SOURCE - Lettre à nos frères Prêtres (Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France) - Mise en ligne par "La Porte Latine" - décembre 2010
Si nous n’avons jamais affirmé que Vatican II serait la cause unique de la crise actuelle, ni un concile illégitime par principe, il est clair que nous avons des critiques à son propos : elles sont publiques et constantes depuis quarante ans.
Pour commencer par une remarque très simple, il faut souligner le fait que la conscience de l’Église est aujourd’hui encombrée, obnubilée par la référence unique et envahissante à Vatican II. Si, comme on nous l’affirme, ce concile est un concile comme les autres, dans la continuité des autres ; si, comme on nous le répète sur tous les tons, ce concile n’a rien changé à l’essentiel, seule la manière de le dire étant nouvelle ; si, comme le proclame la doctrine officielle, il s’agit d’un concile pastoral et non pas doctrinal, alors il convient de remettre le concile Vatican II à sa place, qui est en soi assez modeste. Les hommes d’Église doivent arrêter de ne vivre que par et pour Vatican II.
Un concile simplement pastoral
Ce vingt et unième concile oecuménique, en effet, est atypique : il ne s’inscrit pas dans la simple continuité des conciles antérieurs, de par la volonté expresse de son promoteur, le pape Jean XXIII, qui l’a conçu d’une façon toute particulière comme un « concile pastoral ».
Certes, tout concile est pastoral parce qu’il est doctrinal, il est doctrinal pour mieux être pastoral. Mais dans le cas de Vatican II, il a été affirmé qu’il était « pastoral » en un sens nouveau, parce qu’il ne voulait ni ne devait être « doctrinal ». Jean XXIII le précise nettement dans son discours inaugural, le 11 octobre 1962, qui va donner sa tonalité au travail de Vatican II. Il commence par déclarer à ce sujet : « Nous n’avons pas comme but premier de discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine chrétienne », car pour cela, affirme-t-il, « il n’aurait pas été besoin de réunir un concile oecuménique ». « Il faut plutôt, poursuit-il, que cette doctrine certaine et immuable de l’Église, qui doit être respectée fidèlement, soit étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne. Car autre est la substance de la doctrine antique contenue dans le dépôt de la foi, autre la formulation dont on la revêt, en se réglant, pour les formes et les proportions, sur les besoins d’un magistère et d’un style surtout pastoral ». Nous venons de citer la version italienne du discours ; la version latine, un peu différente (mais Jean XXIII a usé des deux formules à deux moments différents), dit : « On devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral ».
Cette option pastorale a été maintenue tout au long du Concile. Inaugurant la deuxième session, le 29 septembre 1963, le nouveau pape Paul VI rappelait « le but plus urgent et de nature actuellement plus bienfaisante du Concile, le but pastoral ». Le 4 décembre 1963, pour la clôture de la deuxième session, il soulignait que les Pères n’avaient « jamais perdu de vue l’orientation pastorale de ce concile ». Le 7 décembre 1965, il concluait : « Le motif de l’intérêt prépondérant porté par le Concile aux valeurs humaines et temporelles se trouve dans le caractère pastoral que le Concile a voulu et dont il a fait en quelque sorte son programme ».
Un concile qui évite de se placer sur le terrain dogmatique
Cette désignation de Vatican II comme « concile pastoral » (et non concile tout court) exprime une volonté ferme d’éviter de se placer sur le terrain proprement dogmatique. Les déclarations à ce propos sont extrêmement claires. Jean XXIII déclare donc le 11 octobre 1962 : « Nous n’avons pas comme but premier de discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine chrétienne ». Le 6 mars 1964, puis le 16 novembre 1964, le Secrétaire général du Concile lit une déclaration officielle de la Commission doctrinale, concernant la qualification théologique de Vatican II : « Compte tenu de l’usage des conciles et du but pastoral du concile actuel, celui-ci ne définit comme devant être tenus par l’Église que les seuls points concernant la foi et les moeurs qu’il aura clairement déclarés tels ». Le 7 décembre 1965, Paul VI répète que, dans le Concile, « le magistère de l’Église n’a pas voulu se prononcer sous une forme de sentences dogmatiques extraordinaires ». Le 12 janvier 1966, il insiste : « Étant donné son caractère pastoral, le Concile a évité de prononcer de façon extraordinaire des dogmes dotés de la note d’infaillibilité ».
Dans un discours prononcé le 13 juillet 1988 devant les évêques du Chili et faisant le point après les sacres réalisés par Mgr Lefebvre, le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, a résumé l’option choisie par Vatican II de la façon suivante : « La vérité est que le Concile lui-même n’a défini aucun dogme et a tenu à se situer à un niveau plus modeste, simplement comme un concile pastoral ». Et dans une lettre ouverte à Benoît XVI publiée dans Témoignage chrétien (26 octobre 2006) par Mgr Jacques Noyer pour protester contre le projet d’un Motu proprio sur la messe traditionnelle, l’ancien évêque d’Amiens écrivait ces mots caractéristiques : « Si le concile Vatican II a autant marqué l’Église contemporaine, c’est qu’il fut pastoral et non pas doctrinal ».
Et pourtant, un concile très largement majoré depuis sa clôture
Or, ce concile pastoral, simplement pastoral, qui devrait donc avoir une place relativement modeste dans l’histoire et dans la vie de l’Église, a été très largement majoré.
D’abord, ses promoteurs n’ont pas hésité à proclamer que ce concile pastoral ouvrait une nouvelle ère de l’histoire de l’Église, qui devait voir le triomphe de celle-ci. Jean XXIII estimait que Vatican II serait une « nouvelle Pentecôte », qui allait entraîner « un nouveau bond en avant du royaume du Christ dans le monde ». En ouvrant la deuxième session, Paul VI déclarait que le Concile serait « le réveil printanier d’immenses énergies spirituelles et morales qui sont comme latentes au sein de l’Église ». Et en clôturant la dernière session, il saluait « ce renouveau de pensée, d’action, de moeurs, de force morale, de joie et d’espérance qui a été le but même du Concile ».
Ensuite, après la clôture de Vatican II, il y a eu un véritable déluge de références à ce concile simplement pastoral. Il serait possible de relever, dans les textes pontificaux des quarante dernières années, plusieurs dizaines de milliers de citations du Concile. Pour ne donner qu’un seul exemple, le Catéchisme de l’Église catholique, publié en 1992, comporte plus de 800 citations de Vatican II, tandis que les vingt conciles spécifiquement doctrinaux qui l’ont précédé n’ont droit qu’à 200 mentions. Pour comprendre le caractère étrange d’une telle « citationnite », il suffit de comparer avec le Catéchisme romain ou Catéchisme du concile de Trente, publié en 1566. Celui-ci faisait donc suite au concile de Trente, concile dogmatique d’une importance exceptionnelle, qui a traité beaucoup des sujets repris dans ce Catéchisme dont il a d’ailleurs demandé expressément la publication. Or le concile de Trente est cité moins de quinze fois dans le Catéchisme qui porte son nom.
Enfin, pour aller jusqu’au bout de cette majoration d’un concile simplement pastoral, le pape Paul VI a fini par employer, le 29 juin 1975, dans une lettre officielle à Mgr Lefebvre, ces mots significatifs : « Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important que celui de Nicée ». Que Vatican II soit considéré comme plus important que le concile qui a défini le dogme de la divinité du Christ signifie que ce concile simplement pastoral est subrepticement devenu la principale référence doctrinale de l’Église.
Une place véritablement disproportionnée
Nous disons, et avons toujours dit, qu’indépendamment de son contenu, Vatican II, concile simplement pastoral selon les déclarations les plus formelles de ses promoteurs, représente aujourd’hui un problème dans la vie de l’Église par la place tout à fait démesurée et disproportionnée qui lui est accordée, au détriment des vingt autres conciles oecuméniques, qui sont, eux, des « conciles doctrinaux». De le même façon, le recours constant et exclusif à Vatican II a fait tomber dans l’oubli les enseignements pontificaux des deux siècles qui l’ont précédé, enseignements qui constituent pourtant un très riche patrimoine doctrinal et pastoral, dont l’Église aurait aujourd’hui grand besoin.