SOURCE - Yves Chiron - Aletheia - 3 novembre 2016
Le dimanche 26 mai 2013 devait avoir lieu une nouvelle manifestation nation ale contre la loi autorisant le mariage entre homosexuels (-elles). Lesprécédentes avaient rassemblé : en janvier, 340 000 manifestants selon la police, 800 000 selon les organisateurs ; en mars, 300 000 personnes selon la police, 1,4 million selon les organisateurs ; en avril, 45 000 personnes selon la police, 270 000 selon les organisateurs.
Le dimanche 26 mai 2013 devait avoir lieu une nouvelle manifestation nation ale contre la loi autorisant le mariage entre homosexuels (-elles). Lesprécédentes avaient rassemblé : en janvier, 340 000 manifestants selon la police, 800 000 selon les organisateurs ; en mars, 300 000 personnes selon la police, 1,4 million selon les organisateurs ; en avril, 45 000 personnes selon la police, 270 000 selon les organisateurs.
Quelques jours avant cette nouvelle manifestation – qui réunira 150 000 personnes selon la police, plus d’un million de participants selon les organisateurs –, le cardinal André Vingt-Trois était reçu discrètement à l’Élysée. L’archevêque de Paris était également, à cette époque, Président de la Conférence épiscopale française.
Une indiscrétion relayée par la presse [1] a fait connaître un point saillant du dialogue entre le cardinal Vingt-Trois et le président Hollande :
– Vous savez par qui vous avez été élu, Mr le Président ?, a demandé le cardinal.
– Certainement pas par tous les catholiques, mais par beaucoup d’entre eux, aurait répondu le Président de la République.
– Non, monsieur le Président, vous avez été élu par les musulmans. Et vous savez, les musulmans ne sont pas en faveur du mariage gay.
Cette remarque, un peu goguenarde comme sait l’être le cardinal archevêque de Paris, résumait une réalité bien attestée par les analystes politiques.
D’après une étude statistique réalisée par l’IFOP au lendemain de l’élection présidentielle de 2012, il y a eu « un très fort sur-vote à gauche » de l’électorat musulman (c’est-à-dire, par définition, français de confession musulmane) [2] . Au 1er tour des élections présidentielles de 2012, 57 % des Français de confession musulmane ont voté pour le candidat socialiste Hollande ; au 2e tour, 86 %.
Le cardinal Vingt-Trois, par sa remarque ironique au président Hollande, voulait faire comprendre l’importance qu’avaient prise politiquement les citoyens de confession musulmane. Ils représentaient 0,7% du corps électoral en 1997, 2 % en 2002, 5 % en 2007 [3]. Combien dix ans plus tard ? On ne s’interrogera pas ici sur un éventuel glissement de cet électorat vers la droite, du moins d’une partie de cet électorat, car il est évident qu’il n’y a pas un vote musulman, comme il n’y a pas un vote catholique ou un vote juif.
Pour illustrer l’importance sociologique croissante de l’Islam en France, on prendra un exemple : le département de Seine-Saint-Denis qui correspond, ecclésiologiquement, au diocèse de Saint-Denis-en-
France.
Il y a cinquante ans, en 1966, Paul VI créait cinq nouveaux diocèses dans la région parisienne (Corbeil, Créteil, Nanterre, Pontoise et Saint-Denis), les détachant des circonscriptions ecclésiastiques de Paris et de Versailles jugées trop vastes et trop peuplées.
Le nouveau diocèse comptait à cette époque plus d’un million habitants, avec déjà une forte population étrangère ou d’origine étrangère. Si l’on se réfère aux éditions successives de l’Annuario Pontificio de ces années, on constate que les 70 % de cette population était encore constituée de baptisés. Le diocèse comptait quelque 260 prêtres (séculiers et réguliers). Entre 10 et 11 000 baptêmes avaient lieu chaque année.
Aujourd’hui, si l’on se réfère au site du diocèse, il y a moins de 3000 baptêmes par an (enfants, jeunes et adultes). Ce chiffre, comparé à celui des naissances (29 325 naissances en 2015 en Seine-Saint-Denis selon l’INSEE), indique donc que seulement un enfant sur 10 qui naissent dans ce département/diocèse est baptisé dans la religion catholique.
En revanche, la Seine-Saint-Denis est devenue le premier département de France par le nombre des lieux de culte musulman. Il y en a 160. Wilfried Serisier, qui donne ce chiffre dans une étude sociopolitique très fouillée sur l’Islam dans ce département [4], relève que l’identité musulmane du département s’observe aussi par les structures éducatives : on y trouve 7 des 15 lycées et collèges privés musulmans de France et 50 des quelque 250 centres d’enseignement coraniques qui existent en France.
Comparons à nouveau avec les chiffres fournis par le diocèse : 86 paroisses aujourd’hui (soit deux fois moins que les lieux de culte musulmans), 127 prêtres (soit deux fois moins qu’il y a 50 ans), aucune église en construction (alors qu’il y a plus de 20 lieux de culte musulman en projet ou en construction dans le département).
On pourrait s’interroger sur la dynamique missionnaire de l’Église catholique en Seine-Saint-Denis. Les instances de « dialogue » avec les non-chrétiens et les immigrés n’ont certes pas manqué ces dernières décennies, comme sont restés très actifs certains mouvements catholiques. Ainsi le Secours Catholique, présent dans 23 des 40 villes du département, agit dans de multiples secteurs (accueil, aide alimentaire, vestiaire, activités culturelles, aide administrative, etc.), grâce à plus de 650 bénévoles, avec des dépenses de l’ordre de 1,5 million € par an [5].
C’est le paradoxe, rencontré presque partout ailleurs en France, entre des mouvements associatifs et/ou caritatifs catholiques toujours très actifs [6], tandis que l’« annonce » (c’est-à-dire l’évangélisation voire l’apologétique) est devenue absente ou très discrète.
Si la Seine-Saint-Denis, premier département musulman de France, n’est pas une « terre de mission » pour l’Église catholique, elle l’est pour d’autres confessions chrétiennes. Wilfried Serisier, dans l’étude citée, relève incidemment : « la Seine-Saint-Denis est devenue le premier département de France dans les années 2000 pour le nombre de lieux de culte évangéliques (une centaine en 2010, 25 % des églises d’Île-de-France, entre 10 000 et 15 000 fidèles). […] Ces églises – souvent qualifiées d’ethniques – sont en majorité implantées à l’ouest de la Seine-Saint-Denis. »
YVES CHIRON
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1 Le Canard enchaîné, 5 mai 2013.
2 Jérôme Fourquet, Le vote des musulmans à l’élection présidentielle, IFOP, juillet 2012, 5 pages (étude réalisée sur des enquêtes qui ont porté sur un échantillon cumulé de 14 200 électeurs inscrits sur les listes électorales, dont 380 se déclarant de confession musulmane).
3 Claude Dargent, Les électorats sociologiques. Le vote des musulmans, CEVIPOF, décembre 2011, 4
pages.
4 Wilfried Serisier, « Le défi des islams en Seine-Saint-Denis », dans Hérodote, n° 162, 3e trimestre 2016, p. 29-54.
5 Délégation de Seine-Saint-Denis du Secours Catholique, Rapport d’activité 2015, 56 pages.
6 On observe néanmoins au Secours Catholique, à travers les instances dirigeantes nationales du moins, des ambitions de plus en plus sécularisées : « faire bouger les structures sociales » disait Denis Viénot, secrétaire général du Secours catholique jusqu’en 1998 ; avoir « une vraie parole politique […] en recherche de solutions permettant d’accéder aux droits » dit Véronique Fayet, nouvelle présidente de l’association (cités par François Mabille, Le Secours catholique. 1946-2016, Cerf, 2016, p. 158 et p. 220).