Cardinal Joseph Zen Ze-kiun |
Le 31 janvier 2018, Eglises d’Asie (EDA), l’agence d’information des Missions étrangères de Paris, a publié un article d’Anthony Lam Sui-ki, chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit, du diocèse de Hong kong.
Paru dans le n°187 de Tripod, la revue trimestrielle du Centre, l’auteur y pointe les dangereuses dispositions de la nouvelle réglementation gouvernementale sur les affaires religieuses, en Chine, entrée en vigueur ce 1er février 2018. Deux nouveaux chapitres, sur les « Ecoles religieuses » et les « Activités religieuses », s’inscrivent dans les réformes introduites par le président Xi Jinping. Il y est déclaré que tous les groupes non religieux « ne doivent pas avoir d’activités religieuses, ne doivent pas accepter de dons religieux, ne doivent pas effectuer de formation religieuse et ne doivent pas inciter les citoyens à participer à des formations, des rencontres, des activités religieuses à l’étranger ». Est ainsi qualifié de “non religieux” tout groupe non reconnu par le gouvernement comme tel, ce qui devient, précise le chercheur, « un instrument pour limiter la pratique des groupes religieux clandestins ».
Quelques jours plus tard, le 5 février, le cardinal émérite de Hong Kong Joseph Zen Ze-kiun annonçait sur son blogue oldyosef.hkdavc : « Le désastre a déjà commencé. (…) Les prêtres clandestins de Shanghai ont demandé à leurs fidèles de ne plus se rendre à leurs messes sous peine d’être arrêtés s’ils persistaient à le faire ! ». Précision relatée dans la réponse que le cardinal adressa au secrétaire d’Etat du Vatican, Mgr Pietro Parolin, qualifié par le prélat chinois « d’homme de peu de foi », dans le cadre du rapprochement du Saint-Siège avec la Chine. L’article, traduit du chinois et publié par le vaticaniste italien Sandro Magister, intervient après un entretien de Mgr Zen Ze-kiun avec le pape François, le 12 janvier 2018 au Vatican.
Un accord entre saint Joseph et Hérode ?
En effet, profondément inquiet des récentes démarches des représentants du Vatican en Chine et de la situation des évêques de l’Eglise clandestine, sacrifiés dans le cadre du rapprochement du Saint-Siège avec la Chine, le prélat chinois s’est rendu à Rome pour assister à l’audience du mercredi 10 janvier, et remettre en mains propres deux lettres au pape. Reçu ensuite une demi-heure en audience privée le soir du vendredi 12 janvier, le cardinal évoqua devant le Saint-Père la situation de Mgr Pierre Zhuang Jianjian, évêque de Shantou dans la province de Guangdong, et Mgr Guo Xijin, évêque de Mindong, tous deux évêques légitimes sommés par une délégation de Rome de quitter leurs sièges épiscopaux au profit d’évêques officiels, inféodés au pouvoir chinois.
Le 22 janvier 2018, l’agence d’information AsiaNews des Missions étrangères de Milan, publie qu’en décembre 2017 une délégation du Vatican a rencontré à Pékin Mgr Zhuang Jianjian, lui demandant pour la seconde fois de céder son siège à Mgr Joseph Huang Bingzhang, évêque officiel non reconnu par Rome et membre de l’Assemblée nationale du peuple, le parlement chinois. Mgr Zhuang Jianjian âgé de 88 ans, ordonné secrètement en 2006 avec l’approbation du Vatican, n’a jamais été reconnu officiellement par le régime. Il refusa d’accéder à la demande romaine, précise l’agence. C’est pourquoi le cardinal Zen fut chargé par l’évêque de remettre une lettre au pape François…
Le 29 janvier, le cardinal Zen, se résout à rompre la confidentialité de son entretien avec le pape au nom du « droit à la vérité ». Sur son blogue, il déclare qu’il a demandé au Saint-Père « s’il avait eu le temps d’étudier la question » [des évêques] comme il l’avait promis par le passé. François répondit qu’il avait déclaré à ses collaborateurs : « je ne veux pas d’une autre affaire Mindszenty ». Le cardinal ajoute dans son article, publié également par Sandro Magister, qu’il a souligné auprès du souverain pontife que « le problème n’est pas la démission des évêques légitimes, mais la demande de laisser leur place aux évêques illégitimes et excommuniés. Même si la loi sur la démission pour avoir atteint la limite d’âge n’a jamais été appliquée en Chine, de nombreux évêques clandestins, âgés, ont demandé avec insistance qu’on leur nomme un successeur, sans jamais recevoir de réponse du Saint-Siège. D’autres, qui ont déjà un successeur désigné ont reçu l’ordre de ne pas procéder à l’ordination par peur d’offenser le gouvernement ». Le cardinal précise qu’il a parlé nommément des deux évêques de Shantou et Mindong. Il poursuit en reconnaissant être pessimiste sur la situation actuelle de l’Eglise en Chine, et qu’en raison de sa longue expérience de l’Eglise en Chine et des informations récentes, il ne peut en être autrement : le gouvernement communiste est en train de « mettre en œuvre des lois qui n’existaient jusqu’à présent que sur le papier ». Le prélat chinois s’exclame alors : « Mais est-il possible d’avoir quelque chose “en commun” avec un régime totalitaire ? Pourrait-on imaginer un accord entre saint Joseph et le roi Hérode ? ».
Le 30 janvier, un communiqué publié par la Salle de presse du Saint-Siège déclare : « Le pape est en rapport constant avec ses collaborateurs, en particulier de la secrétairerie d’Etat, sur les questions chinoises, et il est informé par eux de façon fidèle et détaillée sur la situation de l’Eglise catholique en Chine et sur les étapes du dialogue en cours entre le Saint-Siège et la République Populaire de Chine, qu’il accompagne avec une sollicitude toute particulière. Il est surprenant et regrettable que des personnes d’Eglise affirment le contraire, et que soient ainsi alimentées tant de confusions et de polémiques ».
De même, le 31 janvier, le cardinal Pietro Parolin a défendu la politique de dialogue poursuivie avec la Chine. Répondant aux sévères mises en garde du cardinal Joseph Zen, le secrétaire d’Etat du Saint-Siège explique que le but des négociations avec Pékin, est de permettre aux fidèles de se « sentir pleinement catholiques et en même temps authentiquement chinois ».
Dans un entretien accordé le 3 février à Gianni Valente du Vatican Insider, le cardinal Parolin explique « pourquoi nous dialoguons avec la Chine » et relève que le Saint-Siège cherche « une synthèse de vérité et une voie praticable », ce qui nécessite du temps et de la patience. Dans la perspective d’un éventuel accord, soutient-il, un « sacrifice » peut être demandé à certains pour le « bien de l’Eglise ». Selon une source du Vatican citée par l’agence Reuters le 1er février dernier, un accord-cadre avec la Chine sur la nomination des évêques serait prêt et pourrait être signé dans quelques mois.
La diplomatie de l’Ostpolitik du cardinal Casaroli
C’est alors que le cardinal Zen répond point par point au secrétaire d’Etat dans un article intitulé : « Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi ils dialoguent avec la Chine ». Paru en italien le 13 février sur son blogue, il est repris le jour même par Sandro Magister. Il paraîtra ensuite en anglais le 17 et en chinois le 18, sur le site du cardinal. Soulignant l’insistance du cardinal Parolin à affirmer œuvrer de façon pastorale, évangélique et spirituelle, et disant faire face à une attitude qu’il qualifie de purement politique de la part de ses opposants, le cardinal Zen rappelle « l’un de ses discours publié il y a quelques années dans L’Osservatore Romano où il (cardinal Parolin) qualifiait les héros de la foi des pays d’Europe centrale sous le régime communiste (les cardinaux Wyszyński, Mindszenty et Beran pour ne pas les nommer) de “gladiateurs”, de “personnes systématiquement contraires au gouvernement et avides d’apparaître sur l’avant-plan politique” ».
Le cardinal chinois rappelle encore que « les communistes veulent réduire l’Eglise en esclavage ». Comment envisager pouvoir parler « de communion et de collaboration » ? Les conditions sont-elles réunies ? Quels sont les points de convergence ? », demande-t-il. L’évêque émérite de Hong Kong s’interroge sur l’unité recherchée, quand « il y a deux communautés avec des structures basées sur des principes différents et opposés. L’une de ces structures est basée sur le principe du Primat de Pierre sur lequel Jésus a bâti son Eglise et l’autre structure est imposée par un gouvernement athée décidé à créer une Eglise schismatique soumise à son pouvoir ».
Le cardinal Zen dénonce fermement la diplomatie du cardinal Parolin qui n’est autre, explique-t-il, que cette « diplomatie de l’Ostpolitik de son maître Casaroli », déclarant « qu’il méprise la foi authentique de ceux qui défendent avec fermeté l’Eglise que Jésus a fondée sur les Apôtres, de toute ingérence du pouvoir séculier ». Il s’agit désormais pour Rome de soutenir que la clandestinité de l’Eglise chinoise « ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Eglise », et « nos diplomates, poursuit le cardinal chinois, veulent réaliser un miracle tout de suite en accusant les autres de “s’agripper à l’esprit de contradiction pour condamner le frère” et “de se servir du passé comme d’un prétexte pour fomenter de nouvelles rancœurs et de nouvelles fermetures”, et de ne pas “être prêts à pardonner, ce qui signifie qu’il y a d’autres intérêts à défendre” ». Le prélat chinois s’indigne alors d’une telle attitude : « Comme ils sont cruels ces reproches adressés à des membres fidèles de l’Eglise qui ont souffert pendant de nombreuses années toutes sortes de privations et de vexations pour leur fidélité à l’Eglise ! »
Et de poser les questions de l’avenir de cette Eglise du silence : « Quel sort sera réservé aux évêques légitimes selon la loi de l’Eglise, mais non reconnus par le gouvernement ? Seront-ils “acceptés” ? C’est-à-dire admis eux aussi dans la cage ? Y aura-t-il finalement “une” conférence épiscopale légitime ? (Avec le gouvernement qui conserve les clefs de la cage ?) »
Le cardinal Zen n’est pas le seul à s’inquiéter de la perspective d’un tel accord. Le site catholique anglophone Crux a rapporté le 12 février qu’à l’initiative d’une quinzaine d’universitaires et juristes catholiques de Hong Kong, avait été publiée une lettre ouverte s’inquiétant de la « confusion et de la peine » en cas de traité. Celui-ci, considèrent-ils, serait une « erreur irréversible et regrettable ». Il n’est pas possible de croire que d’un tel traité résulte l’arrêt des persécutions contre l’Eglise par le gouvernement chinois, déclarent-ils.
A l’inverse, le Père Drew Christiansen, ancien rédacteur en chef et président de la revue jésuite America magazine, a publié le même jour sur le site de la revue de tendance libérale, un article intitulé « Pourquoi l’accord potentiel du Vatican avec la Chine est une bonne chose ». Selon le prêtre américain, celui-ci ne serait pas « un nouveau départ », mais « le résultat de longues tendances dans la vie de l’Eglise locale et des relations Vatican-Pékin ».
Dans le même esprit, le 9 février 2017, l’agence Eglises d’Asie des Missions étrangères de Paris publiait un texte diffusé sur les sites des journaux du diocèse de Hong kong (Kung Kao Po en chinois et Sunday Examiner en anglais), où déjà le cardinal John Tong Hon, alors évêque de Hong kong, développait toutes les raisons favorables à la conclusion d’un accord entre la Chine et le Vatican. Peu avant de céder le siège à Mgr Michael Yeung, le cardinal Tong arguait du fait que « si Pékin est aujourd’hui prêt à un accord sur la nomination des évêques avec le Saint-Siège, l’Eglise en Chine jouira d’une liberté essentielle, même si elle ne jouira pas d’une liberté complète », plaidant pour qu’« entre deux maux, l’Eglise choisisse le moindre mal ». – Le cardinal Tong, devenu évêque émérite de Hong Kong, préside le Centre d’études du Saint-Esprit, centre de recherches du diocèse de Hong kong sur l’Eglise en Chine, fondé en 1980.