SOURCE - Jacques Breil - Présent - 23 avril 2016
Le pape Léon XIII débutait sa magnifique encyclique Libertas de 1888 par ce coup de trompette : « La liberté, bien excellent de la nature et apanage exclusif des êtres doués d’intelligence, confère à l’homme une dignité en vertu de laquelle il devient le maître de ses actes ». Mais ensuite, il s’attardait durant de longues pages à en présenter les limites, les conditions et les faiblesses.
Le pape Léon XIII débutait sa magnifique encyclique Libertas de 1888 par ce coup de trompette : « La liberté, bien excellent de la nature et apanage exclusif des êtres doués d’intelligence, confère à l’homme une dignité en vertu de laquelle il devient le maître de ses actes ». Mais ensuite, il s’attardait durant de longues pages à en présenter les limites, les conditions et les faiblesses.
Car la liberté ne nous est jamais purement et simplement donnée : elle est toujours à conquérir, à protéger, à faire grandir, à réaliser dans notre vie. Ce qui est le plus visible dans une existence humaine, malheureusement, ce sont les conditionnements, les aliénations, les manipulations, les pulsions, tout le poids des déterminismes.
Redécouvrir ce qu’est vraiment notre liberté, cette fleur fragile de notre nature spirituelle, nature blessée par le péché mais rachetée et sauvée par le Christ, c’est le beau dessein de l’abbé Guillaume de Tanoüarn dans un livre qu’il vient de publier. Il y apporte la rigueur du philosophe, la compétence du théologien, l’engagement du pasteur et l’enthousiasme éclairé de l’homme de culture. C’est, en effet, à la croisée de la philosophie, de la théologie et de la culture qu’il situe ses « Méditations sur la liberté chrétienne ».
L’auteur nous fait ainsi passer de la liberté comme état (« Je suis libre du seul fait que je suis un être spirituel ») à la liberté comme conquête (« Je deviens libre dans la mesure où j’apprivoise mes conditionnements »), de la liberté comme don ou comme grâce (« Dieu a mis l’homme entre les mains de son conseil ») à la liberté comme délivrance et salut. Cette dernière considération, la plus juste existentiellement, en somme, puisque « celui qui commet le péché est esclave du péché », et qu’on ne peut sortir du péché que par le pardon divin, constitue d’ailleurs le fil rouge du livre. C’est le sens de son titre, un peu énigmatique au premier abord : « Délivrés ». C’est, en effet, « pour la liberté que le Christ nous a libérés » (Ga 5, 1).
Les deux parties de l’ouvrage mettent effectivement en relation la liberté et la foi (donc la grâce) : il s’agit successivement de s’interroger sur « La foi, notre liberté » et sur « La liberté, notre foi ». L’abbé de Tanoüarn nous fait ainsi naviguer dans la liberté acquise par la vérité, dans la liberté du pari pour le bien, dans la liberté d’aimer par la grâce.
Nous n’avons pas l’intention de déflorer pour les lecteurs cet ouvrage, leur laissant le plaisir de le découvrir par eux-mêmes, très librement. Mais, pour les y encourager, nous souhaitons attirer leur attention sur la richesse culturelle de ces méditations.
Car, pour évaluer de prime abord la qualité d’un livre de réflexion, l’un des moyens les plus simples et les plus efficaces consiste à relever les penseurs que cite l’auteur au fil de sa plume. Ce florilège annonce en effet, selon la belle expression de Descartes dans le Discours de la Méthode, avec quels « honnêtes gens des siècles passés » il veut nous faire converser. Conversation qui peut s’accompagner aussi bien d’une admiration que d’un rejet, d’une acceptation immédiate que d’une discussion serrée. Entrer en contact avec de grands esprits (même quand ils ont pu proférer de monumentales erreurs), c’est l’assurance de découvrir des pensées riches, complexes, profondes, ce qui n’exclut pas, cependant, de se trouver dans l’obligation de les repousser ou de les désapprouver.
Dans son ouvrage, l’abbé de Tanoüarn nous ouvre ainsi quelques-uns des trésors de son panthéon personnel. Les auteurs cités sont, chacun dans leur genre et leur orientation, de grande qualité : Malebranche, saint Augustin, Bergson, Spinoza, Michel Foucault, Paul Ricœur, Pascal, Chesterton, Kafka, Michelet, Michel Houellebecq, Descartes, Nietzsche, Sartre, Marx, Denis de Rougemont, etc. Nous sommes sans aucun doute en présence d’une anthologie profondément latine, et le connaisseur y notera la notable prédominance, directe ou indirecte, de saint Augustin. De façon originale (car on cite aujourd’hui assez peu ce théologien-philosophe cartésien et français), Malebranche est mis à l’honneur et utilisé tout au long du livre.
Bien entendu, au-delà des auteurs cités ici ou là, nous trouvons au fil du texte la pensée de saint Thomas d’Aquin et le recours aux Ecritures révélées : car il s’agit d’un livre essentiellement chrétien, s’appuyant sur une saine philosophie, la théologie la plus éprouvée et la Révélation surnaturelle qui repose sur la vérité divine. C’est par là surtout que, comme l’annonce l’éditeur, l’abbé de Tanoüarn nous offre « un livre d’une intégrale liberté ».
Jacques Breil
Abbé Guillaume de Tanoüarn, Délivrés – Méditations sur la liberté chrétienne, Cerf, 2016, 288 pages, 22 euros.
Abbé Guillaume de Tanoüarn, Délivrés – Méditations sur la liberté chrétienne, Cerf, 2016, 288 pages, 22 euros.