La distinction entre accordistes et anti-accordistes développée ces derniers jours dans quelques textes n'a pas beaucoup de sens. Il n'y aucun de ses prêtres qui refuse par principe une régularisation avec le Saint-Siège. Celui qui tiendrait cette position consistant à vouloir ne jamais bénéficier d’une structure canonique reconnue par le pape aurait tout simplement abandonné la foi puisqu’il aurait aboli toutes les vérités liées au Siège de Pierre (indéfectibilité de la foi, invincibilité de l’Église, nécessité du lien qui lie à la tête de l’Église, etc.) ou bien il serait devenu sédévacantiste, considérant que le pape n’est plus pape. Ce ne fut jamais la position de la Fraternité.
À l'inverse il n'y a personne qui soit favorable à une
régularisation à n'importe quel prix. Si la nouvelle messe était requise, comme
ce fut le cas aux débuts de la Fraternité ; si par exemple le renoncement aux
vérités liées à l’unicité du Salut par l’Église catholique ou l’abandon de la
morale catholique était d’une certaine façon exigés ou bien que sur ces points
les vérités fussent malmenées, il est évident que les hommes ne bougeraient pas
d’un pouce. Ils agiraient comme leur fondateur : non pas qu’ils aspirent à une
séparation avec la tête de l’Église, mais parce qu’ils ne peuvent accepter en
conscience les conditions imposées.
Entre accordisme à tout prix et
non-accordisme à quel que prix que ce soit, ce qui fait véritablement débat au
sein de la FSSPX, et cela depuis bien des années, ce sont les conditions, plus
ou moins exigeantes, pour aboutir à cette régularisation, afin de pouvoir
garantir une survie à l’action des prêtres, sans contrevenir à la nécessité
d’être liés à la tête de l’Église. On se souvient des deux préalables qui
avaient été demandés au début des années 2000 et accordés durant la décennie
qui a suivi. Lors du chapitre de 2006, une règle sur la résolution d’accords
doctrinaux préalables avant l’obtention d’une structure canonique avait été
mise sur le papier. Mais elle n’était pas un principe intangible sinon il
aurait fallu conclure que, avant 2006 et de se doter de cette règle, la
Fraternité aurait erré. Surtout si elle était présentée comme un principe
permanent, elle ne serait plus conforme à toute l’attitude de Mgr Lefebvre au
cours de l’histoire de la Fraternité, lequel a fait varier ces conditions selon
les contextes, n’attendant pas forcément des repentances de la part des hommes
d’Église. Cette règle de 2006 a été formulée avant la demande d’entretiens
doctrinaux dont la Fraternité espérait beaucoup. Ces entretiens n’ont pas
directement débouché sur une reconnaissance canonique mais sur des mises au
point (comme l’a justement dit l’abbé Pagliarani dans un entretien en 2011). Si
le Saint-Siège reconnaissait la Fraternité après cette date, il la reconnaissait
en connaissance de cause, avec des positions connues.
Mais même cette règle de 2006 était large. Qu’entend-t-on par accord doctrinal ? Un texte minimal validant certaines règles communes ? (Les visions les plus minimalistes parlent d’une récitation commune du Credo) Ou bien un accord sur tous les points, pour tous les lieux et tous les temps pour aboutir à une harmonie comme elle n’a jamais existé au sein de l’Église ? Là aussi les exigences peuvent considérablement varier. On peut mettre beaucoup de choses derrière cette règle. Celle-ci intervenait également dans le contexte qui précédait l’obtention des deux préalables (Motu Proprio et levée d’excommunications) qui avaient été demandés pour précisément manifester une volonté de Rome de ne plus vouloir éradiquer le monde traditionnel. Si la Fraternité a envisagé de façon plus poussée les projets canoniques, c’est qu’elle reconnaissait à leur juste valeur les actes de 2007 et de 2009 dans cette optique, comprenant que les défenseurs du missel grégorien ne seraient désormais plus promis à la disparition.
Ce qui a toujours été l’objectif des supérieurs de la Fraternité, à la suite du fondateur, c’est d’entrevoir une solution réaliste (et non idéaliste, dans une énième guerre mondiale se soldant par un bain de sang ou par une révélation particulière à l'occasion d'un phénomène aussi prodigieux qu'irréel). Sans doute Mgr Lefebvre, après 1988, était-il optimiste, en envisageant une reconnaissance quatre ou cinq ans maximum après les consécrations. Mais il gardait une vue réaliste des choses et ses successeurs furent pragmatiques à sa suite. À écouter les plus idéalistes, il faudrait que l’Église soit devenue une gigantesque Fraternité Saint-Pie X pour envisager la moindre solution. Et même dans une situation pareille, les plus coriaces soulèveraient l’objection que le monde catholique peut toujours revenir vers ses vieux démons modernistes pour ne jamais consentir à entériner la régularisation.
Demain comme hier les supérieurs de la Fraternité se présenteront aux autorités romaines. Peuvent-ils sérieusement leur tenir le discours qui consiste à dire que la Fraternité vient à Rome pour la convertir ? Ou bien uniquement pour signifier qu’elle veut garder ainsi un lien avec Rome ? Les prélats de curie ne sont pas non plus nés de la dernière pluie et ne risquent pas de se laisser endormir par ce genre de présentation vulgarisée à outrance. Ce serait par ailleurs faire injure aux supérieurs de l’œuvre d’imaginer qu’ils vont aborder le Saint-Siège avec ce discours simpliste. Leur optique sera forcément celle qui a toujours été celle de Mgr Lefebvre et celle de la Fraternité : de pouvoir former des prêtres en défendant toutes les vérités de l’Église, sous l’égide de Rome. Sinon, il est évident que le fondateur n’aurait pas perdu son temps aux débuts de la Fraternité à requérir à tout prix une approbation canonique. Sans elle, il n’aurait jamais rien établi, disait-il.