SOURCE - Côme Prévigny - Fideliter n°197 - septembre-octobre 2010
Depuis son élection, Benoît XVI a renouvelé 45 % des évêques français. Souvent l’on entend dire que la situation s’améliorerait sur le sol de notre pays, qu’une vraie rupture se serait amorcée depuis cinq ans, tournant le dos aux terribles années 1970 où Rome envoyait de virulents progressistes sur les sièges épiscopaux. Qu’en est-il réellement ? Leurs titulaires sont-ils tous ouverts à la restauration liturgique préconisée par le pape ?
Le 15 novembre 2008, le souverain pontife nommait un membre de la communauté Saint-Martin, l’abbé Marc Aillet, au siège épiscopal de Bayonne, Lescar et Oloron. Au sein d’un diocèse où la réforme conciliaire avait ravagé une terre jadis très catholique, l’arrivée d’un évêque qui avait été formé à la liturgie tournée vers le maître-autel et qui portait durant sa prêtrise la soutane provoquait indubitablement une flagrante rupture par rapport à son prédécesseur.
Elle semblait manifester de la part de Rome une certaine volonté de garantir l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum au moyen d’un nouveau profil épiscopal : conservateur bien qu’attaché au Concile, soucieux d’une certaine rigueur, même s’il célèbre le nouveau rite, Mgr Aillet fut également courageux dans ses décisions en condamnant ouvertement la Gay Pride et l’avortement et en accueillant sans détour la levée des censures officielles des évêques de la Fraternité Saint-Pie X. Cependant, sa nomination n’est qu’une seule des cinquante qu’a Benoît XVI à son actif.
La terna
De toute évidence, ce dernier ne connaît pas tous les évêques dont il assure la promotion. Celle-ci relève d’un processus complexe où le nonce apostolique tient un rôle clef. Ambassadeur du Saint-Siège en France, c’est à lui que revient la lourde tâche de constituer la terna, liste de trois noms d’épiscopables soumise au Saint-Siège, à laquelle sont adjoints les avis de l’archevêque métropolitain – qui se trouve à la tête de la province dont dépend le-dit diocèse – et du président de la Conférence des évêques, en l’occurrence, le cardinal André Vingt-Trois.
Une fois parvenue à Rome, la terna est examinée par le président de la Congrégation pour les évêques qui la retourne parfois à la nonciature avant de la soumettre aux membres de son dicastère pour départager les trois noms. Le pape signe la nomination en se fiant, bien généralement, au choix des cardinaux. S’il ne connaît pas tous les évêques, il nomme dans la Congrégation chargée de les trouver, et en particulier à sa tête, des princes de l’Église qui lui sont plus familiers. De même, pour un pays comme la France, il veille avec soin à la provision de la nonciature apostolique. Dans tout ce processus, le dernier mot revient enfin au gouvernement qui, depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la France en 1921, bénéficie d’un droit de veto dont il n’use concrètement presque jamais.
En cinq ans, le processus a été rodé cinquante fois au profit de 37 des 93 sièges de la métropole, et de 13 charges d’auxiliaires sur les 18 qui existent actuellement pour quelques grandes villes telles que Paris, Lyon, Lille, Strasbourg ou Toulouse.
Sans doute, certaines nominations intervenues au tout début du pontificat de Benoît XVI et déjà bien avancées sous celui de son prédécesseur ne sont-elles pas vraiment à mettre à l’actif du premier.
Mgr Bernard-Nicolas Aubertin a été transféré de Chartres à Tours deux mois seulement après l’élection pontificale. Il en est de même pour Mgr Raymond Centène, installé à Vannes à la fin du mois de juin 2005. Le souverain pontife n’a donc fait que valider des processus déjà largement entamés.
Un peu plus à l’ouest
Le hasard des mandats – les évêques présentent en général leur démission lorsqu’ils atteignent l’âge de soixante-quinze ans – fait que ce sont les diocèses de l’Ouest qui ont été particulièrement touchés par ce renouvellement « bénédictin ».
Dans la puissante province métropolitaine de Rennes (qui recouvre tous les départements des régions administratives Bretagne et Pays de Loire), huit des neuf évêchés ont à leur tête un prélat nommé il y a moins d’une demi-décennie. Traditionnellement, ce ne sont pas les zones où l’on trouve les évêques les plus progressistes. A fortiori, ce sont des diocèses qui pouvaient donc facilement accueillir des conservateurs. En revanche, les provinces de l’Est, celle de Besançon et la région concordataire de Strasbourg, ont été très peu renouvelées alors qu’elles apparaissent davantage comme des bastions du progressisme. Leurs évêques avaient par exemple cosigné une lettre au pape, le 28 janvier 2009, afin de minimiser la portée de la levée de des sanctions officielles portées contre la Fraternité Saint-Pie X et pour rappeler qu’il ne saurait être question de minimiser le concile Vatican II. Ce sont eux qui seront remplacés dans les prochains mois, dans les prochaines années.
De manière générale, ce renouvellement partiel des autorités ecclésiastiques laisse entrevoir une continuité contribuant à pérenniser l’épiscopat français dans son état. En effet, 80 % des nouveaux titulaires de sièges sont originellement des prêtres diocésains – six proviennent même du diocèse de Paris – formés par les évêques des années 1970 et 1980 et les séminaires qu’ils tenaient alors. D’ailleurs, si on relève deux cas de membres de la communauté charismatique de l’Emmanuel, l’un de leurs confrères, Mgr Dominique Rey (Fréjus-Toulon) était déjà nommé avant 2005. Benoît XVI a aussi installé un dominicain, Mgr Jean Legrez (Saint-Claude), un père blanc devenu cistercien, Mgr Bernard-Nicolas Aubertin (Tours), ou encore un bénédictin, Mgr Robert Le Gall (Toulouse).
Le renouvellement est fort lent car 43 % des nominations de titulaires de sièges promeuvent des hommes qui étaient déjà des évêques nommés par Jean-Paul II. Il est en effet de tradition de placer dans les grandes villes des personnes d’expérience ayant déjà gouverné un diocèse auparavant. Ce qui était par exemple le cas de Mgr Georges Pontier (Marseille), Mgr Laurent Ulrich (Lille) ou Mgr Jean- Paul James (Nantes), quoique ces noms ne figurent cependant pas parmi ceux des plus conservateurs. En même temps, des évêchés de moindre importance ont également été des deuxièmes postes comme Soissons, Saint-Denis, La Rochelle ou Aix-en-Provence. Si l’on retire donc les noms d’évêques qui avaient déjà accédé à un siège sous Jean-Paul II mais qui ont été transférés par son successeur, on conclut que Benoît XVI a surtout fait émerger trente-quatre nouveaux noms.
Tableau des nominations
Les évêques de France, à de rares exceptions près, sont réticents à s’ouvrir au mouvement liturgique traditionnel. Les nouveaux titulaires ne font pas exception puisque 43 % d’entre eux n’ont pas accueilli de communauté Ecclesia Dei sur le territoire dont ils ont la juridiction. D’ailleurs, sur les 57 % restant, un certain nombre a hérité de situations antérieures et très rares sont les cas où le diocèse a vu la multiplication (même par deux) de ce genre de communautés. De la même manière, le Motu Proprio Summorum Pontificum n’est pas appliqué dans les diocèses de tous ces nouveaux évêques qui, à part une douzaine, comme NNSS. Thierry Scherrer (Laval), Raymond Centène (Vannes) ou Emmanuel Delmas (Angers), n’ont jamais célébré la messe traditionnelle depuis sa libération en 2007.
La proportion est sensiblement la même parmi les titulaires installés par Jean-Paul II. Enfin, sur les dix-huit évêques en poste qui ont officiellement soutenu cette année la Marche pour la Vie, laquelle s’oppose de manière publique à l’avortement dans les rues de Paris, moins de 40 % ont été nommés par Benoît XVI, les autres l’étant sous son prédécesseur. Or, comme nous le disions précédemment, 45 % des évêques ont été promus par l’actuel souverain pontife. On en déduit que ce sont les anciens et non les nouveaux qui soutiennent davantage la condamnation de l’avortement.
A l’évidence et à quelques remarquables exceptions près, il faut conclure que les nominations du pontificat de Benoît XVI, si elles ont assuré une certaine rupture avec le passé des trente dernières années, n’ont pas bénéficié à la France. Bien au contraire, c’est une manifeste continuité qui s’opère dans notre pays, voyant les vicaires généraux des années 1990 accéder à la tête des sièges épiscopaux pour obéir aux directives de la Conférence des évêques à laquelle, pour la plupart, ils se rallient, sans pour autant qu’elle n’ait de fondement traditionnel ou divin. Il ne s’agit nullement de juger l’intention du pape qui se trouve confronté à des rouages qu’il ne maîtrise probablement pas dans leur intégralité. L’espoir de voir changer une telle donne repose cependant sur le renouvellement des personnages clefs du processus de nomination, en particulier le préfet de la Congrégation pour les évêques et le nonce apostolique. Il s’avère que, au cours des six derniers mois, le souverain pontife a pourvu au changement des deux postes. Le cardinal italien Giovanni Batista Re et Mgr Fortunato Baldelli ont été remplacés à leurs places respectives par le cardinal canadien Marc Ouellet et Mgr Luigi Ventura. L’avenir dira si ces modifications auront été suffisantes.
Le consensus mou
Cependant, le principe de collégialité promu par le concile Vatican II a porté un tel coup au pouvoir romain et a tellement promu le mode démocratique d’assemblée participative que, depuis quarante ans, les conférences épiscopales d’un côté et les conseils diocésains de l’autre agissent à leur guise et imposent leurs directives à des évêques qui se trouvent dans l’impossibilité d’agir. L’un d’eux, Mgr Maurice Gaidon, arrivé à l’âge de la retraite, a osé témoigner en 2007 sur le « consensus mou » qui s’est emparé de prélats plongés dans une totale inertie :
Face à cet état d’inertie qui plonge le clergé lui-même dans « l’apostasie silencieuse », la France a non seulement besoin d’évêques professant pleinement la foi catholique, mais également de prélats qui aient le courage de s’affranchir d’un système de cooptation et de préservation d’un système étranger à la nature de l’Église. Si nous désirons que les prêtres de bonne volonté qui, du fait de l’actualité, prennent conscience de l’état de nécessité, puissent participer à l’oeuvre de restauration liturgique et doctrinale, il nous faut instamment prier pour que Rome donne à la fille aînée de l’Église de saints évêques.
Un évêque nommé par Benoît XVI
Mgr Christian Nourrichard, l’actuel évêque d’Évreux, est l’un des cinquante évêques qui furent nommés par le souverain pontife. Issu des rangs du clergé diocésain de Rouen, cet ancien aumônier de la Jeunesse catholique ouvrière et de l’Action catholique ouvrière dans les années 1970 a été nommé pour un premier poste épiscopal le 22 octobre 2005, soit six mois après l’élection de Benoît XVI. Dans un entretien accordé trois ans plus tard à la chaîne audiovisuelle KTO, Mgr Christian Nourrichard louait sans nuance « le dynamisme et l’impulsion » que son prédécesseur Jacques Gaillot avait insufflé à son diocèse. De même, rapportant les propos qu’il tenait à un jeune garçon le sollicitant, il y affirmait : « Par rapport aux personnes plus âgées, je ne parlerais peut-être pas de messe rock. Mais qu’il y ait des messes animées, plus rythmées que celles auxquelles vous participez, je suis tout à fait pour et s’il le faut, tu proposes une date et un jour je viens !»
Or le diocèse d’Évreux a été le théâtre d’une ardente résistance de la part d’un curé attaché à la messe et à la doctrine traditionnelle, M. l’abbé Quentin Montgomery-Wright qui continua, malgré les directives de l’épiscopat français, à maintenir la foi dans les campagnes entourant son village du Chamblac. Mais Mgr Nourrichard n’était pas encore évêque. Cependant, à quelques kilomètres de là, il se confronte depuis quelques mois à un autre prêtre, M. l’abbé Francis Michel, qui a continué à porter la soutane et à inculquer à ses ouailles un catéchisme traditionnel dans lequel on parle de sacrifice ou de péché. S’il célèbre les deux missels, l’ancien et le nouveau, ce dernier dispense la nouvelle messe face à Dieu et en conservant le Kyriale grégorien. Si cette position « biritualiste » est plus proche de celle de Benoît XVI que de celle de la Fraternité Saint- Pie X, elle n’a cependant pas l’heur de plaire à l’évêché héritant d’une telle situation.
Après plusieurs vaines demandes de mise au pas à l’égard du téméraire curé de Thiberville, l’évêque lui a présenté son départ vers un poste de vicaire aux côtés d’un prêtre ne partageant pas cet esprit ratzinguérien sous les voiles de la « réorganisation du diocèse ». Dès lors, une guerre de clochers s’est emparée depuis six mois du village de Thiberville, relayée par les télévisions et les radios locales, enflammant les blogs et sites sur internet. L’évêque d’Évreux, revêtu d’une chasuble arc-en-ciel pour célébrer une messe où il annonçait la révocation du curé, s’est heurté à l’opposition unanime des élus et d’une population largement pratiquante mais qui refuse de voir leur curé en soutane partir au profit de son remplaçant, le curé de Bernay, lequel aspire en guise de programme de carême à « favoriser la syndicalisation des personnes pour contribuer au dialogue social. »
Furieux de cette déconvenue, l’évêque d’Évreux a supprimé au curé les pouvoirs d’administrer le sacrement du mariage. Son but est clair. Il veut que le gênant abbé s’incline purement et simplement devant les canons diocésains. Les maires des villages du secteur se sont réunis pour défendre leur pasteur. L’abbé Michel a porté l’affaire à Rome, mais les deux recours jugeant l’affaire sur la forme l’ont débouté. Sur les bottes de foin, les paysans ont déployé des panneaux indiquant qu’ils étaient pris en otage par l’évêque et ils continuent à assister à la messe du curé de Thiberville.
Le dernier épisode de ce conflit à rebondissements est la publication par l’évêque d’une lettre intimant l’ordre à l’abbé Michel de se soumettre d’ici le 26 juillet sous peine de se voir frappé de la « suspens a divinis ». Et dire que l’histoire ne repasse pas les plats…
Côme Prévigny
Depuis son élection, Benoît XVI a renouvelé 45 % des évêques français. Souvent l’on entend dire que la situation s’améliorerait sur le sol de notre pays, qu’une vraie rupture se serait amorcée depuis cinq ans, tournant le dos aux terribles années 1970 où Rome envoyait de virulents progressistes sur les sièges épiscopaux. Qu’en est-il réellement ? Leurs titulaires sont-ils tous ouverts à la restauration liturgique préconisée par le pape ?
Le 15 novembre 2008, le souverain pontife nommait un membre de la communauté Saint-Martin, l’abbé Marc Aillet, au siège épiscopal de Bayonne, Lescar et Oloron. Au sein d’un diocèse où la réforme conciliaire avait ravagé une terre jadis très catholique, l’arrivée d’un évêque qui avait été formé à la liturgie tournée vers le maître-autel et qui portait durant sa prêtrise la soutane provoquait indubitablement une flagrante rupture par rapport à son prédécesseur.
Elle semblait manifester de la part de Rome une certaine volonté de garantir l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum au moyen d’un nouveau profil épiscopal : conservateur bien qu’attaché au Concile, soucieux d’une certaine rigueur, même s’il célèbre le nouveau rite, Mgr Aillet fut également courageux dans ses décisions en condamnant ouvertement la Gay Pride et l’avortement et en accueillant sans détour la levée des censures officielles des évêques de la Fraternité Saint-Pie X. Cependant, sa nomination n’est qu’une seule des cinquante qu’a Benoît XVI à son actif.
La terna
De toute évidence, ce dernier ne connaît pas tous les évêques dont il assure la promotion. Celle-ci relève d’un processus complexe où le nonce apostolique tient un rôle clef. Ambassadeur du Saint-Siège en France, c’est à lui que revient la lourde tâche de constituer la terna, liste de trois noms d’épiscopables soumise au Saint-Siège, à laquelle sont adjoints les avis de l’archevêque métropolitain – qui se trouve à la tête de la province dont dépend le-dit diocèse – et du président de la Conférence des évêques, en l’occurrence, le cardinal André Vingt-Trois.
Une fois parvenue à Rome, la terna est examinée par le président de la Congrégation pour les évêques qui la retourne parfois à la nonciature avant de la soumettre aux membres de son dicastère pour départager les trois noms. Le pape signe la nomination en se fiant, bien généralement, au choix des cardinaux. S’il ne connaît pas tous les évêques, il nomme dans la Congrégation chargée de les trouver, et en particulier à sa tête, des princes de l’Église qui lui sont plus familiers. De même, pour un pays comme la France, il veille avec soin à la provision de la nonciature apostolique. Dans tout ce processus, le dernier mot revient enfin au gouvernement qui, depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la France en 1921, bénéficie d’un droit de veto dont il n’use concrètement presque jamais.
En cinq ans, le processus a été rodé cinquante fois au profit de 37 des 93 sièges de la métropole, et de 13 charges d’auxiliaires sur les 18 qui existent actuellement pour quelques grandes villes telles que Paris, Lyon, Lille, Strasbourg ou Toulouse.
Sans doute, certaines nominations intervenues au tout début du pontificat de Benoît XVI et déjà bien avancées sous celui de son prédécesseur ne sont-elles pas vraiment à mettre à l’actif du premier.
Mgr Bernard-Nicolas Aubertin a été transféré de Chartres à Tours deux mois seulement après l’élection pontificale. Il en est de même pour Mgr Raymond Centène, installé à Vannes à la fin du mois de juin 2005. Le souverain pontife n’a donc fait que valider des processus déjà largement entamés.
Un peu plus à l’ouest
Le hasard des mandats – les évêques présentent en général leur démission lorsqu’ils atteignent l’âge de soixante-quinze ans – fait que ce sont les diocèses de l’Ouest qui ont été particulièrement touchés par ce renouvellement « bénédictin ».
Dans la puissante province métropolitaine de Rennes (qui recouvre tous les départements des régions administratives Bretagne et Pays de Loire), huit des neuf évêchés ont à leur tête un prélat nommé il y a moins d’une demi-décennie. Traditionnellement, ce ne sont pas les zones où l’on trouve les évêques les plus progressistes. A fortiori, ce sont des diocèses qui pouvaient donc facilement accueillir des conservateurs. En revanche, les provinces de l’Est, celle de Besançon et la région concordataire de Strasbourg, ont été très peu renouvelées alors qu’elles apparaissent davantage comme des bastions du progressisme. Leurs évêques avaient par exemple cosigné une lettre au pape, le 28 janvier 2009, afin de minimiser la portée de la levée de des sanctions officielles portées contre la Fraternité Saint-Pie X et pour rappeler qu’il ne saurait être question de minimiser le concile Vatican II. Ce sont eux qui seront remplacés dans les prochains mois, dans les prochaines années.
De manière générale, ce renouvellement partiel des autorités ecclésiastiques laisse entrevoir une continuité contribuant à pérenniser l’épiscopat français dans son état. En effet, 80 % des nouveaux titulaires de sièges sont originellement des prêtres diocésains – six proviennent même du diocèse de Paris – formés par les évêques des années 1970 et 1980 et les séminaires qu’ils tenaient alors. D’ailleurs, si on relève deux cas de membres de la communauté charismatique de l’Emmanuel, l’un de leurs confrères, Mgr Dominique Rey (Fréjus-Toulon) était déjà nommé avant 2005. Benoît XVI a aussi installé un dominicain, Mgr Jean Legrez (Saint-Claude), un père blanc devenu cistercien, Mgr Bernard-Nicolas Aubertin (Tours), ou encore un bénédictin, Mgr Robert Le Gall (Toulouse).
Le renouvellement est fort lent car 43 % des nominations de titulaires de sièges promeuvent des hommes qui étaient déjà des évêques nommés par Jean-Paul II. Il est en effet de tradition de placer dans les grandes villes des personnes d’expérience ayant déjà gouverné un diocèse auparavant. Ce qui était par exemple le cas de Mgr Georges Pontier (Marseille), Mgr Laurent Ulrich (Lille) ou Mgr Jean- Paul James (Nantes), quoique ces noms ne figurent cependant pas parmi ceux des plus conservateurs. En même temps, des évêchés de moindre importance ont également été des deuxièmes postes comme Soissons, Saint-Denis, La Rochelle ou Aix-en-Provence. Si l’on retire donc les noms d’évêques qui avaient déjà accédé à un siège sous Jean-Paul II mais qui ont été transférés par son successeur, on conclut que Benoît XVI a surtout fait émerger trente-quatre nouveaux noms.
Tableau des nominations
Les évêques de France, à de rares exceptions près, sont réticents à s’ouvrir au mouvement liturgique traditionnel. Les nouveaux titulaires ne font pas exception puisque 43 % d’entre eux n’ont pas accueilli de communauté Ecclesia Dei sur le territoire dont ils ont la juridiction. D’ailleurs, sur les 57 % restant, un certain nombre a hérité de situations antérieures et très rares sont les cas où le diocèse a vu la multiplication (même par deux) de ce genre de communautés. De la même manière, le Motu Proprio Summorum Pontificum n’est pas appliqué dans les diocèses de tous ces nouveaux évêques qui, à part une douzaine, comme NNSS. Thierry Scherrer (Laval), Raymond Centène (Vannes) ou Emmanuel Delmas (Angers), n’ont jamais célébré la messe traditionnelle depuis sa libération en 2007.
La proportion est sensiblement la même parmi les titulaires installés par Jean-Paul II. Enfin, sur les dix-huit évêques en poste qui ont officiellement soutenu cette année la Marche pour la Vie, laquelle s’oppose de manière publique à l’avortement dans les rues de Paris, moins de 40 % ont été nommés par Benoît XVI, les autres l’étant sous son prédécesseur. Or, comme nous le disions précédemment, 45 % des évêques ont été promus par l’actuel souverain pontife. On en déduit que ce sont les anciens et non les nouveaux qui soutiennent davantage la condamnation de l’avortement.
A l’évidence et à quelques remarquables exceptions près, il faut conclure que les nominations du pontificat de Benoît XVI, si elles ont assuré une certaine rupture avec le passé des trente dernières années, n’ont pas bénéficié à la France. Bien au contraire, c’est une manifeste continuité qui s’opère dans notre pays, voyant les vicaires généraux des années 1990 accéder à la tête des sièges épiscopaux pour obéir aux directives de la Conférence des évêques à laquelle, pour la plupart, ils se rallient, sans pour autant qu’elle n’ait de fondement traditionnel ou divin. Il ne s’agit nullement de juger l’intention du pape qui se trouve confronté à des rouages qu’il ne maîtrise probablement pas dans leur intégralité. L’espoir de voir changer une telle donne repose cependant sur le renouvellement des personnages clefs du processus de nomination, en particulier le préfet de la Congrégation pour les évêques et le nonce apostolique. Il s’avère que, au cours des six derniers mois, le souverain pontife a pourvu au changement des deux postes. Le cardinal italien Giovanni Batista Re et Mgr Fortunato Baldelli ont été remplacés à leurs places respectives par le cardinal canadien Marc Ouellet et Mgr Luigi Ventura. L’avenir dira si ces modifications auront été suffisantes.
Le consensus mou
Cependant, le principe de collégialité promu par le concile Vatican II a porté un tel coup au pouvoir romain et a tellement promu le mode démocratique d’assemblée participative que, depuis quarante ans, les conférences épiscopales d’un côté et les conseils diocésains de l’autre agissent à leur guise et imposent leurs directives à des évêques qui se trouvent dans l’impossibilité d’agir. L’un d’eux, Mgr Maurice Gaidon, arrivé à l’âge de la retraite, a osé témoigner en 2007 sur le « consensus mou » qui s’est emparé de prélats plongés dans une totale inertie :
« Je pense que notre langage manque de vigueur et que le souffle prophétique est trop absent de nos textes savamment mesurés et dignes des résolutions votées en fin de “meeting radical-socialiste” ! (...)
« Un texte se dilue quand il est revu et corrigé dans une assemblée d’une centaine de membres dont certains ne parlent jamais alors que d’autres prennent la parole sans complexes. Dans une assemblée en partie noyautée par de “grosses mitres” qui préparent soigneusement certaines élections et se partagent les “postes clés” de l‘épiscopat (...). Nous n’aimons pas sortir d’un ton conciliant et recherchons avant tout le réconfort d’un consensus mou dans les domaines les plus sensibles comme le sont les problèmes de morale conjugale et les questions de bioéthique. J’avais déjà repéré ces hésitations au moment de la loi sur l’avortement et constaté que nous n‘étions pas prêts à croiser le fer avec les politiques. Je ressens la même impression alors que le gouvernement s’apprête à ouvrir les débats sur les contrats d’union entre deux personnes du même sexe. D’où vient cette crainte alors que nous n’hésitons pas à faire entendre notre voix en d’autres problèmes de société ?»
Face à cet état d’inertie qui plonge le clergé lui-même dans « l’apostasie silencieuse », la France a non seulement besoin d’évêques professant pleinement la foi catholique, mais également de prélats qui aient le courage de s’affranchir d’un système de cooptation et de préservation d’un système étranger à la nature de l’Église. Si nous désirons que les prêtres de bonne volonté qui, du fait de l’actualité, prennent conscience de l’état de nécessité, puissent participer à l’oeuvre de restauration liturgique et doctrinale, il nous faut instamment prier pour que Rome donne à la fille aînée de l’Église de saints évêques.
Un évêque nommé par Benoît XVI
Mgr Christian Nourrichard, l’actuel évêque d’Évreux, est l’un des cinquante évêques qui furent nommés par le souverain pontife. Issu des rangs du clergé diocésain de Rouen, cet ancien aumônier de la Jeunesse catholique ouvrière et de l’Action catholique ouvrière dans les années 1970 a été nommé pour un premier poste épiscopal le 22 octobre 2005, soit six mois après l’élection de Benoît XVI. Dans un entretien accordé trois ans plus tard à la chaîne audiovisuelle KTO, Mgr Christian Nourrichard louait sans nuance « le dynamisme et l’impulsion » que son prédécesseur Jacques Gaillot avait insufflé à son diocèse. De même, rapportant les propos qu’il tenait à un jeune garçon le sollicitant, il y affirmait : « Par rapport aux personnes plus âgées, je ne parlerais peut-être pas de messe rock. Mais qu’il y ait des messes animées, plus rythmées que celles auxquelles vous participez, je suis tout à fait pour et s’il le faut, tu proposes une date et un jour je viens !»
Or le diocèse d’Évreux a été le théâtre d’une ardente résistance de la part d’un curé attaché à la messe et à la doctrine traditionnelle, M. l’abbé Quentin Montgomery-Wright qui continua, malgré les directives de l’épiscopat français, à maintenir la foi dans les campagnes entourant son village du Chamblac. Mais Mgr Nourrichard n’était pas encore évêque. Cependant, à quelques kilomètres de là, il se confronte depuis quelques mois à un autre prêtre, M. l’abbé Francis Michel, qui a continué à porter la soutane et à inculquer à ses ouailles un catéchisme traditionnel dans lequel on parle de sacrifice ou de péché. S’il célèbre les deux missels, l’ancien et le nouveau, ce dernier dispense la nouvelle messe face à Dieu et en conservant le Kyriale grégorien. Si cette position « biritualiste » est plus proche de celle de Benoît XVI que de celle de la Fraternité Saint- Pie X, elle n’a cependant pas l’heur de plaire à l’évêché héritant d’une telle situation.
Après plusieurs vaines demandes de mise au pas à l’égard du téméraire curé de Thiberville, l’évêque lui a présenté son départ vers un poste de vicaire aux côtés d’un prêtre ne partageant pas cet esprit ratzinguérien sous les voiles de la « réorganisation du diocèse ». Dès lors, une guerre de clochers s’est emparée depuis six mois du village de Thiberville, relayée par les télévisions et les radios locales, enflammant les blogs et sites sur internet. L’évêque d’Évreux, revêtu d’une chasuble arc-en-ciel pour célébrer une messe où il annonçait la révocation du curé, s’est heurté à l’opposition unanime des élus et d’une population largement pratiquante mais qui refuse de voir leur curé en soutane partir au profit de son remplaçant, le curé de Bernay, lequel aspire en guise de programme de carême à « favoriser la syndicalisation des personnes pour contribuer au dialogue social. »
Furieux de cette déconvenue, l’évêque d’Évreux a supprimé au curé les pouvoirs d’administrer le sacrement du mariage. Son but est clair. Il veut que le gênant abbé s’incline purement et simplement devant les canons diocésains. Les maires des villages du secteur se sont réunis pour défendre leur pasteur. L’abbé Michel a porté l’affaire à Rome, mais les deux recours jugeant l’affaire sur la forme l’ont débouté. Sur les bottes de foin, les paysans ont déployé des panneaux indiquant qu’ils étaient pris en otage par l’évêque et ils continuent à assister à la messe du curé de Thiberville.
Le dernier épisode de ce conflit à rebondissements est la publication par l’évêque d’une lettre intimant l’ordre à l’abbé Michel de se soumettre d’ici le 26 juillet sous peine de se voir frappé de la « suspens a divinis ». Et dire que l’histoire ne repasse pas les plats…
Côme Prévigny