SOURCE - Fr. Placide, o.s.b., prieur
de Bellaigue - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs n° 23 - mars 2015
Chers amis et bienfaiteurs,
Chers amis et bienfaiteurs,
L’adoration de la Croix du Vendredi saint frappe par le
caractère triomphal qui lui est propre. L’église a plus d’un motif pour donner
au culte de la Croix cette dimension glorieuse. En effet, le Sacrifice du
Seigneur est si étroitement uni à sa Résurrection, qu’il ne s’en peut séparer.
Le Christ lui-même n’a jamais voulu annoncer à ses disciples sa mort sans leur
donner du même coup l’assurance qu’il ressusciterait le troisième jour. C’est
ainsi que prédisant encore une fois la dispersion du troupeau lors de la mort
du Pasteur, Jésus ne manque pas d’ajouter la promesse de sa Résurrection :
Après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée
(Matthieu XXVI, 32). Aussi longtemps que les apôtres jugent des choses divines selon
la sagesse humaine, ils se heurtent au mystère de la Croix, qui demeure à leurs
yeux un scandale. à la suite de la Résurrection, ils n’en comprennent pas
davantage le prix véritable, si bien que le Seigneur doit expliquer lui-même la
signification de ses souffrances et de sa mort : Il fallait que le Christ
souffrît et entrât ainsi dans sa gloire (Luc XXIV, 26). Saint Paul, à son tour,
ne fait que reprendre le même enseignement, lorsqu’il nous montre le Père
exaltant son Fils et lui donnant le Nom au-dessus de tout nom, parce qu’il
s’est anéanti jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix (Philippiens II, 9).
Dans ce passage lumineux, l’apôtre met fortement en relief la disposition
divine qui veut que la gloire de Jésus lui soit acquise par la vertu de son crucifiement.
La mort sur la Croix est ainsi le premier pas de cette glorieuse exaltation qui
ne s’achève que lorsque le Christ remonte au Ciel pour siéger à la droite du
Père.
Mais, entrant plus avant encore
dans le mystère de la Croix, nous reconnaissons que la Passion du Christ doit
être dite bienheureuse, non seulement à cause de la récompense magnifique qui
en est le fruit, mais aussi à cause de ce qu’elle est en elle-même. Le Seigneur
n’a pas attendu que sa Passion fût achevée pour réaliser son triomphe, car
c’est au moment précis où il s’humiliait jusqu’à la mort, qu’il remportait la
victoire. Jésus est mort par puissance, enseigne saint Augustin : « Potestate
mortuus est ». Aussi la liturgie s’exprime avec une parfaite justesse
lorsqu’elle décerne à la bienheureuse Passion les titres de « glorieuse » ou «
très victorieuse ». De fait, c’est en mourant sur la Croix que le Christ a
remporté la victoire sur le prince de la mort : « Par sa mort il a détruit
notre mort (Préface pascale). » De telle sorte que la Croix est, tout à la
fois, le lieu et l’instrument de la victoire de Jésus-Christ.
La liturgie n’évoquera donc
jamais le souvenir de la Croix sans rappeler le triomphe insigne dont celleci
fut l’instrument, comme jamais non plus elle ne célébrera la victoire du Christ
sortant du tombeau sans rappeler qu’elle a été remportée par la mort sur la
Croix. C’est pourquoi l’Eglise ne manque pas, en ce grand Vendredi où elle
célèbre la Passion du Seigneur, de se ré- jouir du triomphe qui se laisse
entrevoir : « Seigneur, nous adorons votre Croix, nous louons et glorifions
votre sainte Résurrection, car voici que par le bois la joie s’est répandue
dans tout l’univers ». La Résurrection manifeste la victoire, alors cachée,
remportée à la Croix ; victoire de l’amour sur la mort, sur le péché et sur
Satan. La mort sur la Croix, on ne le dira jamais assez, c’est la victoire du
Christ.
Si on considère la Croix d’un
point de vue purement humain, elle est scandale et folie. Mais si on la regarde
dans la lumière de la sagesse de Dieu, elle devient l’instrument de la
glorification du Christ. Dieu envoie son Fils à la mort, non pas pour qu’il
soit englouti par elle, mais pour qu’il triomphe d’elle et qu’il nous entraîne
après lui dans sa Résurrection. L’œuvre du salut est ordonnée à la gloire du Christ.
Ce qu’il faut considérer tout d’abord, c’est l’amour du Père pour son Fils,
alors même qu’il le livre pour nous. Dieu, par amour pour son Fils, a voulu de
toute éternité pour lui la gloire de la Rédemption. La Croix, sur laquelle
Jésus paraît vaincu, est en vérité le trophée de sa victoire.
Jésus crucifié est notre sagesse,
ce qui donne son sens à toute notre vie : Si nous sommes morts avec le Christ,
nous croyons que nous vivrons aussi avec lui (Romains VI, 8). On ne peut
dépasser le scandale et la folie de la Croix que si on considère sa finalité
profonde. Or sa finalité, c’est la gloire de Dieu dans le Christ Jésus. Que la
Vierge, dans le mystère de sa Compassion, nous donne quelque chose de la pureté
de son regard, afin que nous puissions contempler la Croix en transparence, ne
la dissociant jamais de la Résurrection.
Fr. Placide, o.s.b., Prieur