SOURCE - Bérengère Margaritelli - Le Figaro - 3 aout 2016
Reportage - Élus et habitants du XVe arrondissement se sont rassemblés ce mercredi matin pour protester contre l'expulsion de fidèles de l'église, promise à la vente.
Reportage - Élus et habitants du XVe arrondissement se sont rassemblés ce mercredi matin pour protester contre l'expulsion de fidèles de l'église, promise à la vente.
Au 27 de la rue François Bonvin, dans le XVe arrondissement de Paris, elle se tient là, petite église encadrée entre un immeuble et un bout de terre grillagé, barrée par un portail métallique sur lequel est inscrit «En France, on tue les prêtres et on rase les Eglises». Le ton est donné. Devant, ils sont une vingtaine, à l'aube, qui se préparent à faire front. Il y a Nicolas Stoquer, président délégué de l'association des Arches de Ste Rita, il y a aussi quatre élus qui ont revêtu leur écharpe, mais également des fidèles et des gens du quartier. Tous venus pour empêcher l'évacuation de cette église vendue à un promoteur breton il y a plus de deux ans. Murée au milieu de l'année 2015, elle devait être détruite en octobre dernier pour laisser place à un parking et à des logements sociaux.
Des difficultés financières avaient décidé l'association cultuelle des chapelles catholiques et apostoliques, propriétaire du bâtiment, à s'en séparer. Le lieu était loué depuis des années par l'Église catholique gallicane de Paris, dont les fidèles se sont mobilisés depuis pour enrayer le processus de vente. Dans la nuit du 5 au 6 octobre dernier, des militants du Mouvement du 14 juillet (un mouvement antisystème) ont rejoint la longue liste de défenseurs de l'église, pour «libérer» l'église promise à la démolition. Leur mobilisation a empêché la destruction de commencer. À cette occasion, un certain nombre de personnes ont pénétré dans l'église en détruisant le mur de parpaing et ont rétabli l'accès à l'église, où ils se sont installés. Depuis, l'association cultuelle a obtenu par ordonnance du tribunal de Paris, le 6 janvier dernier, l'autorisation judiciaire de faire procéder à l'expulsion de ces occupants. En mai, c'est le juge des référés qui a ordonné au préfet de police de Paris d'apporter le concours de la force publique.
«C'est une question de patrimoine!»
Il est 6h40: trois messes consécutives ont déjà été célébrées, une cinquantaine de personnes se sont barricadées à l'intérieur de l'église et comptent bien résister aux forces de l'ordre jusqu'au bout. Philippe, un jeune du quartier, est venu avec des amis en signe de protestation. Ses convictions, il les exprime avec vigueur. «C'est une question de patrimoine! On ne peut pas raser cette église. Elle a permis le croisement des générations dans ce quartier, et l'instauration d'une certaine ferveur, dans un quartier où personne ne se parle. Vraiment, les Parisiens ont beaucoup à y perdre, s'ils perdent Sainte-Rita. Il faut maintenir les lieux de vie, il ne faut pas les détruire. C'est dommage d'en arriver là.»
6h50. Boucliers à la main, une vingtaine de policiers s'engouffrent dans la rue et viennent encercler le petit groupe qui s'est massé comme un seul homme devant le portail. Un peu à part, Nicolas Stoquer assiste à la confrontation. «J'ai eu une intuition, le mois dernier. Je savais qu'ils enverraient les forces de l'ordre, que ce n'était qu'une question de temps. Quoiqu'après Saint Etienne du Rouvray, je me suis dit qu'ils n'oseraient pas, que ça n'était pas possible. Que l'urgence était ailleurs. Mais non, visiblement ils préfèrent gaspiller de cette façon des hommes et des moyens dans un pays en guerre plutôt que d'intervenir là où il faut».
6h55. Les soutiens de l'église se sont assis spontanément pour faire bloc pendant que les policiers commencent à les tirer à eux pour les écarter du portail. «On est au pays des libertés! Allez dans les banlieues! Là-bas il y a vraiment du boulot!» crie un homme, la joue écrasée contre un bouclier. Un autre homme apparaît à la fenêtre pour filmer la scène. En bas, la résistance continue. Tous sont assis. D'un seul coup, le petit groupe se met à entonner spontanément la Marseillaise. Un jeune homme, caché dans un arbre, laisse parler sa hargne: «Le gouvernement laisse mourir les citoyens mais il est toujours là pour raser les églises! Il manquait des policiers à Nice, ici on n'en a pas besoin!». Pendant ce temps, le groupe de protestataires est emmené un peu plus loin, devant le bar Le Troquet, où une barrière de policiers veille.
«Y en a marre de détruire les Eglises»
7h18. Quelques minutes plus tard, c'est le début de l'expulsion de la cinquantaine de fidèles. Des cris résonnent, des gens se débattent. En face de l'église, Oumlil, depuis le garage où il travaille, assiste à la scène. «Je suis 100% d'accord avec cette expulsion, bon débarras! Il n'y a plus rien dans cette église, elle n'est presque plus active, il fallait qu'elle soit vidée et que la police fasse son boulot. Et puis, elle a été vendue!» À quelques pas, un couple vient tout juste d'être expulsé de l'église. La femme a les larmes aux yeux. «C'est d'une brutalité inimaginable! Une femme a été traînée sous mes yeux…». Dans l'immeuble à côté, plusieurs voisins sont interpellés par toute cette agitation. «Je comprends qu'ils veuillent garder cette église, mais cette expulsion, ça aurait dû être fait depuis longtemps! Ils n'ont qu'à la racheter, ils ne peuvent pas la squatter comme ça!», lance un voisin. Une voisine commente: «Oui mais y en a marre de détruire les églises… Et puis dans celle-là il y avait des fidèles avec une grande ferveur, une grande bienveillance!»
A 8h30, l'église est entièrement vidée de ses occupants. L'abbé Guillaume de Tanoüarn sort en dernier, sous les vivats ; il aura résisté jusqu'au bout. Finalement, une seule personne sera placée en garde à vue. Les autres seront laissées libres. L'opération se termine dans le calme. «Il faut dire que là ça se passe dans un lieu de culte…. C'est vraiment très particulier», conclut un policier.
Depuis ce matin, les réseaux sociaux se sont emparés de l'opération. Sur Twitter, Marion Maréchal Le Pen a posté des photos de lutte à l'intérieur de l'église, sous le hashtag #sainterita. Nadine Morano s'est également exprimée sur le sujet. Frederic Lefebvre quant à lui a annoncé qu'il avait «saisi Bernard Cazeneuve pour que l'opération soit suspendue».
Le député-maire (Les Républicains) du XVe arrondissement, Philippe Goujon, a publié des photos de l'évacuation sur Twitter avec ce commentaire: «L'église #SainteRita évacuée en plein cœur de l'été au moment où la France est submergée par l'émotion après le lâche assassinat d'un prêtre». «L'évacuation par la force pour détruire l'église Sainte Rita de Paris est le triste symbole de ce pouvoir socialiste sans âme et sans repère», écrit pour sa part Eric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes.