SOURCE - Laurent Dandrieu - Valeurs Actuelles - 3 août 2016
Sainte-Rita. Promise à la destruction pour construire un parking, cette église du XVe arrondissement était occupée par des catholiques de rite traditionnel qui voulaient la sauver. Les CRS les en ont délogé ce matin à l’aube.
Sainte-Rita. Promise à la destruction pour construire un parking, cette église du XVe arrondissement était occupée par des catholiques de rite traditionnel qui voulaient la sauver. Les CRS les en ont délogé ce matin à l’aube.
À 5h30 du matin, la rue François Bonvin, dans le XVe arrondissement de Paris, est encore déserte. Mais passée la porte de la palissade en tôle ondulée ornée du slogan “En France, on tue les prêtres et on rase les églises”, qui protège l’église Sainte-Rita, une construction néogothique sans grâce datant de1900, règne une étrange effervescence. Une vingtaine de personnes ont dormi là, à même les bancs, dont l’abbé Guillaume de Tanoüarn, prêtre catholique de rite traditionnel, l’un des membres fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur, une société de prêtres de droit pontifical dont il est l’un des fondateurs, qui dessert l’église depuis plusieurs mois ; plusieurs dizaines d’autres les ont rejointes au matin, comme je viens de le faire. Sous le porche, on partage un café et des crêpes, en prévision d’une rude journée.
Une église n'est pas un bâtiment comme un autre : son caractère sacré oblige à la respecter
C’est que l’abbé de Tanoüarn a appris, la veille au soir, que la police devait procéder, ce matin, à l’expulsion de cette petite communauté, sorte de ZAD catholique qui occupe depuis des mois cette église privée, pour éviter que son propriétaire, l’Association des chapelles catholiques et apostoliques, ne finalise sa vente à un promoteur qui entend la démolir pour en faire un parking. Pour les riverains, pour les fidèles attachés à cette église et pour la communauté de plusieurs centaines de personnes réunie tous les dimanches autour de l’abbé de Tanoüarn, une église n’est pas un bâtiment comme un autre : son caractère sacré oblige à la respecter. Paris ne peut pas se payer le luxe, à l’heure du nihilisme triomphant et du djihadisme conquérant, de la disparition d’un lieu de culte, qui viendrait renforcer encore un peu plus le vide spirituel dont souffre cruellement notre pays.
C’est pourquoi, apprenant la menace d’expulsion, l’abbé de Tanoüarn a convoqué en urgence ses fidèles pour une messe célébrée ce 3 août, à six heures du matin. Malgré les vacances d’été et l’improvisation, plus de 80 personnes ont répondu présent, surtout des jeunes. Mais une octogénaire aussi a participé à la garde nocturne, dormant sur un banc.
"La violence ne résout jamais rien, il faut lui répondre en la subvertissant par la force de l’amour"
6 heures : l’abbé de Tanoüarn commence à célébrer la messe ; dans l’église encore obscure, une cinquantaine de personnes prient dans le recueillement ; d’autres, à l’extérieur, guettent l’arrivée des forces de l’ordre, en compagnie d’une demi-douzaine d’élus de la mairie d’arrondissement, venus encourager les défenseurs de l’église (Philippe Goujon, le maire du XVe, absent de Paris, a envoyé des messages de soutien sur twitter), tout comme Frédéric Lefebvre, candidat à la primaire des Républicains. Dans son sermon, commentant l’épisode du martyre de saint Etienne qui fait partie des lectures liturgiques du jour, l’abbé de Tanoüarn précise que la résistance à l’assaut des forces de l’ordre sera résolument non-violente, « car la violence ne résout jamais rien, et qu’il faut lui répondre en la subvertissant par la force de l’amour ».
Vers 6h45, on entend une forte agitation venant de l’extérieur : 12 cars de CRS ont pris position, accueillis par des lazzis : « Daech-police, même combat ! » ; les forces de l’ordre ayant fait mouvement vers l’église, les défenseurs se barricadent, entassant de lourds sacs de gravats devant la porte de la palissade et des meubles, puis entassant des bancs devant la porte de l’église, qui en est la seule voie d’accès. J’ai choisi de me laisser enfermer avec eux, pour vivre cet assaut de l’intérieur. La messe de l’abbé de Tanoüarn finie, l’abbé Jean-François Billot monte à l’autel pour célébrer la sienne. Sa célébration se fait dans le brouhaha des efforts des défenseurs pour consolider la barricade de la porte intérieure, des ordres et des contrordres que se lancent les défenseurs.
Dans l’excitation de cet acte de résistance temporel, le spirituel n’a pas perdu ses droits
Tout à coup, une voix forte retentit : « Élévation ! » L’abbé Billot en est arrivé, en effet, à ce moment de la consécration où il lève l’hostie consacrée, devenue le corps du Christ, vers le ciel, pour la proposer à l’adoration des fidèles. Dans l’Église, le silence se fait instantanément, tous ceux qui un instant plus tôt étaient occupés à entasser des bancs se tournent vers l’autel et s’agenouillent en prière. Dans l’excitation de cet acte de résistance temporel, le spirituel n’a pas perdu ses droits.
Enfin les CRS fracassent la porte intérieure et commencent à dégager les bancs qui obstruent le passage. Dans le chœur, une vieille femme de 90 ans pleure en silence, consolée par un paroissien, sur ce sacrilège désolant. Plus tard, un CRS viendra lui tendre la main pour lui proposer de la guider vers la sortie, mais elle refusera avec dignité.
Maintenant les CRS contournent le cordon de fidèles, dos à l’autel, qui tentent de protéger l’abbé de Tanoüarn qui a commencé à célébrer une nouvelle messe : « Face à cette violation de ce le lieu de culte, nous n’avions d’autre réponse que la prière, expliquera-t-il plus tard : et quelle prière est plus belle que la messe ? » Il lit une nouvelle fois les lectures du jour en latin, mais prononce intentionnellement, à l’intention des pandores, une phrase en français : celle où Étienne, sous le point de succomber à la lapidation, implore le ciel : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché ! »
La masse des CRS se rapproche de l’autel, pressés d’en finir, sans attendre les vingt minutes qui auraient été nécessaires à l’abbé pour finir sa messe. Un groupe de fidèles tente de faire barrage, l’abbé Billot, les bras en croix, fait rempart de son corps. La confusion est à son comble, la scène chaotique. Armé de mon appareil photo, ma carte de presse brandie entre deux doigts, je mitraille sans que les CRS y trouvent à redire. Je réussis à prendre une photo de l’abbé Billot traîné de force, à même le sol, par les hommes en uniforme, qui fera dès le début de matinée le tour des réseaux sociaux. C’est l’une des rares scènes vraiment violentes d’un assaut où l’on a senti, de part et d’autre, le souci de ne pas jeter plus d’huile qu’il n’en faut sur le feu, et de la part des forces de l’ordre, la crainte de rajouter une brutalité au scandale de cette irruption de la force dans un lieu voué à la prière.
Pourtant, dans la confusion, un CRS fait usage de gaz lacrymogène. L’abbé de Tanoüarn, atteint, sent qu’il ne pourra pas finir sa messe. Il consomme les hosties qu’il vient de consacrer, pour éviter tout possible sacrilège, et sera escorté par les forces de l’ordre, entouré de son dernier carré de fidèles, hors de l’église, en une scène qui évoque irrésistiblement les sinistres inventaires de 1905, et ce laïcisme agressif que la France a souvent confondu avec la laïcité.
"Nous ne voulons pas d’un Paris où l’argent soit le motif dominant de toutes les décisions"
Dehors, les défenseurs de l’église sont exfiltrés un à un, le temps de contrôler leur identité, puis relâchés. Frédéric Lefebvre tempête contre une expulsion qu’il juge d’autant plus scandaleuse qu’elle vient si peu de temps après le traumatisme subi par la communauté catholique lors de l’assassinat du père Hamel par deux terroristes islamiques. L’abbé de Tanoüarn pense déjà à la suite : dimanche, il célébrera, à 11 heures, la messe devant Sainte-Rita désormais fermée, et le 15 août, conduira, dans les rues du quartier, la traditionnelle procession. Il ne veut pas croire à la destruction de Sainte Rita, qui n’est pas pour rien celle qui intercède pour les causes désespérées : «Rien ne s’y oppose juridiquement, mais tout s’y oppose moralement.» Il croit encore possible le rachat de l’église par une communauté chrétienne, quelle qu’elle soit, qui le fera vivre, et se veut optimiste : «Pour la communauté chrétienne de Sainte-Rita, cette journée pouvait nous faire vivre le pire : l’évacuation de l’église aurait pu être un simple acte administratif. Mais les 80 personnes qui se sont mobilisées à la dernière heure pour faire face ont montré l’enjeu humain et spirituel de cette destruction programmée. Nous ne voulons pas d’un Paris où l’argent soit le motif dominant de toutes les décisions. Nous croyons à l’urgence de rendre son âme à cette ville et qu’il y a des lieux où souffle l’esprit, qu’il importe de protéger.»