côté, les évêques, prêtres et fidèles qui résistaient, de l'autre, les autorités officielles et notamment le Saint-Siège. Mgr Di Noia a beau, dans la lettre qu'il a adressée pour l'Avent 2012 à tous les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, regretter cet état de choses, il était inévitable.
Nous sommes paradoxalement à la fois soumis au pape – car catholiques – et hostiles – car catholiques encore – à certaines choses qu'il veut nous faire dire ou faire. Notre soumission va à une personne, en raison de sa fonction (la papauté). Notre hostilité n'est pas à une personne, ni à une fonction, mais à certaines choses que le souverain pontife, se prévalant de sa fonction, entend nous faire dire ou faire ; elle est également l'hostilité à ce qu'il fait dire ou faire aux autres âmes (par son Magistère, ses ordonnances cultuelles et son gouvernement), parce que tout cela renie ce qui a été dit et ce qui a été fait par le passé. Notre attitude est donc celle dont nous a donné l'exemple Mgr Marcel Lefebvre :
- en premier celle d'un non póssumus : nous ne pouvons pas dire ou faire certaines choses que vous voulez nous imposer ;
- en deuxième, à l'endroit des fidèles qui s'en remettent à nous, celle d'un non potéstis : vous ne pouvez pas dire ou faire certaines choses qui vous sont demandées, de même que nous ne le pouvons pas ;
- en troisième, selon les circonstances, celle d'une correction fraternelle à l'égard des autorités officielles ; elle est, elle aussi, une forme de non potéstis : vous ne pouvez pas, vous n'avez pas le droit de faire ce que vous faites. Elle vient en dernier : l'aimable invitation à la lumière, ou même le reproche, ne saurait prendre le pas sur les devoirs envers nousmêmes et nos brebis.
Si nous disions, pour nous, póssumus, et si nous disions à nos fidèles potéstis, nous nous montrerions soumis mais perdrions notre juste hostilité à la fausseté de qu'on nous demande. Si, à l'inverse, notre hostilité devenait profane, purement guerrière et non mariée à la soumission catholique, notre orgueil nous mondaniserait et naturaliserait nos efforts.
Des trois attitudes rappelées ci-dessus, ce sont surtout les deux premières qui nous donnent à la fois le droit et le devoir de rappeler quelques moments du pontificat de Benoît XVI. En effet, que les serviteurs que nous sommes expliquent devant l'Église universelle le pourquoi de leur non póssumus, et qu'ils enseignent aux fidèles les raisons de leur non potéstis, cela n'est pas facultatif.
Pourquoi convenait-il que la Fraternité n'entérinât pas en juin 2012 les propositions qui lui étaient faites ? Pourquoi, quoi qu'il en soit de la question de la reconnaissance canonique, convient-il de dresser encore le mur tranquille de notre refus à certaines erreurs conciliaires ou postconciliaires ? Pourquoi l'admiration que certains portent à des qualités indéniables de Benoît XVI ne doit pas pour autant les porter à prendre des risques pour leur propre foi ? Qu'a-t-il manqué à ce souverain pontife pour qu'il prenne une route qui nous laisse envisager d'entamer une « franche collaboration » (termes de notre fondateur) ? Une partie des réponses à ces questions demande une vision d'ensemble du chemin que parcourt la partie conciliaire de l'Église aujourd'hui, et donc une rétrospection sur le précédent pontificat.
C'est cela seulement qui, pensons-nous, nous autorise à parler comme nous parlons dans ce dossier. Pour notre vertu et le bien des âmes il importe que nous nous en tenions à cette perspective, espérant éviter ainsi toute arrogante fanfaronnade.
Abbé Philippe Toulza, Directeur de Clovis - Fideliter