SOURCE - Laurent Dandrieu - Valeurs Actuelles - 26 avril 2016
Parti pris. Le monde moderne a cru trouver la liberté en tuant Dieu, “au couteau”, dit Nietzsche. Tout faux, répond Guillaume de Tanoüarn: car seule la foi délivre vraiment.
Parti pris. Le monde moderne a cru trouver la liberté en tuant Dieu, “au couteau”, dit Nietzsche. Tout faux, répond Guillaume de Tanoüarn: car seule la foi délivre vraiment.
Né libre et partout dans les fers, l’homme sent bien depuis toujours que la liberté ne saurait être un simple donné de nature : si elle ne s’exerce pas, si elle ne se conquiert pas, si elle ne s’éprouve pas à l’aune des faits, elle n’est qu’un mot creux. Le moderne croit avoir trouvé la solution : l’obstacle suprême, celui qui empêche l’homme de passer de la liberté formelle à la liberté réelle, c’est Dieu. « Si Dieu existait, dit Sartre, ce serait une raison supplémentaire pour nous de le combattre » : car si l’homme est une créature, il est forcément subordonné, comme un esclave à son maître. Si Dieu est mort, « égorgé sous nos couteaux » comme l’écrit Nietzsche, c’est que l’homme a dû supprimer cette entrave à sa liberté. « Nouveau pari d’un Pascal inversé », note Guillaume de Tanoüarn dans son livre Délivrés, qui pour Nietzsche est censé inaugurer « une nouvelle aurore » : « L’horizon nous paraît de nouveau libre ; la mer, notre mer est de nouveau ouverte devant nous », écrit ce dernier dans le Gai Savoir.
Pour Guillaume de Tanoüarn, philosophe et prêtre (pourquoi diable les Éditions du Cerf ne mentionnent-elles pas cette seconde qualité, comme si elle était anecdotique ? ), c’est le contraire qui est vrai : en tuant Dieu, l’homme s’est privé de la vraie source de sa liberté, pour lui préférer cette liberté in forme des feuilles mortes dont parlait Chesterton, qui est en réalité un esclavage des modes et des pulsions. Lui aussi prêtre et philosophe, mais au XVIIe siècle, Malebranche pressentait cette impasse : « Ils pensent être les seuls auteurs de tous les mouvements qui leur arrivent et, ne distinguant point ce qui se passe en eux-mêmes en conséquence d’un acte libre de leur volonté d’avec ce que s’y produit par l’impression des corps qui les environnent, ils pensent qu’ils se conduisent eux-mêmes dans le temps qu’ils sont conduits par quelque autre. »
Pour Guillaume de Tanoüarn, au contraire, la liberté est une grâce : elle est le produit de la réception du don de Dieu, d’une démarche de foi. La foi est l’acceptation par l’homme de sa vocation véritable, la résolution à suivre sa lumière intérieure. Au contraire du judaïsme et de l’islam qui sont des religions de la loi, le christianisme repose entièrement sur le choix ; sa morale, nous dit Tanoüarn, est « une morale du coeur », non pas soumission aveugle à un commandement, mais élan librement consenti vers le bien, qui seul permet à l’homme de croître en humanité. Notre auteur montre bien que les contemporains de Jésus, comme plus tard le feront les modernes, ont achoppé là-dessus : ils ont refusé la liberté que le Christ leur offrait, car ils croyaient n’avoir besoin de personne pour être libres. Or il n’y a de liberté que si l’on accepte de suivre la vérité ; et en re tour, nous dit Tanoüarn, c’est cette liberté qui nous rend vrais.
Aime et fais ce que tu veux, dit saint Augustin : les modernes aiment à citer cette phrase parce qu’ils veulent oublier que, pour l’auteur de la Cité de Dieu, il n’y a d’amour que fondé en la vérité et que, dans le second mouvement de la phrase, ils entendent surtout “ce que tu veux”, en oubliant le mot le plus important, ce “fais” : la liberté n’est pas un état ga zeux, c’est un acte qui présuppose un choix. Or, nous dit Guillaume de Tanoüarn, le moderne qui refuse Dieu a fait « le choix du non-choix » : « Il s’agit de vivre sa vie en étant simplement en quête des bonnes fortunes qui s’offrent à nous, mais en refusant absolument d’y mettre un quelconque fil rouge ou d’y voir une fin ultime — fin des fins, clé de voûte à quoi tout s’ordonnerait. »
La liberté que nous offre la foi, elle, est tout autre : c’est, écrit Tanoüarn, « l’expérience faite au moins une fois et pour toujours de la supériorité de l’Esprit, ce souffle qui nous emmène au-delà de nousmêmes ». Il s’agit, dit-il encore, d’être « au cours de cette vie, les vestales de notre expérience intérieure, dont nous devons garder le foyer inviolé et brûlant ». Une feuille morte ou un foyer ardent : le choix, pour le moins, a le mérite de la clarté.
Délivrés, méditations sur la liberté chrétienne, de Guillaume de Tanoüarn, Éditions du Cerf, 288 pages, 22 €.