SOURCE - La Croix, 24 août 2005
Le rendez-vous, lundi 29 août, entre le pape et Mgr Fellay, confirmé côté lefebvriste mais toujours pas au Vatican, devrait être une simple reprise de contact
La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) l’a confirmé, mercredi 24 août, sur son site Internet : «Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, sera reçu en audience par le pape Benoît XVI, à Castel Gandolfo, le lundi 29 août 2005.» Cette audience, qui n’a pas été confirmée par le Saint-Siège, pourrait, si elle a lieu, constituer une nouvelle étape dans les relations entre l’Église catholique et la communauté intégriste issue de Mgr Lefebvre.
Des discussions jamais vraiment interrompues, même si elles semblaient bloquées dans les dernières années du pontificat de Jean-Paul II. Certes, au moment du Jubilé de l’an 2000, les intégristes avaient effectué à Rome un pèlerinage remarqué, étant même autorisés à célébrer dans la basilique Sainte-Marie-Majeure. Mais un long texte de Mgr Fellay contre l’œcuménisme de Jean-Paul II, envoyé en avril 2004 à tous les cardinaux, avait créé le malaise à Rome : dans cette étude, le deuxième successeur de Mgr Lefebvre à la tête de la FSSPX – qui est aussi l’un des quatre évêques que celui-ci avait ordonnés en 1988 sans l’accord de Rome, provoquant le schisme – parlait même d’«apostasie silencieuse»…
L'élection de Benoît XVI a naître des espoirs côté lefebvristes
Mais l’élection de Benoît XVI en avril dernier a fait naître des espoirs du côté des lefebvristes, qui placent cette élection «manifestement dans un mouvement de réaction». «Benoît XVI a été élu en opposition au progressisme. Tout cela nous donne de l’espérance. Cela va du bon côté, puisque les progressistes ont été battus», déclarait Mgr Fellay dans une conférence le 13 juin à Bruxelles. Dans leur esprit, la porte était ainsi ouverte pour de nouvelles discussions, même s’il n’est pas sûr qu’elles débouchent sur grand-chose, les positions des intégristes, selon leurs multiples documents écrits, tendant plutôt à la radicalisation.
Interrogé en juillet par Dici, le bulletin officiel de la Fraternité, sur ce qu’il demanderait s’il était reçu par le pape, Mgr Fellay en restait officiellement à deux points : «Je lui demanderais la liberté de la messe pour tous et dans le monde entier. Dans notre situation personnelle, il s’agira également de rétracter ce décret d’excommunication relatif aux sacres» de 1988. Mais derrière ces deux demandes, Mgr Fellay reconnaissait qu’il s’agissait d’un coin enfoncé dans quelque chose de plus vaste.
La question liturgique n'est qu'un prétexte
«On sait bien que tout ne se limite pas à la messe, mais il faut commencer par du concret ; il faut commencer par un début. Ce serait une brèche très profonde et efficace dans le système progressiste ; cela amènerait graduellement un changement d’atmosphère et d’esprit dans l’Église», précisait-il.
Car, pour les intégristes en rupture avec Rome, la question liturgique n’est qu’un prétexte. «On a institué une Messe équivoque, ambiguë, dont la doctrine catholique a été estompée, écrivait en 1983 Mgr Lefebvre à Jean-Paul II. L’usage de cette messe œcuménique fait acquérir une mentalité protestante, “indifférentiste”, mettant toutes les religions sur un pied d’égalité à la manière de la Déclaration sur la liberté religieuse (NDLR : le document Dignitatis humanae de Vatican II), avec pour base doctrinale les droits de l’homme, la dignité humaine mal comprise, condamnée par saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon.»
Au-delà de la messe tridentine, c’est toute la question de la liberté religieuse et de l’œcuménisme avec pour base doctrinale les droits de l’homme, la dignité humaine mal comprise, condamnée par saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon. » Au-delà de la messe tridentine, c’est toute la question de la liberté religieuse et de l’œcuménisme qui serait à revoir pour les intégristes.
"Le problème est que Benoît XVI reste attaché au concile"
Et c’est là que naissent leurs réserves vis-à-vis de Benoît XVI, même s’ils partagent son diagnostic – exprimé avant le conclave – d’une Église «barque qui prend l’eau de toute part». «Il y a un problème qui vient assombrir notre espérance, reconnaît Mgr Fellay dans sa conférence bruxelloise. Et ce problème est que Benoît XVI reste attaché au concile. C’est son œuvre, c’est son enfant.»
La FSSPX regarde donc avec suspicion ce que Benoît XVI déclarait dans son tout premier message après le conclave : «Je veux affirmer avec force ma très ferme volonté de poursuivre la tâche de la mise en œuvre du concile Vatican II, sur la trace de mes prédécesseurs et dans une fidèle continuité avec la Tradition bimillénaire de l’Église», insistait le nouveau pape.
Une formulation qui pouvait apparaître comme une ouverture en direction de ceux qui avaient suivi Mgr Lefebvre dans le schisme, mais que ceux-ci rejettent aujourd’hui. «J’accepte le concile à la lumière de la Tradition : qu’est-ce que cela veut dire quand on nous accuse, nous, d’avoir une fausse idée de la Tradition ?», s’interroge Mgr Fellay. Et de souligner ce qu’écrivait Jean-Paul II en 1988 dans le motu proprio Ecclesia Dei adflicta après la rupture de Mgr Lefebvre : «À la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition.»
"Ce n’est pas parce qu’il y a contact qu’une entente est possible"
Toutes ces difficultés, Benoît XVI les connaît bien. «Je pense que le cardinal Ratzinger est celui qui nous connaît le mieux», confie Mgr Fellay. Succédant en 1981 au cardinal Seper à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le thélogien bavarois traita personnellement, en liaison étroite avec Jean-Paul II, le cas de Mgr Lefebvre.
Il parviendra même à obtenir un accord, mais le chef de file des intégristes le dénoncera dès le lendemain de sa signature. Dans un télégramme envoyé à la veille des ordinations illicites du 30 juin 1988, qui consommeront le schisme entre la FSSPX et Rome, le cardinal Ratzinger avait adjuré une dernière fois Mgr Lefebvre de renoncer. Sans succès.
Autre évêque ordonné en 1988 par Mgr Lefebvre, mais plus intransigeant que Mgr Fellay, Mgr Richard Williamson souligne, sur un site Internet américain : «Ce n’est pas parce qu’il y a contact qu’une entente est possible. Que tous les catholiques qui rêvent de combiner la Tradition et les autorités néomodernistes de l’Église se désabusent.» Selon lui, «de fait, un accord semble impossible».
Nicolas SENEZE
Quatre décennies de conflit
L’affaire Lefebvre s’enracine dans le concile Vatican II. Celui qui avait été archevêque de Dakar et délégué apostolique pour l’Afrique francophone, puis, de retour en France, évêque de Tulle (Corrèze) avant d’être élu en août 1962 supérieur général des spiritains, est nommé par Jean XXIII dans la commission des évêques et des cardinaux chargés de préparer le concile Vatican II, qui s’ouvre à l’automne 1962. Il se signale par son opposition à la réforme liturgique et aux décrets sur l’œcuménisme et la liberté religieuse – mais il en votera les textes.
En septembre 1968, il démissionne de la tête de sa congrégation pour fonder en 1969 à Fribourg, avec l’accord de l’évêque du lieu, une Maison Saint-Pie-X. La Fraternité sacerdotale du même nom naîtra l’année suivante. La création, sans l’autorisation de Rome, du séminaire d’Écône et l’ordination illicite de prêtres conduisent à sa suspense a divinis (interdiction de célébrer les sacrements) en 1976.
Sous le pontificat de Jean-Paul II, plusieurs tentatives de dialogue ont lieu sous l’égide du cardinal Ratzinger avant que Mgr Lefebvre, soucieux d’assurer sa succession, procède à l’ordination de quatre évêques sans l’autorisation de Rome et se trouve, comme ceux-ci, excommunié late sententiae (par le fait même). Plusieurs prêtres et séminaristes issus d’Écône choisiront de rester fidèles à Rome, formant la Fraternité (traditionaliste) Saint-Pierre.
Le rendez-vous, lundi 29 août, entre le pape et Mgr Fellay, confirmé côté lefebvriste mais toujours pas au Vatican, devrait être une simple reprise de contact
La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) l’a confirmé, mercredi 24 août, sur son site Internet : «Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, sera reçu en audience par le pape Benoît XVI, à Castel Gandolfo, le lundi 29 août 2005.» Cette audience, qui n’a pas été confirmée par le Saint-Siège, pourrait, si elle a lieu, constituer une nouvelle étape dans les relations entre l’Église catholique et la communauté intégriste issue de Mgr Lefebvre.
Des discussions jamais vraiment interrompues, même si elles semblaient bloquées dans les dernières années du pontificat de Jean-Paul II. Certes, au moment du Jubilé de l’an 2000, les intégristes avaient effectué à Rome un pèlerinage remarqué, étant même autorisés à célébrer dans la basilique Sainte-Marie-Majeure. Mais un long texte de Mgr Fellay contre l’œcuménisme de Jean-Paul II, envoyé en avril 2004 à tous les cardinaux, avait créé le malaise à Rome : dans cette étude, le deuxième successeur de Mgr Lefebvre à la tête de la FSSPX – qui est aussi l’un des quatre évêques que celui-ci avait ordonnés en 1988 sans l’accord de Rome, provoquant le schisme – parlait même d’«apostasie silencieuse»…
L'élection de Benoît XVI a naître des espoirs côté lefebvristes
Mais l’élection de Benoît XVI en avril dernier a fait naître des espoirs du côté des lefebvristes, qui placent cette élection «manifestement dans un mouvement de réaction». «Benoît XVI a été élu en opposition au progressisme. Tout cela nous donne de l’espérance. Cela va du bon côté, puisque les progressistes ont été battus», déclarait Mgr Fellay dans une conférence le 13 juin à Bruxelles. Dans leur esprit, la porte était ainsi ouverte pour de nouvelles discussions, même s’il n’est pas sûr qu’elles débouchent sur grand-chose, les positions des intégristes, selon leurs multiples documents écrits, tendant plutôt à la radicalisation.
Interrogé en juillet par Dici, le bulletin officiel de la Fraternité, sur ce qu’il demanderait s’il était reçu par le pape, Mgr Fellay en restait officiellement à deux points : «Je lui demanderais la liberté de la messe pour tous et dans le monde entier. Dans notre situation personnelle, il s’agira également de rétracter ce décret d’excommunication relatif aux sacres» de 1988. Mais derrière ces deux demandes, Mgr Fellay reconnaissait qu’il s’agissait d’un coin enfoncé dans quelque chose de plus vaste.
La question liturgique n'est qu'un prétexte
«On sait bien que tout ne se limite pas à la messe, mais il faut commencer par du concret ; il faut commencer par un début. Ce serait une brèche très profonde et efficace dans le système progressiste ; cela amènerait graduellement un changement d’atmosphère et d’esprit dans l’Église», précisait-il.
Car, pour les intégristes en rupture avec Rome, la question liturgique n’est qu’un prétexte. «On a institué une Messe équivoque, ambiguë, dont la doctrine catholique a été estompée, écrivait en 1983 Mgr Lefebvre à Jean-Paul II. L’usage de cette messe œcuménique fait acquérir une mentalité protestante, “indifférentiste”, mettant toutes les religions sur un pied d’égalité à la manière de la Déclaration sur la liberté religieuse (NDLR : le document Dignitatis humanae de Vatican II), avec pour base doctrinale les droits de l’homme, la dignité humaine mal comprise, condamnée par saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon.»
Au-delà de la messe tridentine, c’est toute la question de la liberté religieuse et de l’œcuménisme avec pour base doctrinale les droits de l’homme, la dignité humaine mal comprise, condamnée par saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon. » Au-delà de la messe tridentine, c’est toute la question de la liberté religieuse et de l’œcuménisme qui serait à revoir pour les intégristes.
"Le problème est que Benoît XVI reste attaché au concile"
Et c’est là que naissent leurs réserves vis-à-vis de Benoît XVI, même s’ils partagent son diagnostic – exprimé avant le conclave – d’une Église «barque qui prend l’eau de toute part». «Il y a un problème qui vient assombrir notre espérance, reconnaît Mgr Fellay dans sa conférence bruxelloise. Et ce problème est que Benoît XVI reste attaché au concile. C’est son œuvre, c’est son enfant.»
La FSSPX regarde donc avec suspicion ce que Benoît XVI déclarait dans son tout premier message après le conclave : «Je veux affirmer avec force ma très ferme volonté de poursuivre la tâche de la mise en œuvre du concile Vatican II, sur la trace de mes prédécesseurs et dans une fidèle continuité avec la Tradition bimillénaire de l’Église», insistait le nouveau pape.
Une formulation qui pouvait apparaître comme une ouverture en direction de ceux qui avaient suivi Mgr Lefebvre dans le schisme, mais que ceux-ci rejettent aujourd’hui. «J’accepte le concile à la lumière de la Tradition : qu’est-ce que cela veut dire quand on nous accuse, nous, d’avoir une fausse idée de la Tradition ?», s’interroge Mgr Fellay. Et de souligner ce qu’écrivait Jean-Paul II en 1988 dans le motu proprio Ecclesia Dei adflicta après la rupture de Mgr Lefebvre : «À la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition.»
"Ce n’est pas parce qu’il y a contact qu’une entente est possible"
Toutes ces difficultés, Benoît XVI les connaît bien. «Je pense que le cardinal Ratzinger est celui qui nous connaît le mieux», confie Mgr Fellay. Succédant en 1981 au cardinal Seper à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le thélogien bavarois traita personnellement, en liaison étroite avec Jean-Paul II, le cas de Mgr Lefebvre.
Il parviendra même à obtenir un accord, mais le chef de file des intégristes le dénoncera dès le lendemain de sa signature. Dans un télégramme envoyé à la veille des ordinations illicites du 30 juin 1988, qui consommeront le schisme entre la FSSPX et Rome, le cardinal Ratzinger avait adjuré une dernière fois Mgr Lefebvre de renoncer. Sans succès.
Autre évêque ordonné en 1988 par Mgr Lefebvre, mais plus intransigeant que Mgr Fellay, Mgr Richard Williamson souligne, sur un site Internet américain : «Ce n’est pas parce qu’il y a contact qu’une entente est possible. Que tous les catholiques qui rêvent de combiner la Tradition et les autorités néomodernistes de l’Église se désabusent.» Selon lui, «de fait, un accord semble impossible».
Nicolas SENEZE
Quatre décennies de conflit
L’affaire Lefebvre s’enracine dans le concile Vatican II. Celui qui avait été archevêque de Dakar et délégué apostolique pour l’Afrique francophone, puis, de retour en France, évêque de Tulle (Corrèze) avant d’être élu en août 1962 supérieur général des spiritains, est nommé par Jean XXIII dans la commission des évêques et des cardinaux chargés de préparer le concile Vatican II, qui s’ouvre à l’automne 1962. Il se signale par son opposition à la réforme liturgique et aux décrets sur l’œcuménisme et la liberté religieuse – mais il en votera les textes.
En septembre 1968, il démissionne de la tête de sa congrégation pour fonder en 1969 à Fribourg, avec l’accord de l’évêque du lieu, une Maison Saint-Pie-X. La Fraternité sacerdotale du même nom naîtra l’année suivante. La création, sans l’autorisation de Rome, du séminaire d’Écône et l’ordination illicite de prêtres conduisent à sa suspense a divinis (interdiction de célébrer les sacrements) en 1976.
Sous le pontificat de Jean-Paul II, plusieurs tentatives de dialogue ont lieu sous l’égide du cardinal Ratzinger avant que Mgr Lefebvre, soucieux d’assurer sa succession, procède à l’ordination de quatre évêques sans l’autorisation de Rome et se trouve, comme ceux-ci, excommunié late sententiae (par le fait même). Plusieurs prêtres et séminaristes issus d’Écône choisiront de rester fidèles à Rome, formant la Fraternité (traditionaliste) Saint-Pierre.