SOURCE - Jean-Francois Mayer - orbis.info - 27 avril 2016
Le pape Grégoire XVIII, qd il était encore à la tête de l’Église palmarienne. Source: groupe FB Palmarian church |
En novembre 2011, j’avais publié sur ce site un article qui résumait l’histoire de l’Église catholique palmarienne (ou plus exactement «Église chrétienne palmarienne des Carmélites de la Sainte Face»), à la suite de l’accession de Grégoire XVIII au Souverain Pontificat. Les lecteurs qui ne sont pas familiers avec ce mouvement religieux voudront bien lire ce premier article pour comprendre l’arrière-plan de ce nouvel épisode. L’Église palmarienne est un mouvement pratiquant un extrême discrétion face au monde extérieur, et dont les effectifs ont diminué au fur et à mesure que des règles de plus en plus strictes étaient imposées aux fidèles. Elle ne diffuse pas de communiqués de presse et n’a aucune présence en ligne actuellement, à ma connaissance. Les seuls sites qui s’y réfèrent sont des sites d’opposants ou de dissidents — par exemple un site qui estime que le premier pape de Palmar de Troya, Grégoire XVII, était le vrai pape, mais tombé par la suite dans l’hérésie, et donc que ses successeurs, Pierre II et Grégoire XVIII, étaient des antipapes (au sens palmarien du terme), et que le Saint-Siège de Palmar de Troya est vacant depuis des années. Quant à un site palmarien qui reconnaît comme pape Alexandre IX, lequel se dit à la tête d’une Iglesia Católica Remanente en Argentine, il est dénoncé par les autres palmariens dissidents commeune tromperie et un groupe dont l’existence serait purement virtuelle. N’ayant pas enquêté de façon adéquate sur ce dernier groupe, je m’abstiens de conclure, mais la lecture d’articles en ligne, ces dernières années, m’inspire en effet certains doutes, sous réserve d’informations plus précises.
Tout cela pour dire qu’il n’est pas très facile d’obtenir des informations sûres et vérifiées au sujet de l’Église palmarienne. Elle montre qu’il existe des groupes religieux pour lesquels la communication extérieure n’est pas primordiale et qui renoncent à une présence en ligne, même s’il est possible que cette politique finisse par changer, pour éviter de laisser le champ libre aux critiques.
Selon celui qui est l’un des meilleurs connaisseurs de l’Église palmarienne, le chercheur suédois Magnus Lundberg, le pontificat de Grégoire XVIII (Ginés Jesús Hernández Martínez) aurait été marqué par certains succès pour le mouvement, alors que celui-ci semblait en déclin (diminution du nombre de fidèles, vente de propriétés). S’il n’est pas sûr que le déclin numérique ait pu être enrayé (malgré des informations non confirmées sur de nouvelles activités missionnaires à l’étranger), Lundberg observe certains indices d’une amélioration de la situation financière de l’Église palmarienne, ce qui aurait notamment permis l’achèvement de de la construction de la grande basilique de Palmar de Troya, commencée en 1978.
Lundberg note aussi de nouvelles normes palmarienne, édictées au mois de janvier 2016 par Grégoire XVIII dans une encyclique de quatre pages: ce texte modère un peu la rigueur de certaines prescriptions vestimentaires ou relatives au comportement social: «Nous ne voulons par l’extrémisme: ni le relâchement ni une rigueur excessive», écrivait Grégoire XVIII. Ainsi, les enfants palmariens étaient autorisés à parler avec des camarades d’école non palmariens même s’ils portaient des chemises à manche courte ou des pantalons pour les filles; en revanche, ils n’étaient pas autorisés à jouer avec des fillettes portant des pantalons. D’autres échanges sociaux étaient tolérés, de façon limitée et par courtoisie, même avec des personnes ne respectant pas les normes morales chrétiennes. En revanche, toute relation avec les personnes «apostates, antipalmariennes et opposées à Dieu» restait strictement prohibée.
Par rapport à ces normes strictes, un séisme est venu bouleverser le petit monde palmarien en ce mois d’avril 2016. La semaine dernière, Grégoire XVIII a quitté pour toujours Pamar de Troya. Il y a quelques jours, un groupe Facebook critique de l’Église palmarienne a publié un message de palmariens critiques ou ex-palmariens — la source n’est pas claire, et la rédaction ambiguë, mais elle résume la situation de façon apparemment bien informée (je traduis de l’anglais en abrégeant légèrement):
Au vu du dernier choquant événement à Palmar de Troya, à savoir l’apostasie du pape Grégoire XVIII, nous estimons de notre devoir de vous communiquer, si vous ne le saviez pas, que le pape Grégoire XVIII entretenait depuis l’été 2015 une liaison avec une ex-palmarienne de Monachil (Grenade).
Il lui rendait régulièrement visite depuis décembre 2015. Il s’y rendait toujours seul et sans soutane. Il a souvent passé la nuit avec elle dans son appartement et dans des hôtels aux environs de Grenade.
Le pape Grégoire a très soigneusement et discrètement préparé son apostasie, tirant avantage de sa position pour le faire.
Le pape Grégoire n’a pas simplement abandonné l’Ordre et l’Église palmarienne (dont il dit qu’elle n’est pas la vraie Église) ainsi que sa vie consacrée, mais il a quitté l’Ordre en emportant illégalement une somme très importante ainsi qu’une BMW X6 (d’une valeur approximative de 70’000€). La voiture est assurée au nom de l’Église chrétienne palmarienne et ne lui appartient donc pas.
Le pape Grégoire XVIII a déjà des projets de mariage pour septembre 2016.Il est impératif que tous les fidèles palmariens soient pleinement conscients des circonstances de l’apostasie de Grégoire XVIII.
Ce devrait être votre devoir, avec tous les fidèles palmariens, de demander à la hiérarchie palmarienne de porter plainte pour vol contre Grégoire XVIII.
Il est difficile de savoir quand les dirigeants de l’Église palmarienne ont pris conscience de l’affaire. Mais depuis la fin du mois de mars, des rumeurs circulaient dans le milieu des ex-palmariens. Le groupe Facebook précédemment mentionné avait identifié la femme avec laquelle le pape palmarien entretenait une liaison, et publié des photographies du véhicule de Grégoire sur une place de parc d’un parking souterrain de Grenade pendant une visite à son amante présumée…
Aujourd’hui même, un journal de Séville a publié un article se fondant sur un «entretien exclusif» avec l’ex-pape. Après trente-deux années de vie religieuse, il confirme ne plus croire et être tombé amoureux de Nieves Triviño Girela (animatrice culturelle, séparée, deux enfants). Il juge qu’il ne pouvait ni ne devait continuer dans ses fonctions. Pour l’instant en tout cas, il semble réticent à parler des questions internes au mouvement et déclare conserver un grand respect pour la congrégation à laquelle il a appartenu. Il affirme avoir tout fait dans les règles, laissant derrière lui des comptes en ordre et sans rien s’approprier (il reste à voir si cette vertsion sera confirmée ou non par l’Église palmarienne): selon lui, la BMW est un don qu’il urait reçu personnellement et swrait donc sa propriété privée, et non celle de l’Ordre. Sa décision serait mûrement réfléchie: il veut tourner la page et commencer une nouvelle vie (Jasvier Macias, «El ‘papa’ del Palmar niega haber robado el ‘papamóvil’: ‘Es mio, estaba a mi nombre’», ABC de Sevilla, 27 avril 2016). Reste à voir maintenant si l’ex-pape Grégoire XVIII cédera un jour à la tentation de publier ses mémoires, qui ne manqueraient pas de susciter la curiosité.
La vacance du siège palmarien a été brève. À peine connue la défection de Grégoire XVIII, le 22 avril, c’est son secrétaire d’État et successeur désigné qui est monté sur le trône pontifical le 23 avril: en effet, pour éviter tout problème en cas d’incapacité ou d’autres circonstances, chaque pape palmarien désigne son successeur éventuel dès le début de son pontificat. Le nouveau pape, S.S. Pierre III, portait le nom religieux de Père Élisée Marie dans l’Ordre des Carmélites de la Sainte Face. Il s’agit d’un citoyen suisse (j’ignore s’il a été naturalisé espagnol), dont le nom civil est Markus Josef Odermatt.
Il semble peu probable que l’Église palmarienne traîne l’ancien pape devant des tribunaux civils, à moins que les caisses n’aient été vidées: même s’il contestait la propriété d’un véhicule de luxe (en supposant qu’il n’y ait rien d’autre en jeu), un mouvement cultivant une telle discrétion ne souhaitera probablement pas étaler publiquement ses affaires internes.
De mon point de vue de chercheur, ce n’est d’ailleurs pas une question très importante. Trois points m’intéressent beaucoup plus:
- Le mouvement a déjà connu des dissidences, mais la défection de la tête même de l’Église représente une situation inédite. Quelle interprétation doctrinale l’Église palmarienne va-t-elle élaborer pour expliquer l’apostasie de son pape? Celle-ci sera-t-elle traitée comme simple faiblesse humaine, ou sera-t-elle revêtue d’une autre dimension? Sera-t-elle éventuellement interprétée en termes apocalyptiques? Quel statut donner aux décisions prises par Grégoire XVIII? Resteront-elles toutes valables, ou seulement jusqu’à une certaine date?
- Quel sera l’impact de cette défection sur un mouvement dont les effectifs, selon toute vraisemblance, s’étaient fortement réduits au fil des ans? L’Église palmarienne est-elle encore en mesure non seulement de maintenir ses effectifs, mais de progresser? Ce n’est pas impossible, si l’on considère l’histoire des mouvements religieux, mais il risque d’être difficile de poursuivre comme si rien ne s’était passé, d’autant plus que nombre de fidèles palmariens ont consenti beaucoup de sacrifices pour leur foi. Le mouvement va-t-il encore plus se replier sur lui-même, ou amorcer une prudente ouverture qui assurerait — peut-être — son avenir? Pour un mouvement strict, la question de l’équilibre à trouver se pose de façon vive, comme l’avait apparemment pressenti Grégoire XVIII dans son encyclique de janvier 2016.
- Enfin, quelles orientations S.S. Pierre III choisira-t-il de donner au mouvement? Dans quelle mesure peut-il en décider seul, ou d’autres figures au sein du mouvement peuvent-elles exercer une forte influence, voire imposer un certain encadrement au Pape pour prévenir de futures mésaventures, et ainsi codéterminer les orientations futures sur le plan doctrinal et pratique?
Bien entendu, il ne faut pas oublier la question cruciale du contrôle des biens de l’Église palmarienne, à commencer par son quartier général à Palmar de Troya: celui qui exerce le contrôle légal sur ces biens détient un argument de poids. L’Église palmarienne se trouve soudain à un tournant crucial de son histoire.
Dans les années 1980, quiconque le souhaitait pouvait se procurer les publications palmariennes en différentes langues. Comme l’article ci-dessus l’indique, ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui: il est parfois possible d’obtenir certains textes, mais pas sur une base régulière. Peut-être le nouveau chef de l’Église palmarienne choisira-t-il une approche plus ouverte à cet égard? Il est trop tôt pour le dire. Pour une synthèse par un chercheur, on peut signaler un rapport de 65 pages de Magnus Lundberg sur l’Église palmarienne (téléchargeable au format PDF) ainsi que son article «Fighting the Modern with the Virgin Mary: The Palmarian Church», Nova Religio: The Journal of Alternative and Emergent Religions, novembre 2013, 17/40-60. Dans un autre genre, Maria Hall, une Néo-Zélandaise qui a passé plusieurs années comme religieuse à Palmar de Troya, a publié l’an dernier son témoignage, disponible sous forme imprimée et comme ebook: Reparation: A Spiritual Journey, s.l., Haven Publishing, 2015, IV+294 p.