Le Seignadou - juin 2014
Mgr Ducaud-Bourget de sainte mémoire disait avec son humour bien parisien que, lorsqu’un prêtre prêche, il a trois sortes d’auditeurs : un premier tiers n’écoute pas ; un autre tiers écoute et ne comprend pas ; un troisième tiers comprend et regarde son voisin à qui ce discours s’adresse ; et enfin, un tout petit quatrième tiers médite ce qu’il entend et le met en pratique.
Cela, bien sûr, est une boutade, typique de l’esprit français, plein de nuances et de non-dits, qui permettent de suggérer bien des choses difficiles à exprimer en termes propres. C’est un des charmes de notre langue, dont la rigueur héritée de l’esprit latin et romain, tempérée par un peu d’hellénisme, se retrouve dans notre meilleure littérature.
Un philosophe vous dira qu’en tout cela, il s’agit d’analogie. L’analogie est un certain regard sur les choses, qui permet d’aller plus loin que la simple apparence, d’approcher de plus près la réalité qui demeure voilée. Toute personne qui veut saisir la réalité dans toutes ses dimensions doit se mettre en recherche d’un nouveau regard sur l’homme, sur la création, sur Dieu, sur les affaires humaines si complexes et insaisissables, et va immanquablement rencontrer l’analogie dans toutes ses dé-marches, sous peine de ne rien comprendre.
C’est bien souvent par manque de cet esprit analogique que les hommes les mieux intentionnés ne parviennent pas à se comprendre. Et l’esprit le plus répandu dans ces cas-là est l’esprit univoque, qui ne parvient pas à situer une parole, une expression, une attitude dans son contexte plus général pour en saisir toute la signification et les nuances, et qui marche alors à coup de slogans. Ainsi que le relevait récemment un commentateur: «Ceux qui se contentent de répéter le slogan ne vont pas for-cément voir la phrase dans son contexte pour comprendre ce qu'a voulu dire l'auteur à ce moment-là, et pourquoi. Il s'ensuit que le slogan est utilisé inévitablement dans son sens le plus extrême. Mgr Lefebvre par exemple, est l'auteur de "petites phrases assassines", de "slogans", prononcés au détour de tel ou tel sermon ou de telle ou telle conférence de presse. Mais on ne saurait réduire sa position à ces petites phrases, et faire l'impasse sur tous les livres qu'il a écrits… »
On ne peut pas parler de Dieu sans passer par l’analogie, et tout l’Évangile est constellé d’analogies. Les paraboles sont des analogies et Notre Seigneur le premier ne cesse d’user de l’analogie, pour nous parler de Lui, pour nous faire approcher l’inconcevable, l’inexprimable dans nos catégories habituelles : le bon Pasteur, la Vigne et les sarments, le Pain de vie… et même ce «Je suis roi» que les juifs n’ont pas compris parce que leur mode de pensée était et demeure toujours univoque.
Le plus grand obstacle à la compréhension des choses ou des hommes entre eux, est précisément cet esprit univoque. Et parmi ces esprits univoques, il y a ceux que j’ose nommer les judaïsants, les adeptes du pilpoul. En effet, la meilleure façon de ne pas se comprendre entre amis ou entre adversaires, est de se laisser prendre par cette mala-die vieille comme la synagogue et qui s’étend un peu partout dans notre monde. Mgr Ducaud-Bourget m’en a fait connaître tous les symptômes les plus tortueux, dans les critiques ou attaques dont il était la victime. Je me souviens encore de l’énergie et de la fougue que son grand âge n’avait pu éteindre, avec lesquelles il vitupérait et combattait ce pilpoul si détestable.
Vous ne connaissez pas le pilpoul ? Je suis certain pourtant qu’il vous arrive de le pratiquer sans le savoir, comme M. Jourdain. Il s’agit, à l’ori-gine, d’une discussion subtile sur des thèmes religieux, pratiquée dans les écoles talmudiques, et devenue ensuite une discussion pédante sur des vétil-les, dont le synonyme serait l’ergotage.
En cherchant un peu, j’ai trouvé des réflexions amusantes sur le pilpoul : « Une grande partie de l’humour juif est intimement en rapport avec la méthode analytique déductive que les Juifs ont utilisée dans le développement du Talmud ; cet-te méthode a été connue sous le nom de Pilpoul. Une des caractéristiques de cette méthode est d’essayer de démontrer des choses invraisemblables à travers un processus de raisonnements logiques. D’autres ont défini cette méthode comme “L’art d’in-troduire un éléphant par le trou d’une aiguille”.»
La recette du pilpoul est assez simple. Si quelqu’un vous contrarie, commencez par oublier qui il est et qui vous êtes. Ensuite, il faudra isoler ce qu’il dit ou écrit de son contexte. Une phrase, une formule, un mot, voire un silence vous suffira. Si nécessaire, vous cherchez une autre formule, dite à un autre moment et dans d’autres circonstances. Mélangez le tout avec soin, et il n’y a plus qu’à disséquer telle proposition, l’analyser, la dépecer, l’éventrer pour y découvrir au fin-fond de ses viscères les plus secrètes l’expression de cette trahison dont vous aviez besoin pour vous justifier, et que vous y avez cherché et que vous aurez réussi à introduire et à faire apparaître à force de tordre ces viscères innocentes.
Avec de tels procédés, il est facile de faire d’un supérieur dont on est mécontent, un traître à sa fonction. Il est même possible de faire dire à Mgr Lefebvre ce que vous voulez qu’il ait dit. Ainsi, Mgr Ducaud-Bourget ne savait pas compter – Mgr Lefebvre était fou (authentique !), voire même libéral – Mgr Fellay devient moderniste – tandis que tel autre devient «accordiste inconditionnel», les prêtres fidèles à la Fraternité sont devenus libéraux, et je suis moi-même gâteux, ou, mieux encore, «Pyrrhoniste… Christovacantiste et un ralliériste obsédé»! Beau palmarès! Heureusement le saint curé d’Ars me rassure un peu en me rappelant qu’«on est ce qu’on est devant Dieu, et puis pas plus.»
Non seulement ce pilpoul n’appartient pas au génie français, mais il n’est pas romain. Et je repensais alors à ce qu'écrivait le bon vieux Maurras, dont vous penserez ce que vous voulez, mais que saint Pie X qualifiait de « bon défenseur de la foi », et dont je vous propose pour conclure quelques réflexions, glanées dans ses oeuvres.
Par exemple, celle-ci est bien belle : «La France étant notre nom de nation, Rome est celui de notre civilisation.» (La démocratie religieuse)
D’autres peuvent sembler plus provocantes. Sans en tirer des conclusions hâtives, j’avoue m’en être régalé : « À l’écart du Siège romain, en l’absence des traditions et des interprétations de l’Église, la lettre hébraïque des Écritures, les commentaires des rabbins et leur exégèse, en un mot l’esprit juif, gagnent tout ce que perd l’esprit du catholicisme. » (id.)
«En s’éloignant de Rome, nos clercs évolueront, de plus en plus, comme ont évolué les clercs d’Angleterre, d’Allemagne et de Suisse, même de Russie et de Grèce. Devenus, de prêtres, «pasteurs» et «ministres de l’Évangile», ils tourneront, de plus en plus, au rabbinisme, et vous feront cingler peu à peu vers Jérusalem…» (Le dilemme de Marc Sangnier)
«Dans la mesure même où l’on s’affranchirait de Rome, on se lierait à Jérusalem.» (La démocratie religieuse)
Soyons romains jusque dans tous les détails de notre vie et laissons judaïser les adeptes du pilpoul. Cela est plus sûr pour qui veut conserver l’esprit de l’Église. L’esprit romain est fait de rigueur, certes, mais il sait être agrémenté de finesse et de souplesse. C’est lui qui nous garantira de demeurer catholiques, fidèles à l’esprit de Jésus-Christ, attentif à comprendre et à pardonner plus qu’à juger et condamner.
Le Seignadou
Mgr Ducaud-Bourget de sainte mémoire disait avec son humour bien parisien que, lorsqu’un prêtre prêche, il a trois sortes d’auditeurs : un premier tiers n’écoute pas ; un autre tiers écoute et ne comprend pas ; un troisième tiers comprend et regarde son voisin à qui ce discours s’adresse ; et enfin, un tout petit quatrième tiers médite ce qu’il entend et le met en pratique.
Cela, bien sûr, est une boutade, typique de l’esprit français, plein de nuances et de non-dits, qui permettent de suggérer bien des choses difficiles à exprimer en termes propres. C’est un des charmes de notre langue, dont la rigueur héritée de l’esprit latin et romain, tempérée par un peu d’hellénisme, se retrouve dans notre meilleure littérature.
Un philosophe vous dira qu’en tout cela, il s’agit d’analogie. L’analogie est un certain regard sur les choses, qui permet d’aller plus loin que la simple apparence, d’approcher de plus près la réalité qui demeure voilée. Toute personne qui veut saisir la réalité dans toutes ses dimensions doit se mettre en recherche d’un nouveau regard sur l’homme, sur la création, sur Dieu, sur les affaires humaines si complexes et insaisissables, et va immanquablement rencontrer l’analogie dans toutes ses dé-marches, sous peine de ne rien comprendre.
C’est bien souvent par manque de cet esprit analogique que les hommes les mieux intentionnés ne parviennent pas à se comprendre. Et l’esprit le plus répandu dans ces cas-là est l’esprit univoque, qui ne parvient pas à situer une parole, une expression, une attitude dans son contexte plus général pour en saisir toute la signification et les nuances, et qui marche alors à coup de slogans. Ainsi que le relevait récemment un commentateur: «Ceux qui se contentent de répéter le slogan ne vont pas for-cément voir la phrase dans son contexte pour comprendre ce qu'a voulu dire l'auteur à ce moment-là, et pourquoi. Il s'ensuit que le slogan est utilisé inévitablement dans son sens le plus extrême. Mgr Lefebvre par exemple, est l'auteur de "petites phrases assassines", de "slogans", prononcés au détour de tel ou tel sermon ou de telle ou telle conférence de presse. Mais on ne saurait réduire sa position à ces petites phrases, et faire l'impasse sur tous les livres qu'il a écrits… »
On ne peut pas parler de Dieu sans passer par l’analogie, et tout l’Évangile est constellé d’analogies. Les paraboles sont des analogies et Notre Seigneur le premier ne cesse d’user de l’analogie, pour nous parler de Lui, pour nous faire approcher l’inconcevable, l’inexprimable dans nos catégories habituelles : le bon Pasteur, la Vigne et les sarments, le Pain de vie… et même ce «Je suis roi» que les juifs n’ont pas compris parce que leur mode de pensée était et demeure toujours univoque.
Le plus grand obstacle à la compréhension des choses ou des hommes entre eux, est précisément cet esprit univoque. Et parmi ces esprits univoques, il y a ceux que j’ose nommer les judaïsants, les adeptes du pilpoul. En effet, la meilleure façon de ne pas se comprendre entre amis ou entre adversaires, est de se laisser prendre par cette mala-die vieille comme la synagogue et qui s’étend un peu partout dans notre monde. Mgr Ducaud-Bourget m’en a fait connaître tous les symptômes les plus tortueux, dans les critiques ou attaques dont il était la victime. Je me souviens encore de l’énergie et de la fougue que son grand âge n’avait pu éteindre, avec lesquelles il vitupérait et combattait ce pilpoul si détestable.
Vous ne connaissez pas le pilpoul ? Je suis certain pourtant qu’il vous arrive de le pratiquer sans le savoir, comme M. Jourdain. Il s’agit, à l’ori-gine, d’une discussion subtile sur des thèmes religieux, pratiquée dans les écoles talmudiques, et devenue ensuite une discussion pédante sur des vétil-les, dont le synonyme serait l’ergotage.
En cherchant un peu, j’ai trouvé des réflexions amusantes sur le pilpoul : « Une grande partie de l’humour juif est intimement en rapport avec la méthode analytique déductive que les Juifs ont utilisée dans le développement du Talmud ; cet-te méthode a été connue sous le nom de Pilpoul. Une des caractéristiques de cette méthode est d’essayer de démontrer des choses invraisemblables à travers un processus de raisonnements logiques. D’autres ont défini cette méthode comme “L’art d’in-troduire un éléphant par le trou d’une aiguille”.»
La recette du pilpoul est assez simple. Si quelqu’un vous contrarie, commencez par oublier qui il est et qui vous êtes. Ensuite, il faudra isoler ce qu’il dit ou écrit de son contexte. Une phrase, une formule, un mot, voire un silence vous suffira. Si nécessaire, vous cherchez une autre formule, dite à un autre moment et dans d’autres circonstances. Mélangez le tout avec soin, et il n’y a plus qu’à disséquer telle proposition, l’analyser, la dépecer, l’éventrer pour y découvrir au fin-fond de ses viscères les plus secrètes l’expression de cette trahison dont vous aviez besoin pour vous justifier, et que vous y avez cherché et que vous aurez réussi à introduire et à faire apparaître à force de tordre ces viscères innocentes.
Avec de tels procédés, il est facile de faire d’un supérieur dont on est mécontent, un traître à sa fonction. Il est même possible de faire dire à Mgr Lefebvre ce que vous voulez qu’il ait dit. Ainsi, Mgr Ducaud-Bourget ne savait pas compter – Mgr Lefebvre était fou (authentique !), voire même libéral – Mgr Fellay devient moderniste – tandis que tel autre devient «accordiste inconditionnel», les prêtres fidèles à la Fraternité sont devenus libéraux, et je suis moi-même gâteux, ou, mieux encore, «Pyrrhoniste… Christovacantiste et un ralliériste obsédé»! Beau palmarès! Heureusement le saint curé d’Ars me rassure un peu en me rappelant qu’«on est ce qu’on est devant Dieu, et puis pas plus.»
Non seulement ce pilpoul n’appartient pas au génie français, mais il n’est pas romain. Et je repensais alors à ce qu'écrivait le bon vieux Maurras, dont vous penserez ce que vous voulez, mais que saint Pie X qualifiait de « bon défenseur de la foi », et dont je vous propose pour conclure quelques réflexions, glanées dans ses oeuvres.
Par exemple, celle-ci est bien belle : «La France étant notre nom de nation, Rome est celui de notre civilisation.» (La démocratie religieuse)
D’autres peuvent sembler plus provocantes. Sans en tirer des conclusions hâtives, j’avoue m’en être régalé : « À l’écart du Siège romain, en l’absence des traditions et des interprétations de l’Église, la lettre hébraïque des Écritures, les commentaires des rabbins et leur exégèse, en un mot l’esprit juif, gagnent tout ce que perd l’esprit du catholicisme. » (id.)
«En s’éloignant de Rome, nos clercs évolueront, de plus en plus, comme ont évolué les clercs d’Angleterre, d’Allemagne et de Suisse, même de Russie et de Grèce. Devenus, de prêtres, «pasteurs» et «ministres de l’Évangile», ils tourneront, de plus en plus, au rabbinisme, et vous feront cingler peu à peu vers Jérusalem…» (Le dilemme de Marc Sangnier)
«Dans la mesure même où l’on s’affranchirait de Rome, on se lierait à Jérusalem.» (La démocratie religieuse)
Soyons romains jusque dans tous les détails de notre vie et laissons judaïser les adeptes du pilpoul. Cela est plus sûr pour qui veut conserver l’esprit de l’Église. L’esprit romain est fait de rigueur, certes, mais il sait être agrémenté de finesse et de souplesse. C’est lui qui nous garantira de demeurer catholiques, fidèles à l’esprit de Jésus-Christ, attentif à comprendre et à pardonner plus qu’à juger et condamner.
Le Seignadou