SOURCE - DICI - 2 avril 2015
Le 2 avril 1991 furent célébrées les obsèques de Mgr Marcel Lefebvre, à Ecône. Voici le sermon que prononça l’abbé Franz Schmidberger, alors Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, au cours de la Messe de Requiem.
Ecce sacérdos magnus, qui in diébus suis plácuit Deo, et invéntus est justus. Non est invéntus símilis illi qui conserváret legem Excélsi. Voici le souverain prêtre, qui, durant sa vie a plu à Dieu et fut trouvé juste. Nul ne s’est trouvé semblable à lui pour observer la Loi du Très-Haut. (Graduel de la messe Statuit des confesseurs pontifes)
Excellences, Chers membres de la famille, frères et sœurs de Monseigneur
Lefebvre, Mes bien chers frères et amis,
Nous voici réunis autour de la dépouille mortelle de notre
Père bien-aimé, de notre fondateur et Supérieur général pendant de longues
années, autour de cet évêque fidèle à sa mission de docteur et pasteur de
l’Église, une, sainte, catholique et apostolique, de ce missionnaire
infatigable, de ce père d’une nouvelle génération de prêtres, de ce sauveur du
très saint sacrifice de la messe dans son rite romain authentique et vénérable,
de ce combattant du règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Voici
le grand prêtre qui durant sa vie a plu à Dieu et fut trouvé juste. Nul ne
s’est trouvé semblable à lui pour observer la Loi du Très-Haut. »
Nous voici réunis, dis-je, avec une douleur profonde, comme
des orphelins, dans les larmes et dans les gémissements, mais aussi dans
l’espérance chrétienne et l’admiration en face d’une telle vie chrétienne,
sacerdotale et épiscopale. Mes confrères et moi-même, nous vous remercions,
chers fidèles, d’être venus des quatre coins du monde pour rendre un dernier
hommage à cet homme extraordinaire de notre siècle. Avant d’exprimer quelle fut
sa vie, je vous donnerai quelques détails sur les dernières semaines et les
derniers jours du cher défunt.
Ses derniers jours
Le soir de la fête de saint Thomas d’Aquin, le 7 mars,
Monseigneur célébrait à Écône la messe pour les amis et bienfaiteurs du Valais,
et leur donna ensuite une conférence sur la situation de l’Église et sur notre
devoir dans le combat et les labeurs pour les institutions chrétiennes. Il se
plaignait de douleurs au ventre et ne participa pas au repas. Le jour suivant,
il offrait pour la dernière fois le saint sacrifice sur nos autels et, malgré
des douleurs sensibles, il partait aussitôt pour Paris à une réunion des
responsables des Cercles de la Tradition. En route, son état de santé s’avérait
alarmant. Après avoir passé la première partie de la nuit du vendredi au samedi
dans un hôtel, il revenait à l’aube à Écône avec M. Borgeat, son
chauffeur. Sur sa propre demande il est hospitalisé à l’hôpital de Martigny.
Les médecins supposèrent d’abord une infection intestinale et le mirent à la
diète, lui prescrivant des perfusions.
Le lundi 11 mars, dans l’après-midi, je lui rendis
visite une dernière fois ; il était plein d’humour et les douleurs avaient
diminué un peu. « Je trouve injuste, dit-il à l’infirmière, que l’on ne me
donne rien à manger et que malgré tout, je paye le même prix de pension. Vous
faites une affaire avec moi ! » Et se tournant vers moi, il dit avec
un sourire : « J’ai demandé à M. l’abbé Simoulin de bien
préparer le caveau. Si je pouvais mourir comme ma sœur Jeanne, ce serait une
belle mort… ». Et dans ce contexte, il me dit : « Je vous
appellerai », faisant sans doute allusion à ses derniers moments. Je lui
donnais les dernières nouvelles de la Fraternité qu’il écouta avec grand
intérêt : c’était, avant tout, le projet d’une nouvelle maison généralice
que je lui exposais, avec les raisons favorables à ce projet. « Que Dieu
bénisse ce projet », fut sa conclusion. C’est sur ces paroles que je l’ai
quitté.
Au soir de ce même jour, M. l’abbé Simoulin, à la
demande de Monseigneur lui-même, lui donna l’extrême-onction. Avec le scanner,
les médecins diagnostiquèrent, le 15 mars, une tumeur importante. Une
opération s’avérait nécessaire. Le dimanche de la Passion, il put encore s’unir
sacramentellement une dernière fois à la Victime eucharistique de nos autels.
L’opération se fit dans la matinée du 18 mars et se déroula tout à fait
normalement : trois grands kystes furent enlevés. Les analyses
subséquentes révéleront leur nature cancéreuse. Quelques jours plus tard, des
problèmes cardiaques se manifestaient, c’est pourquoi notre patient fut gardé
aux soins intensifs. Le samedi précédant le dimanche des Rameaux, il confirma à
M. l’abbé Simoulin qu’il offrait ses souffrances pour la Fraternité et
pour l’Église. Ce furent pratiquement ses dernières paroles.
Le matin du dimanche des Rameaux, la fièvre montait à 40
degrés ; seuls les antibiotiques les plus forts parvenaient à la
maîtriser. Monseigneur restait conscient mais il perdit au cours de la journée
du dimanche la faculté de s’exprimer. Le soir, l’abbé Simoulin le visitait
encore une fois vers 19 heures, son état était très inquiétant ; vers
23 heures, l’hôpital prévenait Écône que Monseigneur venait de subir une
attaque, probablement une embolie pulmonaire. Toute la communauté du séminaire
se rassembla alors à la chapelle. L’abbé Simoulin se rendit à l’hôpital et pria
au chevet de Monseigneur les prières des agonisants ; il était dans le
coma. Vers 1 h 15 le lundi, le téléphone sonnait à la maison
généralice : M. l’abbé Laroche nous annonçait que Monseigneur était à
ses derniers instants. Tandis que la communauté de la maison se rassemblait à
la chapelle, je partis immédiatement à Martigny où j’arrivais à
3 h l5. Monseigneur était ranimé artificiellement, les fonctions du
corps se mouraient peu à peu ; vers 3 h 30, le médecin
constatait la mort. Dans un dernier service d’amour, j’ai fermé les yeux à
notre Père bien-aimé.
A l’imitation de Jésus-Christ
Si nous jetons un regard sur cette vie très riche, on ne
peut que la voir dans une profonde et authentique imitation de Notre Seigneur
Jésus-Christ dans les différentes étapes de sa vie, spécialement dans son
sacerdoce souverain et dans son sacrifice sur le Calvaire. Les trois ministères
de l’Homme-Dieu peuvent se résumer à trois devises qui ont rayonné comme des
phares sur le chemin de sa vie : « Credídimus caritáti. Nous avons
cru à l’amour » (1 Jn 4, 16) ; « Instauráre ómnia in
Christo. Tout renouveler dans le Christ » (Ep 1, 10) ;
« Accépi quod et trádidi vobis. Je vous ai transmis ce que j’ai
reçu moi-même » (1 Cor 11, 23).
Premièrement : Accépi quod et trádidi
vobis ou le munus docendi, le ministère de l’enseignement.
Monseigneur vécut complètement plongé dans la lumière de la
foi, où il puisait la doctrine de ses conférences innombrables ; ses
entretiens spirituels étaient de véritables sermons. Il était pénétré du
mystère de la Sainte Trinité et de l’action du Saint-Esprit dans l’Église et
dans les âmes. Toute sa vie était orientée vers le mystère de
Jésus-Christ : les mystères du Verbe incarné, du Seigneur et Sauveur
crucifié et ressuscité, du souverain Prêtre du Nouveau Testament et de la
Victime de nos autels. La très sainte Vierge Marie – avec le dogme de sa
maternité divine, de son Immaculée Conception, de sa préservation de tout péché
et de sa virginité perpétuelle, de son Assomption au Ciel avec son âme et son
corps – était pour lui le seul chemin vers le mystère du Seigneur.
L’Épouse mystique du Christ, la sainte Église avec le pontife romain, valaient
à ses yeux plus que toute autre chose au monde.
Dans la lumière de la Somme théologique de saint
Thomas d’Aquin, il priait les vérités de la foi ; il les aimait ; il
les exposa durant tout son ministère sacerdotal et épiscopal. Sous la direction
du grand docteur de l’Église, il composait encore sa dernière œuvre, son Itinéraire
spirituel. La fidélité était pour lui un devoir suprême, considérant les
paroles de l’Évangile : « Celui qui change ne serait-ce qu’un iota ou
un trait de la Loi de foi sera le plus petit dans le Royaume des cieux »
(cf. Mt 5, 19).
Il ne se voyait que comme l’écho, le reflet, le porte-parole
de l’Église et des conciles, ainsi que de la doctrine des papes. C’est par sa
bouche que Pie VI a de nouveau condamné la Révolution française et les
soi-disant droits de l’homme. C’est à travers lui que Pie IX, en nos
jours, a de nouveau élevé la voix pour rejeter la liberté religieuse comme une
iniquité, comme il l’a fait dans l’encyclique Quanta Cura. C’est par lui
que leSyllabus a repris vie pour mettre au pilori l’aggiornamento de
l’Église, son adaptation aux erreurs contemporaines et à l’esprit du siècle.
Les grandes encycliques de Léon XIII se trouvaient sur ses lèvres, comme
si ce pape lui-même nous parlait. Mais c’est spécialement saint Pie X qui,
par lui, dans les années 70-80, a jeté l’anathème contre un modernisme et un
nouveau « Sillon » qui sèment aujourd’hui des ravages bien plus
grands que sous le pontificat même de saint Pie X. Depuis 1960, aucun
évêque ne s’est trouvé pour insister comme il l’a fait sur la doctrine de
l’encyclique Quas Primas du pape Pie XI, sur le règne
social de Notre Seigneur Jésus-Christ. Personne n’a combattu les communistes
avec une énergie comparable à la sienne, selon les directives de l’encyclique Divini
Redemptoris où Pie XI les désigne comme les ennemis par excellence de
la chrétienté, et où il rejette comme impossible toute collaboration avec eux.
La même chose vaut pour la franc-maçonnerie. Avec attention il a écouté les
mises en garde du pape Pie XII dans HumaniGeneris contre la
nouvelle philosophie et la nouvelle théologie, et il a de nouveau transmis ses
avertissements.
Si l’Église, dans les documents des papes et des conciles,
est l’oracle du Dieu vivant – et elle l’est – nous devons désigner
Monseigneur Lefebvre comme un témoin fidèle à la révélation du Dieu Trine au XXe siècle.
C’est pour ce témoignage qu’il a vécu, c’est pour ce témoignage qu’il a
souffert, c’est pour ce témoignage qu’il est mort. Témoin en grec se dit
« martyr ». Rendant fidèlement témoignage, il a dû nécessairement
entrer en contradiction avec l’esprit du Concile, ainsi qu’avec les textes
conciliaires qui contredisent la doctrine constante de l’Église. Il avait alors
à faire un choix : ou être fidèle à la doctrine de l’Église dans son
épanouissement glorieux et sa fertilité en institutions chrétiennes pendant
deux millénaires ; ou rompre cette fidélité et s’aligner sur le Concile et
les erreurs postconciliaires. C’est la grâce de Dieu qui lui fit choisir sans
hésitation la première solution, avec Monseigneur de Castro Mayer, l’autre
témoin fidèle. Deo gratias !
Si aujourd’hui, partout dans le monde, sur tous les
continents, une nouvelle génération d’apôtres et de témoins de la foi
travaillent dans de vrais séminaires, prieurés, maisons de retraite, écoles,
couvents et monastères, si nous voyons des groupes de jeunesse catholiques et
des familles avec de nombreux enfants réunis autour de l’autel du sacrifice de
l’Agneau immolé, c’est en grande partie les fruits de la foi de cet homme, une
foi à transporter les montagnes. Le petit grain de sénevé est devenu un grand
arbre, dans les rameaux duquel les oiseaux du ciel viennent habiter.
Deuxièmement : Credídimus caritáti, nous
avons cru à la charité ou le munus sanctificandi, le ministère de la
sanctification.
A quel amour avons-nous cru ? A l’amour immolé,
crucifié, de Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, Prêtre et Victime du
sacrifice. Laissons parler Monseigneur Lefebvre lui-même. A la date du
4 juin 1981, il écrit aux membres de la Fraternité les mots suivants :
« Toute l’Écriture est tournée vers la Croix, vers la
Victime rédemptrice et rayonnante de gloire, et toute la vie de l’Église est
tournée vers l’autel du sacrifice, et par conséquent sa principale sollicitude
est la sainteté du sacerdoce. L’esprit de l’Église est orienté vers les choses
divines, sacrées. Elle forme celui qui donne les choses sacrées : sacérdos,
c’est-à-dire sacra dans, celui qui accomplit les actions saintes et
sacrées ;sacrifícium, c’est-à-dire sacrum fáciens. Elle lui met
dans ses mains consacrées les dons divins et sacrés :sacraménta, les
sacrements. L’Église consacre, donne un caractère sacré aux baptisés, aux
confirmés, aux rois, aux vierges, aux chevaliers, aux églises, aux calices, aux
pierres d’autel, et toutes ces consécrations sont faites dans le rayonnement du
sacrifice de Notre-Seigneur et en la Personne de Jésus lui-même. »
Et dans l’homélie de son jubilé d’or, le 23 septembre
1979 à Paris, il expose ceci : « La notion du sacrifice est une
notion profondément chrétienne et profondément catholique. Notre vie ne peut
pas se passer du sacrifice, dès lors que Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu
lui-même, a voulu prendre un corps comme le nôtre et nous dire : “Prenez
votre croix et suivez-moi, si vous voulez être sauvé” ; et qu’il nous a
donné l’exemple de la mort sur la Croix, qu’il a répandu son Sang. Voilà tout
le mystère de la civilisation chrétienne. La compréhension du sacrifice de sa
vie dans la vie quotidienne, l’intelligence de la souffrance chrétienne :
ne plus considérer la souffrance comme un mal, comme une douleur insupportable,
mais partager ses souffrances et sa maladie avec les souffrances de Notre
Seigneur Jésus-Christ en regardant la Croix, en assistant à la sainte messe qui
est la continuation de la Passion de Notre-Seigneur sur le Calvaire. Comprendre
la souffrance, alors la souffrance devient une joie, et unie à celle de tous
les martyrs, unie à celles de tous les saints, de tous les catholiques, de tous
les fidèles qui souffrent dans le monde, elle devient un trésor inexprimable
pour la conversion des âmes, pour le salut de notre propre âme. Beaucoup d’âmes
saintes, chrétiennes, ont même désiré souffrir, ont désiré la souffrance pour
s’unir davantage à la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ.
« Voilà les hommes qu’a produits la grâce de la messe,
des hommes qui assistaient à la messe tous les jours, communiaient avec ferveur
et qui sont devenus des modèles et des lumières autour d’eux, sans compter
beaucoup de chrétiens et chrétiennes transformés par la grâce. J’ai pu voir, en
Afrique, ces villages de païens devenus chrétiens se transformer non seulement,
je dirais, spirituellement et surnaturellement mais se transformer
physiquement, socialement, économiquement, politiquement ; se transformer
parce que ces personnes, de païennes qu’elles étaient, étaient devenues
conscientes de la nécessité d’accomplir leur devoir malgré les épreuves, malgré
les sacrifices, de tenir leurs engagements et en particulier les engagements du
mariage. Alors le village se transformait peu à peu sous l’influence de la
grâce du saint sacrifice de la messe. Des âmes aussi, se sont consacrées alors
à Dieu, des religieux, des religieuses, des prêtres se donnaient à Dieu. Voilà
le fruit de la sainte messe. »
Et dans son Itinéraire spirituel de 1989, il
relate un rêve dans lequel Dieu lui a fait entrevoir un jour dans la cathédrale
de Dakar, l’image suivante : « devant la dégradation progressive de
l’idéal sacerdotal, transmettre dans toute sa pureté doctrinale, dans toute sa
charité missionnaire le sacerdoce catholique de Notre Seigneur Jésus-Christ,
tel qu’il l’a transmis jusqu’au milieu du XXe siècle ».
Dieu lui-même, par le choix du jour de décès, a imposé le
sceau d’authenticité à une telle action sacrificielle pour la sauvegarde du
saint sacrifice de la messe et le renouveau du sacerdoce catholique.
Monseigneur Lefebvre meurt dans les heures matinales du 25 mars, fête de
l’Annonciation, en ce jour où Notre Seigneur Jésus-Christ s’incarne dans le
sein de la Mère très sainte et très pure, et où sa nature humaine à ce
moment-là, est ointe pour être le Souverain Prêtre éternel du Nouveau
Testament. A partir de cette entrée dans le monde, tout son regard est tourné
vers l’autel sacrificiel de la Croix et la réfection de nos âmes par les fruits
de ce sacrifice.
Monseigneur s’éteint le premier jour de la Semaine sainte,
au moment donc où Notre-Seigneur se prépare à son sacrifice, et où dans le
Temple, il tient encore les grands discours qui l’opposent aux pharisiens au
sujet de sa mission. Comme Notre-Seigneur, on a traîné notre Père bien-aimé
devant les tribunaux ecclésiastiques et civils, devant Anne et Caïphe, devant
Pilate et Hérode ; et c’est encore sur son lit de mourant qu’on l’a
condamné pour soi-disant racisme, lui qui pendant presque trente ans a
travaillé comme missionnaire en Afrique noire. « Par sa mort, le juste est
arraché de devant la face de l’iniquité » dit la sainte Écriture
(Sp 4, 14).
La nuit voile encore la terre quand il expire à
3 h 30, à l’hôpital. Mais peu après, la lumière du nouveau jour
transparaît à travers les brumes matinales : le sacrifice est consommé et
sa mort devient un triomphe et une victoire. L’éclat de la résurrection nimbe
de lumière le deuil et les funérailles d’aujourd’hui. L’Église ne
célèbre-t-elle pas, chaque lundi où il n’y a pas de fête, la messe votive de la
Sainte Trinité qui commence avec ces paroles : « Louée soit la très
sainte Trinité et son indivisible unité, remercions-la parce qu’elle nous a
fait miséricorde » ?
Troisièmement : Instauráre ómnia in Christo,
tout restaurer, tout instaurer dans le Christ, ou le munus regendi, le
pouvoir de gouverner.
Avec toute l’Église, Monseigneur Lefebvre confessait Dieu
comme Créateur, Rédempteur, Seigneur et fin ultime de toutes choses. La
deuxième Personne de Dieu un et trine, est devenue homme. Et donc tout doit
être ordonné vers Notre Seigneur Jésus-Christ, tout doit être résumé en lui,
tout consiste en lui et tout doit être restauré en lui. Que la lumière de la
foi illumine l’intelligence. Que la lumière et la grâce du Christ fortifient la
volonté. Que les mariages, les familles, les écoles et les États se soumettent
à sa Loi. Et d’une façon toute particulière le Christ a posé cette Loi de
charité dans son Église avec son sacerdoce et sa vie religieuse. La vie et
l’enseignement de Monseigneur Lefebvre sont par conséquent christocentriques
et, parce qu’on a méprisé ses avertissements, qui, encore une fois, ne sont
rien d’autre que l’écho des avertissements des papes, tout s’écroule, tout se
dissout : « la fumée de Satan est entrée dans l’Église »
(Paul VI, le 29 juin 1972) et les forces anti-chrétiennes détruisent
les institutions chrétiennes. Laissons encore une fois la parole à
Monseigneur :
« Le résultat de ce Concile est bien pire que celui de
la Révolution : les exécutions et les martyrs sont silencieux, des
dizaines de milliers de prêtres, de religieux et de religieuses abandonnent
leurs engagements, les autres se laïcisent. Les clôtures disparaissent, le
vandalisme envahit les églises, les autels sont détruits, les croix
disparaissent, les séminaires et les noviciats se vident. Les sociétés civiles
encore catholiques se laïcisent sous la pression des autorités romaines :
Notre-Seigneur n’a plus à régner ici-bas ! L’enseignement catholique
devient œcuménique et libéral, les catéchismes sont changés et ne sont plus
catholiques. La Grégorienne à Rome devient mixte, saint Thomas n’est plus à la
base de l’enseignement. » (Itinéraire spirituel). Il n’y a qu’une seule
solution aux problèmes du genre humain, spécialement pour notre temps :
tout ramener au Christ en qui seul il y a la tranquillité dans l’ordre, dans
l’ordre de la création et l’ordre de la Rédemption. Pax Christi in regno Christi.
La paix du Christ dans le Royaume du Christ.
Monseigneur souffrait des injustices qui lui étaient faites
personnellement, des humiliations dans son honneur, foulé aux pieds. Il souffrait
de quelques-uns de ses fils prêtres qui lui disaient : « Cette
doctrine est dure, qui peut l’entendre ? » (Jn 6, 61), et
qui se retiraient et n’allaient plus avec lui. Il souffrait encore mille fois
plus à cause de l’Église, il souffrait pour l’Église. A dire vrai, le Christ
souffrait en lui pour accomplir dans son Corps mystique l’œuvre de la
Rédemption (cf. Col 1, 24).
Continuer son œuvre
Il y a deux conséquences qui semblent devoir être tirées de
cette vie et de cette mort : une première pour nous, chers confrères,
chers séminaristes, chers frères, chères sœurs, chers fidèles. Le meilleur
hommage que nous pouvons rendre au cher défunt, est celui de continuer son
œuvre avec courage et confiance, sans dévier ni à droite, ni à gauche du chemin
tracé. Que Notre Dame – que Monseigneur invoquait dans toutes ses
prédications et conférences – nous obtienne de son divin Fils en cette
heure, l’esprit de fidélité, afin que nous puissions transmettre à notre tour
ce que Monseigneur nous a transmis. Qu’en cela consiste notre honneur !
Lisez par conséquent sa Déclaration du 21 novembre 1974, qui définit
exactement l’esprit de la Fraternité dans la crise de la foi d’aujourd’hui.
Lisez la lettre de Monseigneur adressée aux quatre évêques qu’il a consacrés,
lettre d’où ressort exactement leur place par rapport à la hiérarchie de la
Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. En ce qui concerne la juridiction
vis-à-vis des laïcs, c’est une juridiction exceptionnelle et de suppléance pour
le salut des âmes, en raison de la faiblesse ou de la défaillance de
l’autorité.
Une deuxième conséquence s’ensuit, pour les responsables
dans l’Église. Monseigneur Lefebvre a, durant toute sa vie, témoigné de son
amour pour le Saint-Siège. Il ne voulait servir que le pape et les évêques, et
il l’a fait de triple manière. Tout d’abord, où serait l’Église aujourd’hui, si
le Paul de notre temps n’avait pas résisté à Pierre, résistance qui a évité
certainement beaucoup d’autres malheurs ? En outre, Monseigneur Lefebvre
par son action exemplaire a sauvé l’honneur de l’Église qui, par son essence
même, est l’image du Dieu immuable. Ensuite, au milieu de tant de
contradictions et d’hostilité, il a réussi à maintenir et à éveiller de
nouveau, dans un petit cercle de prêtres et de fidèles, l’esprit authentique de
Jésus-Christ. C’est ainsi qu’il a tracé le chemin qui seul, peut conduire à la
guérison et au renouveau de l’Église : c’est l’esprit de sainteté qui
découle de la Croix du Christ. Enfin, il a en effet formé une petite élite qui
est à la disposition du Saint-Siège et des évêques. Mais permettez-moi de
préciser : elle est à leur disposition en excluant tout compromis et toute
concession vis-à-vis des erreurs du concile Vatican II et des réformes qui
en découlent. Tant que l’esprit de destruction soufflera dans les évêchés et
les dicastères romains, il n’y aura aucune harmonisation ni accord possibles.
Nous voulons travailler à la construction de l’Église et non pas à sa
démolition.
On lit dans les journaux que Rome aurait attendu jusqu’à la
fin le « repentir » de Monseigneur… De quoi peut se repentir un homme
qui a accompli son devoir jusqu’au bout, en préservant ou en redonnant à
l’Église les moyens qui sont absolument nécessaires à la sainteté ?
N’était-ce pas une bonne œuvre de lui donner des pasteurs catholiques, elle qui
est occupée par des mercenaires, des voleurs et des larrons ?
« Est-ce pour cette bonne œuvre que vous lapidez votre frère ? »
(cf. Jn 10, 32).
En cette heure, nous supplions Rome et les évêques :
Abandonnez l’œcuménisme funeste, la laïcisation de la société et la
protestantisation du culte divin. Retournez à la saine Tradition de l’Église.
Même si vous scellez le tombeau que vous avez creusé à la vraie messe, au
Catéchisme du concile de Trente et au titre de Roi universel de Jésus-Christ
par mille décrets et excommunications, la vie ressuscitera du tombeau fermé.
« Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu ! »
Un signe essentiel d’une telle conversion et d’un tel retour
pourrait être – une fois fermé le tombeau de Monseigneur Lefebvre –
l’ouverture officielle d’un procès d’information pour constater le degré
héroïque de ses vertus. Nous, ses fils, nous sommes les témoins privilégiés de
ses mérites, de la force de sa foi, de son amour brûlant de Dieu et du
prochain, de sa résignation dans la volonté de Dieu, de son humilité et de sa
douceur, de sa vie de prière et d’adoration, de sa haine du péché et son
horreur de l’erreur. Personne ne s’est approché de lui sans repartir
meilleur ; il a rayonné la sainteté et il l’a créée instrumentalement dans
son entourage. Un jour, un vieux prêtre, observateur critique de la situation
d’aujourd’hui, me disait : « Monseigneur Lefebvre est la
charité ».
Tournons-nous en cette heure vers la très sainte Vierge
Marie, Mère de miséricorde, Mère du souverain Prêtre, Médiatrice de toutes les
grâces, afin qu’elle recommande l’âme de son fidèle serviteur à son divin Fils
et la lui présente. L’œuvre de Monseigneur Lefebvre sur cette terre est
accomplie. Maintenant commence son ministère d’intercesseur dans l’éternité. Il
a donné tout ce qu’il avait à donner : sa doctrine d’évêque, son action de
missionnaire infatigable, le miracle d’une nouvelle génération de prêtres, un
exemple dans la souffrance, et les quatre évêques auxiliaires dispensateurs du
Saint-Esprit sur l’Église et les âmes. Dieu lui a demandé une dernière
chose : sa vie. « Puisqu’il a aimé les siens, il les aima jusqu’au
bout, usque in finem » (Jn 13, 1).
Ecce sacérdos magnus, qui in diébus suis plácuit Deo, et
invéntus est justus. Non est invéntus símilis illi qui conserváret legem
Excélsi (Eccli 44, 16-20).
(Source : FSSPX/MG – DICI du 02/04/15)