SOURCE - un moine bénédiction - Aleteia.fr - 17 novembre 2016
Depuis un certain temps, il est de bon ton de critiquer la liturgie conciliaire. On lui découvre tout d’un coup des inconvénients qui portent ordinairement sur des points secondaires. Du coup, on oublie l’essentiel : l’immense renouveau qu’elle a engendré, notamment par la participation effective des fidèles qui comprennent ce que l’on dit et célèbrent avec le prêtre, chacun à son niveau. L’auteur de ces lignes est un moine qui célèbre la messe de Paul VI en grégorien chaque jour. Il n’a donc pas, en tant que religieux contemplatif, mission d’ordinaire de monter au créneau. Néanmoins, l’agitation engendrée par ces petites remises en cause l’afflige et il voudrait, si possible, rappeler quelques vérités qu’il vaudrait mieux ne pas perdre de vue et surtout contribuer à ramener la paix dans les débats.
Depuis un certain temps, il est de bon ton de critiquer la liturgie conciliaire. On lui découvre tout d’un coup des inconvénients qui portent ordinairement sur des points secondaires. Du coup, on oublie l’essentiel : l’immense renouveau qu’elle a engendré, notamment par la participation effective des fidèles qui comprennent ce que l’on dit et célèbrent avec le prêtre, chacun à son niveau. L’auteur de ces lignes est un moine qui célèbre la messe de Paul VI en grégorien chaque jour. Il n’a donc pas, en tant que religieux contemplatif, mission d’ordinaire de monter au créneau. Néanmoins, l’agitation engendrée par ces petites remises en cause l’afflige et il voudrait, si possible, rappeler quelques vérités qu’il vaudrait mieux ne pas perdre de vue et surtout contribuer à ramener la paix dans les débats.
1 — La messe la plus traditionnelle, c’est celle de Paul VI. Le concile de Trente à opéré un très beau retour aux sources en réalisant sa réforme liturgique, par rapport à ce qu’était devenue la messe au Moyen Âge. Cependant on était resté au milieu du gué, sans aller jusqu’au bout de la réforme, faute d’authentiques liturgistes à l’époque (les études liturgiques étaient à peu près inexistantes). Je renvoie, sur ce sujet, au travail irremplaçable du père Bouyer, publié dans son livre L’Eucharistie (Éditions du Cerf, 2009).
Croyez-vous vraiment, pour ne reprendre que cet exemple débattu récemment, que le Christ ait célébré la cène dos aux apôtres. Or, c’est le Christ qui célèbre à chaque eucharistie et pas seulement l’abbé Tartempion. D’ailleurs, le missel de Trente autorisait la célébration face au peuple. Mais la perte du sens liturgique qui, à cette époque, n’était pas moindre, que celle que nous pouvons connaître aujourd’hui, avait fait penser qu’une célébration face à l’Orient était préférable (certes, se tourner vers l’Orient a un sens, mais la position face au peuple n’est pas dénuée elle non plus de signification comme on voudrait le faire croire) et la proposition du concile de Trente de pouvoir aussi célébrer face au peuple comme le Christ face à ses disciples n’a jamais été suivie. On pourrait multiplier les exemples où des personnes parfois haut placées dans l’Église fustigent certains usages liturgiques, prônant un retour à un usage tridentin, sans se douter qu’on s’éloignerait, en fait, de l’usage traditionnel.
2 — La permission de célébrer selon la forme tridentine est une autorisation «ad duritiam cordis», c’est à dire « À cause de la dureté du cœur ». Cela est clair et évident pour toute personne qui veut regarder les choses dans la vérité. L’expression, bien connue en spiritualité, est empruntée à la parole du Christ (Mathieu 19, 8). Elle signifie que l’autorité est obligée parfois d’accorder sa permission pour un acte qu’elle réprouve, en raison de la faiblesse ou de la désobéissance du bénéficiaire de la permission, afin d’éviter un plus grand mal : dans notre cas, le schisme. Il est certain que s’il n’y avait pas eu la désobéissance manifeste et scandaleuse de Mgr Lefebvre, jamais l’Église n’aurait accordé les autorisations que l’on sait. C’est pourquoi, je pense qu’il faudrait parler du rite extraordinaire tridentin avec beaucoup plus de retenue et toujours en mettant en garde sur cette ambiguïté originelle.
Normalement, aujourd’hui, si on se place d’un point de vue spirituel, l’utilisation du rite extraordinaire supposerait que l’on soit libre intérieurement et que l’on soit prêt à célébrer selon le rite de Paul VI si la charité l’exige. C’est le cas de nombreux prêtres, diocésains ou religieux, qui célèbrent habituellement dans le rite extraordinaire, mais sont disposés à célébrer, ou concélébrer avec leurs frères, dans le rite ordinaire si l’occasion ou la nécessité se présente. Souvent ces prêtres ont utilisé exclusivement la messe de Paul VI tant que le rite tridentin n’était pas autorisé. C’est seulement lorsque celui-ci a été permis qu’ils y sont revenus, pour des raisons de goût personnel. Cette adhésion à ce rite ne remet pas en cause leur attachement ni au concile en général, ni à la messe de Paul VI en particulier.
Cependant les cas ne sont pas rares où des prêtres traditionalistes refusent obstinément de célébrer la messe ordinaire et, même à la messe chrismale où pourtant tous les prêtres du diocèse se rassemblent autour de leur évêque, de concélébrer avec leurs frères. J’ai personnellement fait l’expérience suivante. J’étais pour une semaine dans une communauté de religieuses. Je leur célébrais quotidiennement la messe selon le rite ordinaire, comme elles le désiraient. Il y avait à l’hôtellerie de cette communauté deux séminaristes traditionalistes qui n’assistaient jamais à l’eucharistie parce qu’elle n’était pas tridentine. Il fallut l’intervention d’un prêtre de la fraternité Saint-Pierre pour qu’ils acceptent non sans réticence (en se mettant dans le fond de l’église) à participer à cette messe. Il fallut une deuxième intervention pour qu’ils condescendent à y communier. Mes arguments avaient été totalement inefficaces et pourtant ma manière de célébrer est hyper-classique, plutôt très solennelle et infiniment respectueuse, bref, à l’image de ce qui se célèbre dans les monastères.
On conçoit dans ces conditions les réticences de la hiérarchie. Si autoriser que le rite extraordinaire soit célébré dans une église du diocèse signifie la création d’un petit groupe de chrétiens vivant à part soi et fuyant comme la peste leurs frères qui préfèrent le rite ordinaire, on peut comprendre qu’ils ne soient pas enthousiastes. Il y a donc des traditionalistes qui doivent impérativement faire un effort pour ne pas croire que leur manière de faire est la seule bonne et que les autres sont dans l’erreur. Il est vrai qu’il existe aussi des prêtres, pratiquant le rite de Paul VI, peu conciliants, voire illégitimement intransigeants. Par exemple, refusant de donner la communion aux fidèles qui veulent recevoir l’hostie dans la bouche et non dans la main. De ce coté aussi, il est évident qu’il y a des efforts à faire.
3 — Ceci m’amène à une dernière considération. Quand, dans l’Église de France, acceptera-t-on, enfin, qu’il y ait de nombreux courants et de nombreux styles ? Quand cessera-t-on de jeter l’anathème sur ceux qui n’ont pas la même sensibilité ou pratique liturgique ? Cette tolérance est l’affaire de tous. Ce point est essentiel. En effet, nous sommes chrétiens, c’est à dire, des témoins du Dieu-Amour. Comment pouvons-nous être crédibles auprès de nos frères incroyants si nous nous disputons, surtout qu’il s’agit de problèmes secondaires ? Tertulien, un père de l’Église du IIe siècle, rapporte que les premières communautés chrétiennes impressionnaient les païens par l’amour qui régnait parmi les frères : « Voyez comme ils s’aiment ! » se disaient-ils entre eux. Comment pouvons-nous pérorer sur la paix ou la solidarité ou la charité en général, si nous sommes prêts à condamner ou à mépriser notre frère pour des problèmes de latin ou français, communion sur la langue ou dans la main, célébration face au peuple ou tourné vers l’orient etc ?
Voici ce qu’a déclaré le pape François, lors de l’audience générale du 9 octobre 2013 : « L’Église est comme un grand orchestre dans lequel il y a de la variété. Nous ne sommes pas tous pareils et nous ne devons pas chercher à être tous pareils… Chacun apporte ce qu’il est, ce que Dieu lui a donné pour enrichir les autres… C’est une diversité qui n’est pas source de conflit, d’opposition ; c’est une variété qui se laisse fondre harmonieusement par l’Esprit Saint ; c’est lui le vrai “Maître”. Il est lui-même harmonie. Et là, posons-nous la question : dans notre communauté, est-ce que nous vivons l’harmonie ou bien est-ce que nous nous disputons ? … S’il y a des histoires, il n’y a pas harmonie mais lutte. Et ce n’est pas l’Église. L’Église, c’est l’harmonie de tous : il ne faut pas faire d’histoires, il ne faut pas se disputer. Est-ce que nous acceptons l’autre, est-ce que nous acceptons qu’il y ait une juste variété, qu’un tel soit différent, qu’un autre pense de telle ou telle manière —car on peut penser différemment dans la même foi— ou bien essayons-nous de tout uniformiser ? L’uniformité tue la vie. La vie de l’Église est diversité, et en voulant mettre de l’uniformité partout, on tue les dons de l’Esprit Saint. »
N’oublions jamais que notre vocation à tous est l’Amour. Dieu est Amour et si à notre mort nous ne sommes pas devenus Amour, nous aussi, nous ne pourrons pas vivre avec lui. Nous devrons faire un stage de rattrapage en purgatoire. Or, « aimer, c’est tout donner » disait sainte Thérèse de Lisieux et j’ajoute : aimer, c’est aussi tout accueillir. C’est recevoir mon frère comme il est, avec ses différences, sa misère, ses qualités et tout ce qui en lui peut me déranger ou m’agacer. Rassurez-vous, je ne suis pas pessimiste. Je suis persuadé que nous ne sommes pas si loin du compte et que notre amour les uns pour les autres attend simplement que nous cessions de nous crisper sur des points de détail, pour se manifester pleinement.