18 avril 2015

[Capucins de Morgon] Encouragements à la fidélité - La primauté de la doctrine

SOURCE - Capucins de Morgon - Lettre Tertiaire Franciscaine (n° 266)  - Mars-avril 2015

Bien chers tertiaires,

Au début de ce saint temps de carême, l'Église, dans l'office divin, nous rappelait ces paroles de saint Paul : "Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. Il dit en effet : «Au temps favorable je t'ai exaucé, et au jour du salut je t'ai secouru.»(1) Le voici à présent ce temps bien propice ; le voici à présent le jour du salut !"(2) Oui, le temps du carême, qui s'achève par celui de la Passion, est un temps de grâce, car la grâce nous vient par la croix. Or, notre grande croix, à notre époque, c'est bien la crise que nous vivons, où toutes les institutions sont liguées contre la foi. D'où pour nous le choix dramatique : faut-il suivre la hiérarchie actuelle de l'Église au péril de notre foi, ou nous en protéger pour garder cette même foi ? Aucune hésitation n'est possible : il faut avant tout garder la foi. "Aucune autorité, disait Mgr Lefebvre, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi."(3) La foi, la doctrine, garde une priorité inviolable. Nous le savons, mais il est important d'affermir nos convictions sur ce point. Déjà l'apôtre saint Paul exhortait son disciple saint Timothée à cette sainte insistance : "Prêche la parole, interviens à temps et à contre-temps ; reprends, corrige, exhorte en toute longanimité et doctrine."(4)
1 - La doctrine et notre salut
"Doctrine" signifie enseignement. Dans la Révélation, Dieu nous enseigne, nous découvre son plan. Son dessein de miséricorde est de nous sauver par Jésus-Christ (5). Le Verbe divin est venu établir le royaume de Dieu parmi nous. C'est un royaume surnaturel, qui s'oppose au messianisme terrestre que Satan lui a proposé dans le désert : jouissance, orgueil, volonté de puissance, convoitise. Aux Pharisiens, Jésus affirme :"Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde."(6) Face à Pilate, il confessera hautement : "Mon royaume n'est pas de ce monde (...) Je suis né et je suis venu en ce monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité." (7) "Dieu a tellement aimé le monde, dit-il à Nicodème, qu'il lui a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle." Mais il avait donné cette précision : "De même que Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle."(8) Précision capitale : si nous voulons être sauvés, nous devons croire à cet amour divin, amour surnaturel, qui passe par la croix. "Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive ; qui veut conserver la vie sauve, la perdra; et qui perdra sa vie à cause de moi, la retrouvera."(9)

Ce plan doit être accepté par chacun de nous, mais aussi par les princes, et donc les sociétés : c'est la royauté sociale de Notre Seigneur, qui n'est pas de ce monde, mais qui s'exerce bien en ce monde.

Mais qu'est-ce donc que le monde condamné par Jésus? C'est la recherche d'un bonheur exclusivement terrestre qui se résume en les trois concupiscences désignées par saint Jean (10). Ce monde-là ne peut que rejeter le messianisme surnaturel de Notre Seigneur. Il ne supporte pas un amour de Dieu qui nous offre un royaume de Dieu surnaturel et crucifié. Or, nous ne pouvons pas pactiser avec le monde. "Celui qui veut être l'ami du monde, dit saint Jacques, se constitue l'ennemi de Dieu." (11) Notre foi en Jésus crucifié, notre adhésion ferme et aimante à sa croix nous fait triompher de ses séductions: "La victoire qui triomphe du monde, c'est notre foi."(12) Ainsi donc, la foi et la doctrine gardent la primauté face aux machinations séductrices du monde.

Et nous, fils de saint François, il nous suffit d'imiter notre père, dont la voie n'est rien d'autre, dit saint Bonaventure, qu'un "amour très ardent de Jésus crucifié"(13). Il nous apprendra à "mépriser les choses de la terre et à aimer celles du ciel" (14 ). Voilà quelle est la doctrine qui éclaire notre marche ici-bas.
2 - Le refus du surnaturel
Tout péché est un refus de l'amour surnaturel que Dieu nous présente ; nous lui préférons un idéal terrestre. Mais ce refus érigé en système a un nom: le naturalisme, erreur fondamentale de notre époque (15). Selon lui, la nature se suffit à elle-même, pas besoin d'un Dieu qui nous dépasserait; l'homme est maître de sa destinée.

L'organisation sociale du naturalisme, c'est la Révolution(16). Celle-ci est d'abord le rejet de la royauté sociale de Notre Seigneur. Mais plus profondément, comme le dit Mgr Gaume, elle est "la haine de tout ordre religieux et social que l'homme n'a pas établi et dans lequel il n'est pas roi et Dieu tout ensemble"(17). Le moteur de la Révolution est la franc-maçonnerie, "Synagogue de Satan", selon le mot de Pie IX. Elle obtient "droit" de cité par la révolution de 1789, basée sur ce triple principe : liberté-égalité (pour dissoudre les liens naturels et surnaturels), et fraternité (ou collaboration forcée de tous pour l'établissement d'un monde affranchi de toute loi divine ou naturelle).

La Révolution s'appuie sur la doctrine du naturalisme, cependant elle n'est pas seulement une doctrine, mais aussi et surtout une praxis, un rejet, un mouvement. Ainsi, son langage est fluctuant, car il n'est pas l'expression de ce qui est, mais l'instrument d'une praxis(18) ; la fin du langage n'est plus d'exprimer le plus clairement sa pensée, mais d'entraîner le plus de monde dans son rejet et dans la poursuite de sa chimère. Le mensonge lui est donc connaturel ; pour la Révolution, le mensonge n'est pas un mal, mais une nécessité, car la fin ''justifie" ce moyen.
3 - La "main-tendue" : le catholicisme libéral
Une fois passés l'ouragan de la Terreur et la tyrannie napoléonienne, l'Église en France semble revivre. Hélas, la nouvelle génération de prêtres et l'élite du pays, à cause du malheur des temps, n'ont pas eu la formation doctrinale qui les eût préservés des pièges. Lamennaiset ses disciples ont baigné dans les erreurs de la Révolution (19) ; généreux sans doute, mais manquant de principes, ils vont rêver une soi-disant "réconciliation" de l'Église avec le monde moderne.

Pie IX condamnera cette tentative dans le Syllabus, en 1864. "Le Souverain Pontife pourrait-il donc tendre une main amie à une pareille civilisation, dit-il, et faire sincèrement pacte et alliance avec elle ?'' Il ne pourrait, "sans un très grand scandale pour tous, s'associer avec la civilisation contemporaine par le moyen de laquelle se produisent tant de maux(...) et se proclament de funestes principes extrêmement opposés à la religion catholique et à sa doctrine. (...) Nous n'avons aucun motif de nous réconcilier avec qui que ce soit, mais (...) Nous devons pardonner à ceux qui nous haïssent, Nous devons prier pour eux afin qu'ils se repentent par la grâce de Dieu"(20).
4 - Vatican II
Ce concile verra le triomphe des catholiques libéraux. "Pendant deux siècles, dit Marcel Prélat, nous avons été combattus par l'Église, et désormais nous avons triomphé." Le Cardinal Ratzinger d'affirmer que le texte "Gaudium et Spes" (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde) "joue le rôle d'un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l'Église avec le monde tel qu'il était devenu depuis 1789 (...) Par "monde", on entend, au fond, l'esprit des temps modemes."(21) On ne peut être plus clair.

Les textes du Concile furent des textes de compromis, comme en font foi les chroniqueurs et historiens du concile. Le Père Schillebeeckx, partisan des positions ultra-libérales, critiquait un texte qu'il jugeait trop conservateur. Il se vit répondre par un expert : "Nous nous exprimons de façon diplomatique, mais après le Concile nous tirerons du texte les conclusions qui y sont implicites."(22) Ce qui est dit de ce texte, on peut l'appliquer à tous les documents conciliaires. On y trouve des affirmations vraies, mais contredites ensuite par la suite du texte. Par exemple, on affirme le sacerdoce ministériel du prêtre, mais ensuite on insiste tellement sur le sacerdoce des fidèles qu'on finit par se demander quelle est la différence entre les deux ; l'orientation de ces textes est hétérodoxe, bien qu'on ait ajouté des phrases traditionnelles, pour satisfaire aux réclamations des Pères conservateurs.

Avec tout cela, on voit que ce qui prime, c'est la praxis, le mouvement d'ouverture au monde. Peu importe que les textes du Concile n'expriment pas le fond de la pensée des meneurs progressistes, ce qui compte, c'est qu'ils rallient les conservateurs tout en donnant une "orientation" franchement révolutionnaire(23). Car ce procédé nous montre que nous avons bien affaire à une Révolution.

Les succès de la Révolution conciliaire s'expliquent en grande partie par ses méthodes, que le Père Calmel (24) a admirablement mis en lumière :

- D'abord, la Révolution n'est pas une réforme, elle ne cherche pas à restaurer une nature, elle s'attaque à la nature même des choses, qu'elle vise à changer.

- Mais, pour y parvenir, elle va capter les tendances nobles des âmes généreuses et droites pour les dévier vers son but. Par exemple, exalter la simplicité (que saint François aimait tellement), mais pour l'opposer aux marques extérieures de respect dues aux autorités, et qui nous sont oh combien nécessaires (25).

C'est à ce niveau que les novateurs font passer les idées subversives, sous apparence de vérité et de bien. Que de fois, durant le Concile, ont été prononcés les mots de "pastorale", de "charité", de "retour aux sources et à l'évangile", de "réforme et rénovation". Quel bon catholique serait d'emblée opposé à ces idées ? Mais ces mots ont été détournés de leur sens au profit de la Révolution. La "pastorale" fut opposée au dogme (surtout, pas de définitions ni d'anathèmes !), le "retour aux sources" et la "réforme" à tous les trésors de la Tradition, et la "charité" devint l'anesthésiant face aux assauts de l'hérésie.

-Toutefois, comme il risque d'y avoir trop d'opposition, au moins au bout d'un certain temps, elle impose ses vues par une autorité occulte et des hiérarchies parallèles, et c'est ainsi que le poison se répand dans tout le corps. Par exemple, les conférences épiscopales, perturbant l'autorité normale des évêques, et faisant pression pour imposer les orientations novatrices sécrétées par le noyau dirigeant. C'est aussi de cette façon, en société de pensée, que fonctionna le Concile (26). C'est ici qu'intervient cette distinction entre la Rome éternelle et la Rome néomoderniste, énoncée dans la déclaration du 21 novembre 1974. "Au-dessus des décisions apparemment légales de Rome, dit le Père Calmel, au-dessus de ses manigances, combinaisons et moyens, bref, au­dessus d'une Rome aveuglée, manœuvrée, dominée, il y a la Rome véritable, la Rome de la Tradition chrétienne (...), la Rome de la messe de saint Pie V, de saint Grégoire VII et de saint Léon. (...) C'est à la Rome véritable que vous devez obéir. (...) Vous êtes sûres d'obéir à cette Rome en acceptant et en faisant uniquement ce qui favorise vos choix sur la messe [de toujours] et l'école [catholique], l'état religieux dominicain, sous la direction de la Générale que vous avez."(27).

Mgr Lefebvre, au sujet de la Rome moderniste, ou Église conciliaire, dira en 1988 : le maintien de la Tradition "nous a valu la persécution de la Rome antichrist (...) poursuivant son œuvre destructrice du règne de Notre Seigneur." (28) Cinq jours après le décret "d'excommunication" fulminé contre Mgr Lefebvre, l'ensemble des supérieurs de la Fraternité exprima à son fondateur son soutien absolu dans une lettre ouverte au cardinal Gantin, auteur dudit décret: "Nous n'avons jamais voulu, disaient-ils, appartenir à ce système qui se qualifie lui-même d'Église conciliaire, et se définit par le Novus Ordo Missae, l'œcuménisme indifférentiste et la laïcisation de la société. (...) Nous ne demandons pas mieux que d'être déclarés ex communione [hors de la communion] de l'esprit adultère qui souffle dans l'Église depuis 25 ans, exclus de la communion impie avec les infidèles."(29)
5 - Rome et Mgr Lefebvre
Face à cette situation, l'attitude de Mgr Lefebvre, comme il l'a énoncé dans la déclaration de 1974, est tout simplement de s'en tenir à ce que l'Église a toujours cru et fait, sans tenir compte des nouveautés destructrices de la foi, et cela sans amertume ni rébellion. Il n'a jamais cherché une rupture avec Rome, mais lorsque les autorités ecclésiastiques lui enjoignirent de se soumettre "au concile, aux réformes post-conciliaires et aux orientations qui engagent le Pape lui-même"(30), là il ne peut obtempérer, la foi étant en jeu. D'où les sanctions canoniques portées contre lui. Les autorités romaines cherchèrent ensuite un rapprochement, Mgr Lefebvre lui-même s'efforça d'arranger les choses. Pendant toute cette période, il n'a cependant pas reculé devant les affinnations fortes, surtout face aux scandales toujours plus graves (par exemple Assise) ; c'est-à-dire qu'il n'a pas tu la vérité pour essayer d"'arranger les choses".

C'est pour montrer clairement qu'il ne voulait pas faire schisme qu'il a entrepris ces démarches ; il a cherché à savoir s'il était possible à la fois d'être reconnu par les autorités romaines et de garder la foi. Après en avoir fait l'essai loyal, il était obligé de constater en 1988 : "En réalité, Rome ne veut ni soutenir ni poursuivre [c'est-à-dire être fidèle à] la Tradition. (...) Au cours des derniers contacts que j'ai eus à Rome, j'ai plusieurs fois voulu sonder leurs intentions, mesurer s'il y avait un véritable changement.(...) La volonté de Rome de ne pas aider la Tradition, de ne pas vouloir lui faire vraiment confiance était évidente"(31). Déjà en 1987 il avait affirmé au cardinal Ratzinger qu'il était impossible de collaborer, puisque nous, nous cherchons la christianisation, et eux la déchristianisation.

Autrement dit, Mgr Lefebvre constata par expérience ce que saint Thomas disait déjà ; se demandant si des fidèles pouvaient demeurer sans risque sous le pouvoir politique d'un infidèle, il répond que non, "car ce serait au péril de la foi. Facilement, en effet, ceux qui sont soumis à la juridiction des autres peuvent être changés par ceux qui sont au-dessus d'eux et dont ils ont à suivre les ordres, à moins que ces subordonnés n'aient été d'une grande vertu"(32).

De même qu'après la Terreur l'on vit le monde moderne proposer à l'Église la "réconciliation", de même après l'opposition frontale entre le Vatican et la FSSPX, surtout après l'annonce des sacres en 1987, Rome proposa la politique de la "main tendue". Ici, il y a une distinction à faire : en soi on peut toujours se réconcilier avec celui qui veut se corriger ; mais il est illusoire de se réconcilier avec celui qui ne reconnaît pas ses torts. Nous ne refusons pas Rome en tant que telle, mais bien la Rome qui ne veut pas reconnaître son modernisme. Or, en juin 1988, Mgr Lefebvre constatait : ils n'ont pas changé d'intention [nous ramener au Concile] parce qu'ils n'ont pas changé de principes.

Alors pourquoi Rome tend-elle la main? Souvenons-nous que la Révolution est surtout une praxis ; à défaut de faire accepter d'emblée ses idées, elle cherche du moins à entraîner ses victimes à collaborer avec elle. Elle tolère volontiers qu'on puisse discuter de façon accadémique sur des "divergences" théologiques, mais ne supporte pas la dénonciation de ses scandales (comme Assise, la canonisation de Jean-Paul II, la béatification de Paul VI, ou le récent Synode sur la famille). Par la main tendue, elle cherche à créer un climat de bienveillance réciproque. Ainsi, dans sa lettre aux évêques du 10 mars 2009, Benoît XVI constatait qu'après les gestes de bienveillance envers les communautés ralliées, le climat interne de ces dernières avait changé, s'était radouci. Dès lors, disait-il, devenait possible la grande collaboration qu'il espérait entre tous les croyants afin d'œuvrer pour la paix dans le monde. Notons que ce climat de bienveillance réciproque est obtenu par le désarmement des communautés qui n'osent plus critiquer leurs "bienfaiteurs"; psychologiquement, c'est facile à comprendre.

Mgr Lefebvre voyait dans la "réconciliation" avec une Rome demeurée moderniste le danger de mélanges entre les fidèles de la Tradition et les autres fidèles. "Malgré l'exemption très étendue, dit-il, les barrières canoniques disparaissant, il y aura nécessairement des contacts de courtoisie, et peut-être des offres de coopération. (...) Tout ce monde est d'esprit concilaire, œcuméniste, charismatique (...). Nous étions jusque-là protégés naturellement, la sélection s'assurant d'elle-même par la nécessité d'une rupture avec le monde conciliaire. Désonnais, il va falloir faire des dépistages continuels, se prémunir des milieux romains, des milieux diocésains."

Outre ce mélange naturel, il faut compter avec le mécanisme de la Révolution :

- Elle s'attaque à la nature des choses, à leur définition. Par exemple, le Motu Proprio "Ecclesia Dei", en même temps qu'il accorde des "privilèges" aux communautés ralliées, expose une définition fausse et évolutive de la Tradition.

- Elle capte les tendances nobles et généreuses. Par exemple, Dom Gérard avouait en 1988 que le motif principal qui l'avait poussé à accepter les avances romaines était d'attirer plus de fidèles, qui étaient gênés par la "suspense"(33). A quoi l'abbé Schmidbergerrépondait: "S'ils pensent que leur soi-disant "suspense" nuit à leur rayonnement, ils se trompent : la Croix est plus féconde que la facilité"(34). Ou encore, Rome joue sur l'accusation de schisme : quel catholique fervent supporterait de rester dans le schisme ? A quoi Mgr Lefebvre répondait: "Nous sommes contre l'Église conciliaire, qui est pratiquement schismatique, même s'ils [Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger] ne l'acceptent pas. Dans la pratique, c'est une Église virtuellement excommuniée, parce que c'est une Église modemiste"(35). Ou enfin la Révolution va jouer sur notre amour de l'Église. A quoi l 'archevêque rétorquait: "Nous représentons vraiment l'Église catholique telle qu'elle était autrefois, puisque nous continuons ce qu'elle a toujours fait. C'est nous qui avons les notes de l'Église visible"(36).

- Enfin, la Révolution agit par des autorités occultes. Elle a un langage officiel équivoque qui parfois nous semble favorable ; puis elle agit en sens inverse, déstabilisant ses interlocuteurs. Par exemple, les visites romaines de 1974 et 1987, où les visiteurs ont dit du bien d'Écône, puis, de retour à Rome, en ont dit du mal. - Autre tactique: "Jamais de préceptes formels, dit le Père Calme!. Laisser imposer les choses par pression sociale, de sorte que les braves gens naïfs se croient liés en conscience"(37). Ainsi, par exemple, Dom Gérard avait obtenu que nulle contrepartie doctrinale ne soit exigée de lui ; mais en même temps, la crainte de perdre la reconnaissance canonique par un langage trop libre l'a tout de suite conduit au silence, puis plus tard à l'acceptation des erreurs conciliaires ; le glissement s'est fait tout seul : la machine est bien rôdée !
Conclusion : la primauté de la doctrine
Prêcher Jésus-Christ crucifié n'est pas chose facile ; c'est souvent demander l'héroïsme ; mais il est impossible, sous prétexte de facilité, d'efficacité apparente, de plus grand "rayonnement", de s'exposer à sacrifier la foi, sans laquelle on ne peut être sauvé.

"Si je vis encore un peu, disait Mgr Lefebvre, en supposant que d'ici à un certain temps Rome fasse un appel, qu'on veuille nous revoir, reprendre langue, à ce moment-là, c'est moi qui poserais les conditions.(...) Je poserais la question au plan doctrinal: "Est-ce que vous êtes d'accord avec les grandes encycliques de tous les papes qui vous ont précédés ? Est-ce que vous êtes d'accord avec "Quanta Cura" de Pie IX, "Immortale Dei, Libertas", de Léon XIII, "Pascendi" de Pie X, "Quas Primas" de Pie Xl, "Humani Generis" de Pie XII ? Est-ce que vous êtes en pleine communion avec ces papes et avec leurs affirmations ? Est-ce que vous acceptez encore le serment anti­ moderniste ? Si vous n'acceptez pas la doctrine de vos prédécesseurs, il est inutile de parler"(38) .

Vingt-sept ans plus tard, non seulement la doctrine de toujours n'est pas redevenue la norme pour les autorités romaines, mais c'est même l'enseignement de la morale qui est attaquée ; car on ne peut indéfiniment attaquer le dogme sans finir par ébranler la morale. Ainsi, la révolution conciliaire aboutit logiquement aux conclusions qu'en tire le pape François. Il est donc évident que nous ne pouvons nullement envisager de collaborer avec des papes qui, dans la pratique, œuvrent à la destruction de l'Église.

Mais alors, quand la collaboration sera-t-elle possible ? "Quand on nous pose la question, disait Mgr Lefebvre, de savoir quand il y aura un accord avec Rome, ma réponse est simple : quand Rome recouronnera Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas être d'accord avec ceux qui découronnent Notre Seigneur. Le jour où ils reconnaîtront de nouveau Notre Seigneur roi des peuples et des nations, ce n'est pas nous qu'ils auront rejoints, mais l'Église catholique dans laquelle nous demeurons"(39).

Comme le rappelait Mgr Tissier de Mallerais le 27 octobre dernier au pèlerinage de Lourdes, "le lien formel, ce lien artificiel, ce lien qui serait un simulacre avec la Rome nouvelle, n'est rien devant la préservation et la profession de la foi catholique"(40).

Que Notre Dame de Fatima nous donne d'aimer Jésus crucifié, afin que nous gardions le dogme de la foi.

Source : Supplément à la Lettre Tertiaire Franciscaine n° 266 de mars-avril 2015
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Notes

(1) Is. 49,8.
(2) Co 6,1-2.
(3) Déclaration du 21 novembre 1974.
(4) 2 Ti m. 4,2.
(5) Ep. 1,4-5.
(6) Jn. 8,23.
(7) Jn. 18,36-37.
(8) Jn. 3, 16-15.
(9) Mt. 16,24-25.
(10) 1 Jn. 2, 16.
(11) Jc. 4,4.
(12) 1 Jn. 5, 4.
(13) Itinéraire de l'âme à Dieu, Prologue.
(14) Oraison liturgique du 4 octobre.
(15) Cardinal Pie, Œuvres, tome 5, p. 40. L'illustre prélat a consacré à la réfutation de cette erreur une instruction monumentale, à lire. lb.•p. 29 à 209.
(16) Sur les rapports entre naturalisme et révolution, voir Jean Ousset, Pour qu'Il règne, Club du livre civique, 1959, p. 81 à 86.
(17) La Révolution, tome 1, p. 16.
(18) Voir Roberto de Mattéi, Vatican, une histoire à écrire, p. 15.
(19) Lamennais s'était nourri de Rousseau, ce qui a marqué son œuvre. Voir D.T.C., tomeR, col. 2473.
(20) Allocution "Jandudum cernimus", 18 mars 1861, d'où est tirée la proposition 80 du Syllabus.
(21) Cardinal Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Téqui, 2005, p. 427.
(22) Ralph Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, éd. du Cèdre, 1973, p. 238.
(23) Mgr Lefebvre employait souvent ce terme d' "orientation" à propos du Concile (Voir J'accuse le Concile, la déclaration du 21 novembre 1974, Lettre aux amis et bienfaiteurs n" 9 d'octobre 1975). L'orientation est une tendance qui cherche à se cacher. Ce terme est heureusement complété par celui de "désorientation diabolique" par soeur Lucie de Fatima.
(24) Voir Itinéraires n° 92, p. 151 sq.
(25) II II q. 103, . 1.
(26) Vatican II, l'Église à la croisée des chemins, éd. MJCF, 2010, tome 1, p. 175-189. 
(27) Lettre du 8 juin 1972 à une dominicaine. La Générale était alors Mère Anne-Marie Simoulin. 
(28) Sel de la Terre n° 25, p. 151.
(29) lb, p. 159.
(30) Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre, 10 juillet 1975, in ltinéraires, supp. à n° 197, p. 57.
(31) Fideliter n° 79, p. Il.
(32) II ll q. 10, a. 10.
(33) La suspense est une peine canonique interdisant à un clerc tout exercice du culte public, par exemple la célébration de la messe. Sont suspens les prêtres ordonnés par un évêque suspens. Évidemment, ici, la suspense est absolument nulle, ayant été injustement portée. 
(34) Fideliter n° 65, p. 21.
(35) Fideliter n° 70, p. 8. 
(36) lb., p. 6.
(37) Lettre du 15 novembre 1969.
(38) Fideliter n° 66, p. 12-13.
(39) Fideliter no 68, p. 16.
(40) 27 octobre 2014 : Sermon écrit de Mgr Tissier de Mallerais pour le pèlerinage international de Lourdes in La Porte Latine.