1° En ce qui concerne la
spécificité française, il me semble qu'au-delà de l'influence maurrassienne
(qui ne s'est du reste pas limitée à la France), il faut prendre en compte un
contexte ecclésiastique et religieux qui a été marqué d'une manière particulière
par la Révolution.
La Révolution française, si violemment hostile à l'Eglise qu'elle ait été, n'aurait causé directement la mort que d'environ trois mille ecclésiastiques, ce qui est un chiffre absolu élevé, mais un chiffre relativement faible si on le rapporte aux effectifs pléthoriques du clergé d'Ancien Régime : on arrive, peut-être, à 2 ou 3% du clergé ; rien de comparable donc avec les épisodes d'anticléricalisme qu'a connu par exemple l'Espagne à l'époque de la guerre civile, pendant laquelle communistes et anarchistes procédaient au massacre systématique du clergé. Mais à la persécution proprement dite s'ajoute, dans le cas français, l'expérience dramatique de la division de l'Eglise.
C'est une donnée qu'à mon sens on tend parfois à trop négliger, même si l'on aime dans nos milieux à se rappeler des prêtres réfractaires : la législation ecclésiastique de la Révolution française a conduit à couper en deux le clergé paroissial et à établir une Eglise peu ou prou schismatique qui s'est maintenue tant bien que mal jusqu'au Concordat, certains de ses évêques (Grégoire) et de ses prêtres (Brugière) n'ayant jamais été vraiment réconciliés avec l'Eglise romaine. Et le règlement concordataire de la crise religieuse révolutionnaire a lui-même largement conduit à la liquidation presque complète de l'Ancien Régime ecclésiastique, ce qui a introduit de nouvelles divisions avec le phénomène de la Petite Eglise qui rassemblait une part non négligeable de l'ancien épiscopat émigré.
Ces divisions ont laissé une empreinte durable et souvent fâcheuse. Le clergé du début du XIXe siècle, au-delà de l'amalgame voulu par Bonaparte en 1801-1802, est un clergé parcouru par des haines et des ressentiments tenaces liés au souvenir du serment. En un mot, le clergé français du XIXe siècle est un clergé où l'on a le souvenir que l'ennemi peut être tout d'abord un membre du clergé.
A mon sens, cela n'est pas négligeable et préfigure pour une bonne partie, toutes choses égales par ailleurs, ce que l'on peut observer aujourd'hui : on est frappé de la ressemblance de débats entre réfractaires sur la réconciliation des constitutionnels avec les débats auxquels on a pu assister ou prendre part depuis 2012 autour des accords puis de la "résistance". Je pourrais citer ici des textes significatifs et éloquents.
2° On peut noter, toujours en ce qui concerne le traditionalisme français, que c'est en France seulement que le phénomène "résistant" bénéficie au sein de la FSSPX d'une certaine consistance. Cela peut s'expliquer pour partie par les particularités de l'histoire de l'Eglise de France depuis la Révolution, mais aussi plus près de nous, par l'influence de certains mouvements dont on s'aperçoit que sur le plan tant humain qu'idéologique ou doctrinal, ils sont largement à l'origine de la mouvance "résistante" et de la crise qu'elle a provoquée. Cela aussi est assez bien renseigné et je pourrais citer des faits et des textes significatifs.
3° En ce qui concerne plus immédiatement votre typologie, il me semble qu'il faut préciser qu'aucun des types n'entraîne automatiquement l'adhésion à une position ou à une autre dans la question des rapports avec Rome, ne serait-ce que parce que cette question n'est pas à proprement parler doctrinale, sans être pour autant purement pratique, même si on peut supposer que les traditionalistes de votre dernier type, celui des "zinzins" apocalyptiques en quête de marginalité, seront plus facilement attirés que d'autres par le combat "résistant".
On pourrait ajouter en outre que les fidèles de votre premier type, ceux qui posent peu les questions en termes de doctrine ou de combat, ne sont pas toujours les moins attachés à la Fraternité. J'ai pu personnellement constater la profondeur de l'attachement à la Fraternité, du reste assez émouvant tant il témoignait d'une confiance, d'une fidélité et d'un esprit de foi, d'une personne de ma connaissance pour laquelle on ne peut pas dire que le militantisme actif et déclaré soit la priorité.
4° Il me semble enfin que l'on pourrait aussi
entreprendre une typologie des fidèles traditionalistes, toutes fraternités et
instituts confondus, en fonction d'une part de l'influence d'une certaine
littérature politico-religieuse, je pense en fait surtout aux auteurs de
l'école antilibérale du XIXe siècle considérés par certains comme des autorités
exclusives et définitives dans tous les domaines, et d'autre part du rapport à
la culture, aux études (encouragées ou non), au théâtre, à la littérature etc.
Sans qu'on puisse en déduire, bien évidemment, des liens systématiques de cause
à effet, il me semble que ce sont des facteurs qui introduisent une réelle
diversité dans le milieu des fidèles de la FSSPX tandis que de ce point de vue
le milieu "résistant" est probablement beaucoup plus homogène.