Le pape François pourrait, cette année, reconnaître unilatéralement la
Fraternité d’Ecône et offrir une prélature personnelle à Mgr Bernard
Fellay. Un geste qui inquiète et divise
C’est un frémissement, une messe
basse. Dans les chapelles des autorités catholiques légitimes comme
schismatiques, il se murmure une bien curieuse rumeur: le pape François
pourrait, cette année, reconnaître unilatéralement la Fraternité sacerdotale
Saint-Pie-X (FSSPX), fondée à Ecône en Valais en 1970 par l’ultra conservateur
Mgr Lefebvre. Et offrir à son successeur, Mgr Bernard Fellay, une
prélature personnelle. En clair, un statut identique à celui de l’Opus Dei. La
Fraternité deviendrait ainsi un genre de super-diocèse mondial, dont le
supérieur échapperait à l’autorité des évêques diocésains. Pas mal, pour un
mouvement banni de l’Eglise catholique, sans statut canonique ni ministères
légitimes, même si l’excommunication de ses évêques a été levée en 2009 par
Benoît XVI.
Prélature personnelle
Pour l’un des évêques de la
Fraternité, Mgr Alfonso de Galarreta, argentin, l’affaire est entendue. Il
affirme sur Dici, le site d’information officiel de la FSSPX cité par le
journal La Croix, que la Congrégation pour la doctrine de la foi a
officiellement proposé à la Fraternité l’été dernier le statut de prélature
personnelle, accompagné d’une proposition de déclaration doctrinale. Ce ne
serait pas la première fois que le Vatican tendrait la main aux schismatiques,
espérant persuader la brebis égarée de reprendre le chemin de l’étable. Mais
elle est têtue. De liberté religieuse, elle ne veut pas. D’œcuménisme, encore
moins. Elle s’assied sur le Concile Vatican II et s’accroche à l’ancien rite.
Une inflexibilité qui s’est déjà
manifestée lors d’un dialogue précédent, mené sous l’égide de la commission
Ecclesia Dei, qui dépend de la sévère Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
En 2012, l’affaire a tourné court, la Fraternité n’ayant rien lâché. Pour
qu’accord il y eût, il aurait fallu qu’elle reconnaisse au moins certains
aspects de Vatican II. Or, elle s’y refusait. Si François devait aujourd’hui
consentir, nul doute que cela poserait problème à de nombreux évêques, car les
prêtres de la Prélature officieraient dans leurs diocèses. On imagine
l’ambiance si, par hypothèse, les lefebvristes se mettaient à crier à
l’hérétique en la cathédrale de Sion…
Toujours est-il qu’à en croire le
prélat argentin de la Fraternité, on est tout près de la rémission totale. Car
la déclaration doctrinale qui leur aurait été soumise dernièrement ne réclame
plus grand-chose: «Les autorités romaines nous demandent la profession de foi
du concile de Trente. Ensuite, dans la précédente proposition, il y avait un
paragraphe sur la liberté religieuse. Ils ont supprimé cette exigence. Tout
comme celle de l’œcuménisme. Sur la messe, ils nous demandent de reconnaître la
validité des nouveaux sacrements, de la nouvelle messe, selon l’édition latine
originale. Ce que la Fraternité a toujours reconnu.» Et de conclure: «Voyez,
ils enlèvent des conditions pour essayer d’arriver à un accord.»
L’homme pourrait avoir raison.
Car François se montre plutôt bienveillant à l’égard des lefebvristes. Il vient
de leur offrir son indulgence en reconnaissant aux prêtres de la Fraternité le
pouvoir d’absolution en confession, au prétexte que 2016 est l’année sainte du
jubilé de la Miséricorde. Selon un observateur, ce n’est qu’un petit acompte en
vue du grand pardon. En effet, on conçoit mal qu’après l’octroi de la validité
de la confession, le pape décide de l’expiration de ces pouvoirs sacramentels.
«J’ai confiance que dans un avenir proche, on pourra trouver des solutions pour
retrouver une pleine communion avec les prêtres et les supérieurs de la
Fraternité», écrit d’ailleurs le Saint-Père dans la lettre explicitant son
geste. Même si cette largesse est temporaire – ce pouvoir court jusqu’au
20 novembre – elle n’en est pas moins un signe d’apaisement.
L’ombre de Mgr Jorge Bergoglio
Ce n’est pas le seul. En 2015, la
Fraternité a été reconnue administrativement comme catholique par l’Argentine.
Un geste qu’elle doit à l’archevêque de Buenos Aires, le cardinal Mario Aurelio
Poli, qui a succédé à un certain Mgr Bergoglio, monté à Rome depuis. De là
à penser que François était à la manœuvre, il n’y a qu’un pas: «Le fait que le
cardinal Poli ait succédé au cardinal Bergoglio sur le siège archiépiscopal de
Buenos Aires peut faire légitimement penser que cette décision n’a pas été
prise sans concertation avec le pape François», écrit la Fraternité (Dici,
13.04.2015), qui maîtrise mieux la litote que la communication. La preuve?
Sollicitant un entretien avec Mgr Fellay, on nous a renvoyé à un abbé
porte-parole à Paris. Lequel a lui aussi refusé de s’exprimer. La Fraternité
partage au moins une chose avec le Saint-Siège: le goût du secret.
A la commission Ecclesia Dei,
même préférence pour le silence. Mais une interview du secrétaire de cette
commission, Mgr Guido Pozzo, parue la semaine dernière dans les colonnes
de l’agence de presse catholique Zenit, nous renseigne: «Le geste de François,
d’accorder aux fidèles catholiques de recevoir valablement et licitement le
sacrement de la réconciliation et de l’onction des malades de la part des
évêques et des prêtres de la FSSPX au cours de l’Année Sainte de la
Miséricorde, est clairement le signe de la volonté du Saint-Père de favoriser
le chemin vers la reconnaissance canonique complète et stable.» Le feu est donc
au vert.
Pourtant, les intérêts des uns et
des autres sont aussi divergents qu’ils sont, pour certains, inavouables. Au
sein de la Fraternité, si beaucoup espèrent la réconciliation, les ultras la
redoutent et promettent une nouvelle scission. Regroupés au sein du mouvement
baptisé la Résistance, ils se trouvent à la droite de la droite, autrement dit
considèrent Mgr Fellay comme un dangereux moderniste. L’Eglise catholique,
à sa base comme à la Curie romaine, est majoritairement hostile au retour de la
brebis égarée. Car celle-ci refuse le minimum légal requis pour faire partie du
club: la reconnaissance de l’autorité du pape et du Concile Vatican II. Les
seuls à espérer le retour au bercail sont les catholiques traditionalistes,
adeptes de la messe en latin, du catéchisme à l’ancienne et des dogmes
défensifs contre toute ouverture.
Si tout ce petit monde bavarde,
conjecture et manigance, il n’en est qu’un par qui la question puisse être
tranchée: le pape. Avec ou sans concession de la part de la Fraternité, il peut
décider en monarque absolu. Mais voit-on un pape considéré comme progressiste
absolvant des intégristes? Surprenant, mais envisageable. L’abbé B.,
traditionaliste français, ne serait pas étonné que ce pape-là parvienne où le
précédent a échoué: «On ne sait pas toujours où François veut aller. Il
fonctionne au jugé et n’a pas d’intérêt pour les questions théologiques. Du
coup, les divergences avec la Fraternité peuvent ne pas lui apparaître
rédhibitoires. De plus, les médias l’aiment et lui pardonnent tout. Ce qui lui
donne toute latitude pour faire ce qu’il veut.» Une analyse partagée par un
autre prêtre: «Le pape n’en fait qu’à sa tête, pour le meilleur et pour le
pire. Il ne serait pas inutile parfois qu’il demande conseil.» François serait
donc davantage inspiré que raisonnable. Cette conclusion est renforcée à la
lecture de son livre,Le nom de Dieu est Miséricorde: «Les choses me viennent un
peu d’elles-mêmes, ce sont les choses du Seigneur, dans le recueillement de la
prière», écrit-il.
Quelles répercussions?
Des considérations éthérées qui
ne sont pas pour rassurer les tenants de la ligne dure. Lesquels prient pour
que nulle inspiration divine ne vienne frapper le pape François à l’endroit de
la Fraternité. «Cautionner des gens qui nient la liberté religieuse, dont
certains sont antisémites ou entretiennent des liens avec l’extrême droite me
paraît un geste délicat à opérer, estime un évêque. Peut-être pense-t-il que
les réintégrer pourrait pousser à leur évolution. Mais j’en doute.» Le prêtre,
journaliste et écrivain Albert Longchamp, jésuite comme François, n’est pas
pour autant dans le secret des dieux. Cependant, il craint que «le pape ne
caresse l’espoir d’un pacte avec Ecône, même si cette option ne soulève pas
l’enthousiasme chez les Jésuites». Et le prêtre de se demander si le pape
mesure bien les répercussions éventuelles d’une reconnaissance pour le Valais,
alors même que ce mouvement fondamentaliste convainc de plus en plus de
fidèles.
Ce n’est pas le plus petit
paradoxe: en poursuivant son obsession de ne pas être un pape de palais,
François alimente ses intrigues, où soutanes et mitres avancent sans visages.
Comme une manière de ressusciter Umberto Eco et son Nom de la Rose.
En chiffres
La Fraternité Saint-Pie X est une
congrégation internationale de prêtres, implantée dans une soixantaine de
pays. Elle assure la formation des futurs prêtres dans six séminaires,
dont le plus fameux est celui d’Ecône, en Valais.
Elle revendique aujourd’hui plus
de 600 prêtres (dont un cinquième en France), 200 séminaristes, 110
frères, 185 religieuses et 600 000 fidèles, dont 100 000 en France. Mais
des sources indépendantes de 2011 estiment ce nombre à 150 000.
La FSSPX est gouvernée par un
supérieur général élu pour un mandat de douze ans, aujourd’hui Mgr Bernard
Fellay. Les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X vivent ensemble dans de
petites communautés, les prieurés. Ceux-ci dépendent d’un district. La
fraternité en compte 14 au total.